III.05 ¤ Qui se ressemble s'assemble

Mercredi 22 septembre 2010

Ithuriel était de retour à la bibliothèque du campus universitaire. Pratiquement deux semaines s’étaient écoulées depuis ses retrouvailles fortuites avec sa jeune sœur Astarielle. La déchue était au fait de la présence de nombreux anges à Huntfield. La connexion télépathique qui demeurait partiellement entre elle et ses frères et sœurs était source de suffisamment de maux de tête douloureux pour que la jeune femme ne puisse pas oublier ce lien la raccrochant à sa vie passée comme un fil d’Ariane l’empêchant de s’égarer complètement dans les méandres abyssaux de sa nouvelle existence. Un cuisant rappel de ce qu’elle avait été, de la mission qui fut sienne jadis et de la hauteur de laquelle elle avait chuté pour se retrouver là où elle était maintenant, mais une nécessité selon elle pour lui permettre de retrouver un jour le chemin du retour. C’était comme un phare dans la nuit qu’elle ne souhaitait pas perdre de vue.

Néanmoins, la déchue s’était évertuée à éviter tout contact avec les autres membres de sa famille. La raison ? Elle avait honte. Honte de n’avoir pas su être à la hauteur des attentes de Dieu. Honte de ne pas avoir été en mesure d’empêcher Lucifer de désacraliser le Jardin d’Éden. Honte de n’avoir pas pu empêcher sa libération voilà déjà un an de cela. Honte de s’être coupé les ailes et de s’être arraché sa Grâce de force. Honte de… Et la liste se poursuivait encore et encore. Alors comment regarder en face l’un des membres de sa famille après avoir chuté de bien des manières contre nature ? Elle était supposée être un exemple pour les siens. Un commandant. À la tête de sa propre garnison. Un poste très en vue et responsable. Et pourtant, elle avait failli à cette mission-là aussi. Elle n’était pas un modèle de vertu. Elle incarnait la déchéance de bien des manières. Du moins est-ce ainsi qu’elle voyait les choses. Une vision bien pessimiste et fort peu objective. Mais la déchue était aveuglée par sa honte.

Peu importe. Le moment n’était guère venu de ressasser le passé. Ithuriel avait désormais une toute nouvelle piste à creuser dans sa quête visant à récupérer sa Grâce volée. C’est pourquoi elle se trouvait là en ce début d’après-midi. Comme à l’accoutumée, la bibliothèque du campus était un sanctuaire de sérénité. C’est tout juste si l’espace d’un instant on ne parvenait pas à oublier le chaos s’étant répandu dans pratiquement tout Huntfield depuis peu. Ici, le temps semblait avoir suspendu sa course éternelle. Comme si la menace que représentait Lucifer était de l’histoire ancienne et comme si le monde entier ne courait pas à sa perte. Ithuriel aimait bien ce sentiment d’apaisement. Cela lui rappelait la quiétude des Cieux. Son chez elle qui lui manquait de plus en plus à mesure que se succédaient inlassablement les jours de sa nouvelle existence. Mais elle avait encore beaucoup à faire avant de pouvoir considérer l’idée de reprendre le chemin de la maison.

Relevant la tête de l’épais volume qu’elle consultait, Ithuriel retira ses lunettes de vue et se frotta les yeux un instant. Les montures en verre étaient superflues. En prenant possession de cette enveloppe charnelle laissée à l’abandon par son précédent occupant, la déchue en avait réparé les lésions subies des suites de l’accident ayant coûté la vie à la dénommée Lilian. Cette guérison avait également eu pour conséquence de remettre en état les quelques séquences d’ADN souffrant de dysfonctionnent. Ainsi, le corps de Lilian s’était vu soulagé de sa myopie. Néanmoins, mémoire musculaire oblige, Ithuriel avait fini par acquérir ce réflexe et cette manie de chausser les lunettes de son hôte lorsqu’elle se plongeait dans un travail exigeant concentration et discipline. Cela l’aidait à rester focalisée sur sa tâche.

Le fait est toutefois que la déchue éprouvait présentement quelques difficultés à rester concentrée. Il ne s’était guère passé plus de deux heures depuis son arrivée, mais la fatigue semblait l’avoir d’ores et déjà rattrapée. Elle venait tout juste de se frotter les yeux et de remettre ses lunettes que déjà elle les retirait pour se passer une fois de plus la main sur le visage. Les mots qu’elle avait tenté de lire s’étaient mis à danser sous ses yeux. Les lettres avaient commencé à se dédoubler et à se mélanger les unes aux autres rendant ainsi la lecture impossible. Et le sifflement avait commencé à se faire entendre. D’abord discret et presque indétectable. Puis de plus en plus intense et plus proche. Mais avant qu’Ithuriel ait pu s’y préparer et serrer les dents, une vive douleur se répandit dans tout son crâne en manquant lui arracher un cri de supplice. On eut dit que quelqu’un avait essayé de lui ouvrir la tête à grands coups de hache. Les larmes inondèrent les joues de la jeune femme qui porta inutilement les mains à sa tête dans le vain espoir de faire disparaître la douleur la mettant au supplice. Mais rien à faire. Ne pouvant lutter contre le déferlement de sons stridents résonnant dans sa tête, Ithuriel s’y abandonna de force.

Les sons stridents qui lui ravageaient les tympans sans pour autant que quiconque d’autre dans la salle ne les entende se modifièrent quelque peu et Ithuriel finit par percevoir des paroles compréhensibles au milieu de tout ce chaos. Et pour cause : ces sons perçants, c’est ainsi que les mortels percevaient la voix de ses frères et sœurs. Étant désormais une sorte d’hybride à mi-chemin entre l’humain et l’ange, Ithuriel avait accès à cette « radio des anges » sans pour autant avoir le moindre contrôle sur elle. Les voix combinées de toute sa fratrie étaient assourdissantes. Mais impossible pour la déchue de les faire taire. Elle ne pouvait que subir leurs assauts en serrant les dents et en attendant que ça passe. Ithuriel perçut ainsi des bribes de conversations. Des mots isolés. Des phrases inachevées. Parfois une image se formait dans son esprit et elle reconnaissait le visage de l’un des siens. Et puis soudain, une présence se fit plus forte que toutes les autres. Celle d’un ange qui ne devait pas se trouver très loin d’Ithuriel. Comme si leur proximité rendait la liaison plus stable et plus claire.

— Rends-la-moi, s’écria une voix féminine. Elle n’est pas à toi ! (Des grésillements. Des sons confus et des paroles incompréhensibles.) Tu ne pourras pas nous cacher la Grâce que tu as prise.

Ithuriel sentit son cœur manquer un battement ou deux. Une Grâce ? Était-ce possible qu’il s’agisse de la sienne ? L’une de ses sœurs avait-elle réussi à trouver le démon ayant mis la main dessus ? La déchue avait peine à en croire ses oreilles. Mais avait-elle bien entendu ? Difficile de s’y retrouver au milieu de tous ces sons assourdissants. Peut-être avait-elle entendu ce qu’elle désirait entendre. Peut-être rien de tout ceci n’était vrai. Et si elle se trompait ? Si quelqu’un avait effectivement retrouvé la trace de la créature s’étant emparée de sa Grâce ? Ithuriel se devait de creuser la question. Malheureusement, la présence qu’elle n’avait fait qu’effleurer du bout de sa conscience lui était hostile depuis bien des siècles. Elle n’avait éprouvé aucune difficulté à en reconnaître le timbre vibrant en désharmonie avec le sien : Ariel. La traîtresse qui avait suivi Lucifer mais que Dieu avait absolue en l’autorisant à revenir aux Cieux. Sa Némésis qui lui reprochait encore l’enfermement de Gadriel alors qu’il avait trahi ses supérieurs en laissant Lucifer pénétrer dans le Jardin d’Éden dont il gardait l’entrée. Une véritable épine dans le pied d’Ithuriel dont l’animosité n’avait fait que croître encore plus ces dernières années compte tenu de son rapprochement avec Castiel que la déchue avait vu d’un très mauvais œil. De tous les anges présents en ce monde, Ariel était de loin la dernière personne qu’Ithuriel aurait souhaité voir enquêter sur cette affaire. C’était celle en qui elle avait le moins confiance et qu’elle désirait garder le plus loin possible de sa Grâce vulnérable. Dieu seul sait de quoi elle était capable et à qui allait vraiment son allégeance.

Précipitamment, Ithuriel réunit ses affaires étalées devant elle et commençait seulement à les balancer dans son sac quand une nouvelle vague de douleur manqua lui arracher un nouveau cri. Cette fois-ci, néanmoins, la déchue ne discerna aucune parole, aucune image. Rien. Mais la douleur n’en demeura pas moins vivace et vibrait comme un cœur pulsant dans la poitrine d’un individu. Et pour cause : Ariel devait être toute proche. C’était là la seule explication permettant de justifier ce dont Ithuriel avait été témoin quelques minutes auparavant. Sa Némésis se trouvait dans cette salle. Quelque part.

Ithuriel se leva lentement et balaya la vaste pièce ressemblant à un véritable labyrinthe d’étagères et de tables croulant sous des milliers d’ouvrages. Elle n’en revenait pas de s’apprêter à faire ce qu’elle était justement sur le point de faire. Mais comme dit précédemment, c’était là sa meilleure piste pour retrouver sa Grâce. Autant mettre toutes les chances de son côté. Même si cela revenait à… Une moue écœurée déforma les lèvres de la déchue qui se mit pourtant en quête de sa Némésis. Dans le fond, sa sœur et elle étaient semblables. Si Ariel savait qui était vraiment cette prétendue Lilian, jamais elle ne se rabaisserait à lui venir en aide, préférant de loin œuvrer seule de son coté. Mais c’est justement sur son ignorance qu’Ithuriel comptait jouer afin d’obtenir enfin des réponses à toutes ses questions. Elle tâcherait de se rapprocher suffisamment d’Ariel pour récolter ces informations et pouvoir ainsi mettre la main sur la Grâce avant elle ou même avant que le démon n’en fasse usage.

C’est avec ce plan de bataille en tête qu’Ithuriel découvrit finalement sa Némésis dans un coin isolé de la bibliothèque. Debout devant une table couverte d’ouvrages poussiéreux et de toute évidence à deux doigts d’exploser ou de faire éclater sa rage sur le premier venu. Rien d’étonnant donc à ce qu’Ithuriel ait pu se connecter à elle si aisément. La proximité y avait été pour beaucoup mais aussi et surtout l’état dans lequel l’ange se trouvait. C’est donc prudemment qu’Ithuriel s’avança vers elle en faisant mine de rechercher un ouvrage dans une rangée de livres anciens. Finalement, lorsque la déchue se fut assurée qu’Ariel avait remarqué sa présence sans pour autant rien suspecter de cette approche, elle se tourna vers elle et lui souffla d’une voix pleine de sollicitude :

— Excusez-moi, mais je n’ai pas pu m’empêcher de remarquer à quel point vous sembliez tendue. Est-ce que tout va bien ?

L’innocence était feinte, loin d’être sincère. Ithuriel espérait cependant qu’Ariel mordrait à l’hameçon.

Ariel se trouvait dans la bibliothèque du campus, cela faisait plusieurs fois qu'on l'interpelait pour savoir où se trouvait tel ou tel livre. Et puis elle se souvint que Mary était bibliothécaire dans cet endroit, sans doute est-ce pour cela qu'on lui posait souvent la question. Les livres que les gens cherchés, étaient bien souvent dans le rayon ésotérisme ou religion, sans doute espéraient-ils avoir des réponses sur le surnaturel dans un livre. C'était un endroit comme un autre pour avoir des réponses. La jeune ange se trouvait elle-même dans ce genre de rayon, elle avait croisé la route d'un démon, et celui caché une grâce, et cela la mettait hors d'elle, même si c'était la grâce d'un ange qu'elle apprécié trés peu, voir même pas du tout. Enfermé Gadreel dans une cage, non... ça elle ne pouvait pas être d'accord. Elle sera les dents et referma un livre avec violence, et le reposa dans la bibliothèque. Ariel n'était pas consciente d'envoyer des signaux dans sa colère, qui parlait de la grâce de l'ange. Ni d'être tendu, et de le montrer aussi facilement, pour qu'une jeune femme vienne lui demander si tout allait bien.

Ariel sursauta et posa son regard sur la jeune femme qui était un peu plus grande qu'elle, bien sur elle ne reconnut pas un ange derrière ce visage, et encore moins de celui d'Ithruiel, son ennemie durant la grande rébellion, et qui l'est depuis tout ce temps. Évidemment, ce serait une des dernières anges dont Ariel aurait supposé qu'elle abandonnerait sa grâce. Mais après on ne pouvait pas vraiment connaître véritablement les gens, et ce dont ils sont capables dans certaines situations.
"Je m'en suis pas rendu compte" répondit-elle en en s’efforçant de respirer plus calmement et de reprendre le contrôle sur elle-même. "Je n'arrive pas à trouver ce que je cherche" fit la jeune ange. Elle cherchait à la fois, une façon d'arracher la grâce à Malphas, ce démon. Il avait réussit à ce cacher, mais aussi la grâce de l'ange, ce qui le rendait plus difficile à localiser, mais pas impossible à retrouver. Et puis aussi pouvoir se libérer de l'emprise de Caym sur elle-même. Elle sentit à nouveau la colère montrait en elle, et la coupa trés vite, pour chasser ces pensées de sa tête.

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Spoiler:

Ithuriel avait décidé d’approcher son ennemie de toujours en feignant l’innocence et en jouant le rôle de son hôte : une étudiante aux faux airs de rat de bibliothèque ne détonnant pas avec l’environnement ambiant. Elle semblait être parfaitement dans son élément, avec ses lunettes sur le bout du nez et un comportement lui permettant de se fondre dans la masse. N’importe qui osant poser les yeux sur elle se serait attendu à ce qu’Ithuriel ne soit rien de plus qu’une jeune femme préférant sacrifier sa courte vie à ses études plutôt qu’à profiter de ce que le monde avait à lui offrir de plus beau. Et sur ce point, ils n’auraient pas eu tout à fait tort : d’une certaine manière, c’est effectivement ce à quoi s’adonnait la déchue ces derniers temps. Elle passait son temps le nez dans les livres ou bien à traquer des démons dans tout Huntfield avec le vain espoir d’en apprendre plus sur le démon détenant sa Grâce. Force est d’admettre que ce n’était guère une vie. Mais Ithuriel n’en avait que faire.

C’est donc en toute innocence qu’elle avait engagé la conversation avec sa jeune sœur en s’excusant de n’avoir pu s’empêcher de remarquer à quel point celle-ci avait l’air tendue. Elle fit mine de vouloir s’assurer que la jeune femme allait bien. Rares étaient cependant les mortels à se comporter ainsi. Seuls les plus altruistes osaient engager le dialogue avec un individu n’ayant pas l’air d’être dans son assiette. Les autres se contentaient d’ordinaire d’éviter ces écueils de leur mieux et préféraient tourner la tête dans la direction opposée en feignant de n’avoir pas remarqué la détresse de leur semblable. Un comportement que désapprouvait Ithuriel. Hélas… c’est ainsi que les Humains avaient été conçus par son Père : avec des qualités et bon nombre de défauts, ainsi que cette faculté unique de pouvoir faire leurs propres choix en tout état de cause : le libre arbitre. Mais Ithuriel s’égarait encore.

Reprenant le fil de la conversation quelques secondes seulement après l’avoir perdu, la déchue entendit Ariel dire qu’elle ne s’était pas rendu compte que sa détresse était à ce point palpable. Elle était frustrée de ne pas réussir à trouver ce qu’elle cherchait. Ithuriel profita de l’occasion pour jeter un œil vers les différents livres empilés sur la table devant la jeune femme. Des ouvrages traitant des arts obscurs de l’invocation. Des livres sur les démons et d’autres sur les anges. Des volumes poussiéreux n’ayant de toute évidence pas vu la lumière du jour depuis des décennies. Mais aucun ouvrage qu’Ithuriel n’avait pas d’ores et déjà consulté depuis son arrivée en ville. Du moins à première vue. Mais elle ne prit pas le risque de laisser son regard s’attarder trop longtemps sur les recherches d’Ariel de peur d’attirer son attention et de faire naitre le doute et la suspicion en elle.

— Vous menez des recherches sur les entités démoniaques ? demanda alors la déchue sur le ton de la conversation en reportant son attention sur l’ange. (La surprise se lut sur le visage d’Ithuriel en voyant Ariel s’efforcer de contenir sa colère. De toute évidence, la jeune femme prenait très à cœur l’histoire du vol de la Grâce ; à moins qu’elle soit confrontée à un autre problème tout aussi dérangeant et dont elle ne parvenait pas à se régler toute seule.) Je suis désolée, souffla néanmoins Ithuriel en faisant mine d’être contrite. Je ne voulais pas me mêler de ce qui ne me regarde pas. C’est juste que…

Ithuriel connaissait bien Ariel. Les deux femmes étaient somme toute assez semblables. Et quand bien même elles ne parvenaient pas à s’entendre depuis la Chute de Lucifer et l’enfermement de Gadriel, il n’en demeure pas moins que toutes deux avaient une histoire et un passé commun. L’une et l’autre se connaissaient bien. Et Ithuriel usait justement de ce savoir contre sa jeune sœur en tirant sur sa corde sensible. Ariel avait bon cœur et elle ne doutait pas qu’elle s’empresserait de s’excuser si par malheur elle pensait avoir blessé son interlocutrice. D’où la réaction précédente d’Ithuriel et les paroles qu’elle ajouta ensuite :

— C’est juste que je m’y connais un peu dans ce domaine. Les démons. Les esprits. Ce genre de choses. (Elle marqua une pause et se rendit compte que ce qu’elle venait de dire pouvait porter à confusion.) Je suis diplômée en histoire des civilisations. Des origines à aujourd’hui. Et le folklore de tous les âges regorge de mythes et de légendes faisant état de créatures appartenant au monde des démons ou au monde des esprits. C’est même bien plus courant qu’on pourrait le croire. (Elle se tut une nouvelle fois avant de porter les yeux sur la table de travail Ariel.) Si vous le désirez, je peux peut-être vous fournir un second point de vue et vous apporter mon aide. (Elle releva précipitamment les yeux vers sa sœur.) À moins que vous ne préfériez être seule. Ce que je pourrais tout à fait comprendre.

Ithuriel fit mine d’être gênée. Elle prétendit ne pas savoir s’il valait mieux qu’elle tourne les talons et parte ou bien attendre qu’Ariel lui donne son avis sur la question. Elle joua le rôle de la jeune femme timide ne sachant pas si elle avait outrepassé les limites de la bienséance. Et force est d’admettre que la déchue donnait bien le change. Elle qui pourtant était incapable de contrôler ses propres émotions, elle se découvrait soudainement un don indéniable pour la duperie et le mensonge. Prétendre être ce que l’on n’était pas n’était finalement pas si compliqué que cela. Il suffisait de croire soi-même en son mensonge pour convaincre son auditoire. Hélas, il ne vint pas à l’esprit de la jeune femme qu’elle avait mis le pied sur une pente glissante. Le fait est qu’elle pensait que c’est sa proximité avec les Humains qui l’avait rendue si prompte à manipuler et à convaincre son entourage. Un an seulement qu’elle était sur Terre dans le corps d’une mortelle et elle pensait et agissait déjà comme eux. Néanmoins, elle était loin de se rendre compte qu’il s’agissait-là d’une machination du démon s’étant emparé de sa Grâce. Son plan était de la faire chuter au-delà de toute rédemption. Et force est d’admettre qu’Ithuriel était en bonne voie pour répondre à ses espérances. S’en rendrait-elle avant qu’il ne soit trop tard ?

Ariel était quelqu'un qui était pourtant trés ... maitre d'elle-même. Pouvant se maitriser pourtant à certains moments, elle pouvait se montrer trés expressive, notamment face à la colère, cela devait être son péché. Tout le monde avait un péché, dans l'un des sept, celui d'Ariel était manifestement la colère. Pas qu'elle se mette en colère souvent, mais elle avait du mal à ne pas laisser sa colère se manifester. Elle la montrait sur son visage, et parfois dans ses gestes et paroles. Mais elle avait encore assez de recul et de maitrise pour ne pas la manifester devant ceux que ça ne concernait pas. Enfin presque tout le temps, mais si son visage pouvait se crisper et ses paroles se faire un peu plus dur, elle ne ferait pas de mal à quiconque dans sa colère. Sans doute parce qu'elle la montrait plutôt que de la contenir avant de finir par exploser. Ariel était assise à une table entouré par des livres, elle cherchait deux choses, la première un moyen de localiser la grâce d'Ithuriel. Elle avait prévenu Malphas, ou quelque soit son nom, de sa venue avec ses frères. Mais si elle ne parvenait pas à le localiser, cela ne servait à rien.

La jeune femme en face d'elle, avait remarquer sa colère, et Ariel soupira en cherchant à se calmer. Cette personne n'y était pour rien, elle avait même la gentillesse de lui proposer son aide. Ariel allait décliner son offre, quand elle précisa s'y connaître en démons et autres genres de ce truc. Elle était de taille moyenne et de corpulence moyenne, mais elle pouvait trés bien être une chasseuse. En tout cas, elle était humaine, Ariel pouvait le sentir. Mais la jeune ange était curieuse d'en savoir plus sur cette jeune femme. Elle lui sourit et fit un geste vers la chaise en face pour l'inviter à s'asseoir. C'était d'autant par envie d'un second avis sur la question, que par curiosité envers cette jeune personne.
"J'aimerais bien un second avis en effet" fit Ariel. Si la jeune ange voulait bien lui parler du problème de la grâce et comment localiser un démon qui se cache par différentes protections. Mais elle ne lui parlerait pas du second souci, qui l'amenait dans ces lieux, pourtant elle jeta un coup d’œil vers le livre ouvert, qui se tenait prés d'elle. Comment se faire désenvouter, était le titre du paragraphe qu'elle venait de finir de lire, qui lui avait apporter des réponses, mais aucune solution concrète.

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La tactique d’approche d’Ithuriel avait fonctionné à merveille. Sa jeune sœur avait mordu à l’hameçon et invité la prétendue mortelle à prendre place sur la chaise en face d’elle. La déchue s’exécuta dans la seconde en remerciant son interlocutrice d’un sourire. Maintenant, elle allait devoir trouver un moyen de soutirer les informations en possession de l’être céleste sans pour autant éveiller sa suspicion. Une nécessité compte tenu du passé pour le moins houleux que partageaient les deux sœurs.

Ariel n’avait dans le fond rien fait de mal. Mais Ithuriel refusait obstinément de l’admettre. Elle estimait que sa jeune sœur avait trahi les Cieux en suivant Lucifer dans son insurrection. Pourtant, elle n’avait cherché qu’à convaincre l’archange renégat de mettre un terme à toute cette folie. Cela partait d’un bon sentiment. Mais aux yeux d’Ithuriel, cela restait une trahison. Lucifer avait refusé d’écouter Dieu. Il avait rejeté Ses commandements et défié Son autorité. Et en se rebellant, il avait entraîné avec lui dans sa Chute bon nombre des leurs adhérant à sa cause ou le tenant en très haute estime. Ses partisans et lui ne méritaient aux yeux de la déchue qu’un seul et unique châtiment : être bannis dans le néant.

Aussi Ithuriel savait qu’elle ne pouvait pas faire confiance à Ariel. Du moins ne pouvait-elle pas lui faire confiance en lui révélant sa véritable identité et en lui demandant son aide. D’une part, elle refusait de se rabaisser à quémander l’aide d’une vile traîtresse. Et d’autre part, elle savait que le sentiment était partagé et qu’Ariel préférerait retrouver la Grâce volée, seule de son côté, plutôt que de faire équipe avec elle. Ithuriel entendait déjà sa sœur lui reprocher sa faiblesse et son manque de discernement d’avoir abandonné son essence céleste sans se soucier de qui pourrait tomber dessus. Mais pour sa défense, la déchue s’était attendu à ce que sa Grâce sombre dans l’océan. Après tout, c’est près des trois-quarts de la planète qui étaient recouverts d’eau. Les probabilités pour que son essence divine s’écrase sur une terre émergée était assez faible. Alors de là à ce que ce soit en plus à proximité de Huntfield…

Déposant son sac au sol à côté d’elle, Ithuriel se débarrassa de sa veste et remit en place ses lunettes venant de glisser sur le bout de son nez. Elle jeta ensuite un regard aux ouvrages poussiéreux éparpillés sur la table devant Ariel en fronçant les sourcils. Autant jouer la comédie jusqu’au bout. La déchue ne voulait surtout pas que sa sœur commence à se faire des idées si elle lui demandait de but en blanc de lui parler de cette Grâce volée qu’elle recherchait. Ithuriel fit donc mine de méditer sur les intitulés des différentes reliures avant de souffler d’une voix hésitante :

— Que recherchez-vous exactement ? À invoquer un démon ? (Elle releva les yeux vers sa jeune sœur.) Pourquoi ? N’est-ce pas… dangereux ? Loin de moi l’envie de vouloir porter le moindre jugement, mais par les temps qui courent, il n’est guère recommandé de s’adonner à ce genre de choses. Les démons sont vicieux et s’adonnent avec plaisir à toutes sortes de sévices. Pourquoi… ? (Elle baissa les yeux vers un ouvrage traitant de la localisation des démons.) Pourquoi cherchez-vous à en localiser un si ce n’est pas indiscret ?

Ithuriel reporta son attention vers sa compagne en continuant de feindre l’innocence et la naïveté. Un temps pour chaque chose. D’abord, instaurer un climat de confiance. Ensuite, elle pourrait tenter une approche plus directe dès lors qu’Ariel aurait livré quelques informations lui permettant d’orienter la conversation sur la Grâce sans pour autant éveiller ses soupçons. Patience était mère de sureté.

Ariel se replongea dans ses livres et observa tout de même la jeune fille du coin de l’œil. La jeune ange ne pouvait rien suspecter de cette jeune personne, elle n'avait pas d'aura de créature, ni de présence démoniaque, ou angélique. Elle était typiquement humaine, et pourtant un petit détail si petit qu'elle ne parvenait ni à le voir, ni à vraiment le sentir, persister dans l'air. Ariel secoua pour chasser cette impression étrange, elle n'avait pas lieu d'être. C'était une jeune femme comme une autre, peut-être plus gentille qu'elle ne pouvait s'y attendre d'un humain dans ce monde fait de ténèbres et de peur. Mais elle s'arrêtait tout de même pour l'aider dans son entreprise. Surtout que beaucoup d'autres auraient passer leur chemin, ou bien aurait chercher à l'arrêter dans son entreprise. Invoquer un démon, d'autres humains auraient pu être. Est-ce de l'ignorance ou du courage de montrer si peu de peur face à cela.

"Quel est votre nom?" demanda Ariel curieuse de connaître un peu mieux cette jeune femme. Elle fit un petit sourire en levant la tête. La jeune femme lui demanda pourquoi elle cherchait à localiser un démon. Ariel ne pouvait pas lui dire l'entière vérité, mais elle n'avait pas non plus à mentir effrontément à la jeune femme. Lui confier une partie de la vérité, ne nuirait en rien à sa mission, ni à la jeune femme. Sauf si elle décidait de se lancer elle-même à la quête de ce démon, mais là ce serait son choix, et Ariel n'en serait pas responsable.
" Il possède quelque chose qui n'est pas à lui. Je veux le récupérer, et le rendre à sa propriétaire si je peux la retrouver" fit Ariel en soupirant. Vu qu'elle avait renoncé à sa grâce, cela signifie qu'elle pouvait avoir prit une forme humaine et avoir la tête de n'importe qui, y compris la jeune femme qui se trouvait en face d'elle. Ithuriel et Ariel avaient beau ne pas s'entendre, quand elle voyait que Diana et Anaëlle avaient pu se reparler, peut-être qu'elles auraient aussi cette chance. Surtout si Ariel lui ramenait sa grâce.

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Ithuriel était tout d’abord demeurée silencieuse. Elle avait fait mine de lire les intitulés des nombreux ouvrages étalés devant elle histoire de se faire une idée plus précise du thème sur lequel portaient les recherches de sa sœur. Puis reportant son attention sur elle, elle lui avait demandé de vive voix de plus amples détails sur la raison pouvant la pousser à tenter l’invocation d’un démon. Une manière comme une autre d’amener en douceur le sujet de la Grâce. Ithuriel était déjà au fait que celle-ci était tombée entre les mains d’un démon. Ce qu’elle désirait plus que tout, c’était découvrir le nom dudit démon. Et de toute évidence, Ariel détenait cette information. Il ne restait plus qu’à lui faire cracher le morceau.

Toutefois, en guise de réponse à ses questions, l’ange demanda son nom à son interlocutrice. La déchue se rendit alors compte qu’elle ne s’était pas présentée selon les formes. Aussi rendit-elle son sourire à Ariel en feignant d’être gênée. Puis tendant la main par-dessus la table et les diverses piles de livres occupant pratiquement tout l’espace, elle répondit cordialement :

— Lilian McAllistair. Enchantée. Et vous êtes ? (Ariel lui répondit.) Ravie de faire votre connaissance.

Une fois les présentations faites, Ariel relança la conversation en répondant aux questions que venait de lui poser son interlocutrice. Ainsi, le démon qu’elle cherchait à invoquer détenait quelque chose ne lui appartenant pas ; quelque chose qu’elle désirait récupérer afin de pouvoir le rendre à sa propriétaire légitime. Ithuriel hocha la tête pensivement. Cela aussi elle le savait déjà. Du moins en avait-elle eu un bref aperçu lorsque sa migraine lui avait fait entrevoir une partie des pensées secrètes de sa sœur. Hélas, elle ne pouvait pas forcer l’ange à en révéler plus qu’elle ne souhaitait. Elle devait avant tout s’attirer sa sympathie et sa confiance et non éveiller en elle des soupçons. C’était frustrant. À tel point à vrai dire que le coin des lèvres de la déchue frémirent tandis que ses poings se serraient sous la table.

*Patience. Ne la brusque pas. Trouve un autre moyen d’amener le sujet en douceur.*

Et une idée germa dans son esprit. Balayant rapidement du regard les ouvrages ouverts devant elle, la déchue en tira un de la pile et demanda à Ariel :

— De quel genre de chose s’agit-il exactement ? Peut-être existe-t-il un moyen de localiser cette chose à défaut de réussir à localiser directement le démon la détenant. Qu’en pensez-vous ?

Nul doute qu’Ariel avait dû commencer ses recherches elle aussi en tentant ce genre d’invocation. Elle-même avait tenté tous les sorts de localisation possibles et imaginables remontant à la nuit des temps et elle s’était à chaque fois retrouvée dans une impasse. Mais soit, c’était une fois encore un moyen comme un autre de tenter d’arracher un peu plus d’informations à sa sœur se montrant décidemment très prudente. D’un autre côté, Ithuriel ne pouvait pas le lui reprocher et elle l’aurait très certainement félicitée pour sa discrétion si tant est qu’elle ne voyait pas en sa sœur une traîtresse perfide.

Mais qu’importe. Une autre idée se bousculant dans sa tête, Ithuriel embraya presque immédiatement.

— Ou peut-être avez-vous un nom ? demanda-t-elle en tirant un autre ouvrage de la pile. Les démons ne sont pas tellement réputés pour faire montre de loyauté les uns envers les autres. Si vous possédez un nom, peut-être y a-t-il moyen d’invoquer l’un de ses congénères et de tenter de lui soutirer à lui de plus amples informations. À défaut d’arriver à entrer en contact avec celui que vous recherchez. Qu’en pensez-vous ?

La proposition d’Ithuriel ressemblait fort à une tactique de combat digne d’un chasseur expérimenté. Il était déjà trop tard lorsqu’elle s’en rendit compte et espérait de tout cœur que cela ne mettrait pas la puce à l’oreille d’Ariel. D’un autre côté, elle pouvait tout aussi bien être une chasseuse. Cela n’aurait pas été si improbable que cela compte tenu de la montagne de connaissances dont elle disposait en matière de surnaturel. Si Ariel lui posait la question, elle se ferait passer pour une chasseuse débutante n’ayant pour l’heure exercé que sur le plan purement théorique. Une novice plus proche des Hommes de Lettres que des chasseurs à proprement parler œuvrant sur le terrain.

Dans tous les cas, elle avait tout intérêt à faire montre de plus de prudence. Ariel n’était pas née de la dernière pluie. Elle avait pratiquement le même âge qu’Ithuriel. L’une et l’autre avaient appartenu au tout premier groupe d’anges à s’être éveillé à l’aube de la Création. Aussi, quand bien même Ithuriel était convaincue de pouvoir la manipuler sans éveiller ses soupçons, le fait est que sa chère sœur était suffisamment perspicace pour remettre seule les pièces du puzzle à leur place. Alors autant éviter de lui faciliter la tâche si elle le pouvait, car rien de bon n’en ressortirait alors…

La jeune femme se présenta après qu'Ariel lui ait demandé, et la jeune ange fit de même, ne serrant sa main, elle sentit comme un étrange frisson, mais ce n'était rien de compréhensible pour la jeune ange. Si elle avait été humaine, elle aurait eu comme un frisson dans le dos qui lui disait de se méfier. Mais pour un ange, cela ne voulait rien dire, ils ne fiaient pas vraiment aux réactions physiques du corps, puisque ce n'était pas vraiment le leur, mais aux sensations... dirons-nous mystiques, et là, Ariel ne sentait rien, ni lourdeur dans son aura ou âme, comme ce serait le cas pour une créature, ni même noirceur si c'était un démon, ni grâce si c'était un ange. Ariel replongea son nez dans son livre, qui ne lui apportait malheureusement aucune réponse. Elle avait déjà essayer tellement de sort de localisation, qu'elle ne savait même plus celui qu'elle avait déjà fait et ce qu'elle n'avait pas encore essayer. Mais il ne devait plus en rester beaucoup. Elle avait chercher à localiser autant le démon que la grâce, mais rien à faire aucun des deux n'étaient visibles pour elle, ou localisable.

Oui, la jeune femme semblait de plus en plus intriguante au fur et à mesure qu'elle parlait. Elle n'avait pas peur des démons, et elle était bien au courant de nombreuses choses sur le surnaturel, signe qu'elle y était lié plus qu'Ariel ne l'avait supposa au départ. Elle parlait de tout cela avec calme et un certain savoir-faire. Et même la solution qu'elle lui proposa de convoqué un autre démon pour retrouver l'autre, était digne d'un être connaissant les us et coutumes des démons. La jeune fille devait sans doute être une chasseuse ou quelque chose dans le genre. Mais pourquoi ne le disait-elle pas tout simplement. Ariel n'avait jamais mangé personne, et au contraire, elle avait toujours voulu venir en aide aux chasseurs. Elle replongea sa tête dans le livre, et resta un moment figée sur la réaction à avoir, devait-elle faire comme si leur conversation était normale, ou bien lui montrer qu'elle avait deviné ce qu'elle était.

"Malheureusement, je ne souhaiterais pas dire aux autres démons que je le cherche. Ils pourraient vouloir savoir pourquoi, et l'objet en question pourrait changer de mains avant que je puisse localiser ce démon" fit Ariel qui décida de ne pas dévoiler ce qu'elle avait compris sur la jeune femme, pour voir jusqu'où elle irait pour cacher son rôle dans cette histoire. Ariel se demandait qu'elle genre de chasseuse, elle pouvait bien être. Elle semblait bien fragile pour prendre une arme et tirer sur les démons et autres créatures. Mais bon, elle savait qu'il ne faut pas se fier à l'apparence. L'habit ne fait le moine, comme disent certains humains. Ariel referma le livre, et prit le suivant de la pile. Comment pouvait-on déjà cacher une grâce au regard des anges, c'était forcément quelque chose d'assez difficile à faire. Si elle savait déjà comment il s'y prend, peut-être pourrait-elle contourner le truc. Et puis ce n'était pas le seul problème qui l'amener dans la bibliothèque.

En effet, elle devait aussi trouver un moyen de se libérer du sort que Caym lui avait lancé, enfin plus exactement à Mary. Ce dernier obligeait la jeune femme à avoir confiance en lui. Caymiel, c'est de ce nom qu'il s"était présenté, c'était une insulte à sa famille. Cela rendait en colère, que ce vulgaire démon et pu se faire passer pour un ange. Mais elle ne pouvait plus changer le passé, elle devait donc se concentrer sur l'avenir et se débarrasser de ce sort. Mais comment? Les différents livres qu'elle avait pu lire sur le sujet ne l'avait pas beaucoup aidé. Ariel avait même pensé regarder dans ce fameux livre de sorcellerie de Eléonora, mais elle avait fait la leçon de moral à la jeune femme de ne pas s'en servir, sous aucun prétexte, elle ne devait donc pas le faire elle-même, ce serait pas un exemple à montrer. Mais que faire pour se sortir de cette situation alors?

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Spoiler:

Décidément, Ariel n’avait pas changé le moins du monde depuis la dernière fois qu’Ithuriel et elle s’étaient retrouvées dans la même pièce. Elle était toujours source de frustration. La déchue serrait les dents et se faisait violence pour ne pas laisser exploser cette fureur qui couvait en elle. Pourquoi diable ne pouvait-elle pas laisser filtrer ne serait-ce qu’un nom ? Pourquoi fallait-il qu’elle se montre pour une fois aussi déterminée à garder le secret ? Cela n’avançait en rien Ithuriel. Elle se retrouvait de nouveau dans une impasse. Et elle avait beau jouer la carte de la naïveté et de l’innocence, Ariel résistait.

Que faire alors ? Elle ne pouvait pas non plus exiger de but en blanc des informations sur sa Grâce volée. Elle connaissait suffisamment bien sa sœur pour anticiper sa réaction. Mais tourner autour du pot sans voir poindre le moindre début de réponse commençait à avoir raison de sa patience. Cela et surtout le fait qu’elle avait le sentiment de tourner en rond depuis son arrivée à Huntfield. Oh ! Et peut-être aussi se pouvait-il que les expérimentations que menait le démon sur l’essence céleste commençaient à porter leurs fruits en poussant toujours plus la déchue au bord du gouffre de la déchéance et de la damnation. La patience était une vertu. Ithuriel commençait pour sa part à céder à ses plus vils péchés. Et la colère en faisait partie. La colère et l’orgueil. Et cela allait un jour ou l’autre se retourner contre elle.

Ariel ne souhaitait pas prendre le risque que d’autres démons soient informés de l’existence de l’objet de sa quête. C’était parfaitement compréhensible. Plus ils étaient nombreux à découvrir qu’une Grâce circulait librement dans Huntfield et plus grande encore serait la menace qu’elle tombe effectivement entre de mauvaises mains décidées à en faire usage immédiatement. Au moins le démon qui la détenait actuellement était-il suffisamment prudent pour ne pas s’être encore servi du pouvoir qu’elle recelait. Mais ce ne serait qu’une question de temps avant qu’il ne passe à l’acte. Et plus il tardait, plus son plan devait être dangereux pour que justement il prenne autant de précautions. L’un dans l’autre, cela ne présageait absolument rien de bon. Et cela ne faisait qu’attiser plus encore la colère de la déchue.

Une douleur sourde remonta dans la mâchoire d’Ithuriel qui continuait de serrer les dents. Elle sentait également sous la table les articulations de ses doigts exprimer leur mécontentement d’être soumises à une telle pression. Mais là, la déchue commençait à toucher le fond. Sa patience avait des limites. Et celles-ci n’allaient pas tarder à être atteintes. Néanmoins, avant qu’Ithuriel ait eu le malheur de faire la moindre remarque qui aurait à coup sûr révélé le pot aux roses à sa sœur perspicace, un nouvel accès de douleur ravagea son crâne et elle ferma les yeux en sentant comme une pointe acérée avoir raison de son esprit. On aurait dit que quelqu’un venait de lui enfoncer une dague entre les deux yeux.

Ithuriel comprit instinctivement que cette douleur n’avait rien de naturel. Elle ressentait des vibrations familières. Des vibrations lui rappelant les Cieux et ses frères et sœurs. Et pour cause : la colère qu’elle éprouvait l’avait de nouveau connectée à la radio des anges. Celle-là même sur laquelle elle n’avait aucun contrôle. Et Ariel éprouvant de son côté les mêmes sensations de frustration et d’impuissance, le hasard voulut que les deux femmes se retrouvent de nouveau connectées l’une à l’autre. Les humains avaient beau dire que les contraires s’attirent et tout et tout, il n’en demeure pas moins que ce qui se ressemble s’assemble. Et en l’occurrence, ici il s’agissait d’Ariel et Ithuriel.

Des images se mirent à danser devant les yeux de la déchue et prirent la forme d’un visage. Celui d’un homme. Mais celui-ci ne disait rien à Ithuriel. Une voix se fit alors entendre, écho d’un souvenir révolu. Mais la déchue ne parvint pas à comprendre clairement les paroles échangées. Elle sentait seulement la présence d’Ariel et de cet homme. Un homme prétendant être un ange. Un homme s’étant présenté à elle sous le nom de Caymiel. Mais ce nom-là non plus ne disait rien à la déchue. Elle ne se souvenait pas avoir déjà rencontré par le passé un ange répandant à ce nom. Mais elle était loin de les connaître tous personnellement. Ils étaient si nombreux. Mais de toute évidence, quelque chose avait mal tourné ce jour-là car Ariel ne gardait de cette rencontre qu’une colère et une fureur la dévorant de l’intérieur. Qu’avait-il bien pu se passer entre ces deux-là ?

Quand elle rouvrit finalement les yeux, Ithuriel eut besoin de quelques secondes pour recouvrer le fil de la réalité et faire le point sur la situation. Elle était collée au fond de sa chaise, les mains apposées sur ses tempes qu’elle pressait de toutes ses forces pour faire disparaître la douleur lancinante. Elle avait les larmes aux yeux et le souffle court. Mais pire que tout, Ariel la fixait avec étonnement de son côté de la table. Elle avait semble-t-il assisté à toute la scène et se posait certainement des questions quant à ce qui venait juste de se passer. Questions auxquelles Ithuriel n’avaient aucune réponse à donner.

La déchue baissa la tête et retira ses lunettes avant de se frotter les yeux. Elle cherchait à gagner un peu de temps avant d’avoir à se justifier auprès de l’ange qui la fixait toujours. Quand elle eut finalement recouvré son souffle, elle reporta son attention sur la jeune femme et lui dit :

— Je suis désolée. J’ai… J’ai ces violentes migraines depuis quelques jours. C’est insupportable. Mais ça va. Elles ne durent jamais très longtemps. C’est juste que… elles surviennent sans prévenir ; quand on s’y attend le moins. Mais ça va… C’est passé maintenant. (Elle marqua une pause.) Où en étions-nous déjà ? Un nom… Avez-vous un nom ou pas alors ?

Ithuriel ne se rendit pas compte qu’Ariel avait d’ores et déjà répondu à cette question en insistant sur le fait qu’elle ne voulait pas informer d’autres démons de ses intentions. Mais le fait est que ce Caymiel restait profondément imprimé dans l’esprit de la déchue. Pourquoi Ariel pensait-elle à lui ? Qui était-il ? Était-il le démon se trouvant en possession de sa Grâce ? Et pourquoi la déchue n’avait-elle pu accéder qu’à une partie seulement du souvenir là où elle avait eu accès à une scène entière précédemment ? Sa sœur dissimulait quelque chose. Elle le sentait. Question d’instinct. Mais que dissimulez-elle au juste ?

Ariel soupira devant la tache incroyable à accomplir, retrouver la grâce d'Ithuriel, serait bien compliquer qu'elle ne l'avait pensé. Dommage qu'elle ne puisse pas claquer des doigts pour la retrouver et pouvoir envoyer ce démon en Enfer, et rendre la grâce à sa sœur à qui elle demanderait des explications sur la perte de sa grâce. Elle, qui avait voulu protéger les créations de leurs pères. Si quelqu'un avait pu vouloir perdre sa grâce, c'était sans doute elle, vu la façon dont ses frères et sœurs l'ont traité. Ariel aurait pu quitter le Paradis de la même façon qu'Ithuriel. Mais elle était resté, est-ce du courage d'affronter le regard, et le jugement des autres anges. Ou de la lâcheté de ne pas aller vivre dans ce monde inconnu, qu'était le royaume des humains. Ariel ne savait pas, mais Ithuriel n'avait pas intérêt à lui dire qu'elle n'avait pu vivre au Paradis cela le mettrait vraiment en colère, déjà qu'il ne faudrait pas grand chose pour qu'Ariel s'en prenne à Ithuriel pour avoir fait emprisonné Gadreel. La jeune ange aimerait bien sortir son frère de là, et lui donne une seconde chance, il la mérite, surtout que rien n'est de sa faute.

Elle secoua sa tête et posa son regard sur la jeune femme en face d'elle, Lilian, cette dernière semblait d'un seul coup trés pâle. Que se passait-il. Soudain, elle pressa ses mains sur ses tempes comment pour en chasser des images. Pendant un instant, Ariel pensa qu'il pouvait s'agir d'une des prophètes, mais son nom ne figurait pas dans la liste des prophètes qu'elle connaissait tous, comme tous les anges. Donc cela ne pouvait pas être cela. Ariel se dit qu'il y avait forcément quelque chose. Cette jeune femme aussi humaine semblait-elle, cachait quelque chose, mais quoi? Et comment Ariel pouvait-elle amené à lui faire confiance, et à lui parler.
"Ces maux de têtes, ils veulent dire quelque chose n'est-ce pas?" fit Ariel qui essayer de comprendre les humains. Si elle savait comment leur corps fonctionnait d'une manière biologique, tout ce qui était dû à leur façon de vivre, à leur façon de penser et d'être, était encore un peu inconnu pour elle. Elle avait appris certaines choses en un an de vie sur Terre, et même plus, mais.... il y avait encore tant à apprendre d'eux.
"Ils sont pour une raison?" insista Ariel avec un sourire. Elle avait déjà répondu à la question de la jeune femme, elle ne voulait pas donner de noms précis, d'abord parce que même si Lilian était bien une chasseuse et même la plus grande de tous, elle ne l'enverrait pas à une chasse au démon, n lui donnant un nom.

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La crise était passée. La douleur s’était estompée presque aussi rapidement qu’elle avait surgi. Mais le fait est que le mal était déjà fait : Ariel avait assisté à toute la scène et Ithuriel lui avait servi une excuse bidon pour tenter en vain de détourner son attention. Mais le regard de l’ange restait fixé sur elle. Cela ne présageait vraiment rien de bon. Ariel pouvait se montrer aussi butée et déterminée qu’elle quand elle avait une idée en tête. Preuve en est avec son refus catégorique de laisser filtrer ne serait-ce que le nom du démon en possession de l’objet précieux qu’elle recherchait. Oh ! Comme c’était frustrant !

Ithuriel subit l’examen de sa sœur sans faire montre de la moindre hostilité – du moins autant que faire se peut. La déchue se crispa néanmoins presque imperceptiblement quand Ariel commença à lui poser des questions à propos de ces violents maux de tête. Avaient-ils une quelconque signification ? Ithuriel ne pouvait pas lui répondre que oui. Elle refusait toujours de révéler sa véritable identité à cette alliée de fortune ne lui étant pas pour l’heure d’une très grande aide. Une petite vengeance en soi. Mesquine. Mais ô combien satisfaisante. Ariel refusait de laisser filtrer la moindre information ? Ithuriel ferait donc de même. Aussi la déchue répondit-elle :

— En dehors du fait que je manque certainement de sommeil, non, aucune. Disons que mes nuits sont plutôt courtes ces derniers temps. Insomnies, ajouta-t-elle après une courte pause. (Elle se passa une fois de plus une main sur le visage.) Mais rien qu’une bonne sieste ne saurait faire disparaître.

Ithuriel remit ses lunettes sur son nez et recula sa chaise. Elle souffla alors à Ariel :

— Mais faute de pouvoir dormir là-maintenant, je vais aller me chercher un petit remontant. Est-ce que vous voulez que je vous ramène quelque chose ? Un café ? Un chocolat ?

La déchue attendit d’avoir reçu une réponse de la part de son interlocutrice avant de se lever et quitter la bibliothèque. Elle se rendit tout d’abord dans le hall où elle offrit quelques pièces à l’une des machines automatiques alignées contre l’un des murs. Elle pressa ensuite le bouton « chocolat au lait » et attendit que sa boisson lui soit versée. Posant les yeux sur un autre distributeur vendant quant à lui des douceurs sucrées, la déchue céda à la tentation et, pendant que sa boisson finissait d’infuser tranquillement, elle décida de prendre une barre chocolatée estampillée « Kinder Bueno ».

Mais au moment où elle levait la main pour nourrir la machine de quelques piécettes, un nouvel accès de douleur menaça lui faire tourner de l’œil. La déchue en lâcha ses pièces qui se dispersèrent une fois tombées au sol. Elle plaqua les mains sur ses tempes et ravala le gémissement de souffrance qui avait manqué sortir de sa bouche. Les larmes inondèrent les joues de la jeune femme qui se dirigea vers les toilettes les plus proches sans prendre la peine de récupérer sa boisson restée dans la machine.

La salle d’eau était vide quand la déchue y fit irruption. Elle se précipita en titubant vers le lavabo le plus proche et fixa son propre reflet dans le miroir en face d’elle. La scène vacillait sous ses yeux et les bords de sa vision se brouillèrent légèrement. Puis des images qu’elle ne reconnaissait pas se superposèrent à la réalité et de nouveau la voix d’Ariel s’imposa à l’esprit de la déchue. Ithuriel revécut la scène dont elle avait été témoin avant d’avoir rejoint sa sœur à sa table. La scène où l’ange faisait face au démon ayant mis la main sur l’essence divine. Mais le tableau vacilla rapidement et une autre scène s’imposa à l’esprit de la jeune femme. Le démon dont les traits flous avaient empêché Ithuriel de reconnaître le jeune homme qu’elle avait rencontré à l’église fut remplacé par un nouveau visage ne lui étant pas du tout familier : celui du dénommé Caymiel. Non. Ni le nom ni le visage ne lui disaient quoi que ce soit. Elle n’avait jamais vu cet homme de sa vie. Dans cette vie ou dans une autre.

Puis la douleur lancinante s’estompa d’un coup et Ithuriel vit de nouveau son reflet la fixer droit dans les yeux. De nouveau maîtresse de son corps et de son esprit, la déchue fit couler l’eau dans ses mains en coupe avant de s’asperger le visage. La morsure du froid sur sa peau fut la bienvenue. Ithuriel resta ainsi un moment avant de redresser la tête. Elle avait une mine affreuse. Elle était blanche comme un cachet d’aspirine et elle avait les traits tendus. La faute à Ariel. Elle reprochait tout à Ariel. Surtout son refus de coopérer et de lui donner un nom. C’était frustrant. Vraiment frustrant. Tant et si bien même que la déchue en arriva à frapper du poing sur le bord du lavabo.

Ithuriel ne s’en rendit pas compte même si elle fixait son reflet dans la glace, mais un changement très subtil modifia légèrement ses traits. Une étincelle embrasa son regard et sa mâchoire se serra presque imperceptiblement. Assez. Elle n’allait pas tourner autour du pot une seconde de plus. Elle avait tenté une approche pacifique et s’était heurtée à un mur et à l’obstination de sa sœur. Eh bien soit, elle allait passer au plan B et se montrer directe. Car c’est bien la détermination et le refus de baisser les bras qui avaient embrasé le regard de la jeune femme. Elle repartirait avec un nom, qu’Ariel le veuille ou non.

Quelques minutes plus tard, Ithuriel était de retour à la table de l’ange. Elle n’était pas repassée par le hall et n’avait donc pas pris le temps de récupérer sa boisson chocolatée. Peu importe. Celle-ci lui était d’ores et déjà sortie de la tête depuis longtemps. Récupérant son sac posé au pied de sa chaise, Ithuriel le déposa devant elle et fit mine de ranger ses affaires. Devant la mine sûrement surprise de sa sœur, elle souffla finalement :

— De toute évidence, mon aide ne vous apportera pas grand-chose. J’ai passé en revue tous les rituels et autres sortilèges pouvant vous être utiles, mais cela ne nous mènera à rien. Vous faites de la rétention d’informations et à moins de me donner quelque chose, nous sommes vouées à finir dans une impasse. (Elle releva les yeux vers Ariel.) Je conçois que vous ne savez rien de moi ni moi rien de vous. Je pense qu’à votre place, je réagirais de la même manière. Mais sans ne serait-ce qu’un nom, je crains hélas de ne pouvoir vous être d’une plus grande aide. J’espère sincèrement que vous retrouverez ce que vous cherchez avant qu’il ne soit trop tard.

Ithuriel referma son sac et fit mine de tourner le dos à Ariel. L’ange allait-elle la laisser partir sans rien faire pour tenter de la retenir ou allait-elle enfin consentir à lui donner ne serait-ce qu’un nom ?

Ariel avait un de mal à comprendre les émotions humaines, mais surtout les réactions de ces derniers. Parfois tu dis une chose à l'un, il réagit de cette façon, tu dis la même chose à un autre, et finalement il ne réagit pas du tout comme le premier. Ariel était parfois décontenancé par leurs attitudes, mais d'un autre côté, elle devait bien avouer qu'elle n'avait franchement pas jouer franc jeu avec elle. Lui cachant des informations. Ariel voulait avant tout la protéger, et même lui éviter des ennuis qui ne la concernait pas.
"Ariel" fit la jeune ange, mon nom est Ariel, je ne pense pas vous l'avoir dit" ajouta-t-elle dans une sourire, essayant ainsi la retenir du moins pour un moment. Elle avait été honnête pour son envie d'aider, mais pas vraiment pour tout le reste.
"Je suis un ange, et je cherche le démon Malphas" fit Ariel pour être enfin plus honnête avec elle. Elle ne savait pas encore entre les mains de qui elle mettait cette information, mais elle voulait essayer de lui faire confiance. Elle avait besoin d'un coup de main, il y avait beaucoup trop de livres à lire pour qu'elle réussisse en une seule génération d'humains. Et malheureusement ils ne leur restaient peut-être pas autant à vivre. Elle doutait que Ithuriel fasse la différence, mais peut-être qu'elle apporterait un truc en plus, une force qui ferait pencher la balance, parfois un simple grain de riz réussit à faire pencher la balance.

"Toutefois, vous devez comprendre que je ne peux vous dire de quel objet, il s'agit. Si vous connaissez le moyen de rentrer en contact avec ce démon comme ça. " demanda Ariel, cela l'arrangerait bien. Elle avait essayé de le localiser, pas moyen, de l'obliger à venir à elle, il semblerait qu'il se soit bien protéger. Il savait qu'elle avait aprés lui, et elle l'avait menacé de mettre tous les anges sur sa trace, et c'est sans doute ce qu'elle ferait. Elle en parlerait avec Astarielle, elle n'avait pas eu l'occasion de le faire avec Diana quand elle s'était croisée, mais elle n'en manquerait pas d'en informer les autres.
"Une deuxième affaire m'amène ici, je cherche le moyen d'être désenvouté d'un sort" fit Ariel en pensant à ce foutu Caym, qui l'avait mit dans un sacré... pétrin. Elle devait absolument trouvé le moyen de se débarrasser de ce sort, elle ne voulait pas être sa marionnette pour le restant de sa vie, ou de la sienne.

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Face au silence de sa sœur, Ithuriel s’était détournée de la table et avait commencé à s’en éloigner de quelques pas quand finalement la douce voix de la créature céleste s’éleva enfin pour la retenir. Avant de se retourner vers la jeune femme, un sourire fleurit sur les lèvres de la déchue qui le fit disparaître en une fraction de seconde tandis qu’elle faisait lentement volte-face. Qui eut cru qu’en piquant ainsi au vif la jeune femme, Ithuriel parviendrait à lui arracher autant d’informations ? Sûrement pas elle. Pas alors qu’elle avait tenté une approche pacifique et amicale avec cette femme qu’elle ne pouvait pas voir en peinture. En se montrant sèche et directe, la déchue avait finalement pu contraindre sa sœur à lui faire part de bien plus de renseignements qu’elle n’aurait souhaités.

Ainsi, en dehors du fait d’apprendre qu’Ariel était un ange – chose qu’elle savait d’ores et déjà ; après tout, elle avait perdu sa grâce et non sa mémoire, chose toutefois que sa sœur ignorait – Ithuriel apprit également que la jeune femme était à la recherche d’un démon nommé Malphas. Enfin ! Un nom. Elle était comblée. Elle éprouvait un régal mesquin d’être finalement parvenue à arracher ce renseignement à sa sœur jusqu’à présent déterminée à faire de la rétention d’informations. C’était un début. Un début fort prometteur même. Enfin Ithuriel pouvait mettre un nom sur la menace à laquelle elle devait faire face. Elle était cependant loin de se douter qu’Ariel et elle avaient été abusées et que ce n’était là qu’un nom d’emprunt dont avait fait usage l’abomination pour dissimuler sa véritable identité.

*Malphas* répéta mentalement Ithuriel en fronçant légèrement les sourcils. Non. Ce nom ne lui disait absolument rien. Elle en connaissait beaucoup des noms de créatures infernales, mais celui-ci ne faisait pas partie de sa longue liste. Elle n’avait jamais rencontré de Malphas durant sa très longue existence et n’avait pas non plus entendu parler de lui à une seule occasion. Et quand bien même elle trouvait cela fort suspect qu’un démon « de bas étage » sans la moindre réputation ait pu mettre la main sur la grâce d’un ange, elle ne doutait pas de la véracité des propos de sa sœur. Les deux femmes avaient beau ne pas se supporter l’une l’autre, la loyauté d’Ariel envers les siens faisait qu’elle n’avait aucune raison de mentir à ce propos – et ce, même si elle avait tant insisté pour garder le secret sur cette affaire. Et puis, c’était dans la nature humaine de croire un mensonge quand on désirait ardemment qu’il soit vrai. Du fait de la perte de sa grâce, Ithuriel ne pouvait que céder à cette pulsion et croire sa sœur sur parole.

*Malphas* répéta une nouvelle Ithuriel. Mais rien. Toujours rien.

La voix d’Ariel tira alors Ithuriel de ses pensées. La déchue reprit le fil de la réalité sans laisser trahir la brève absence qu’elle venait d’avoir à l’instant. Sa sœur lui dit alors qu’elle devait comprendre qu’elle ne pouvait guère lui en dire davantage à propos de l’objet qu’elle recherchait. Ithuriel hocha la tête en faisant preuve de compréhension. C’était là une information qu’elle possédait déjà de toute manière. Ariel pouvait donc bien garder le silence à ce propos si cela la rassurait.

— Hélas, ce nom ne me dit absolument rien, avoua Ithuriel sans reprendre place encore à la table. (Elle demeura debout à côté de sa chaise en croisant les bras sur sa poitrine. Elle était pensive.) Néanmoins, maintenant que j’ai un nom, peut-être vais-je pouvoir modifier mes critères de recherche et accroître mes chances de mettre la main sur lui. (Elle était toujours pensive. Aussi ne se rendit-elle pas compte du fait qu’elle avait dit « mes » chances au lieu de « nos » chances. Mais qu’importe. Elle enchaîna sans pause.) Quand bien même ce démon… Malphas… use de sorcellerie pour contrer les rituels d’invocation et autres sortilèges de localisation, il doit bien exister une forme de magie capable de…

Ithuriel se tut et fixa le vide un instant. Puis ses yeux se posèrent de nouveau sur Ariel et un sourire se dessina sur ses lèvres. Déposant son sac à ses pieds, la déchue reprit place à la table en face de sa sœur et lui dit :

— C’est justement ça que nous devrions plutôt rechercher. (Elle marqua une brève pause.) Plutôt que de concentrer nos efforts en traquant directement le démon qui détient cet objet précieux sur lequel vous souhaitez remettre la main, ce que nous devrions faire, c’est chercher la source de magie à l’origine de ce… bouclier protecteur qui nous le dissimule. Est-ce que vous voyez ce que je veux dire ? (Ithuriel laissa un instant à Ariel pour réfléchir avant de reprendre.) Au lieu de chercher le caillou tombé dans la mare, nous devons suivre les rides à la surface de l’eau et trouver l’origine de la perturbation. Ainsi, nous retrouvons le caillou à l’endroit précis où il est tombé. En d’autres termes, l’endroit où se cache le démon.

L’euphorie d’Ithuriel laissa alors place au doute et à la remise en question. Quelque chose avait l’air de déranger Ariel.

— Quelque chose ne va pas ? lui demanda-t-elle alors.

Ariel lui répondit qu’une deuxième affaire l’amenait ici. En plus de chercher à retrouver le démon ayant subtilisé cet « objet de grande valeur » qu’elle voulait à tout prix récupérer, elle cherchait également le moyen d’être désenvoutée d’un sort. La surprise se lut sur le visage d’Ithuriel.

— Un sort ? (Elle fronça les sourcils.) Je ne comprends pas. (Ithuriel n’avait pas réagi en entendant Ariel révéler qu’elle était un ange. Elle était restée focalisée uniquement sur la révélation du nom du démon. Au point de ne faire aucun commentaire à propos de l’existence des anges. Aussi sa remarque qui suivit avait-elle de quoi sonner faux et être quelque peu déplacée, si ce n’est même suspecte.) Les anges ne peuvent pas être envoûtés. Ce sont des entités célestes. Il faudrait une magie de nature divine pour y parvenir et cela n’est à la portée d’aucun mortel ni même d’aucun démon. Cela n’a aucun sens.

Ithuriel venait sûrement de commettre une erreur qui risquerait de lui coûter cher. Mais le fait est que la remarque d’Ariel avait fait naître en elle un irrépressible besoin de faire la lumière sur cette histoire. Comme quoi les deux femmes étaient semblables dans le fond. Peut-être même un peu trop. Et si d’un côté Ariel se sentait obligée par loyauté envers les siens de retrouver la grâce volée d’Ithuriel, la déchue l’était tout autant de comprendre de quoi il retournait exactement. Un ange ? Ensorcelé ? Non. Cela ne se pouvait pas. C’était même une hérésie inconcevable.

La manière dont Ithuriel fixait sa sœur à présent ne laissait planer aucun doute sur ses intentions. Elle attendait qu’Ariel développe et lui explique de quoi il était question très exactement.

Ariel trouvait la jeune femme de plus en plus étrange, elle n'était pas que simplement humaine, mais la jeune ange n'avait pas encore trouver de noms pour qualifier ce que Lilian pouvait être. Elle cachait un secret, mais lequel. Toutefois, même si Ariel avait bien envie de creuser la question, elles avaient toutes les deux, du pain sur la planche. En tout cas, elle se jura de retrouver la jeune femme et de parler avec elle, dans un autre moment. Elle devait trouver un moyen de localiser Malphas et de récupérer la grâce d'Ithuriel. Ariel voyait mal comment le nom d'un démon pourrait parler à une humaine, mais elle ne semblait pas surprise par la présence des anges et des démons sur la Terre. Même si ces derniers avaient montrés leur présence à tous, ce n'était pas tous les mortels qui savaient de quoi, ils parlaient. Mais elle, elle savait trés bien ce qu'était les uns et les autres, au point de ne pas avoir tiqué, quand elle s'était présenté comme un ange. Lilian proposa tout de même une piste trés intéressante pour retrouver le démon, au lieu de chercher la créature, il suffit de chercher comment il se protége et se cache et de déjouer le sortilège, ce n'était pas idiot du tout.
"Je pense que c'est une bonne piste" fit Ariel en tirant un livre vers elle pour chercher les différents sortièles de protection, et de cammouflage, surtout aux yeux des anges, ça ne devait pas étre trés courant. Il ne devait pas exister cinquante mille.

Ariel expliqua son deuxième souci à la jeune femme, qui sembla catégorique sur la question, les anges ne pouvaient pas être envouté. Mais jamais Ariel n'avait que c'était elle la cible du sort. D'où pouvait-elle tirer une telle conclusion. Comment pouvait-elle savoir de telles choses. Elle ouvrit la bouche pour poser la question, mais décida de ne rien en faire, mais elle faisait tourner son cerveau, ses idées pour déterminer le faux du vrai, mais elle sentait qu'elle se rapprochait de plus en plus de la vérité.
"Ce n'est pas moi qui suis envoutée, mais mon vaisseau" expliqua Ariel franchement, à quoi bon le lui cachait, elle pourrait peut-être l'aider à trouver une solution. Elle semblait avoir l'art de voir les choses sous un angle que la jeune ange n'aurait envisager. Alors peut-être pourrait-elle voir, ou comprendre quelque chose qui échappe à Ariel.

PS : Je ne sais pas si tu veux qu'Ariel comprenne ou pas, mais je veux pas non plus qu'elle passe pour une idiote et qu'elle ne voit rien avec tous les indices que tu lui donnes. ^

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Je préfère être déçue que de perdre confiance

Spoiler:

Ariel avait enfin consenti à donner un nom à Ithuriel. La déchue connaissait désormais l’identité de ce démon s’étant emparé de sa grâce. Du moins en était-elle convaincue. Et dans l’euphorie du moment, une révélation s’était imposée à elle : plutôt que de chercher à retrouver le démon, peut-être valait-il mieux focaliser les recherches sur la magie dont il se servait pour justement se dissimuler aux yeux de tous. C’était bien connu que la magie appelle la magie. Ariel et elle auraient sûrement plus de chances de retrouver ce Malphas en cherchant la source générant cette protection magique.

Ariel admit volontiers que la proposition d’Ithuriel était une bonne piste. Et sans perdre un instant, elle avait tiré un livre et s’était replongée dans ses recherches. Néanmoins, elle n’avait pas l’air d’être dans son assiette. La brillante idée d’Ithuriel ne semblait pas l’emballer autant qu’elle redonnait espoir à la déchue. Aussi Ithuriel s’était-elle enquise de savoir ce qui n’allait pas. Ariel lui avoua alors être envoûtée. Chose que la déchue trouva ridicule. Les anges ne pouvaient pas être envoûtés. Ils étaient au-dessus de cela. Seule une magie de nature divine pouvait avoir un effet sur eux. Cela n’avait donc aucun sens.

Ariel remit Ithuriel dans le droit chemin en lui faisant remarquer que ce n’était pas elle qui était sous le contrôle du sort, mais son hôte. C’était somme toute plus raisonnable. Mais s’en prendre à l’hôte d’un ange, c’était comme s’en prendre à lui directement. Une telle hérésie ne pouvait rester impunie. Celui ou celle à l’origine de ce blasphème aurait à en payer le prix. Mais de qui s’agissait-il ?

La réponse s’imposa à la déchue tout naturellement. Caymiel – ou peu importe son véritable nom. Ce devait être l’instigateur de cette malveillance. Ithuriel ne pouvait penser à personne d’autre. Et le fait que des images de cet homme se soient imposées à elle durant ses deux récents brefs contacts avec la radio des anges et les pensées d’Ariel ne pouvait pas être une coïncidence. Mais qui était-il ? La déchue était certaine de ne pas le connaître alors qu’il s’était présenté comme étant un ange. Mais jamais un ange ne pourrait s’abaisser à ensorceler l’un des siens. À moins que celui-ci soit un partisan de Lucifer ? Certainement. Raison de plus pour ne pas lui permettre de garder cette ascendance sur Ariel.

— Et vous n’avez pas réussi à trouver le moyen de vous libérer de cette emprise ? demanda Ithuriel. Il doit pourtant bien exister un moyen. (Ariel secoua la tête.) Maintenant je comprends mieux pourquoi vous étiez à ce point en colère et frustrée tout à l’heure. Je sais ce que c’est que chercher les réponses à de sombres questions sans parvenir à en voir ne serait-ce qu’un début d’explication.

Ithuriel se tut et laissa son regard se perdre dans le vide un moment. Mais non. Elle eut beau réfléchir, rien ne lui vint à l’esprit pour aider Ariel. Mais déterminée à ne pas baisser les bras pour autant, elle se replongea dans un livre et fit son possible pour trouver une solution.

Les minutes et peut-être bien les heures se succédèrent en silence avant qu’Ithuriel laisse tomber à plat un lourd ouvrage devant Ariel. La reliure de l’épais volume était en cuir et l’écriture qui en couvrait les pages jaunies par le temps trahissait son grand âge : la période la plus sombre du Moyen Âge marquée par de nombreuses chasses aux sorcières et autres récits de possession démoniaque. Les anges avaient été plus ou moins actifs durant cette période, comme en témoignaient les nombreux récits et peintures les mettant en scène. Au final, seule une poignée d’êtres célestes avait arpenté la Terre en ces temps-là. Mais ils n’étaient pas demeurés complètement inactifs malgré leurs ordres de ne pas interagir avec les mortels. Mais c’est là une autre histoire. Ithuriel tapota un paragraphe vers le bas de la page.

— Le schisme, dit-elle en attendant qu’Ariel relève la tête vers elle. Un rituel permettant de séparer corps et âme. Cela devrait permettre de lever le sortilège et de vous libérer de son emprise. Du moins, pour le moment. L’envoûtement dont vous êtes victime doit être lié à l’âme de votre hôte et non à son corps ou à votre grâce. En séparant l’essence de votre hôte de son enveloppe charnelle, cela devrait en toute théorie vous libérer des effets de l’enchantement. Il resterait ensuite à trouver un moyen de nettoyer l’âme pour rompre définitivement le sortilège. Qu’en pensez-vous ?

Ithuriel laissa le temps à Ariel de lire le texte écrit en latin médiéval. Mais de toute évidence, elle n’avait pas l’air particulièrement emballée par cette solution.

— L’idée ne vous plait pas ? demanda Ithuriel, dubitative. C’est pourtant ce que vous vouliez non ? Ou sinon, il y a peut-être une autre solution, mais celle-ci est loin de me convaincre. J’ai des doutes quant à son efficacité. (Elle tira un autre livre dont elle avait également marqué la page.) C’est un rituel bien moins fiable à mon goût. Une magie populaire qui n’a jamais fait ses preuves en dehors d’une ou deux réussites anecdotiques. (Ithuriel désigna un schéma et une courte description.) Un rituel de purification nécessitant un talisman magique, de l’eau et du sel, ainsi que quelque chose appartenant à la personne ayant lancé le sortilège dont on souhaite se débarrasser : un peu de sang ou une mèche de cheveux par exemple. Voire un morceau de peau même. Le tout à réaliser à la lumière d’une pleine lune. (La déchue ne cacha son scepticisme. C’était là de la magie païenne. Du genre que l’on trouve en tapant les mots « rituels magiques » sur un navigateur de recherche comme Google. Pas suffisamment fiable selon elle.) Mieux vaudrait mener à bien le schisme que prendre en considération ce… rituel.

Ithuriel laissa cependant Ariel prendre les deux options en considération. Elle était après tout la seule en mesure de prendre une décision étant donné qu’elle était la principale intéressée. Ithuriel espérait néanmoins de tout cœur qu’elle opterait pour l’option ayant de plus grandes chances de réussite.

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