VI.01 - Seems like Easter Bunny plays with our fate

20 avril 2014

Par bonheur, la chance était du côté des organisateurs de cette belle fête de Pâques! Le soleil brillait et réchauffait le quartier, dans ce petit parc où une chasse aux œufs avait été prévue afin d'amuser les enfants. Des structures gonflables avaient même été mises en place pour attirer les familles, et un stand de maquillage était accessible pour tous les gamins souhaitant se faire décorer la figure à l'effigie d'un lapin, d'un canard ou tout autre animal habituellement associé à cette fête. Il y avait même des animaux de la ferme qu'on pouvait observer et caresser, dispersés ici et là dans différents enclos.

Pour s'impliquer dans la vie communautaire de son nouveau quartier, Ivy avait décidé de donner son nom comme bénévole afin d'aider les gens à tout mettre en place. Cela lui changeait les idées et l'obligeait à sortir de chez elle. De plus, elle allait voir un paquet de gamins, elle qui avait toujours adoré les enfants. Du coup, c'est vêtue d'une robe dans des tons pastels qu'elle s'amena à la fête, un bandeau d'oreilles de lapin sur la tête. Pour l'occasion, elle l'avait fabriqué elle-même et franchement, il était joli, mignon et surtout unique car tout rembourré et moelleux. D'ailleurs, plusieurs des enfants qui l'apercevaient le pointaient du doigt car il n'avait rien à voir avec ceux que l'on pouvait se procurer dans les magasins à grande surface. C'était l'avantage d'être couturière! On pouvait se fabriquer un paquet de trucs qu'on ne retrouvait pas ailleurs.

Bref, l'après-midi était débuté depuis un bon moment déjà et on pouvait dire que la fête battait son plein. Beaucoup de familles s'étaient déplacées et continuaient d'arriver, leurs gamins sanglés dans des poussettes ou courant ici et là, dans l'attente que la chasse aux œufs débute. Assise à son stand de maquillage, Ivy peignait les visages des bambins, aidée par d'autres femmes qui laissaient elles aussi voguer leur imagination afin que chaque figure soit unique. Tout sourire, la couturière achevait un maquillage de lapin sur la bouille joufflue d'une fillette lorsqu'elle aperçu Lucy et Eileen. Aussitôt, elle adressa un sourire un brin timide au premier -après tout elle avait cru que "Lucy" était le prénom d'Eileen, et non pas le sien- puis fit un coucou de la main à la gamine, contente de les voir. La robe d'Eileen n'était pas encore terminée mais elle le serait bientôt et elle était convaincue qu'elle plairait énormément à la principale intéressée.

- Bonjour, vous allez bien?

La fillette dodue se leva et Ivy lui souhaita une belle chasse aux oeufs de Pâques. Ensuite, elle reporta son attention sur Lucy, puis sur sa fille tout en remuant les doigts de sa main droite dans un "coucou" tout délicat.

- Vous aimeriez que je fasse un maquillage à Eileen?

Enfin, elle planta de nouveau ses yeux dans ceux de Lucy, non sans, une fois de plus, éprouver une gêne immense face à sa bourde de l'autre jour.

Ivy ne regrettait pas d'avoir donné son nom comme bénévole pour la grande fête de Pâques du quartier. Au sein du comité, elle s'était faite de nouvelles amies et espérait pouvoir les revoir plus souvent, question de tisser des liens et papoter de tout et de rien. L'avantage de déménager dans une nouvelle ville était de pouvoir tout recommencer à zéro mais évidemment, cela impliquait de devoir se refaire des amis sauf que la rouquine était plutôt douée pour le faire, n'étant pas du tout timide.

En cette belle journée ensoleillée, la couturière s'était installée au stand de maquillage, assise à côté d'une copine qui tout comme elle, commençait à avoir les fesses en bouillie à force de devoir siéger sur une chaise trop dure et raide. Quand il n'y avait pas d'enfants qui venaient les voir pour se faire maquiller, les deux demoiselles se levaient pour se dégourdir un brin et discutaient de tout et de rien, apprenant tranquillement à faire plus ample connaissance. C'était agréable et cela mettait Ivy de très belle humeur, et puis entendre les gamins rigoler de plaisir, ça faisait sourire!

Le maquillage de sa mini cliente dodue progressait bien, quand Ivy croisa le regard de Lucy et d'Eileen. Elle eut le sentiment que la petite fille la reconnaissait car elle la vit s'agiter dans sa poussette.  Les deux s'approchèrent du stand et rapidement, le papa retourna son bonjour à Ia couturière. Ensuite, il lui lâcha un truc qui la surpris énormément et qui la laissa temporairement bouche bée. Est-ce que Lucy venait bel et bien de faire une blague? Il avait… osé? Wah! Reprenant ses esprits, Ivy finit par se mettre à rire doucement tout en secouant la tête.

- Effectivement, j'ai ce pouvoir de me transformer en lapin en dehors de mes heures de boulot. Ça m'aide à me faire des amis puisque je suis nouvelle dans le coin. Et sinon, pour tout avouer, ça irait mieux si le prix de la carotte n'était pas si élevé mais on fait avec sauf que… entre vous et moi, je crois que rien ne vaut un bon steak sur le barbecue!

En espérant que Lucy ne soit pas du genre végétarien sinon, bonjour le malaise… et ça ne serait pas la première fois!

Ivy attendit que le papa demande à Eileen si elle souhaitait avoir un maquillage. En même temps, il lui montra le gamin d'à côté, qui était à se faire peindre le visage en poussin. L'idée plut à la petite qui réclama la même chose. Ivy demanda donc à Lucy d'asseoir sa fille sur le banc qui se trouvait face à elle et l'invita à prendre place sur le tabouret réservé aux parents, afin qu'il puisse rester tout près.

- Voyons voir…

Elle attrapa le pot de peinture jaune et en versa dans un petit contenant de carton. Après, elle choisit un pinceau neuf, comme elle le faisait avec chaque enfant, et le plongea dans le gobelet. Ne restait qu'à en étendre sur le visage d'Eileen, en respectant le dessin choisi.

- Alors, vous êtes venus participer à la chasse aux œufs?

Sans s'en apercevoir, Ivy se sortit le bout de la langue en signe de grande concentration, comme si ça allait l'aider à mieux s'appliquer. Le pinceau glissa doucement sur la joue d'Eileen, ce qui fit rire cette dernière. Sa rigolade contamina la couturière qui osa lui chatouiller la taille pour la faire rire encore plus.

- Oh mais madame est chatouilleuse à ce que je vois?

Elle lui fit un petit sourire puis lui attrapa doucement le visage pour le tourner vers Lucy afin de pouvoir continuer la peinture mais avant, elle porta son regard sur le père à qui elle adressa une courte remarque :

- Si la chasse est bonne, vous allez devoir vous gaver de chocolat! Il y en a des masses à trouver, de quoi se rendre presque malade. On en a mis partout! Je vous conseille de vous aventurer vers le grand pin au fond du parc mais chut! je n'ai rien dit!

Enfin, elle déplaça son attention sur la gamine, qui se laissait sagement maquiller.

- Et toi Eileen, tu aimes le chocolat? Moi j'en raffole carrément!

Plus elle le regardait et l'écoutait, plus elle le trouvait amusant. Les personnes qui se permettaient de blaguer de cette manière étaient rares et cette petite touche d'humour que Lucy lui offrait la surprenait et l'égayait énormément. Quand il se lâchait de cette manière, son visage se transformait. Il paraissait moins sévère, moins rigide et bien plus détendu. Il avait même l'air… sympathique! Dans ce genre de situation, il était facile pour Ivy de suivre la vague et d'embarquer dans ce type de délires. Elle avait toujours adoré déconner alors elle n'allait certainement pas manquer cette occasion car elle lui faisait beaucoup de bien et lui changeait les idées, en plus de la rendre de bonne humeur.

Possiblement que Lucy s'interrogea à savoir si sa blague était déplacée car après l'avoir dite, il fit un drôle de clignement d'yeux, comme s'il regrettait son audace. À son plus grand soulagement, Ivy lui répondit sans hésiter, sourire aux lèvres, fortement amusée par leur échange. Le jeune homme ne tarda pas à la rassurer sur la possibilité qu'elle puisse se faire de nouveaux amis puis feignit d'être scandalisé parce qu'elle se disait carnivore.

- Je sais, c'est fou hein? Je dois être une lapine unique!

Elle pouffa de rire puis le remercia de ses souhaits de bienvenue. Ensuite, il proposa un maquillage à sa fille qui accepta avec enthousiasme. Après une mise en garde de bien rester sage venant de la part de son père, Eileen était installée sur le petit tabouret, sa peluche en mains. À voir son état, il était facile de deviner qu'elle la trimbalait depuis des mois. C'était assurément son jouet préféré et avec raison, car le chien était vraiment mignon.

Lucy ébouriffa les cheveux de sa fille, ce qui la fit éclater de rire. Ivy ne put résister à sourire à la vue de cette belle scène même si au fond, elle avait le cœur en miettes de penser que ça aurait pu lui arriver avec Elijah. Pour chasser ses pensées douloureuses, elle relança la conversation sur la chasse aux œufs, que Lucy confirmait venir faire avec Eileen et lui confia qu'à un certain endroit, non loin d'un pin, il s'en trouvait plusieurs. S'ils les découvraient tous, ils allaient devoir manger beaucoup, beaucoup de chocolats! Le jeune homme promit de garder le secret mais ajouta que s'ils en récoltaient pas mal, qu'ils partageraient.

- Ça c'est très gentil!

Elle hocha la tête pour confirmer ses dires puis demanda à Eileen si elle aimait le chocolat. La petite répondit avec tant de spontanéité qu'Ivy éclata de rire devant cette dose de "mignonneté". Heureusement, le pinceau ne se trouvait pas sur sa joue à ce moment donc la peinture ne fut pas gâchée. Tout de suite après, Lucy s'interrogea sur le prénom d'Ivy. Nom de Dieu! Elle ne le lui avait même pas dit, lorsqu'il était venu la voir. Quelle impolitesse! Elle avait dû l'oublier, après la bourde commise sur le sien.

- Je suis désolée j'ai complètement oublié de me présenter lorsqu'on s'est vus l'autre jour. Je m'appelle Ivy. Ivy Hayes.

Un "'Vy" s'échappa de la bouche d'Eileen, pile au moment où la jeune femme donnait son dernier coup de pinceau.

- Oui c'est ça. Ivy. Voilà, c'est terminé ma belle Eileen. Veux-tu voir?

Sans attendre sa réponse, elle s'empara d'un petit miroir et le plaça devant le visage de la petite qui semblait ravie du résultat.

- Maintenant tu peux aller faire la chasse. J'espère que tu trouveras tout plein d'oeufs!

En ce qui la concernait, elle avait terminé. Elle se leva donc de sa chaise et se frotta machinalement la cuisse tout en portant son regard sur la ribambelle de gamins qui courraient tout partout, en attendant que le signal de départ de la chasse soit donné.

- Tu étais ma dernière cliente de la journée. Je suis chanceuse que ça ait été toi!

Elle osa faire un petit câlin à Eileen puis la laissa aller se presser contre son papa. Une femme arriva sur l'entrefaite et salua chaleureusement Ivy. Ensuite elle prit sa place et accueillit son premier petit client qui souhaitait avoir la figure peinte en lapin. La couturière quant à elle, se pencha pour récupérer l'objet de ses cauchemars -à savoir sa maudite canne- puis s'y appuya fortement tout en souriant à Lucy.

- On se recroisera peut-être sur le terrain tout à l'heure. Je vais aller y faire un tour pour voir comment ça se déroule, avant de rentrer chez moi. Je vous souhaite une belle chasse à tous les deux!

Du bout des doigts, elle fit un petit "au revoir" à Eileen qui continuait de tenir sa peluche tout contre son cœur.

Elle avait souri, quand il avait confirmé qu'elle était une lapine unique. Tiens donc, il avait remarqué les oreilles qu'elle s'était elle-même fabriquées! C'est qu'il était un fin observateur, ce Lucy Keynes! Amusée par la remarque, Ia couturière avait baissé les yeux pour continuer de peindre le petit poussin sur la joue d'Eileen, sans trop s'apercevoir que ce doux sourire que le jeune homme avait provoqué chez elle ne s'était pas estompé de son visage pendant presque tout le temps qu'avait duré le maquillage. Finalement, le malaise qui s'était installé entre eux suite à sa bourde sur son prénom était en train de tranquillement s'effacer et c'était tant mieux, car Ivy ne souhaitait pas qu'il y ait quoi que ce soit de négatif entre elle et un de ses clients.

Pendant qu'elle maquillait Eileen, la rouquine discutait avec Lucy à qui elle avait laissé entendre qu'à certains endroits se trouvaient plein d'œufs. Dans sa grande générosité, Monsieur Keynes lui avait dit qu'ils partageraient avec d'autres gamins si jamais ils en trouvaient beaucoup. C'était une gentille idée qu'Ivy avait approuvée, non seulement pour les raisons évoquées par Lucy mais également parce qu'il fallait bien laisser la chance aux bambins de remplir leur petit panier.

Alors que le maquillage tirait à sa fin, le papa d'Eileen demanda à Ivy comment elle s'appelait. Quand elle se nomma, elle ne put réprimer un charmant sourire en entendant Lucy la complimenter sur son prénom et l'en remercia, alors que la petite tentait de le prononcer de façon trop mignonne. C'est qu'elle était trop adorable, cette fillette et son petit canard tout jaune lui allait à ravir. Ivy était bien contente du résultat.

La jeune demoiselle s'apprêtait à quitter Lucy et Eileen, lorsque celui-ci la remercia pour le maquillage avant de se mettre à hésiter puis lui demander si elle avait envie de faire la chasse avec eux. Ah bon? Ivy le détailla quelques secondes, surprise, puis lui lâcha un "oui, bien-sûr, ça serait super!" tout en lorgnant vers Eileen qui hocha énergiquement de la tête pour signifier son enthousiasme.

- Vous n'avez qu'à laisser votre poussette ici, je vais demander à Suzan de la surveiller.

Ce qu'elle fit en s'adressant à sa nouvelle amie qui était à maquiller un petit garçon. Ensuite, elle porta son attention sur Lucy qui craignait de lui tordre le bras en lui demandant les suivre. Oh non, c'était loin d'être le cas!

- Ça me plairait vraiment beaucoup, je vous l'assure.

Ils se mirent donc à marcher tranquillement, Ivy faisant de son mieux pour ne pas les retarder. Le départ était imminent; plein de charmantes petites familles se tenaient prêtes à partir à la course pour récupérer les œufs de Pâques. La jeune femme les observait attentivement, armée d'une mine alliant joie et tristesse. Peu de temps après, le signal fut donné et l'espace dégagé du parc se remplit d'enfants courant tout partout. Tout en avançant, Ivy s'adressa à Lucy :

- Je ne suis ici que depuis mars mais je dois avouer que j'adore la ville. Êtes-vous né à Huntfield? Je ne connais pas encore beaucoup la place mais je m'habitue tranquillement. Les gens sont très gentils je trouve, et bien aimables. C'est une ville très charmante.

Eileen trouvait des œufs à l'occasion et les déposait dans son petit panier, puis venait les montrer à son papa avant de repartir en chercher d'autres.

- Eileen est adorable. Elle n'a pas l'air très compliquée. J'ai déjà vu des gamines de son âge être de vraies petites pestes. Rien à voir avec elle.

Ivy continua d'observer la gamine, les yeux brillants.

Cela ne faisait que deux fois qu'Ivy croisait la route de Lucy et à chacune de ces rencontres, quelque chose ressortait avec force et la marquait au point qu'elle en vienne à laisser planer sur ses lèvres un très léger sourire qui lui donnait un air bien étrange. C'est que le papa débordait de belles petites attentions envers sa fillette toute mignonne. Il pouvait s'agir de caresses, de câlins, de mots, de gestes simples qui démontraient la force de l'amour qu'il éprouvait pour elle. Elle le voyait fortement attaché, dévoué et très protecteur. Cela faisait de lui une personne admirable mais surtout, l'exemple idéal du papa parfait. Eileen avait beaucoup de chance d'être tombée dans une famille si aimante et d'avoir un père aussi présent et généreux. Par conséquent, quand le fier papa prit soin de bien hydrater sa petite fille avant de lui flanquer un chapeau sur la tête, ce mystérieux sourire qu'Ivy arborait en ces occasions revint étirer ses lèvres avec légèreté tandis qu'elle les observait tous les deux, brièvement perdue dans ses pensées.

Une fois prêts, ils prirent la direction des plaines où des œufs avaient été cachés. La gamine n'ayant pas voulu délaisser sa peluche, elle trainait celle-ci sous son bras tandis que sa main libre serrait avec force le panier qui lui avait été prêté pour l'occasion. Lucy et Ivy marchaient lentement à ses côtés, tout en la surveillant attentivement. Ils discutaient de Huntfield et de leur arrivée dans cette ville, mais également d'où ils venaient. La couturière apprit donc que le jeune papa était natif du Michigan et qu'il avait passé la majorité de sa vie sur la route. Ah bon?

- Sur la route? Pourquoi? Votre famille aimait voyager?

Parfois, c'étaient les parents qui avaient un boulot qui exigeait cela. Les parents de Lucy étaient peut-être des vendeurs? Des représentants?

- Je viens de Brookings en Oregon. Les montagnes, la mer, les expéditions en forêt…

Les Wendigos. La perte de son fiancé et de leur fille. Les marques…

Pendant un bref instant, son regard s'assombrit et s'humidifia très légèrement alors qu'il semblait ne rien fixer en particulier, l'esprit de la jeune femme étant à des lieues de Huntfield. Quelques secondes s'écoulèrent avant qu'elle ne revienne sur terre et qu'elle tourne la tête vers Lucy qui devait se demander quels souvenirs étaient revenus la hanter. Pour les chasser, Ivy fronça brièvement les sourcils et baissa les yeux pour fixer Eileen qui peinait à ramasser les œufs vu sa peluche qu'elle refusait de lâcher. Elle était bien trop mignonne et Lucy encore plus, car il s'appliquait à la féliciter et l'encourager en lui souriant tendrement. Elle était réellement adorable et Ivy ne se gêna pas pour le dire à son interlocuteur qui confirma le caractère facile mais non moins présent de sa progéniture. Toute de suite après, quelque chose de très étrange survient, comme un genre de malaise qui vit Lucy quelque peu s'étrangler puis avouer que les derniers mois n'avaient pas été faciles pour elle.

- Est-ce que c'est trop malpoli de demander pourquoi? Je ne veux pas être effrontée ou faire remonter de mauvais souvenirs...

Au fond d'elle, elle espérait que la petite n'ait pas été malade. C'était tellement triste de voir des enfants souffrir!

Avançant au gré des trouvailles de sa fille, la conversation entre les deux adultes se faisait de plus en plus aisée, bien qu’encore, parfois, un peu incertaine. Du moins, en ce qui concernait Lucy, qui avait toujours eu un petit côté timide, surtout lorsqu’il était lui-même et pas dans un rôle quelconque utile pour l’une des nombreuses chasses qu’il avait fait. Naturellement, ils en étaient venus à parler de leur ville d’origine, Détroit pour lui…bien qu’il précisa n’y avoir vécu que les premières années de sa vie avant de passer le reste sur la route avant de s’établir sur Huntfield il y a sept ans. Sans trop de surprise, la jeune femme fut curieuse quant à ce mode de vie et sans laisser le moindre blanc, Lucy rétorqua le plus naturellement du monde…

« Oui, ils n'ont jamais été capable de rester longtemps à un seul et même endroit, c’est même étonnant qu'ils aient tenu huit ans à Détroit. Ils ont toujours été assez débrouillards pour maintenir ce train de vie, même avec un enfant. »

Comme ça, ça devait peut-être sonner un peu Hippie et ça avait quelque chose de très ironique lorsqu’on connaissait la triste vérité. Lucy avait appris à se défendre et connaissait par cœur son exorcisme bien avant d’avoir su écrire…

Elle, venait de Brookings en Oregon. Comme il était plus occupé à surveiller Eileen qu’à regarder son interlocutrice, il ne remarqua pas que son regard s’était assombrit ni même légèrement humidifié. En plus de ça, il s’était lui-même, quelques instants, perdu dans ses propres souvenirs avant de conclure d’un

« Je suis déjà passé par là, il y a quelques années.  » Même s’il n’arrivait plus à se souvenir pour quelle chasse exactement, toutefois, il savait parfaitement que ça remontait à l’époque où il était seulement avec Liam. Un Crocotta, peut-être ? « C’était charmant. » Autant que l’on pouvait trouver un endroit lorsqu’on était occupé à…la sauver d’une vile créature.

De temps à autres, il félicitait ou encourageait Eileen qui venait lui montrer ses trouvailles et levait les yeux au ciel en la voyant galérer avec Tiny Bubble qu’elle refusait de lâcher. Il fut particulièrement ravi du compliment la concernant de la part de la rouquine et ne put que confirmer tout en précisant quand même qu’elle possédait, sous ses airs dociles, déjà son petit caractère. Puis…son humeur s’était légèrement assombrie en pensant, par ce fait, à Serena…allant jusqu’à mentionner quelque chose qui suscita, bien évidemment, la curiosité d’Ivy…

Quelques instants, son regard resta perdu en direction de sa fille, il s’était arrêté de marcher. Puis, il secoua doucement la tête et avança à nouveau, rattraper Eileen n’était pas bien difficile, même en marchant lentement. Encore une fois, il se racla la gorge, papillonna des yeux et inspira…

_ Ma…hm…ma compagne, sa maman, est…hm…elle nous a quitté en décembre dernier…

Au son de sa voix et à l’hésitation qu’il y avait eu dedans, on devinait aisément que quitté signifiait décédée. Il avait encore du mal à prononcer ces mots terribles qu’étaient décédée ou morte. Tout comme on devinait tout aussi facilement, tout l'amour qu'il avait pu avoir pour elle. Il aurait pu ne pas répondre mais en soi, il ne voyait pas de raison de le cacher et puis ainsi, ça éviterait qu’au gré de la conversation, Ivy en vienne à demander ce qu’il en était de la mère de cette charmant petite…

Il aurait voulu orienter la conversation ailleurs, mais pour le coup, plus rien ne lui venait…

Ivy n'était jamais allée dans le Michigan. Pour tout dire, elle n'avait même jamais véritablement voyagé, préférant explorer ses très chères montagnes de l'Oregon mais peut-être bien qu'un jour elle se le permettrait? Quand elle irait mieux et qu'elle serait complètement remise de son accident, pourquoi pas? En attendant, elle devait récupérer autant que possible et se faire à cette nouvelle ville qu'elle habitait depuis peu et dont les habitants étaient si charmants! À commencer par ce mystérieux Lucy qui marchait tranquillement à ses côtés, accompagné de sa mignonne petite Eileen dont le panier se remplissait à bon rythme. Un Lucy bien énigmatique qui avait passé sa vie sur la route parce que ses parents étaient incapables de rester très longtemps au même endroit.

- Mais comment ça fonctionnait pour vous? Vous faisiez l'école à la maison?

Qui étaient ses parents et que faisaient-ils, pour tenir à ce point à changer d'endroit à tout bout de champ tout en se trimbalant un gamin? Ivy l'ignorait et ne fut pas surprise que Lucy finisse par lui dire qu'il était déjà passé en Oregon. Après tout, en quoi… une trentaine d'années au moins, il avait largement eu le temps de faire le tour des États-Unis!

Eileen bossait dur, pour ramasser tout plein d'œufs sans jamais lâcher sa peluche et son papa ne se gênait pas pour la féliciter et l'encourager. Un peu plus loin, il lâcha une phrase bien étrange qui amena obligatoirement Ivy à lui demander ce qu'il avait voulu dire. Pourquoi ça n'avait pas été évident pour la petite, au cours des derniers mois? Avait-elle été malade?

Ivy pencha la tête de côté pour chercher le regard du jeune homme mais celui-ci persistait à fixer Eileen et avait même arrêté de marcher. La demoiselle l'imita, appuyée sur sa canne, et entrouvrit lentement ses lèvres en signe d'inquiétude, sans oser prononcer le moindre mot. Quand Lucy secoua la tête, se racla la gorge puis inspira et se remit à marcher, la jeune femme respecta cette étrange pause qu'il s'était momentanément accordée pour remettre ses idées en place et ne souffla mot, de plus en plus concernée. Ensuite, ce fut le coup de poignard au cœur. La dureté de l'annonce qu'il lui fit l'ébranla fortement et lui défonça cruellement la poitrine. C'était le genre de nouvelle qui serrait la gorge et qui empêchait de correctement respirer, la pire des pires, celle qu'on ne voulait jamais entendre.

À son tour, Ivy s'arrêta de marcher, tourna la tête dans la direction opposée de Lucy tout en fermant les yeux pour cacher son visage afin qu'il ne puisse pas le voir. Rapidement, de sa main gauche, elle essuya une larme qui avait jaillit sans prévenir puis secoua la tête exactement comme son interlocuteur l'avait fait, avant de souffler d'une voix chevrotante qu'elle était vraiment désolée pour lui. Ensuite elle se remit à marcher, laissant un silence planer le temps de compter jusqu'à dix et ce, en évitant volontairement de regarder Lucy.

- Je comprends parfaitement comment vous vous sentez. J'ai moi-même perdu mon fiancé en septembre dernier.

Étrange hasard, quand même. Toujours sans regarder le jeune homme, elle se concentra à fixer le gazon en avançant tranquillement. Il était difficile de le percevoir mais elle tremblait doucement, ses yeux remplis de larmes qu'elle refoulait vaillamment et qui, par miracle, ne roulaient pas sur ses joues devenues rouges. Enfin, après une longue inspiration, un souvenir lui revint en mémoire et elle le partagea avec Lucy.

- J'ai pris votre amie pour votre femme, l'autre jour. Elizabeth je crois? Elle est venue me voir pour acheter une robe à Eileen. Quand j'ai vu la petite j'ai cru qu'il s'agissait de sa mère.

Elle plissa les lèvres et se concentra sur Eileen. Lucy avait peut-être perdu sa femme mais au moins il avait la petite pour lui rappeler celle qu'il avait aimé. Ivy quant à elle, n'avait plus rien.

Plus Lucy parlait de lui et de sa famille, plus Ivy était intriguée. Qui étaient les Keynes et que faisaient-ils, pour avoir passé leur vie sur la route en petit groupe et avoir ainsi imposé l'école à la maison à leur fils? Des vendeurs ou des représentants ne se déplaçaient pas en troupe, à ce qu'elle sache. Étaient-ils des adeptes de la vie de bohème? Des artistes ambulants? Le genre de petite troupe familiale qui se produit en spectacle ici et la pour gagner sa vie et voir du pays? Que c'était intriguant, et comme Ivy avait envie de poser un paquet de questions!… mais elle n'osait le faire par peur de paraitre impolie ou trop curieuse. Lucy et elle ne se connaissaient qu'à peine, rien n'indiquait qu'il s'ouvrirait à elle pour lui dévoiler sa vie en détails.

De toute manière, même si elle avait voulu interroger le jeune homme, la couturière n'aurait pu le faire car subitement, le sujet changea drastiquement d'orientation. Lucy fit une remarque à propos du fait qu'Eileen avait vécu des moment difficiles au cours des derniers mois, ce qui l'amena à parler de la mort de sa compagne et ce qui, par ricochet, porta Ivy à annoncer le même genre de nouvelle à son interlocuteur puisqu'elle venait de traverser un deuil, elle aussi. Pendant un moment, un certain malaise plana entre eux et la rouquine se contenta d'observer la gamine qui ramenait des œufs, puis son père qui la félicitait en lui ébouriffant les cheveux. Elle hocha la tête et fit un petit sourire quand il mentionna être désolé pour elle puis se remit à marcher et, pour chasser la lourdeur du moment, partagea cet épisode cocasse qu'elle avait vécu avec Elizabeth, la marraine d'Eileen.

- C'est quand même fou de m'être trompée deux fois; la première à propos de votre prénom et la deuxième à propos de la mère d'Eileen.

Elle eut envie d'ajouter qu'elle aurait bien aimé que cette deuxième erreur n'en soit pas une, afin que la petite ait encore sa mère mais garda se commentaire pour elle et répondit plutôt à la question de Lucy, qui se demandait si sa fille allait hériter d'une deuxième robe.

- Ah mais c'est une surprise! Je ne vais pas vous le dire quand même! Vous verrez en temps et lieu, bon!

Elle lui fit une mimique coquine puis lorgna vers la petite qui placotait avec une fillette et qui était à comparer sa récolte avec la sienne. C'était trop mignon! Lorsqu'elle eut terminé de jaser, elle se remit à gambader pour chercher d'autres œufs. Lucy et Ivy, qui s'étaient temporairement arrêtés pour lui laisser la chance de discuter avec l'enfant, reprirent donc leur route pour la suivre.

- Vous faites quoi comme métier? Est-ce que vous vous êtes établit à Huntfield pour le travail?

Oui, ça la titillait. Pourquoi, tout à coup, il avait cessé de suivre sa famille pour préférer se planter ici? Était-ce parce qu'il avait trouvé l'amour? Ou était-ce pour le travail? Ou bien avait-il eu un coup de foudre pour la ville?

- Je suppose que votre famille est toujours sur la route actuellement, puisqu'ils n'aiment pas rester longtemps au même endroit?

Purée, il allait finir par la trouver effrontée de poser autant de questions!

- Pardon, je suis très curieuse de nature et je dois vous avouer que votre histoire m'intrigue beaucoup. Vous n'êtes pas obligés de me répondre, vous avez parfaitement le droit de m'envoyer paitre, je ne vais pas piquer une crise si vous le faites, je vous rassure tout de suite.

Elle tourna la tête vers lui pour le regarder, s'accrocha deux ou trois ou quatre secondes à son regard puis ramena son attention sur Eileen qui était à se pencher pour ramasser un énième œuf de Pâques.

Ah non, mais non! S'il fallait qu'elle fasse une troisième gaffe avec Lucy, elle s'en mordrait les doigts jusqu'au sang. Une fois c'était gênant, deux fois c'était horrible, trois fois… assurément qu'elle allait s'enfuir en courant et tenter de ne plus jamais recroiser sa route surtout que, on s'entend… c'étaient des erreurs très gênantes hein! Particulièrement la deuxième où elle avait pris Liz pour la mère d'Eileen, alors que la petite n'en avait plus, de maman…

- Non pas une troisième fois par pitié, j'en mourrais de honte je vous le jure. Je suis déjà suffisamment gênée ainsi vous n'avez même pas idée!

Elle l'observa timidement, les joues rouges puis secoua la tête pour signifier à Lucy qu'aucun marchandage n'était possible à propos de la commande d'Elizabeth. L'espace d'une ou deux secondes, elle resta accrochée à son sourire en coin et le trouva bien courageux de continuer à foncer dans la vie malgré les événements qui l'avaient complètement chamboulé.

Afin d'en apprendre un peu plus sur lui, Ivy s'intéressa à son métier et fut fortement étonnée d'entendre Lucy dire qu'il était barman. Le jeune homme n'avait absolument pas la gueule d'un mec qui fréquente ce type d'endroit. Elle ne le connaissait pas vraiment puisqu'ils ne s'étaient vus que deux fois, mais elle pouvait au moins affirmer qu'elle le trouvait bien trop réservé pour ce boulot… ou alors Lucy était doté d'une deuxième personnalité qui s'éveillait le soir venu et qui le transformait en le "Tom Cruise du film Cocktail"…? Peut-être bien…

- Je dois vous avouer que je ne m'y attendais pas. Vous avez l'air très… timide. Je vous imagine mal derrière un comptoir mais je peux me tromper. Vous bossez dans quel bar?

Elle hocha la tête pour montrer qu'elle avait entendu la remarque à propos de sa famille et de son cousin, fronça légèrement les sourcils et se senti mal à l'aise face à son commentaire sur le fait qu'il préfère parler d'autre chose et ce, même si ça avait été dit d'un ton poli et accompagné d'un sourire. Quand la question à propos de la ville lui fut retournée, Ivy répondit brièvement.

- Après le décès de mon fiancé j'ai décidé changer de ville et comme j'avais une amie qui habitait ici, le choix de l'endroit n'a pas été difficile à faire.

Ce qui était vrai sauf qu'elle ne la voyait jamais alors au bout du compte, elle était toujours seule.

La chasse tirait à sa fin. Lucy et Eileen allaient devoir rentrer pour retrouver leur chien Bubble qui n'aimait pas être laissé de côté. La jeune femme rigola en entendant son nom et, lorsque la petite eut ramassé encore deux ou trois œufs, rebroussa chemin pour se diriger vers les fameuses structures gonflables qui attiraient tant les jeunes.

- Je dois y aller de toute manière. C'était très agréable, merci de m'avoir invitée à marcher avec vous et Eileen.

Elle se pencha vers la petite et pointa sa peluche qu'elle avait dans la main.

- Ne donne pas de chocolats à Bubble, les chiens ne doivent pas en manger. Garde-les tous pour toi, chanceuse! Et tu lui feras un gros câlin de ma part d'accord?

En se redressant, elle offrit un léger sourire à Lucy puis lui rappela qu'elle le contacterait bientôt, lorsque la robe serait terminée.

- Et peut-être qu'un de ces quatre, si l'envie de boire une bière me prend, j'irai vous voir au bar.

Au loin, les gamins criaient de plaisir en sautillant et en glissant dans les structures gonflables. Ivy les observa rêveusement puis ramena son attention sur Lucy et Eileen, qui s'apprêtaient à la quitter.