VI.05 - L'amitié démarre autour d'une bière [feat. Gabriele]

L'amitié démarre autour d'une bière ; ft. Dean Winchester

Quand on rencontre des gens, on ne sait jamais à l'avance desquels on va se souvenir plus tard. C'est pas une question d'importance, mais de « sensations ». Il y a ceux qui s'installent en vous, discrètement, et puis ceux qui tonitruent et vous disparaissent de l'existence à tout jamais - Frédéric Dard, "Le silence des homards"

Gabriele passe sa main sur son visage fatigué tandis qu’il tire une bouffée de sa cigarette à la fenêtre de son appartement. C’est une belle journée, un ciel bleu habille le ciel et le soleil brille en ce jour de printemps. L’italien retire la cigarette de ses lèvres et expulse la fumée de ses poumons, pensif. Quelle nuit affreuse… Il n’a pas réussi à fermer l’œil comme en témoignent les larges cernes presque violettes qui entourent son regard. Le magistrat reprend une taffe tandis qu’il tente de réfléchir à ce qu’il compte faire de sa journée gâchée : on sait tous très bien que les lendemain d’insomnie ne sont jamais très bons ou prometteurs. Déjà, faudrait commencer par un café songe-t-il, comme un encouragement pour démarrer du bon pied.

Il réalise donc sa matinée puis son début d'après-midi comme ça, café par café, à fumer pratiquement tout son paquet – une mauvaise habitude qu’il a pris depuis qu’il a commencé à ne plus pouvoir dormir la nuit – assis dans son canapé à étudier ses affaires en attente, à passer des coups de fil à droite à gauche en marchant dans son appartement, à sortir sa tête par la fenêtre une fois de temps en temps pour observer la rue se remplir de monde puis s’en vider selon les heures… Il a beau ne pas avoir eu beaucoup de repos voire pas du tout, Gabriele réussit l’exploit de ne pas s’endormir ni flemmarder comme il en a l’habitude.

15h30. L’italien dépose son regard sur sa montre, une clope allumée trônant fièrement sur ses lèvres. Un profond soupir extirpe de ses poumons le poison de sa cigarette et son désarroi : au final cette journée qu’il pensait gâchée passe si vite. L’homme frotte ses paupières tout en tentant de poursuivre la lecture des conclusions de l’avocat en défense. Les lignes se brouillent et les mots s’emmêlent. L’italien grogne : cette fois, c’est fini, la caféine ne fait plus effet et son cerveau ne fonctionne plus. Il doit s’arrêter de travailler là, son corps n’est plus en mesure de tenir le rythme. Sur cette pensée, Gabriele écrase sa cigarette dans le cendrier sur la table basse tandis qu’il repose les feuilles agrafées sur la pile de l’affaire concernée. Qu’allait-il bien faire du coup ? Le procureur claque ses mains sur ses cuisses en réfléchissant : il n’a pas envie de dormir et il ne sent pas non plus de rester enfermé. Le soleil continue d'éclairer de sa lumière vive la rue et ses passants. Tandis que le regard de l’italien erre sur le paysage observable au travers de sa fenêtre, la pensée d’une bonne pinte de bière traverse son esprit et l’envie folle d’aller boire un coup s’installe en lui. Il pose ses yeux sur sa tenue : un jogging et un débardeur sales l’habillent. Bon, petite douche et on est de sortie ?

Gabriele referme donc la porte de chez lui vêtu d’un jean et d’un tee-shirt simples après une bonne douche requinquante. Tandis qu’il tourne les verrous de sa porte dans le claquement de ses clefs, il  réfléchit à où il peut aller. Il sort de son manteau la carte que Mary a réalisé pour y choisir un endroit ; le premier stop sera néanmoins l’épicerie la plus proche qui vend des Marlboro. Tout en marchant dans la rue, ce dernier étudie les lieux dont parlait la jeune bibliothécaire qu’il a rencontré l’autre jour et se décide de faire un tour vers l’un qu’elle a désigné d’un verre. Il s’arrête en chemin pour acheter ses cigarettes et se dirige vers sa destination finale : Le Roadhouse.

Planté devant comme un enfant en attente de l’instruction de ses parents, l’italien étudie la façade tandis qu’il termine son énième cigarette du jour. Il se dit en même temps qu’il analyse ce lieu inconnu qu’il faudrait peut-être qu’il se décide à diminuer ces saletés, une pensée qui traverse quotidiennement son esprit sans jamais y élire domicile plus que quelques heures. Une fois le tabac entièrement consumé, Gabriele écrase le mégot sur le cendrier mis à disposition dehors et rentre dans l’établissement. La première chose qui le frappe, c’est la chanson des AC/DC ; une qu’il adore particulièrement et qui lui rappelle – enfin pour ce qu’il s’en souvient – cette soirée où il a fini sur la table du O’Connel avec Jon à danser comme un abruti. Il sourit ; c’est une bonne chanson. C’est là qu’il entend ce « bonjour » qui lui fait tourner le regard vers le bar tandis que ce dernier vagabondait sur les autres clients du lieu. « Bonjour. » répète-t-il au barman, l’air presque hébété par le caractère inconnu de l’endroit. Le serveur est un homme de son âge, avec une expression neutre bien qu’une mine sympathique sous ses traits marqués. Gabriele se rapproche donc du comptoir, comme si la salutation de l’homme est une sorte d’invitation à ce faire, le regard toujours perdu en ce lieu qu’il ne connaît pas, jusqu’à ce qu’il soit suffisamment proche pour que le barman lui demande ce qu’il souhaite boire.

À cette question, les pupilles claires de Gabriele se posent sur le serveur, « Euh… Une pinte de blonde s’il vous plaît. » répond-t-il après un instant d’hésitation. Il s’assoit sur l’une des chaises du comptoir et continue d’observer le lieu avec curiosité, comme un enfant qui vient de découvrir Noël. Gabriele aime, en tout cas de premier abord, l’ambiance de ce bar. Le fait qu’il n’y a que quelques clients apporte un certain calme à l’endroit malgré la musique qui l’anime. Ainsi avant même qu’il reçoive son verre, le procureur dit à voix haute : « Un bar où il y a du AC/DC ne peut que proposer de la bonne bière. » Il ne s’est pas rendu compte, de par la fatigue générale dont il est la proie, que cette pensée a traversé ses lèvres. Ses pupilles bleus se posent de nouveau sur le barman tandis qu’il attend sa bière, un sourire nostalgique habillant ses lèvres et l’expression calme transcendant la fatigue de ses traits.