John McFyger

Certains pourraient avancer que tout commença par un beau jour de décembre 1975… Et ils ne se tromperaient pas. Enfin pas vraiment. Car c’est bien ce jour-là que naquit John McFyger. Mais celui qui se tient en face de vous aujourd’hui n’est plus le même homme. En fait, il n’en est plus vraiment un du tout, d’Homme.

Tout commença donc dans les faubourgs de Pineland, petite ville de l’ouest du Texas traversée par la highway 96. Contrairement à ce que pourraient vous faire croire les séries télévisées, le Texas n’est pas que désert et rochers. A l’ouest, la végétation est toujours bien présente et les forêts recouvrent plusieurs centaines de miles carrés sans que l’on puisse croiser autre chose qu’un cerf ou un raton laveur. C’est dans ce coin perdu que John vit le jour, dans une famille tout ce qu’il y a de plus ordinaire : une mère femme au foyer et un père maçon, très porté sur la bouteille. Enfin, disons qu’il appréciait rentrer le soir, se poser à table pour manger et boire et que ni elle ni John n’avaient intérêt à broncher s’ils voulaient éviter les coups de ceinturon. Une vie banale, comme en vivent des dizaines de gosses en Amérique.

Alors qu’il allait fêter son sixième anniversaire, John partit à la chasse avec son père. Une récompense pour avoir atteint le stade de l’école primaire, sans doute. Toujours est-il qu’il se baladait dans les marais alors que Papa s’amusait à tirer sur tout ce qui bougeait, et il vit un chien de chasse couché au sol, comme s’il attendait un ordre pour se lancer à la poursuite des victimes d’Aaron Fyger. Intrigué, John lui ordonna d’aller chercher le cadavre du dernier canard en date, qui n’était d’ailleurs pas très loin de leur position. Le chien obéit, et John parvint à convaincre son père qu’il pourrait être utile de le ramener à la maison, pour les futures expéditions de chasse. Aaron accepta, un chien de chasse gratuit et sans propriétaire, c’était une aubaine à ne pas manquer.

C’est là que John trouva Max, un Beagle au nez fin et à l’instinct de chasseur infaillible. Quand ils partaient chasser entre hommes, le chien rapportait les canards que son père descendait à grands coups de fusils à pompe. Pas le meilleur moyen d’éviter la chevrotine dans les magrets me direz-vous, mais pour lui l’important était de tuer et de faire de son fils un homme, un vrai. John, quant à lui, était simplement heureux de se retrouver dehors avec son chien, qui semblait même par moments être capable de le comprendre. Quoi qu’il en soit, Max était devenu son plus proche compagnon, son confident et celui près duquel il se réfugiait quand Aaron, son père, devenait violent.

A l’école, il apprit à lire, à écrire, à compter, et à se battre. Pas facile de faire face aux élèves dont les parents ont l’argent pour leur acheter de nouveaux livres alors qu’on est obligé de les louer à la bibliothèque, de voir les nouveaux vêtements de marque et les belles voitures emmener Mike ou Sarah à l’école. Pour se défendre, il n’eut d’autre choix que de se faire une réputation ; et pas des meilleures. Bagarres, mauvaises notes, étaient les seules choses qui lui permettaient de garder une certaine forme de pouvoir, de pouvoir se faire respecter par d’autres. C’était tellement satisfaisant de voir le nez ensanglanté de Garrett alors qu’il l’avait traité de tous les noms auparavant. Voir la peur dans les yeux de ses adversaires, avant et après qu’ils ne reçoivent des coups était très amusant. Et avec un père qui les battait, il avait appris à frapper là où cela faisait mal et ne se gênait pas pour cela.

Rapidement, les autres enfants commencèrent à l’éviter, de peur de s’en prendre une, et être une fille ne protégeait pas les demoiselles de la raclée qu’elles méritaient pour s’être moquées de ses origines modestes. Il aimait se sentir plus fort que les autres, et ne craignait guère que les mauvaises notes des professeurs, car elles étaient généralement suivies par les réprimandes plus sévères de son père. Il apprit à courir vite et à se cacher longtemps. Et pendant tout ce temps, Max resta son meilleur et son plus fidèle ami, celui avec qui il faisait de longues balades, avec qui il pouvait jouer au ballon pendant des heures sans que l’animal ne s’en lasse. Il partageait tout avec lui, allant même parfois jusqu’à tester les croquettes de son ami pour voir si elles étaient bonnes, et lui en achetant d’autres avec le peu d’argent de poche qu’il recevait si le goût ne lui plaisait pas.

Mais un jour, alors que John tentait d’oublier la dernière raclée en date en tentant d’apprendre à Max à balancer un morceau de bois sur sa truffe, alors que le chien s’était jusque-là révélé plus intelligent que la moyenne, il se fit mordre. Sans raison apparente que le garçon put voir ou comprendre, le chien lui attrapa le bras et le mordit violemment. Il fut d’abord trop étonné pour se rendre complètement compte de ce qui venait de se produire.    

Car même si la morsure d’un chien peut vous paraitre banale, ce qui arriva ensuite à John le fut beaucoup moins. La douleur, oui, mais aussi ce qui le prit ensuite…

Quand on a huit ans, on croit encore aux super héros et aux méchants qu’ils combattent, et on accepte beaucoup mieux qu’un chien se transforme en homme, même si cela vous fiche la trouille de votre vie. Par contre, le fait de se faire mordre par son meilleur ami  peut vous rester en travers de la gorge très longtemps, même si selon les dires de l’assaillant, c’était nécessaire…

Il ne sut jamais vraiment pourquoi le porteur de peaux avait décidé de le transformer ; peut-être voulait-il un compagnon, un jeune élève qu’il pourrait former à sa guise pour devenir son bras droit, ou autre chose de farfelu. Toujours est-il qu’Aaron fit un excellent premier repas, John se régalant de l’adrénaline pulsant dans les veines et dans le cœur de son père, alors qu’un recoin de son esprit encore humain en était horrifié. Et encore plus quand Max attaqua sa mère pour en faire son propre repas. Mais il n’osa pas s’interposer entre Max et sa proie.

Cette image resterait gravée pour toujours dans son esprit ; le chien de chasse attaquant sa mère, et le fait qu’il pouvait tout aussi bien le tuer sans plus de raison que l’envie subite de sang. Il devrait devenir fort, assez fort pour pouvoir faire face à tous ceux qui auraient un jour l’idée de s’en prendre à lui et à ceux à qui il tenait. Mais pour l’instant, il devait attendre et faire profil bas.

Laissant derrière eux un carnage, il s’enfuit avec Max (en fait, ce n’était pas son vrai nom, mais cela n’a guère d’importance pour cette histoire…) dans le Park San Augustine, la forêt protégée où il pourrait apprendre ce que qu’il était devenu. Son compagnon lui apprit à trouver de la nourriture, et des campeurs isolés, afin qu’il sache aussi se débrouiller une fois qu’il serait en âge d’être laissé un peu sans surveillance.

Donc, John vécut une vie de nomade, suivant l’école de la vie plutôt que le cursus normal ; apprenant à cacher un cadavre et à maquiller un meurtre, à se rendre attirant pour des promeneurs égarés,… Bref, à survivre, aussi bien sur forme canine qu’humaine... Cela comprenait aussi des leçons de combat, à quatre pattes et à deux, des cours de pistage, et de self-control, même si ces derniers furent plus qu’ardus à suivre.

Il ne croisait presque personne mis à part pour son mentor, et ne prit pas la peine de se faire des amis, de toute façon, il allait devoir les tuer un jour ou l’autre. Il apprit à ignorer les cris et les larmes de ses victimes, et à tuer rapidement et silencieusement. Ensemble, les deux porteurs de peaux remontèrent lentement vers le nord, en prenant soin de rester dans des zones très peu peuplées, où la nature sauvage et un manque d’attention de la part des humains pourraient servir de fautifs pour expliquer leurs crimes.

Cela dura plusieurs années, un long périple à pied et à pattes, puis un jour, le Beagle décida que le Berger Allemand était capable de faire un bout de chemin tout seul, et lui resterait fidèle malgré tout. Il commença à laisser John seul pour des périodes de plus en plus longues, et ce dernier respectait les ordres donnés par son créateur, en ayant toujours en tête le massacre de sa famille quelques années plus tôt. Ce n’est que quand il eut quinze ans que son compagnon l’abandonna, et que John dut faire face seul au monde. « Max » lui avait parlé de la façon de procéder de ceux de sa race, s’insinuant dans une famille pour ensuite se retourner contre eux au signal d’un alpha. Il n’était pas franchement partisan de la chose, sachant l’effet que cela faisait d’être trahi par son meilleur ami ; mais il se garda bien d’en piper mot à son supérieur hiérarchique.  

Une fois seul, il se débrouilla comme il put, et plutôt pas trop mal, les jeunes chiots perdus ont l’art d’attirer les enfants, et ceux-ci les mènent en général à leurs parents. Il se déplaçait constamment, et le plus souvent à quatre pattes, plus discret pour voyager, et aussi plus confortable. On n’a moins froid avec une fourrure qu’avec des vêtements d’été alors qu’arrive l’automne.

Cette vie d’errance prit fin un jour, comme vous pouvez vous en douter. A force de courir les chemins, on finit forcément par se faire rattraper. Et ce qui l’attrapa par cette belle matinée d’automne ensoleillée, ce furent trois types arborant le logo officiel du refuge local sur leurs blousons bleus, et un vétérinaire armé d’un fusil à seringue hypodermique. Le temps qu’il réalise qu’il avait été touché, le tranquillisant commençait déjà à faire effet et les gardes du chenil n’eurent guère de mal à l’emprisonner. Impossible de se transformer devant eux sans laisser un carnage qui attirerait une attention malvenue, et à trois, armés de ces longs câbles métalliques étrangleurs fixés au bout d’un bâton et qui permettent à n’importe quel crétin d’attraper des animaux (ça fonctionnerait aussi pour des humains, s’ils y réfléchissaient deux secondes) en restant à distance respectable et ainsi d’éviter de se faire mordre, griffer; John n’avait aucune chance…

Chienne de vie…

Il se réveilla dans un refuge, un chien sans médaille, puce, ni tatouage. Mal parti, me direz-vous. Et effectivement, c’était juste après la haute saison touristique, l’époque où des centaines de citoyens respectables décident de partir en vacances et d’abandonner Médor parce que l’hôtel trois étoiles qu’ils ont réservé n’accepte pas les animaux de compagnie. A trois par cage, ce n’était pas très drôle. A trois par cage avec un idiot de Pitt Bull qui veut faire la loi et ne comprend pas qu’on se trouve au-dessus de lui dans la chaîne alimentaire, c’est carrément désespérant. John réagit donc aux incessantes provocations de Pitt en lui arrachant la gorge. Hors de question que l’autre ait l’ascendant et puisse lui voler sa gamelle et le meilleur coin de la cage juste parce que Môssieur était un chien réputé dangereux. Le chien méchant apprit ce jour-là qu’il y avait plus méchant que lui…

Malheureusement les types du refuge ne comprirent pas que dans la vie, il faut savoir se faire respecter. Tout ce qu’ils en retinrent, c’est que ce chien était dangereux et capable de tuer un Pitt Bull ombrageux. Il était devenu hors de question de le proposer à l’adoption, qui oserait confier une bête pareille à une famille avec des enfants ?

Le soir même, John se retrouvait en isolement dans une cage où il pouvait à peine se retourner, et le vétérinaire du centre était convoqué pour réaliser une euthanasie dans les jours qui suivraient. C’est drôle comme les humains ne se rendent pas compte que parfois les chiens peuvent très bien comprendre ce qu’on leur dit. Cette nuit-là, John décida donc de tenter le tout pour le tout et, après avoir vérifié la présence éventuelle d’une caméra dans la pièce (heureusement il n’y en avait pas) il se transforma en homme, dans cette cage bien trop exigüe. Il tenta de passer les doigts à travers le grillage serré pour atteindre le loquet, mais visiblement les gardes avaient décidé de lui ajouter un cadenas. Désespéré, il força comme il le put sur les barreaux, déforma sans parvenir à la détruire la petite cage qui était sa prison. Après plusieurs minutes de vains efforts, il reprit sa forme canine. Au moins il serait moins à l’étroit en attendant sa dernière chance de sortie. Les gardes seraient certainement très rapides, mais il devrait l’être plus encore, les tuer avant qu’ils n’aient pu lui injecter la dose de poison. Pour ne rien arranger, il commençait à avoir vraiment FAIM.

En voyant l’état de la cage de John, les autorités compétentes ne comprirent pas trop ce qui était arrivé, et décidèrent qu’il vaudrait mieux pour tout le monde que ce chien meure le plus vite possible. Heureusement pour lui, le vétérinaire était un homme fort occupé et ne pourrait venir le piquer que le lendemain. Pendant ce temps, John resta couché dans sa cage tordue, personne n’osant l’en sortir ; et ne reçut pas non plus à manger ni à boire. Après tout, pourquoi gaspiller de la nourriture pour une bête qui va mourir très bientôt ? Il était toujours en train de fixer la pendule murale d’un œil triste quand il entendit des voix dans le couloir.  

C’est alors qu’il la vit. Une demoiselle d’une vingtaine d’années en jean et blouson cuir, qui discutait avec celui qu’il avait appris à reconnaître comme le chef du refuge. Il expliquait qu’il y avait encore un dernier chien à voir, un mâle adulte agressif qui n’en avait plus pour très longtemps. Cela fit montrer les crocs à John, qui détestait déjà le type avant même qu’il ne signe son arrêt de mort. Peut-être fut-elle émue par cette histoire et ne fit pas vraiment attention aux dents et à la cage déformée qui lui servait de prison, ou bien avait-elle envie d’un chien de garde ; toujours est-il qu’après l’avoir examiné (et caressé le bout du museau, au grand dam de l’employé du chenil) elle décida de l’adopter lui et pas un autre.

Quelques longues minutes plus tard, John se retrouva donc avec un collier et une médaille, et une puce électronique. Il était déjà heureux que le refuge ne pratique plus les tatouages… Il se tint tranquille pendant les vaccins, et la lenteur de l’administration ; qui fit signer des papiers en trois exemplaires à la demoiselle. C’est ainsi qu’il apprit le nom de son sauveur, Abigaëlle Lidervaine. Lui apparemment s’appellerait désormais Jerry. Il aurait pu avoir pire comme surnom ; mais Rififi lui aurait tout aussi bien convenu si cela lui permettait de revoir la lumière du jour.  

C’est donc en laisse et muselé, les types du refuge avaient eu une peur bleue, qu’il la suivit jusqu’à sa demeure, un appartement.

La première chose qu’il fit cette nuit-là, ce fut de sortir en douce pour aller casser la graine dès qu’elle se fut endormie pour de bon, avant de revenir se lover au pied du lit de la jeune femme. Mais il ne parvenait pas à dormir, lui qui avait passé des années dans la nature la plus sauvage, pour être ensuite enfermé dans une cage trop petite. Il était devenu un peu claustrophobe ; et se contenta donc de la veiller. Peut-être le sommeil viendrait-il mieux en journée ?

En tous cas, il lui était reconnaissant de n’avoir pas eu peur de lui et de lui avoir donné une seconde chance. Il espère pouvoir un jour lui rendre la pareille, et peut-être, qui sait, lui avouer ce qu’il est vraiment ?