V.03 - Une étrange impression de déjà vu

Le magasin dans lequel déambulait Paul Fiedler ce jour là était assez calme. Il faut dire qu'en pleine semaine, la plupart des gens étaient à leur travail. Et bien que notre ami venait de postuler à une offre professionnelle dans une des écoles de la ville, pour le moment il avait beaucoup de temps pour lui. Ayant pris la décision de s'installer définitivement aux abords d'Huntfield, Paul avait ainsi décidé de consacrer sa liberté du moment à la recherche d'un appartement. Malheureusement, les visites du jour n'ayant pas étaient convaincantes, notre ami avait décidé de se changer les idées en ce lançant dans le repérage du mobilier qui viendrait trôner fièrement dans son futur chez soi.

Vous cherchez quelque chose monsieur ? Non ? Surtout n'hésitez pas à m'appeler si besoin !

Paul avait horreur de cet excès de gentillesse de la part des vendeurs qui ne se rendaient pas compte qu'ils agaçaient plus qu'ils ne rendaient service. Bien sûr, le chasseur avait refusé tout aussi cordialement cette aide qu'on essayait de lui imposer. A présent, il marchait tranquillement dans toutes les allées et jouait de son œil avisé pour dénicher les plus beaux objets. Pour le coup, il devait avouer qu'il était tombé sur un magasin de décorations intérieures. Une table basse très design avait suscité son intérêt pendant plusieurs minutes. Les luminaires l'avaient inspiré dans des idées de jeu de lumière. Des tableaux en noir et blanc avaient même réussi à le tenter dans un achat compulsif. Mais Paul avait su se raviser et avait rejoins les rayons suivants.

Il circulait à présent dans le rayon des petits objets de décoration en tout genre. De la petite lampe, à la statuette, aux corbeilles en passant par les bougies. Il y avait un large choix de babiole pouvant satisfaire la curiosité du client le plus compliqué. Accès sur la découverte, notre chasseur observa les différents articles en cherchant à comprendre parfois leur utilité. D'ailleurs, il empoigna un objet bien étrange de forme ronde dont il n'avait aucunement idée de ce qu'il était. L'étiquette indiquait lumière d'ambiance mais il semblait pourtant opaque. Ce n'est que lorsque Paul le fit pivoter dans ses mains, que la boule laissa apparaître des petits trous qui révélèrent une lumière intense.

Quelle idée ! Il faut croire que pour les gens l'originalité prends le pas sur l'utilité, s'exclama-t-il à haute voix.

Paul reposa la boule en question en rigolant tout seul et se prépara à poursuivre sa visite. Mais son intervention venait d'attirer l'attention d'une autre client qui le suivait de prêt.

Agitant l'objet entre ses doigts, Paul essayait d'imaginer la réelle place qu'il pouvait prendre dans une maison ou un appartement. Malheureusement, il eut l'esprit un peu fermé pour le coup et n'offrit dans ses pensées qu'une vie éphémère à cet lumière avant qu'elle ne finisse à à la poubelle. Quelques heures de succès pour un objet destiné uniquement à surprendre. Une fois la surprise découverte, il ne serait plus d'aucune utilité. Bref, en tant que client, Paul n'était absolument pas conquis par cet article et allait donc le reposer. Sauf qu'une charmante femme s'approcha de lui et se mêla à sa critique artistique.

Vous n'avez pas tord, rétorqua-t-il avant de mieux observer celle qui venait de réagir à la remarque qu'il s'était fait à lui même.

Une sensation étrange le figea sur place quand ses yeux détaillèrent les moindres traits de ce visage angélique. Blonde, le sourire chaleureux, les yeux débordants de gentillesse. Cette femme ne lui était pas inconnue. Il avait une impression de déjà vu, comme s'ils se connaissaient tous les deux. Malheureusement, sa mémoire défaillante de cette dernière année ne l'aidait pas à retrouver dans quelles circonstances ils avaient bien pu se rencontrer. Pourtant il était prêt à parier que cette demoiselle n'était pas étrangère à sa vie.

Il l'écouta philosopher aisément sur les effets de la lumière dans la vie de chacun tandis qu'il fronçait les yeux à la recherche d'une moindre détail qui pourrait créer l'étincelle dans sa mémoire. Rien. Le néant. C'était frustrant et Paul savait que de toute façon il ne pourrait rien faire de plus. Sauf si de son côté, la miss se dévoilait d'elle même à ses yeux pour retenir se voile qui lui couvrait la vue. Il reposa l'objet qu'il tenait encore dans ses mains et dans un sourire intrigué poursuivit la discussion.

C'est sûr. Mais je pense qu'il y a des façons plus agréables de le faire, ironisa-t-il avant d'oser de se lancer. Vous allez sûrement trouver ça bizarre et je vous promet que ça n'est absolument pas une technique de drague foireuse mais... Ne nous sommes nous pas déjà rencontré ?

La question était posée et son interlocutrice était sans doute la seule à pouvoir lui apporter des réponses à ses interrogations. Du moins, si la sensation du chasseur n'était pas que le fruit de son imagination.

La tentative d'en savoir plus de Paul fonctionna à son grand soulagement. La demoiselle ne lui donna pas de baffe, ne le traita pas de lourd dingue, ne se moqua pas de lui et ne lui tourna pas les talons. C'était déjà quelque chose de rassurant car le chasseur n'aimait pas qu'on le prenne pour quelqu'un qu'il n'était pas. Il avait réellement cette sensation étrange de déjà vu et plus les secondes avançaient plus il avait envie de lever le voile sur ce mystère. Toutefois, il n'était pas au bout de ses surprises puisque la blondinette lui annonça une chose à laquelle il ne s'attendait pas : Elle aussi était persuadée de le connaître mais n'avait pas osé aborder directement le sujet. La coïncidence était bien trop grande pour que cela soit un hasard. Un lien existait entre eux. Lequel ? Là était le fondement même du problème qui se dressait entre eux.

En l'écoutant s'adresser à lui, Paul resta hébété face aux révélations de son interlocutrice. Alors comme ça, elle aussi avait perdu une partie de sa mémoire. De multiples interrogations envahirent alors notre ami qui se laissa aller à élaborer certaines hypothèses. Avait-elle été dans le coma aussi ? Avait-elle frôlé la mort ? Dans ce cas peut-être se seraient-ils rencontré sur le chemin de l'au-delà. Non non impossible... Quelle période de sa vie avait été effacée ? La dernière année comme lui. Dans ce cas ils avaient très bien pu se rencontrer durant cette dernière sans que l'un ou l'autre n'en ait un souvenir détaillé. Et si elle aussi avait été.... Non grotesque ! Paul retint un rire face à l'ironie de cette histoire avant de répondre.

Je crois que je ne vous serais pas d'une grande aide car vous allez trouvé ça amusant. Ou peut-être étrange selon comment on voit les choses, se reprit-il un peu dubitatif en se frottant le front. Figurez vous que je suis sorti il y a peu de l'hôpital après trois mois de coma qui ont altéré ma mémoire sur une bonne année.

Un jeune couple avec une poussette éleva alors la voix juste derrière Paul pour pouvoir passer. S'excusant avec sourire, il se décala pour se plaquer contre l'étagère et ses yeux croisèrent à hauteur d'homme un magnifique lustre en bois tressés très proche d'une idée nature. C'est exactement cet esprit nordique que Paul appréciait et souhaitait mettre dans son futur appartement. Enfin pour l'heure, il devait remettre à plus tard sa pulsion d'acheteur et retourner à cette rencontre troublante qui avait lieu dans ce magasin. Il tendit alors une main amicale vers celle qu'il venait de rencontrer.

Je ne me suis même pas présenté du coup. Paul Fiedler. Peut-être que nos noms nous permettrons de faire remonter quelques souvenirs en mémoire.

L'idée avancée par Paul était intéressante à creuser car elle venait du médecin qui le suivait depuis sa sortie de l'hôpital. D'après la doctoresse, tout stimuli de ses souvenirs était bon à prendre pour réveiller ce qui était endormi dans l'espace touché par son coma. Le chasseur avait élargi cette hypothèse au fait que les souvenirs de sa possession pouvaient être retrouvés en touchant une corde sensible liée à ces derniers. C'était ce qui était arrivé avec Alix quant ils avaient parlé du soir où Sam et elle s'étaient battus pour le libéré. Certes, il n'avait vu que quelques bribes passer devant ses yeux mais c'était un bon début pour quelqu'un touché par une amnésie partielle.

Malheureusement avec la demoiselle face à elle rien ne sembla vouloir se manifester. Mary Steward. Tel est le nom sous lequel elle se présenta à lui. Rien. Aucune vision, aucun flash, aucun frisson ne parcourut Paul qui fut quelque peu déçu de rester avec ce sentiment de déjà vu qu'il ne s'expliquait pas. C'était quelque chose de frustrant et il avait beau appuyé son regard sur chaque coin et recoin du visage de la jeune femme, il ne se rappelait de rien. Compatissante à son histoire, elle lui posa une main sur l'épaule qui le sortit de ses recherches.

Ne le soyez pas. On dit que l'esprit a souvent raison de vouloir nous occulter certains souvenirs brutaux. Une sorte d'intelligence inconsciente pour nous préserver de la souffrance que l'on ressentirait si on se souvenait de tout.

Mister Fiedler pouvait sembler avoir une vision utopique de l'amnésie mais son passé lui permettait d'avoir du recul face à cette situation. Plus jeune, l'un de ses meilleurs amis avait eu un grave accident de la route. Seul rescapé, il avait eu beau être conscient lorsque les secours coupèrent la voiture en deux pour le sortir de là, une fois qu'il perdit connaissance, son cerveau se chargea de lui effacer les souvenirs traumatisant de son accident. Les médecins avaient alors confié à Paul que cela était même rassurant et le protéger inconsciemment. Du coup, Paul prenait beaucoup de recul face à ce qui lui arrivait même s'il ne pouvait s'empêcher de se tourmenter de question.

Moi non plus je vous l'avoue, rétorqua-t-il toujours amusé par cette situation étrange. Il faut croire que ça n'est peut-être qu'une impression. Ou alors ça nous reviendra plus tard.

Embarquant avec lui Mary, Paul avança doucement dans l'allée pour éviter de gêner les clients qui commençaient à se regrouper dans le rayon où il était. Son regard pris le temps de se poser sur certains articles et il repéra d'ailleurs des bougies qui attirèrent son attention. Il s'en approcha et décida de poursuivre cette discussion inopinée.

Vous aussi vous êtes venu pour repenser votre intérieur ? Ou peut-être professionnellement ? Vous travaillez dans quoi d'ailleurs ? Nous nous sommes peut-être rencontré à ce niveau.

L'air de rien, en jouant les clients curieux, Paul essayait d'en savoir plus sur cette mystérieuse inconnue qui l'intriguait.

Tout en touchant une à une les bougies du rayon qui leur faisait face, Paul redoublait d'effort pour offrir à ses souvenirs une chance de remonter à la surface. La blondinette ne rechigna pas d'ailleurs à répondre à ses questions. Tout comme lui, même s'ils essayaient de faire paraître qu'ils mettaient ça sur une impression de déjà vu, Mary devait certainement poursuivre sa réflexion. La coïncidence était tellement énorme que le destin ne les avait pas fait se croiser dans cette boutique pour juste s'amuser. Quelque chose se tramait derrière tout cela.

Seulement, lorsque la miss fit le tour de sa vie professionnelle chargée, Paul repéra des pistes d'explications sur leur possible connaissance. En tant que bibliothécaire, par exemple, ils auraient très bien pu se croiser dans l'une des écoles où ils avaient travaillé. Toutefois, les suspicions du chasseur s'orientèrent plutôt vers la deuxième partie du CV que lui présenta la jeune femme. L'aéroport d'Huntfield ! Oui cette hypothèse était la plus plausible d'entre tous. Du moins si on excluait les hypothèses surnaturelles. Avec le nombre d'aller et retour que notre professeur avait fait par le passé, il n'était pas impossible qu'ils se soient croisé là bas. Une étincelle s'alluma dans les yeux. Et tandis qu'il reposait la bougie qu'il avait dans les mains, il coupa la jeune femme qui était entrain de lui poser une question sur la décoration..

L'aéroport ! Je pense que nous ne sommes pas loin d'élucider le mystère. Je viens tout juste d'emménager à Huntfield. Auparavant, j'habitais un peu plus à l'est du pays. Mais comme j'ai beaucoup d'amis proches par ici, j'ai eu l'occasion de prendre une paire de fois l'avion. Alors si vous avez travaillé pendant un temps à l'aéroport il n'est impossible que nous nous sommes croisés plusieurs fois. Ce qui expliquerait cette impression de se connaître.

Un air victorieux avait gagné le visage du chasseur. La faisabilité de la réflexion qu'il venait de faire était plutôt bonne. Plus que celle d'une rencontre du au surnaturelle puisque l'amnésie faisait pencher la balance du mauvais côté. Il observa la jeune femme dans l'espoir qu'elle lui confirme sa supposition. Mais il était persuadée qu'elle irait dans son sens... Ou du moins qu'elle ne trouverait rien pour contredire ce qu'il venait d'avancer. Le doute avait pris possession dans leur esprit et pour Paul, choisir l'explication rationnelle d'un croisement de regard répété dans un lieu donné était la meilleure solution. Heureux d'avoir soulevé ce voile perturbant, il poursuivit son avancée dans le rayon du magasin. En se rappelant toutefois que la miss avait laissé une question en suspend.

Ah et non non je suis loin d'être une lumière en décoration, plaisanta-t-il dans un jeu de mot douteux mais qui le faisait rire. J'ai plutôt des souvenirs de ma femme qui adorait ça. J'essaye donc de lui faire honneur.

Le temps avait passé et Paul avait vécu tellement de choses horribles que parler de sa défunte femme ne lui était plus insoutenable. Son esprit avait décidé d'en préserver que les meilleurs souvenirs. Le duo bifurqua dans l'allée des tapis, rideaux et autres tissus de décoration.

Arpentant le nouveau rayon, les deux individus avaient trouvé réponse à leur problème. Bon il s'agissait en effet d'une solution hasardeuse sans véritable preuve de ce qu'ils avançaient. Mais au moins c'était une solution plausible qui justifiait le fait qu'ils s'étaient déjà vu et donc que leur visage ne leur étaient pas étrangers. Il n'en fallait pas plus à l'être humain pour passer à autre chose et éviter de faire un blocage sur ce qui pouvait se révéler être une énigme interminable. Il n'y a pas plus frustrant que de ne pas avoir de réponse à une interrogation que l'on se fait.

Pour l'heure, libérés de leur grande question, le duo s'aventurait dans une discussion plus personnelle qui ouvrait le champ des possibles à une amitié naissante. Enfin amitié... le mot était peut-être précipité mais la compagnie de la demoiselle ne dérangeait absolument pas le chasseur. Il y avait quelque chose de rassurant, de bienfaiteur chez elle. C'est sans doute pour cela qu'il glissa sans le vouloir cette petite phrase au sujet de sa défunte femme. Une phrase qui força la discussion à aller dans ce sens.

Assez longtemps pour que je me fasse à l'idée et que j'aille de l'avant même si une partie de mon cœur y reste accroché.

Paul resta vague dans son explication. Il ne se voyait pas déballer sa vie à une parfaite étrangère rencontrée au beau milieu d'un magasin. Il aurait pu lui apporter une explication sur sa mort et parler de son fils perdu le même jour. Mais la relation qu'ils avaient pour le moment ne le poussait pas à s'ouvrir autant. Au lieu de cela, il fit mine de s'intéressait à un tapis couleur taupe qu'il imaginait bien dans son futur salon avec les meubles qu'il possédait déjà.

Le reste du parcours des deux jeunes gens se fit dans des échanges chaleureux où le tutoiement prit doucement sa place et où chacun conta une partie de son expérience et de ses projets actuels. Pour Paul, il confia à la demoiselle sa recherche de travail dans le monde scolaire et son futur emménagement dans la vie. Il lui raconta où il vivait autrefois mais fut obligé de modifier un peu les raisons qui l'avaient amené à venir à Huntfield. Puis se fut l'heure de passer en caisse et de reprendre le fil de leur vie respective.

Ce fut un plaisir de t'avoir rencontré Mary, indiqua avec sourire. J'espère qu'on se recroisera vite. C'est toujours sympa de se faire rapidement des connaissances quand on débarque dans une nouvelle vie. A bientôt.

D'un signe de la main, Paul tourna les talons et s'évapora dans la nuée de personnes qui se promenaient dans cette artère commerçante de la ville.