YULIA ─ she had them dancing shoes that never let her stay

Peut-être que tout vient de son héritage russe. Peut-être que dans son sang chantent les sirènes des grands espaces vides. Peut-être qu'elle est juste un un peu toquée dans sa tête.

Toujours est-il que ses pieds ont toujours voulu partir. Elle a marché très tôt. Elle a fugué très tôt aussi. Elle a été une enfant précoce en bien des aspects. Et toujours avec ce regard perdu, lointain.

Elle est partie de chez elle dès qu'elle a eu 16 ans, a réussi à avoir son permis un an et demi plus tard, et a passé les trois années suivantes à sillonner l'Amérique du Sud. Elle est revenue immunisée contre les coups de soleil, avec des firmaments dans les yeux et un tatouage.

Ses parents ont compris, avec le temps, qu'essayer de la retenir ne faisait que l'éloigner davantage. Yulia est un nuage, une brise, une apparition. Elle n'appartient à personne et personne ne lui appartient. Et si elle veut voyager, elle voyage. C'est comme ça qu'elle fonctionne, et c'est tout.

Elle revient au Bronx pour les anniversaires et le jour de l'an, mais le reste de l'année de ses 21 ans, elle le passe au Canada. Elle s'étale un jour dans la neige en se disant qu'elle pourrait disparaître, personne ne la retrouverait. Trop pâle.

Elle rentre aux Etats-Unis pour son vingt-deuxième anniversaire. Elle décide d'explorer son pays, avant de partir en Europe. Elle tombe amoureuse du Texas, pour ses champs qui s'étendent à perte de vue. Elle visite la Floride, puis le Nevada, puis les Montagnes Rocheuses. Elle visite le nord de la Californie, avant de se faire embaucher comme pianiste dans un groupe amateur de musique celtique, et leur dit adieu pas loin de Chicago. Puis, elle prends la route à pied.

Elle se fait prendre en stop par un camionneur timide qui mâchonne constamment une extrémité de plastique. Il écoute de la musique classique et elle lui dit de l'emmener au lieu de sa livraison et de la laisser là.

C'est comme ça, par hasard, qu'elle arrive à Huntfield. C'est une jolie ville post-industrielle aux façades fraîchement rénovées mais toujours un peu vieillottes. Yulia pose son sac dans un motel à 5 dollars la nuit, et se dit qu'elle va peut-être rester plus longtemps que prévu...