IX.03 - Début février [Mercy]

1° février 2019.

Lexi et Charlie sont revenues d’Allemagne début janvier. Pour les anges, n’importe quelle partie du monde est à la portée d’un battement d’ailes mais c’est plus compliqué pour les humains, surtout quand ils ont besoin d’utiliser un moyen de locomotion qui officialise leur déplacement et pas un battement d’ailes du coup. Les chasseuses y ont fait un travail remarquable puis Jessi et moi leur avons rendu plusieurs fois visite. Je dois dire que je ne me lasse pas d’entendre ma chérie me narrer encore et encore comment elles ont éliminé Hitler, Charlie et elle. Pour ma part, je continue de faire semblant de m’intéresser aux artefacts sur lesquelles les archanges font une sorte de fixation comme si la guerre entre le Bien et le Mal en dépendait alors que ce n’est absolument pas le cas sinon les démons rendus surpuissants par les boites démoniaques nous auraient porté un coup très grave, or ça n’est heureusement pas arrivé. Billevesée, dirais-je ou foutaises si c’était Charlie.

Ou bordel de cul.

En ce premier jour du mois de février, j’appelle Mercy avant qu’elle prépare l’ouverture de son club pour le lendemain et donc samedi. Je lui demande amicalement si elle peut me rejoindre près de Huntfield, non pas au lac principal mais au bord d’un des lacs voisins. Comme je suis beaucoup plus visible pour les mortels qu’avant, je porte des habits de saison donc plutôt chauds même si dans les faits les variations de températures ne me font ni chaud ni froid. J’ai même une casquette et une écharpe, c’est dire si c’est de saison. Dire que les humains ne se sentent globalement bien que si la température ambiante va pour ainsi dire de vingt degrés Celsius, soit soixante-huit degrés Fahrenheit, à vingt-cinq degrés Celsius, soit soixante-dix-sept degrés Fahrenheit, en dessous ils commencent à se plaindre d’avoir froid et au dessus ils commencent à se plaindre d’avoir chaud. Ca n’est pas le genre des deux chasseuses et quelque chose me dit que ça n’était pas celui de Mercy quand elle était humaine. Je l’attends debout au bord du lac, à scruter les profondeurs avec un air probablement perplexe.

C’est parce que je le suis, perplexe.

C'est drôle mais j'ai l'impression que le temps passe plus lentement depuis quelques mois. En général on a cette impression quand on se fait chier où qu'on passe des moments pas agréables du tout. Ça n'est pas mon cas, je ne me fais pas chier et je passe d'agréables moments avec Lou, du coup je me demande d'où me vient cette sensation que le temps subit comme une distorsion, bah c'est bizarre mais je suis plus à une bizarrerie près ici à Huntfield. On va dire que c'est l'alignement des planètes, tout ça. En tout cas, j'ai presque envie de me fringuer comme au printemps, sauf qu'il n'est pas encore là et que j'aurais l'air tarée en robe légère en plein hiver. Je passe donc des fringues plus adéquates, à savoir un t-shirt moulant, une jean moulant lui aussi, des bottes et un long manteau à capuche noir que je boutonne et dont je relève la capuche avant de me rendre au rendez-vous que Jeliel m'a donné.

Je retrouve l'ange au bord d'un lac qui me rappelait vaguement quelque chose. Très vaguement. Ouais bon, je sais très bien où on est j'ai pas une mémoire si courte que ça. Cette fois, pas de sous-marin jaune en vue, mais si l'ange m'a fait venir ici, ça ne peut pas être un hasard, pas vrai ? Le hasard ça n'existe que dans les fables, dans la vraie vie, Atropos, celle qu'on appelle aussi Destinée décide de tout et cette garce peut être très chiante des fois, d'ailleurs, je me demande où elle est parti se planquer celle-là, on la voit plus beaucoup et vu comment se passe les choses ces derniers temps, je me demande aussi si elle picolerait pas un peu trop tellement ça devient n'importe quoi !

"Coucou !"

Dis-je en approchant de l'être céleste qui observait les profondeurs du lac. À moins qu'il mate son reflet et dans ce cas, qu'il fasse gaffe y en a un qu'est mort comme ça, un certain Narcisse ouais. En tout cas je résiste à l'envie de lui envoyer une bonne tape dans le dos, je sais qu'il ne tomberait pas, contrairement à une créature ou un simple humain et que ça ne serait pas drôle du coup et puis ho, t'es pas une gamine, Mercy. Je me place donc juste à côté de l'ange qui affichait un air perplexe. Retirant ma capuche d'un mouvement de la tête un peu brusque, je me place au côté de Jeliel et je me met à mater le lac moi aussi avec le même air perplexe.

"Si tu cherches Cthulhu, il est pas là."

Dis-je alors pince sans rire en me demandant si l'ange aurait la référence, il a fait des progrès depuis quelques temps, question culture humaine, mais peut-être pas encore à ce point.

J’ai senti Mercy arriver et quand je dis sentir, je fais référence à son aura et non pas à la très fine trace de soufre qui accompagnerait la démone après une téléportation, sauf que j’ignore si elle est venue ainsi et que je n’ai pas l’odorat pour repérer une odeur aussi résiduelle. Quand un démon utilise son pouvoir de télékinésie, ça je peux le sentir, sinon une créature pourvue d’un odeur surdéveloppé comme un skinwalker est largement que mon odorat même accru.

"Salut."

Lui dis-je amicalement en constatant avec soulagement qu’elle passe aussi inaperçue avec son habillement de saison tout comme moi. Ce n’est pas parce que les températures estivales et hivernales en l’occurrence ne nous font ni chaud ni froid, à nous les anges et les démons, qu’on peut s’habiller n’importe comment, du moins sans que ça se remarque. La démone doit avoir une petite idée sur ma présence ici, et sur notre présence ici pour être plus précis puisque je lui ai demandé si elle pouvait m’y rejoindre et elle me dit le nom de quelqu’un qui n’est pas là. Comme je ne comprends pas de quoi Mercy parle mais que je préfèrerais que ça ne se voit pas, j’utilise une tactique qui je le pense est inédite.

"Ce n’est pas faux."

C’est là que j’avise une voiture banale qui passe sur la route à environ cinq cent mètres et qui va me fournir ce qu’on appelle une diversion.

"Ce n’est pas commun de venir ici, je me demande si ces gens sont vraiment égarés. Tu pourrais voir leur plaque d’immatriculation ?"

Profitant de cette diversion donc, je tourne brièvement le dos à Mercy le temps de parler à mon smartphone.

"Dis Siri, c’est qui Ktulu ?"

Alors techniquement, ma stratégie aurait du être payante, l’assistant lié à mon iphone aurait du me répondre et j’aurais pu ajouter quelques propos pertinents à ma première réponse aussi courte que floue au demeurant, sauf que j’ai oublié de baisser le son et Siri me répond d’une telle façon que c’est limite si les occupants de la voiture banale ne l’entendent pas.

"Cthulhu est une monstrueuse entité cosmique inventée par l'écrivain américain Howard Phillips Lovecraft dans sa nouvelle L'Appel de Cthulhu, publiée dans le pulp Weird Tales en 1928."

Je vois.

"Ok, c’était une boutade !"

Dis-je avant d'en rire.

Ha si Cthulhu existait et s'il se réveillait … je me demande en combien de temps l'humanité disparaîtrait. Même en étant optimiste je leur donnerais à peine une semaine, le temps de muter en machin immonde, de devenir complètement cinglés, de s'entre-dévorer et pour certains même s'auto-dévorer … et dire que ce genre de truc sort de l'esprit d'un humain. Après c'est nous les tordus, hein. Ceci dit, le Lovecraft, je l'ai toujours soupçonné de traficoter des trucs avec des collègues démons, j'ai jamais vérifié parce qu'en fait je m'en fous et que ça enlèverait du charme à l'oeuvre de l'auteur, mais je suis sûre qu'il y a anguille sous roche.

Après m'avoir saluer en retour, Jeliel répond à ma remarque d'un manière pas très claire avant de me demander si je pouvais voir la plaque d'immatriculation d'une bagnole qui passait au ralenti.

"C'est si louche que ça de passer par ici ? Ils cherchent peut-être juste un coin sympa et tranquille pour se faire un câlin …"

Dis-je en regardant l'ange bizarrement mais certes, voyons donc cette plaque.

La voiture n'étant pas sous le meilleur angle pour que je vois depuis ma place je m'éloigne de quelques pas de Jeliel afin d'avoir la plaque en vue, la distance n'étant pas gênante, je peux alors noter mentalement le numéro. Mais alors que je faisais ça j'entends la voix de Siri, l'assistante artificielle de la marque à la pomme que je passe mon temps à harceler quand je m'ennuie rien que pour essayer de la faire planter et pour voir si une IA serait capable de m'envoyer chier, ben non, pas encore mais j'ai bon espoir. Bref j'entends donc la voix expliquer qui est Cthulhu et je me met à rire doucement. Ouais il m'a eue.

Revenue près de l'ange qui avait donc compris que c'était une plaisanterie, je rie un peu plus fort.

"Ok, c'était une diversion !"

Dis-je alors sur le même ton qu'il avait employé en comprenant la boutade.

Voilà voilà.

J'ai beau me douter de la raison de notre présence ici, genre une plante unique planquée sous ce lac, ou sa disparition, allez savoir hein ! Sauf que j'ignore ce que sait l'ange exactement et que je n'ai pas spécialement envie de sauter à pieds joints dans le plat.

"A part ça, tout baigne ?"

Ouais on m'arrêtera jamais. Demander si tout baigne en étant au bord d'un lac ... haha. Ahem.

Je dois dire que le comportement de Mercy m’intrigue dans le sens où il m’intrigue encore plus que d’habitude, c’est dire s’il m’intrigue. Même ma légère tentative de ruse ne lui a fait non seulement ni chaud ni froid mais semble l’avoir bel et bien amusée.

"Tu m’as l’air très enjouée et on dirait que tu marches sur un petit nuage. On dit que les démons sont incapables d’éprouver de l’amour mais tu me donnes cette impression. Ca doit être à force de côtoyer les humains."

Dis-je avec un sourire en coin et c'est dit sur le ton du constat, non de la moquerie. Après tout, si les mortels sont influencés en bien ou en mal, mais hélas surtout en mal depuis la nuit des temps alors pourquoi pas l’inverse pour changer, même si ça ne me regarde pas. Ceci dit, je réponds à la question de la démone des croisements parce que même si elle a été posée sur le temps de l’humour, elle induit une autre question, à savoir "qu’est-ce qu’on fait ici ?" mais que Mercy ne pose pas du fait qu’elle doit en avoir une petite idée.

"Je ne saurais dire si tout baigne, c’est d’ailleurs pour ça que nous sommes ici. J’ai promis une plante unique à une sorcière qui m’a aidé à détruire une boite démoniaque. Il se trouve qu’elle n’a pas réclamé son du le moment venu. Je suis perplexe parce que tu n’aurais pas du pouvoir découvrir l’emplacement de la plante de félicité. Elle n’est pas dangereuse et avec du recul, la sorcière ne la méritait clairement pas."

Ce n’est pas comme si la plante contiendrait un ingrédient qui pourrait être létale mais ce n’est pas parce que ce n’est pas le cas que c’est sans conséquence pour tout humain qui serait en contact fréquent avec la plante, même en prenant le maximum de précautions. Je l'ignore tout comme je ne sais pas si la démone a impliqué un humain ou plusieurs d'entre eux mais le deuxième cas devrait être le cas vu comment tout a dégénéré rapidement en bas.

"Tu devais avoir quelqu'un de très costaud et d'efficace avec toi, probablement une créature sinon tu n'aurais pas pu résister au système défensif."

A priori un porteur de peau, toute autre créature aurait aggravé la situation au lieu d'aider mais l'odorat de cet allié n'a pu en aucun cas permettre de repérer la plante alors il reste le facteur humain en plus du facteur créature, l'un n'excluant pas l'autre.

L'impression que partage Jeliel concernant mon humeur et le fait de marcher sur un petit nuage me fait sourire, un grand sourire que j'adresse à l'ange en me disant qu'il ferait bien de se mater dans un miroir depuis un certain temps, même s'il est certes moins enjoué que moi, mais ça c'est habituel.

"Je suis hors norme, tu devrais le savoir depuis le temps qu'on se connaît."

Répondis-je sans plus de précision, après tout nous ne sommes pas là pour papoter de nos histoires de couples comme le feraient deux pimbêches réunies autour d'un mojito, la boisson préférée des pimbêches. Se pinter la gueule ouais mais à moindre calorie ! Ouais donc, je suis hors norme, peut-être parce que je suis une jeune démone, une vraie gamine à côté de Lou par exemple. Je ne m'estime ni supérieure aux autres démons, ni inférieure, je suis juste différente et le jour où on essaiera de me faire changer c'est pas compliqué, celui, celle ou ceux qui exigeront ce changement auront droit à un très grand sourire accompagné d'un bon gros doigt d'honneur en pleine face, quitte à en crever.

L'ange entre alors dans le vif du sujet, la plante félicité. Je ne peux m'empêcher de grimacer lorsqu'il dit que cette plante, il l'avait promise à une sorcière. J'ai même presque envie de faire semblant de vomir mais ça serait peut-être trop démonstratif, on a compris que je peux pas les blairer ouais, ces fouteuses de merde.

"Elle était sûrement trop occupée à se faire vénérer comme toutes les sorcières."

Dis-je afin de justifier le fait que la jeteuse de sort ne soit pas venu réclamer sa récompense. Personnellement, je n'imagine aucune autre raison.

"Costaud ouais, efficace ouais et surtout très motivé par un remerciement en nature et pas de ma part. Ouais j'y étais, je vais pas nier puisque tu le sais déjà. Par contre ta sorcière elle aurait pu faire gaffe, c'était le foutoir la dessous."

Je ne mentirai pas à Jeliel mais qu'il ne me demande pas de balancer le nom de Cassis parce que je ne le ferai pas non plus. Ceci dit, je doute qu'il exige son nom, comme il vient de le dire, cette plante n'est pas dangereuse.

"En tout cas, si ça peut t'éviter de te triturer les méninges à ce propos, sache que j'ai rien découvert du tout, je savais même pas qu'une telle plante existait, je n'ai fait qu'aider à la récupérer et c'était pas de la tarte. L'endroit était déjà corrompu à notre arrivée."

Enfin, c'était moins dur que d'avoir à supporter un guignol qui ne voulait clairement pas de ma présence lors de l'opération. Le pauvre, il a pas pu tripoter sa gonzesse pendant au moins plusieurs heures ! Choupinet. Encore que, de mémoire, il a quand même osé. Il a du me confondre avec un chandelier. Et puis je me souviens parfaitement que si les choses ont dégénérés, là dessous, ça n'était pas dû à notre seule présence. Je m'entends encore dire que c'était sûrement la faute d'un ou d'une touriste, j'aurais du penser à une sorcière tiens !

Je souris quand Mercy élude mon commentaire à sa façon et mon sourire quand elle renouvelle sa défiance envers les sorcières. Défiance, c’est le moins qu’on puisse dire mais il faut dire que la quasi totalité d’entre elles, si ce n’est la totalité mérite bien pire.

"Bien dit, beaucoup de vanité, d’ego pour au final pas grand-chose si ce n’est qu’elle seraient vraiment adorées si elles se retrouvaient dans un monde peuplé de bonobos et qu’elles ne verraient rapidement plus la différence avec des humains tellement trop de ces derniers ont la mentalité de bonobos. Surtout à Huntfield et ça concerne aussi pas mal de créatures."

Les bonobos, ces singes qui ne pensent qu’au sexe, voilà qui va fort bien en effet à tellement d’habitants de Huntfield mis au parfum du surnaturel. Ils sont ridicules. La suite des propos de la démone me confirme en partie ce qui s’est passé la dessous tout en m’apprenant quelque chose de difficilement prévisible.

"Je vois. La présence de la sorcière a du corrompre l’endroit et ce n’est pas de sa faute, pourtant notre présence a été courte mais quelques expirations ont du suffire à engendrer un bouleversement."

J’ai toutes les raisons de croire en la parole de Mercy, elle m’a suffisamment prouvée sa sincérité. D’ailleurs elle n’a pas à mentir, d’autant qu’elle protège le ou les personnes présentes avec elles ce jour-là.

"Si la plante a été extraite correctement, elle doit être toujours en vie. Si c’est le cas, il est possible que malgré toutes les précautions du monde, la plante de félicité affecte un être humain même si à priori il faudrait une circonstance exceptionnelle pour ça, sauf que j’ignore laquelle. On est en terrain inconnu."

Je suis à peu près sur que ce n’est pas une créature qui a extrait la plante. De sur, c’est un être humain doué en herboristerie et même très doué, avec du matériel coûteux pour détecter la plante puis aller la chercher puisque les démons ne peuvent ni repérer ces endroits ni s’y téléporter. Ca réduit le nombre d’humains potentiellement concernés parce que si la plante n’a aucun effet létal, je me doute du but de son utilisation avec la démone de la vengeance.

"Merci pour ces éclaircissements. Je t’offre un verre ?"

C'est une façon de parler puisque ce serait plutôt le contenu d’un verre, en principe alcoolisé, c'est plus festif et il en faut beaucoup pour que ça fasse effet sur un ange, un démon, puis ça ne fait effet pas longtemps.