III.01 - Be careful (Feat Manakel)

Mon sac à dos solidement accroché à mes épaules et minutieusement sanglé à ma taille, je roulais à toute vitesse vers la maison, espérant arriver avant que les lourds nuages gris qui cachaient maintenant le soleil couchant se déversent sur Huntfield.  Depuis le début de l'été, j'avais pris la bonne habitude de sortir faire des courses en utilisant mes patins à roues alignées. Cela me faisait faire du sport en plus de me faire prendre un bon bol d'air estival.  L'été tirait à sa fin, je voulais en profiter au maximum avant que la neige et le froid recouvrent et paralysent toute la ville.  Étant une fan de vitesse et de sensations fortes, ce sport me permettait, en plus de garder la forme, de prendre mon pied en roulant rapidement grâce aux pentes légères qui menaient à mon domicile.  Il fallait juste ne pas regarder ailleurs ou être distraite par quelque chose ce qui, advenant le cas, risquait de me faire louper un petit caillou ou un défaut de la route et m'amènerait inévitablement à faire une chute douloureuse sur le bitume encore bouillant.

- J'arrive mon amour...

Je parlais toute seule, à voix haute, comme si mes mots avaient le pouvoir de s'envoler jusqu'à mon bien-aimé, atterrir doucement dans ses oreilles pour le rassurer et le prévenir de mon arrivée imminente.  

- Je t'aime, je t'aime...

Mon bras droit placé derrière mon dos, l'autre se balançant de gauche à droite afin de me garder en équilibre, je filais rapidement, le corps penché par en avant, quelques gouttes de sueurs roulant de chaque côté de mon visage. Il faisait chaud en cette fin de soirée collante et humide.  Les orages annoncés par le présentateur météo n'allaient très certainement pas tarder. D'ailleurs, j'entendais déjà quelques coups de tonnerre au loin, preuve de leur arrivée imminente.

- Plus vite Jess, plus vite...

J'augmentais le rythme, balançais plus fortement mon bras gauche, poussais plus solidement sur mes pieds pour gagner en vitesse. J'étais dans une partie droite de la route, une partie monotone à rouler mais qui était toutefois dotée d'un très beau paysage. Ma maison se trouvant en retrait de la ville, nichée au pied des montagnes non loin d'un magnifique parc, je pouvais admirer toute cette belle verdure qui défilait à mes côtés tout en cheminant allègrement.

J'avais accumulé une certaine vitesse lorsque qu'un cycliste me doubla rapidement, frôlant de me faire tomber par terre. Après avoir retrouvé un semblant d'équilibre, mon réflexe fut bien évidemment de lever les yeux vers l'individu afin de l'identifier ou du moins voir quelle tronche de connard il avait. Une idée loin d'être fantastique car ce que je vis me choqua au point de faire bondir violemment mon cœur dans ma poitrine et de rendre mon équilibre encore plus précaire qu'il ne l'était déjà.  Comme si ce n'était pas suffisant, j'entamais maintenant le début d'une longue mais douce pente ce qui avait pour conséquence d'augmenter à nouveau ma vitesse alors que je n'étais plus du tout solide sur mes jambes. Tandis que je luttais pour reprendre le contrôle de mon corps, l'homme qui m'avait dépassée se mit à ralentir pour mieux me fixer. Son visage mauvais armé d'un sourire carnassier me terrifia. Ce visage, je le connaissais très bien. C'était celui du fou qui nous avait kidnappés Logan et moi. C'était... c'était une vision absolument impossible!

- Non!

Le mot s'échappa avec force. Je la refusais, cette vision. Je refusais cette réalité. Pourtant, des paroles de Logan tournaient maintenant dans ma tête, alors qu'il m'avait dit avoir cru apercevoir Kierkan quelques jours auparavant. Des paroles qui confirmaient que je n'hallucinais peut-être pas, malheureusement. Mon cœur battait à tout rompre, ma tête cognait dur, mes yeux s'étaient embués. J'étais incapable de ralentir et je ne voyais presque plus rien tant la peur me serrait le ventre et la gorge. Évidemment, ce qui devait arriver arriva; en ne regardant pas attentivement où je roulais l'un de mes patins heurta un minuscule caillou et me fit définitivement perdre le peu d'équilibre qu'il me restait.  La chute fut dure, brutale et inévitable.  Tout mon corps fut projeté sur le bitume et roula un moment avant de finalement s'arrêter contre le rebord du trottoir. Au loin, le cycliste roulait, insouciant de l'accident qu'il venait de causer.

- Hmmpff...

Sonnée, je n'osais remuer par peur de m'être fracturé un ou des membres. Pourtant, il fallait bien que je bouge et que je fasse le compte-rendu de mon état afin de voir si j'étais apte à rentrer avec ou sans aide. Heureusement que j'avais mon téléphone cellulaire sur moi car les voisins ne pullulaient pas dans le coin...

Une éternité -une minute en réalité- s'écoula avant que je ne me décide à bouger. J'y allais doucement, en commençant par remuer mes doigts, puis mes orteils, mes poignets, mes bras et enfin mes jambes. Tout semblait fonctionner correctement, à mon très grand bonheur. Le seul hic était que mes genoux, mes coudes et la paume de mes mains étaient sévèrement écorchés pour avoir frotté longuement sur le chemin. De mes plaies s'échappait un peu de sang mais ce n'était rien de bien grave.

- Merde...

Ne me restait plus qu'à reprendre la route ou téléphoner à Logan pour qu'il vienne me chercher mais quand je pensais à l'homme à vélo, je n'étais pas certaine d'avoir envie de reprendre la route seule. J'avais peur, j'étais même terrifiée. Valait mieux téléphoner à mon amoureux pour qu'il vienne me chercher.  En tremblant, je fis donc glisser mon sac de mes épaules pour fouiller à l'intérieur et attraper mon téléphone. En moins de dix minutes, Logan serait à mes côtés et je pourrais recommencer à respirer.

Je m'apprêtais à téléphoner à Logan lorsque tout à coup un chien surgit de nulle part, avide de caresses et de tendresse. Il était beau et doux... et tout joyeux. Il me redonna aussitôt le sourire malgré la douleur qui commençait à poindre au niveau de mes genoux et de mes coudes.

- Heyyy... salut toi...

Je le caressais doucement, amusée par cette présence tout à fait inattendue. Comme mes paumes étaient écorchées et quelque peu sanglantes, je prenais gare de ne pas souiller son pelage brillant et soyeux. Je laissais donc glisser mes doigts tout doucement en ne me servant que de leur extrémité. Le chien -la chienne, plutôt- était affectueuse et calme. Elle me donnait l'impression de s'inquiéter pour moi. C'était étrange mais amusant.

- Je vais bien ne t'inquiète pas.

Afin de poursuivre mes caresses, j'avais déposé mon téléphone sur mes genoux. Ainsi je pouvais la grattouiller derrière les oreilles et la laisser me sentir à sa guise et même me lécher le bout du nez. En aucun temps, depuis son arrivée, je n'avais remarqué que l'animal était accompagné d'un homme. Ce dernier apparut dans mon champs de vision quelques secondes après l'arrivée de la chienne. Aussitôt, ma figure changea d'humeur pour passer de l'amusement au sérieux. Cet homme, je ne le connaissais pas et après ce qui venait de se passer, nul besoin de mentionner que j'étais devenue très méfiante. À l'aveuglette, ma main droite retrouva rapidement mon téléphone. Je devais vite contacter Logan pour qu'il vienne me chercher et qu'il me ramène à la maison. J'allais d'ailleurs composer notre numéro lorsque l'individu s'abaissa à mon niveau, visiblement soucieux de mon piteux état.

- Ça va oui, ça va aller merci. C'est juste une mauvaise chute. Rien de cassé.

Causée par un connard qui ressemble à deux gouttes d'eau à un fou furieux que j'ai assassiné mais ça vous n'avez pas besoin de le savoir...

L'étranger paraissait inquiet et semblait éprouver le besoin profond de me porter secours. C'était bien aimable à lui mais je n'avais pas véritablement envie de me laisser toucher par un pur inconnu, évidemment à cause de toutes les péripéties vécues au cours de la dernière année et plus particulièrement lorsque je songeait au cycliste fou qui m'avait sauvagement doublée.

- Non, non ça va je... Ouille!

Il m'avait délicatement soulevée afin de me remettre sur pieds dans le but de m'écarter du chemin et difficilement je l'avais suivi en m'accrochant à lui, mon téléphone encore dans une main, l'autre solidement refermée sur son chandail. Maintenant dans le gazon, mes patins n'avaient plus la capacité de rouler. Je pouvais par conséquent demeurer facilement debout sans devoir lutter contre des roulettes avides de bitume en pente. Cela ne m'empêchait toutefois pas de grimacer sous la douleur. Ce n'était pas un mal puissant qui ondoyait de mes blessures mais plutôt un picotement énervant et une sensation de brûlure agaçante. Cela ne me plaisait pas particulièrement, bien entendu, mais c'était largement mieux que de souffrir de fractures...

Les petits désagréments que je ressentais s'estompèrent comme par magie dès que ma tête se déposa contre le cœur de l'homme. À ce moment une réaction tout à fait inattendue se produisit, apportant avec elle un bien-être incommensurable et une paix intérieure chaude et enveloppante. Là, tout de suite, j'étais calme et détendue. Ma main restait agrippée à l'homme et mes yeux s'étaient fermés comme pour m'aider à me laisser aller et me laisser bercer par les doux touchers de celui qui me tenait tendrement contre lui. Je m'avouais incapable de déterminer ce qui était en train de se passer mais je savais hors de tout doute que celui qui s'était dévoué à m'aider était pourvu des plus belles attentions qui soient. Étrangement, il me faisait penser à Logan. Ce n'est que lorsque les picotements et brûlures que je ressentais disparurent que je su réellement à qui j'avais affaire.

- Kieran...? Est-ce que c'est toi...?

La douleur était partie. L'ange l'avait éliminée avec une facilité déconcertante, de la même manière que lorsque Kieran était venu me sauver la vie alors qu'Isaac m'avait laissée pour morte, clouée au plancher du bar dans lequel je bossais à l'époque. Pourtant, quelque chose me disait que ce n'était pas lui. Pas seulement parce que son véhicule était différent mais aussi parce qu'il ne s'exprimait pas de la même manière.

- Je vais bien... je vais même très bien...

Je gardais mes yeux fermés pour davantage de relaxation. Non loin de nous se baladait la chienne qui frôlait nos jambes de son museau frais et humide, les fouettait parfois avec sa queue toute douce ou les effleurait de tout son corps en effectuant un énième cercle en tournant en rond autour de nous.

- Merci... merci beaucoup...

Pas besoin de voir le résultat de mes yeux, il se ressentait facilement puisque plus aucun désagrément n'existait. Je savais qu'il n'y avait plus rien, plus de coupure, plus d'écorchures, plus de sang. Les douces caresses de mon sauveur avaient tout effacé.

- Qui êtes-vous...?

Car apparemment ce n'était pas Kieran. Cet homme, enfin cet ange était le deuxième que je croisais au cours de mon existence. Il était aussi doux et bienveillant que Kieran, que je n'avais jamais revu depuis mon sauvetage. Peut-être... peut-être que cet envoyé de Dieu était en mesure de communiquer avec lui et me donner de ses nouvelles...? Car je m'en faisais pour lui, n'ayant eu aucun signe de sa part alors qu'il avait promis de veiller sur moi. Peut-être que Kieran l'avait envoyé pour me venir en aide...?

- Est-ce Kieran qui vous envoie? Ou bien cette rencontre est-elle un pur hasard...?

Je restais blottit contre lui, étrangement incapable de m'en détacher. Pourtant, tout mon corps et mon être réclamaient Logan. C'était une sensation étrange qui me perturbait grandement car j'étais continuellement déchirée entre l'envie de partir rejoindre l'homme de ma vie et rester blottie contre cet ange étranger qui ne m'apportait que du bien.

- À moins qu'on se soit déjà rencontré quelque part...? Si c'est le cas, je suis désolée de ne pas me souvenir de vous...

J'avais évidemment conscience du fait que de grandes surprises pouvaient éclore dans l'existence en devenant les fruits du hasard, mais j'étais malgré tout étonné de son action du jour, en me faisant retrouver Jessica, cette douce créature que j'avais rencontrée alors qu'elle n'était encore qu'une si jeune petite chose, incapable de se souvenir de moi. Mes souvenirs la concernant étaient intacts. Rien qu'en ayant conscience que j'étais en sa présence, tout m'était revenu en mémoire et tout expliquait à quel point je me sentais proche d'elle. Après tout, je l'avais été, à l'époque...même si mon véhicule n'était pas du tout celui que je possédais aujourd'hui, mais la proximité était encore là, dans ma tête...intacte même après toutes ces années.

Le fait de la tenir tout contre moi me ramenait directement à l'époque où j'avais rencontré Jessica, et ces instants où je l'avais tenue dans mes bras. Un lien très étrange existait entre moi et Jessica, une sorte d'attirance me donnant envie de l'aider et de la protéger à tout prix. C'était simple, il suffisait de voir à quel point je prenais soin d'elle. Elle n'était pas une mission, une de ces âmes perdues que je devais protéger, mais je voulais pourtant prendre soin d'elle. C'était d'une importance majeure à mes yeux...une importance que je ne pouvais pas clairement expliquer.

Même si les blessures de Jessica n'avaient été que superficielles, elles étaient à présent parfaitement guéries. Malgré ce fait, je continuais à la tenir ainsi, tout contre moi. Cela me calmait et je sentais que cela fonctionnait également sur Jessica, alors je n'allais pas interrompre les effets bénéfiques de mon action. Elle n'était certes plus cette petite fille que j'avais tenue dans mes bras par le passé, mais je ressentais toujours la même chose pour elle. Même si les années avaient passé, ce fait n'avait absolument pas changé.

Une fois ses blessures guéries, Jessica employa le prénom Kieran, le nom d'un autre ange. Elle avait du faire une autre rencontre angélique avant moi. Au moins, cela prouvait que quelqu'un veillait sur elle...

- Je ne suis certes pas Kieran, mais je suis du même camp que lui, je vous l'assure.

Je la scrutais encore, soucieux. Je ne pouvais pas l'expliquer, mais j'avais toujours peur pour elle, même si elle semblait aller bien.

- Il ne m'a pas envoyé vers vous, loin de là. Ce qui a permis notre rencontre n'est autre que le hasard et rien d'autre. J'ai entendu le bruit de votre chute, la chienne s'est précipitée vers vous et je l'ai suivie, pour vous aider. Cette rencontre n'était pas préméditée du tout. J'étais là, et vous étiez là...n'importe quelle rencontre parvient à débuter comme cela.

Le fruit du hasard avait été quand même bénéfique, en me menant jusqu'à Jessica. En effet, j'aurais très bien pu tomber sur n'importe qui d'autre.

- Je m'appelle Manakel...

Elle me dit tout d'un coup une phrase, à laquelle je ne m'attendais pas, en évoquant le fait qu'une rencontre entre nous deux avait pu déjà avoir lieu par le passé, et qu'elle ne s'en souvenait peut-être pas. Jessica avait dit la vérité, sans réellement le savoir.

- On s'est déjà rencontrés tous les deux, par le passé, mais c'était il y a longtemps...je n'avais pas le même véhicule qu'aujourd'hui.

Après une maigre pause, j'ajoutais un détail, le plus importants des détails, alors que je continuais toujours à l'apaiser, tout doucement.

- Je t'ai tenue dans mes bras, alors que tu étais encore toute petite. Tu pleurais, et il était impossible de te calmer. Dans mes bras, c'était comme miraculeux, car plus aucune larme ne coulait.

Dans mon discours, j'avais osé la tutoyer, non pas par manque de respect, mais parce que je la connaissais, et que je me voyais mal continuer à la vouvoyer comme une inconnue. Elle était loin d'être une inconnue à mes yeux.

- C'est la dernière fois que je t'ai vue avant le hasard qui nous a réunis aujourd'hui.

Pressée contre l'ange je respirais doucement, calme et apaisée. Il était étrange de dire que cet être céleste m'apportait les mêmes bienfaits que lorsque Logan me tenait tout contre lui. Cette idée m'était difficile à accepter et pourtant je ne pouvais la renier. Je me sentais réellement bien et protégée ainsi blottie dans ses bras. Je n'avais même pas envie de m'éloigner pour chercher à retrouver mon bien-aimé. Quelque chose d'extrêmement puissant me reliait à l'ange, quelque chose qui m'était étrangement familier et merveilleusement réconfortant. Mon esprit fouillait avec insistance ma mémoire afin de retrouver où et quand cette agréable sensation avait eue lieu auparavant mais ne parvenait à rien de concluant. Pourtant, je savais sincèrement qu'une rencontre du genre s'était déjà produite par le passé et ce, à plus d'une reprise. J'en étais même convaincue. Maintenant était-ce en rêve ou en réalité? J'étais incapable de le déterminer. Kieran n'était pas celui qui me tenait délicatement tout contre lui. Il n'était pas non plus celui qui avait envoyé cet ange à mon secours. Notre rencontre était tout ce qu'il y avait de plus hasardeux et j'en remerciais le ciel car je me sentais protégée. L'hallucination de Kazran m'avait fichue une peur de tous les diables alors de me savoir entre les mains d'un ange provenant du même camp que celui qui m'avait pratiquement ramenée à la vie était excessivement rassurant.

Lorsque l'ange se nomma et affirma m'avoir déjà rencontrée et consolée, mon cœur fit un bond violent dans ma poitrine et mes jambes flanchèrent soudainement. Ce prénom, je le connaissais pour l'avoir à maintes et maintes reprises murmuré lorsque j'étais enfant. Ce prénom était nul autre que celui de mon ami imaginaire que j'avais fini par chasser à force de me faire dire par mes parents que ça n'existait pas, de tels amis mais aussi à force de me faire dire par mes camarades que j'étais une pure cinglée.

- Je n'étais pas folle alors...

Les larmes roulaient sur mes joues tandis que je me remémorais avec douceur certains moments de mon enfance passés avec Manakel.

- J'avais un ange pour prendre soin de moi et je l'ai chassé... je t'ai dit de partir parce que je te croyais irréel... je te prenais pour un ami imaginaire... alors que tu étais là pour de vrai...

Cette scène, je m'en rappelais douloureusement. Je devais avoir six ou sept ans lorsqu'un soir je m'étais emportée contre Manakel, lui hurlant de me laisser et de ne plus jamais revenir. Je me rappelais avoir tapé du pied, l'avoir bousculé puis lui avoir crié, en larmes, de disparaître pour toujours. Je me rappelais à quel point mon cœur s'était fendu en deux lorsqu'il s'était évaporé comme je me rappelais du vide que son absence avait causé suite à son départ définitif.

- Et pourtant tu étais réel... tu me berçais tendrement... tu me consolais, tu prenais soin de moi... dans tes bras j'étais bien, j'étais en sécurité... tu me protégeais tout le temps... je t'aimais tellement...

Je pleurais doucement, ma main toujours fermement agrippée à lui mais lentement, très lentement elle se décrispait, désireuse de faire autre chose de bien plus beaux et bien plus doux. Avec les secondes elle se relevait paisiblement pour ensuite redescendre calmement vers Manakel et l'effleurer avec beaucoup, beaucoup de tendresse.

- Pardon... pardon...

J'avais fermé les yeux et une petite mais brève hésitation j'avais fini par me presser contre lui, m'abandonnant totalement à ses douces et tendres attentions.

- Je me rappelle la dernière fois que je t'ai vu... J'avais fait un cauchemar et mes cris m'avaient tirée du sommeil. En panique, j'étais tombée par terre et je m'étais cogné la tête contre le coin de la table de chevet. Je pleurais beaucoup. Je me rappelle m'être levée, ma poupée dans une main.  Je me rappelle aussi que je portais une chemise de nuit blanche avec des petites bretelles en dentelle... et qu'en me relevant du sang était tombé dessus... du sang de ma plaie au front. Et puis... je t'ai appelé tout doucement... et tu es apparu... et tu m'as soignée, bercée, aimée... j'étais si bien!  Mais je me suis souvenue combien mes camarades m'avaient ridiculisée à l'école la veille quand je leur avait parlé de toi et je t'ai dit de partir et de ne plus jamais revenir... et tu l'as fait... Tu l'as fait Manakel...

Je continuais de le caresser avec beaucoup de délicatesse, le cœur brisé.

- J'ai fini par me dire, avec le temps, que tu n'avais jamais existé et voilà qu'aujourd'hui, par un pur hasard tu réapparais pour encore une fois me protéger...

Ma tête remua doucement afin que je puisse plonger mes yeux dans les siens.

- Je ne veux plus que tu partes... Je te demande pardon... Pardon Manakel, pardon...

À l'époque, ma mission angélique n'avait concerné que les parents de Jessica, qui étaient les personnes que je devais sauver, mais ce qui s'était passé avait été évidemment bien plus puissant que la mission en elle-même. Je m'étais carrément incrusté dans la vie d'une petite fille, alors que rien ne l'exigeait, me sentant proche d'elle à un niveau que je n'avais jamais connu jusqu'à ce jour-là. Tout mon être ne demandait qu'à veiller sur elle et la protéger de tous les dangers. En un éclair, Jessica était devenue MA mission, celle que personne ne m'avait confié, mais que je m'étais confié par moi-même. Elle n'était qu'une petite fille à ce moment-là mais elle avait su dépasser tous mes critères d'importance, pour s'ancrer dans mon esprit comme une priorité. Jessica était sous ma protection. J'avais veillé sur elle, je l'avais protégée mais également soignée et consolée. Elle était importante pour moi, et je le montrais bien. Avant elle, j'avais je n'avais dédié autant d'énergie à la protection d'une personne, surtout lorsque cette dernière ne faisait aucunement l'objet d'une mission. C'était ce qui la rendait spéciale.

Évidemment, ma présence n'était effective que pour Jessica et non pour ses parents. J'avais en effet conservé le véhicule sous lequel ils m'avaient connu, et s'ils m'avaient surpris avec leur fille, ils auraient trouvé cela très étrange. Je ne me montrais par conséquent que lorsque Jessica était seule. Ce fait m'avait donné le statut d'ami imaginaire auprès de beaucoup de membres de son entourage. Je n'étais qu'une image de l'imagination débordante d'une petite fille. Jessica savait que j'étais réelle, mais tout le monde autour d'elle voulait la persuader du contraire. Cette influence fut évidemment la cause de mon départ. Elle m'avait chassée, comme l'ami imaginaire que j'étais normalement censé être, me sommant ainsi de ne plus revenir auprès d'elle. Avais-je respecté sa décision ? Bien sûr, je n'étais pas allé contre cela, même si au fond de moi un certain vide s'était généré. En même temps, j'avais tellement côtoyé Jessica que l'idée de ne plus veiller sur elle comme avant me semblait inconcevable. Malheureusement j'avais du m'y faire, car Jessica ne voulait plus de moi. J'étais alors parti, pour poursuivre ma vie d'ange, entre les missions et tout le reste.

La retrouver aujourd'hui, par un pur hasard, était une surprise à laquelle je ne m'étais pas attendue. Jessica était devenue une femme, mais je percevais toujours en elle l'image de cette petite fille sur laquelle j'avais veillé pendant toutes ces années, et cette envie de la protéger était restée elle aussi parfaitement intacte. La guérir, même si ses blessures n'étaient pas si graves, avait été une sorte de réflexe, un réflexe que j'avais jugé parfaitement normal et qui m'avait étonnamment apaisé. Retrouver ma protégée était en quelque sorte une libération. Cela avait ramené en moi une partie de mon être que j'avais perdue depuis des années, au moment où je l'avais laissée. En retrouvant Jessica, mon être s'était complété comme avant. Cette rencontre était plus que salutaire.

Je la caressais, délicatement, en lui parlant toujours avec autant de douceur.

- Je suis désolé qu'ils t'aient faite passer pour une cinglée en disant que ma présence n'était pas réelle. J'aurais aimé faire quelque chose pour les contredire...surtout que je sais à quel point ça t'a fait du mal, ces moqueries et ces méchantes allusions...

Je continuais mon discours, tout doucement...en conservant toujours la même cadence pour mes caresses.

- Tu étais ma mission personnelle Jessica. Personne ne m'a chargé de te surveiller ou de te protéger, c'est une priorité que je me suis moi-même imposée. Au départ, je devais veiller sur tes parents, et je l'ai fait, mais c'est toi qui m'a attiré. Tout mon être voulait te protéger...mais je devais cacher ma présence, car j'avais encore le même véhicule que lorsque j'avais du veiller sur tes parents, et s'ils m'avaient découvert ils l'auraient sans doute mal pris...alors c'est pour cette raison que j'apparaissais toujours quand tu étais seule.

Je ne la lâchais toujours pas. Les minutes passaient mais on restait toujours l'un contre l'autre, comme inséparables, et j'aimais cette position.

- Tu n'as pas à t'excuser pour m'avoir chassé. C'est au contraire moi qui doit le faire pour toutes les moqueries et méchancetés que le secret de ma présence a pu te faire subir. lui dis-je avant d'ajouter ceci : Le fait de t'avoir retrouvée complète cette partie de mon être que j'avais perdue en te laissant. Je suis content aussi...que tu parviennes à te souvenir de moi, même après toutes ces années.

Il était hors de question pour moi de laisser tomber, surtout après l'avoir perdue si longtemps. Maintenant que je l'avais retrouvée, ma mission recommençait et n'allait plus trouver de terme. Si Jessica m'acceptait dans sa vie, j'allais veiller sur elle, car mon être ne désirait que cela.

- Jamais je ne pourrais te laisser tomber de nouveau...jamais...

Décrire comment je me sentais, blottie tout contre Manakel, était assez laborieux puisque plusieurs émotions et sentiments me traversaient de parts et d'autres. Tout d'abord il y avait les sensations positives, celles qui me berçaient de douceur, qui faisaient battre mon cœur, qui m'apaisaient et me rassuraient. Parmi elles se trouvaient le bonheur d'avoir retrouvé un ami très cher, l'impression de se sentir aimée et protégée, l'impression que tout allait toujours bien se passer et que plus rien de mauvais n'allait arriver. Malheureusement, comme mentionné plus haut, se trouvaient également des sensations plus sombres comme le regret et la culpabilité d'avoir chassé Manakel, ainsi que la peur de l'avoir blessé. Je me trouvais égoïste de l'avoir chassé uniquement parce que des gamins m'avaient intimidée étant plus jeune. Je me trouvais stupide de ne pas avoir vu plus loin que le bout de mon nez, de ne pas avoir compris qui il était et pourquoi il apparaissait à chaque fois que j'avais besoin de lui... mais j'étais jeune, à l'époque. J'étais une fillette qui aimait les contes de fées et qui adorait jouer à la poupée. Je n'étais pas en âge de comprendre ce qu'était un ange. Manakel avait toujours été un ami imaginaire avec des pouvoirs spéciaux. À ce moment, mes yeux, ma tête et mon cœur de petite fille ne pouvaient pas comprendre ni concevoir qu'il était un envoyé de Dieu venu sur Terre pour lutter contre Lucifer et protéger la race humaine...

- C'est vrai, que ces moqueries m'ont fait très mal mais pour tout t'avouer ce n'est rien comparé à la douleur qui a suivi après ton départ... Je pourrais même te dire que plusieurs mois suite à cet événement je souffrais toujours de ton absence...

Me rappeler de tout ça n'était pas très agréable. Mes souvenirs étaient flous mais pas inexistants et ils étaient assez forts pour avoir le mérite de me retourner et d'humidifier mes yeux sans toutefois laisser des larmes s'en échapper.

- Quand ça a fait un an, je me suis mise à commencer à douter que tu avais réellement existé. Après deux ans, je n'y pensais pratiquement plus et avec les années, j'ai fini par ne plus y songer... Jusqu'à aujourd'hui... Ton nom a fait jaillir tout un flot de souvenirs... de souvenirs si beaux et si doux...  Manakel... je me sens tellement bien dans tes bras... Ils me rappellent à quel point tu prenais soin de moi, à quel point tu m'aimais...  Si j'avais su... si seulement j'avais su que j'étais ta mission personnelle, si je n'avais pas été aussi stupide je ne t'aurais pas chassé et tu serais resté pour continuer de veiller sur moi... pour me progéter de tant de dangers, de tant d'horreurs... et tu n'aurais pas eu cette sensation de ne plus être complet... mais je comprends que tu ne pouvais rien dire et je suppose que de toute manière je n'aurais rien compris... j'étais bien trop jeune...

Ma main le caressait doucement, timide mais présente. Ma bouche n'émettait que des "si" des "si" et encore des "si", je devais changer de discourt et tourner la page. Le passé était le passé, je me devais de regarder vers l'avenir et apprécier la douce et belle présence de Manakel... et peut-être en profiter pour mettre certaines choses au clair en ce qui avait trait aux anges...

- Manakel... est-ce que si je t'appelle tu vas toujours venir?

Je pensais à Kieran que je n'avais jamais revu suite à son intervention au bar... Est-ce que ça allait faire la même chose avec Manakel?

- Est-ce que si j'ai besoin de toi tu seras là pour moi? J'ai rencontré un ange il y a un an de cela... il m'a sauvé la vie mais je ne l'ai jamais revu et Dieu sait que j'aurais eu besoin de lui très très souvent... Manakel, j'ai découvert l'existence de différentes créatures et j'ai appris qu'elles ne sont pas toutes du côté du bien...

Je pensais à Isaac, entre autre...

- De qui ou de quoi est-ce que tu protégeais mes parents? Des démons? J'aimerais comprendre pourquoi tu devais veiller sur eux...

Je restais blottie tout contre lui, apaisée, heureuse.

- Dis-moi que je ne suis pas en train de rêver et que tout ceci est réel...

Avant de rencontrer Jessica, je ne m'étais jamais autant attaché à une personne, surtout au point de l'élever au rang de mission personnelle. Pourtant, tout mon être s'était senti comme attiré par elle. Ma mission concernait au départ ses parents, mais Jessica m'intéressait encore plus qu'eux, au point que l'envie de veiller sur elle apparaisse comme une évidence. Je m'étais certes attaché à la Terre et à la race humaine, mais mon attachement envers Jessica était bien plus fort que ces deux-là. Un lien spécial, que personne ne pourrait comprendre, m'unissait à Jessica. Sans ce lien, l'existence avait moins de saveur et mon être se retrouvait incomplet. C'était ce que j'avais vécu, en la perdant par le passé. Une partie de mon être s'était envolé et je n'avais jamais pu la récupérer. Maintenant qu'un heureux hasard avait ramené Jessica dans mon existence, les parties brisées de mon être avaient enfin l'occasion de se recoller. Rien que le fait de pouvoir la tenir de nouveau dans mes bras complétait de nouveau mon être. Je me sentais de nouveau pleinement moi-même. Le vrai Manakel était en train de renaître grâce à Jessica. Elle ne s'en rendait très certainement pas compte, mais le fait d'avoir pu la retrouver avait un effet magnifique sur moi. Cela m'illuminait d'une façon étonnante. C'était Jessica...c'était ma mission personnelle. Si je la perdais, elle me brisait, mais quand je la retrouvais, j'étais plus fort. C'était le côté double tranchant de la plus forte attache que je possédais.

Je caressais Jessica, délicatement, en ayant parfaitement conscience que ce geste l’apaisait autant que cela m'apaisait, tout en poursuivant mes paroles.

- On a été éloignés si longtemps... commençais-je à dire avant d'enchaîner sur la conviction suivante : Maintenant c'est fini...il n'est plus question que je t'abandonne Jessica...plus question. Tu es la plus forte attache qui me relie à cette Terre, vraiment la plus forte. Je ne pourrais jamais te laisser tomber...jamais...

J'étais tout simplement incapable d'abandonner Jessica alors que je venais de la retrouver. C'était juste quelque chose d'impossible.

- Être éloigné de toi...c'est au dessus de mes forces...

Il n'y avait pas plus sincère parole que celle que je venais de dire.

- Si tu m'appelles...si tu as vraiment besoin de moi, sache que je viendrais. dis-je avant d'ajouter ceci : Je me battrai pour venir...même si les pires horreurs m'arrivent. Si le contraire se produit...tu sais très bien ce que ça me fera, et tu sais très bien que je n'aurais pas choisi de ne pas venir. Je ne peux pas délibérément t'abandonner...je ne peux pas.

Cela s'entendait dans ma voix que je pensais sincèrement ce que je disais. Même après tout ce temps, Jessica restait ma mission personnelle, alors il n'était pas question de l'abandonner. Nous avions été éloignés suffisamment de temps comme ça...

Plus tard vint la question importante, au sujet des parents de Jessica. Je comprenais pourquoi elle me la posait, surtout qu'après tout ce temps je lui devais la vérité.

- À la base, je suis un ange qui guide les âmes perdues, pour éviter qu'elles ne basculent vers un chemin capable de mener vers leur perte. Ma mission auprès de tes parents était différente. Tes parents n'allaient en effet pas se perdre, mais leurs vies étaient en danger quand même. Je devais empêcher leur mort, car leur heure n'était pas venue. Si je me suis infiltré auprès d'eux, c'était pour les dévier de ce qui allait les tuer, en l’occurrence la personne qui allait les tuer, une âme qui s'est perdue et que personne n'a pu se sauver. Normalement, si je ne les avais pas occupés à autre chose, tes parents auraient été sur le chemin de cette personne et se seraient trouvés au mauvais endroit au mauvais moment, alors que leur heure n'était pas venue. Je devais me charger de tes parents, pendant que quelqu'un d'autre se chargeait de l'âme perdue. Voilà, tu sais tout... dis-je en continuant de la caresser. Je n'ai pas compris pourquoi on m'a demandé de sortir de mon chemin habituel, car en théorie j'aurais du me charger de l'âme perdue à la place de ma collègue qui a du le faire, mais ces événements resteront à jamais graver dans ma mémoire. C'est grâce à cela que je t'ai rencontrée...et grâce à cela qu'on se retrouve aujourd'hui, dans cette douce réalité.

Une force puissante et douce à la fois me gardait collée à Manakel. Je n'avais absolument aucune envie de m'éloigner de lui. Dans ses bras, je me sentais protégée et aimée. C'était un doux sentiment qui s'apparentait à celui que je ressentais lorsque je me retrouvais dans les bras de Logan alors je ne pouvais que flotter et me laisser aller. J'avais totalement confiance en Manakel. J'avais autant confiance en lui que j'avais confiance en Logan. Même si nous nous étions perdus pendant plusieurs années, je ne ressentais aucune gêne, aucun malaise. C'était comme si nous ne nous étions jamais perdus de vue, comme s'il était resté à mes côtés, comme s'il n'était jamais partit.

- Manakel...

Je m'arrêtais, incapable de poursuivre. Ma gorge était serrée par l'émotion. Retrouver mon ami et apprendre qu'il était un ange m'apportait un bien-être que je n'étais pas capable de qualifier. J'avais la sensation que tous mes problèmes, tous mes soucis et toutes mes peurs s'effaçaient sous ses caresses. C'était extrêmement apaisant et réconfortant. Comment ne pas se sentir aimée lorsqu'on se faisait murmurer être la plus forte attache d'un ange...?

- Reste avec moi alors... car te perdre à nouveau... c'est au-dessus de mes forces à moi aussi...

Manakel dégageait une aura de protection si puissante que je me sentais comme avalée pas son corps, par ses bras qui me gardaient pressée contre son torse. C'était comme si j'étais enfermée dans un cocon douillet et chaud qui m'engourdissait, me ramollissait, me berçait. J'étais si bien que je n'avais pratiquement plus le courage de remuer. Tout ce que je faisais était simplement de me laisser gâter, de me laisser aimer. Manakel effaçait toute peur se terrant dans mon cœur. Il veillait sur moi et continuerait de le faire à jamais. Je pouvais le faire venir quand je le souhaitais, à chaque fois il répondrait présent. Tant qu'il le pourrait.

Je continuais de le caresser doucement, les yeux fermés. J'écoutais ses explications à propos de mes parents qu'il avait si gentiment guidés afin de les empêcher de croiser la route d'un fou qui les aurait possiblement tués. J'étais heureuse de l'apprendre, j'étais heureuse de savoir qu'ils avaient été protégés pendant toutes ces années. Ce que Manakel me chuchotait me touchait profondément et je ne pouvais que lui en être reconnaissante.

- Merci pour tout ce que tu as fait pour ma famille. Merci beaucoup, j'aimerais tant pouvoir te le rendre avec autant de puissance... mais je n'ai que des "mercis" et rien d'autre.

Je me demandais s'il avait revu mes parents depuis que je l'avais chassé...

- Mes parents sont décédés il y a tout juste un an. Ils ont été torturés par un démon... un démon qui en avait après moi.

Pour ne pas pleurer je me mordillais la lèvre, sourcils froncés.

- Je les ai quittés brutalement... je suis partie contre leur gré... et ça m'a mis en froid avec eux... et je ne leur ai plus reparlé... Ça a duré des années, jusqu'à ce que ce démon entre dans ma vie et me fasse du mal... et qu'il les assassine sauvagement. J'allais les recontacter, je voulais les revoir, je voulais leur dire que j'allais bien et que j'avais rencontré un homme merveilleux... mais je n'ai pas eu le temps de le faire... et ils sont partis avant que cette stupide querelle soit chose du passé. Je n'ai pas pu leur dire au revoir. Je n'ai pas pu leur dire que je m'excusais, que j'étais désolée et que je les aimais...

Je pleurais maintenant, incapable de me retenir.

- Il m'a envoyé leur tête dans des boites, bien enfouies dans de la paille. J'ai cru que j'allais mourir tellement la surprise et la peine ont été grandes... et depuis ce jour je n'arrête pas de me dire que tout est de ma faute et que si j'étais restée avec eux rien de tout ceci ne serait arrivé.  Mais si j'avais fait ça, je n'aurais jamais rencontré l'homme de ma vie... celui pour qui mon cœur battra toujours... la personne la plus importante et la plus chère à mes yeux... mon Logan à moi...

Je restais pressée contre Manakel, les larmes roulant sur mes joues. Je n'en parlais pas à Logan, ce tout ceci. Il était avec moi la fois où j'avais reçu les boites... et j'avais du faire mon deuil mais je n'en avais plus reparlé. Dans ma tête, toutefois, la culpabilité, le remords et la peine ne s'étaient jamais effacés.

- Si tu savais toutes les horreurs que j'ai vécues depuis que j'habite ici...

Je repensais au cycliste qui m'avait volontairement fait chuter, à cette copie de Kierkan que j'avais cru voir...

- J'en ai même des hallucinations...

Avant de rencontrer Jessica, alors que ma mission ne concernait que ses parents et non elle, jamais je n'avais ressenti une pareille attirance me reliant à une humaine. À peine l'avais-je vue que tout mon être s'était attaché à elle, souhaitant à tout prix la protéger de tous les dangers capables de la menacer. Instantanément, elle était devenue essentielle dans mon existence, car je ne m'imaginais vraiment pas continuer d'exister sans elle. Tout ceci s'était déroulé à une vitesse incroyable, une vitesse grâce à laquelle Jessica était devenue la plus puissante attache me reliant à cette Terre. Il suffisait de voir la douleur qui m'avait traversé lorsque je l'avais perdue. Mon être s'était comme brisé, pour ne devenir qu'une chose incomplète, durant toutes ces années. J'étais tellement attaché à Jessica que rien que l'idée de la perdre avait su rendre mon existence moins savoureuse.

Les blessures du passé pouvaient à présent guérir, maintenant que le simple fruit du hasard avait su ramener Jessica vers moi. J'avais pu la retrouver, par conséquent il était hors de question pour moi de me séparer d'elle de nouveau. Jamais je n'aurais la force de l'abandonner et de la perdre de nouveau. C'était au dessus de mes forces, et Jessica partageait visiblement mes sentiments. J'aimais entendre cela de sa bouche, car ces paroles prouvaient qu'elle tenait à moi autant que je tenais à elle.

- Tu es une partie essentielle de ma vie Jessica, alors il est hors de question que je t'abandonne. Je ne pourrais jamais faire cela...surtout pas maintenant qu'on a pu enfin se retrouver, après tout ce temps. Jamais je ne pourrais te laisser tomber, jamais...

L'idée de la perdre une nouvelle fois était inconcevable pour moi. Cet être incomplet que j'avais été par le passé...je ne voulais plus le revoir. Le Manakel que j'étais avec Jessica dans ma vie me plaisait davantage que celui que j'avais été sans elle. J'étais certain que mon devoir d'ange allait être mieux accompli maintenant que j'avais retrouvé Jessica. Un être complet ne pouvait forcément que mieux fonctionner qu'un être partiel. C'était en tout cas ce dont j'étais convaincu.

Maintenant, Jessica connaissait toute la vérité concernant ma mission auprès de ses parents, et j'étais soulagé d'avoir pu lui raconter. Elle était au courant de tout et il n'y avait plus aucun secret entre nous. À ce sujet, elle me remercia, d'une façon qui me touchait en plein cœur, parce que je sentais la sincérité dans ses mots. Jessica trouvait ses paroles insuffisantes, mais ce n'était pas mon avis.

- Je sens la sincérité, dans tes mots et dans tes sentiments. Il n'y a pas remerciement plus beau que ce que je ressens actuellement, crois-moi... dis-je avant d'ajouter ceci : Notre bulle elle est intacte...voire même encore plus puissante...j'aime ça...

Jessica me raconta ce qui était arrivé à ses parents, dans les moindres détails, alors que je continuais à la caresser, tendrement et à sécher les larmes qui s'échappaient de ses yeux. J'étais touché par son histoire et surtout brisé par le fait de ne pas avoir pu lui venir en aide, pour lui éviter toutes ces horreurs. La protéger...c'était ce que j'aurais pu faire...la protéger de tout et éviter qu'elle ne souffre.

- Je voudrais juste pouvoir t'enfermer dans cette bulle qui existe quand je te tiens dans mes bras, pour te protéger de tout, afin que plus aucune horreur ne déchire ta vie...car personne ne mérite de souffrir comme tu as souffert...

Je continuais à lui parler, d'une voix douce. Je voulais la rassurer...et surtout la convaincre que rien de tout ceci n'était arrivé à cause d'elle. Jessica n'était responsable de rien...

- Rien de tout ceci n'est de ta faute...j'en suis intimement persuadé.

Et rien n'allait me convaincre du contraire...absolument rien...

- J'aimerais t'aider Jessica, je l'aimerais vraiment, alors parle-moi, car tu sais que tu peux tout me dire. Dis-moi ce qui ne va pas...laisse-moi t'aider...comme avant.

Le terme qu'utilisait Manakel me faisait sourire. Sans le savoir, il avait qualifié notre bien-être du moment, nos retrouvailles et notre douce amitié de la même manière que Logan et moi le qualifions, c'est à dire comme étant une bulle très puissante que rien ni personne ne pouvait détruire. J'aimais cette image car elle était riche en émotions. Une bulle, c'était comme une petite maison solide qui nous protégeait de tous les dangers, qui nous protégeait du mal, de la douleur, de la tristesse et de la peine. Dans les bras de Manakel comme dans les bras de Logan, je pouvais ressentir le pouvoir de cette bulle protectrice et elle ne m'apportait que du bon, plein de douceur et beaucoup d'amour. Il m'était impossible de me sentir mal dans une bulle pareille. Je ne pouvais que me laisser bercer et transporter par elle. Je ne pouvais qu'y être heureuse, épanouie et folle de bonheur.

- Je l'aime, notre bulle... elle m'apaise... ça fait tellement de bien Manakel...

Dieu savait que j'en avait de besoin, après tout ce qui nous était arrivé à Logan et moi. J'aurais tant aimé qu'elle me protège de toutes ces mésaventures qui m'étaient tombées dessus depuis que j'habitais Huntfield...

- Merci... merci pour tout...

Manakel me faisait énormément de bien. Ses mots me berçaient tout doucement. Il ne me pensait pas responsable de la mort de mes parents. J'avais envie de le croire mais au fond, je savais bien que je les avais menés à leur perte en les quittant sauvagement et en ne donnant aucun signe de vie... mais je n'allais pas contredire Manakel à ce sujet. Pour l'heure, je voulais juste... oublier tout ça. Oublier le colis contenant leur tête, oublier le mal qu'Isaac m'avait fait. Je voulais profiter de la présence de Manakel, mon ami le plus cher et le plus précieux, si j'excluais Logan, évidemment.

- Cette rencontre hasardeuse est un baume sur les grands malheurs qui sont survenus dernièrement, dans ma vie... Tu vois, juste avant que je chute tout à l'heure, j'avais cru apercevoir le visage d'un homme qui nous a fait beaucoup de mal, à Logan et moi.

Je pris une pause avant d'ajouter ceci :

- Logan est un homme merveilleux, Manakel. Il prend soin de moi, il m'aime autant que je l'aime... Il est très spécial, j'aimerais te le présenter, tu verrais en lui une âme bonne comme tu n'en as rarement vues...

Je souriais doucement, heureuse de penser à mon amoureux mais mon sourire se brisa en poursuivant l'histoire de Kierkan.

- Cet homme dont je te parlais il y a quelques secondes nous a enlevés Logan et moi... et ça n'a pas été facile de partir de cet endroit où il nous avait enfermés... On a beaucoup souffert, autant moralement que physiquement...

J'en portais encore les traces à mes poignets même si plusieurs jours s'étaient écoulés depuis ce terrible incident.  J'étais d'ailleurs à les regarder quand le chien de Manakel surgit d'un buisson, une brindille entre les dents.

- Oh toi tu es mignon...

Je le caressais en souriant. C'était drôle, tout de même, de voir un ange être accompagné d'un chien...

- Allez va chercher!

J'avais lancé la brindille un peu plus loin, en souriant tristement. La forêt où le chien s'amusait à disparaitre et réapparaitre me rappelait celle qui encerclait la cabane de Kierkan. C'était là des souvenirs plutôt douloureux...

- Je pense que ma vie ainsi que celle de Logan sont continuellement en danger. Si tu savais tout ce que nous avons dû traverser depuis que nous formons un couple... à croire que le malheur s'acharne sur nous...

Je détachais mes patins tout en restant nichée dans les bras de Manakel. Je ne voulais pas me passer de sa présence. Ses bras m'enlaçaient avec tant de tendresse que je ne souhaitais pas les quitter mais l'heure tournait, Logan allait commencer à s'inquiéter si je ne donnais pas signe de vie très bientôt.

- Manakel, accepterais-tu de me raccompagner jusque chez moi? Avec ce qui vient de se passer... j'ai un mauvais pressentiment.

Je ne bougeais plus, ma tête déposée contre son torse. J'étais bien, j'étais si bien...

Maintenant que Jessica était revenue dans mon existence, je me sentais de nouveau enfermé dans cette bulle protectrice surpuissante qui existait entre nous. L'étonnante douceur de cette dernière permettait à mon être de recoller les morceaux brisés d'autrefois, car j'avais enfin pu retrouver la personne la plus importante à mes yeux. Peu importe ce que l'avenir allait nous réserver, mon cœur dédierait toujours une place pour Jessica, car elle était et allait toujours être ma plus forte attache sur cette planète Terre, celle que j'allais toujours vouloir protéger, même si le monde risquait de tomber en ruine. Mon cœur angélique s'était attaché à elle dès notre toute première rencontre, et il était certain que cet attachement n'allait jamais trouver de fin. Je me sentais capable de veiller sur elle durant toute l'éternité, parce qu'elle était une partie essentielle de mon existence, une partie dont je ne pouvais clairement pas me séparer. La dernière fois m'avait déjà fait suffisamment souffrir, au point de penser que je ne pourrais certainement pas supporter une nouvelle séparation, forcée ou non. C'était certainement dangereux pour un ange de s'attacher autant à une humaine, mais Jessica était pour moi bien plus qu'une humaine. Personne ne pourrait comprendre à ma place ce que je ressentais pour elle, des sentiments que même Jessica ignorait. Elle était consciente que je tenais à elle, mais elle ignorait à quel point.

- Tu ne peux pas savoir à quel point cette bulle est importante pour moi Jessica... dis-je Cela m'a manqué...cette proximité avec toi, alors le fait de la retrouver enfin, et d'être de nouveau une partie de ta vie, cela compte beaucoup pour moi.

Ces retrouvailles comptaient en effet pour moi, encore plus qu'elle le pensait, sauf qu'elle n'allait jamais découvrir la hauteur de son importance.. En même temps, il allait être difficile pour moi de l'expliquer, car je ne la comprenais pas moi-même.

La présence de Jessica me soulageait et me permettait de baigner dans un apaisement sans faille. Il n'y avait qu'elle pour m'aider à me sentir aussi bien, et je savais que Jessica partageait ce que je ressentais. Nos retrouvailles étaient parfaites...vraiment parfaites.

- Tu es essentielle pour moi...

Jessica se mit alors à m'expliquer ce qui n'allait pas, et je l'écoutais, sans l'interrompre, en continuant de l'apaiser par mes caresses. Je voulais conserver ce calme qui avait pu naître entre nous, car je savais que ça lui faisait du bien. Quand j'entendis tous les malheurs qui avaient pu l'accabler, la douleur en moi était évidente. J'aurais aimé être là pour elle, pour pouvoir lui venir en aide et la préserver du danger, autant elle que Logan, l'homme qu'elle aimait et qui semblait la rendre heureuse. Je le sentais, en observant cette étincelle dans ses yeux. Jessica évoquait des malheurs, mais on pouvait facilement sentir la puissance de son amour.

- J'aurais vraiment aimé être là pour toi Jessica...pour t'aider et te préserver de ces dangers...je suis vraiment désolé pour tout ça... dis-je avant d'envoyer ceci : Dans tes yeux, je la vois cette fameuse étincelle...celle qui montre à quel point tu aimes Logan et surtout à quel point il te rend heureuse. Je suis content d'apprendre que tu as pu trouver l'amour Jessica. Tu le mérites réellement...

Une personne aussi belle qu'elle méritait effectivement de trouver l'amour.

- J'espère que vous serez heureux ensemble, je l'espère réellement.

La chienne de Samuel surgit de nulle part, au détour d'un buisson, avec une brindille entre les dents. Elle souhaitait voir Jessica jouer avec elle. Cette vision me fit sourire. Cette douce créature venait tout juste de rencontrer Jessica mais elle semblait l'avoir déjà adoptée. C'était magique une douceur pareille. Jessica lança la brindille et la chienne courut visiblement amusée

- On dirait qu'elle t'a déjà adoptée visiblement. dis-je avec le sourire.

Je caressais toujours Jessica, en conservant ma douceur, alors qu'elle me parlait encore.

- Chuuuut Jessica...chuuuut...

Je la vis détacher ses patins, tout doucement, alors qu'elle était encore nichée dans mes bras, avant de me proposer de la raccompagner chez elle. Ma présence la rassurait et elle avait besoin de cet apaisement, surtout depuis cette douloureuse impression de revoir Kierkan.

- Je comprends Jessica, je comprends... lui dis-je en la caressant tendrement. Je vais rester avec toi, jusqu'à ce qu'on arrive chez toi, si cela peut te rassurer.

En vérité, le fait de rester avec elle me rassurait aussi.

Je soutenais Jessica, afin qu'elle se relève en douceur, tout en la gardant dans mes bras. La chienne de Samuel était revenue vers nous deux, nous collant docilement avec sa brindille dans la bouche. À priori, elle semblait y tenir à cette fameuse brindille, alors je n'allais pas l'en priver.

- Allez viens avec nous petite chipie ! dis-je à la chienne avec le sourire, alors que je commençais à avancer, toujours collé à Jessica. Je ne voulais pas la quitter, surtout si cela réussissait à la rassurer, tout comme cela me rassurait moi aussi.

- Tu sais...je suis vraiment heureux qu'on ait enfin pu se retrouver tous les deux. Il est clair que je ne vais plus jamais te laisser tomber maintenant que je suis de nouveau une partie de ton existence. dis-je avant d'ajouter ces paroles, avec une magnifique sincérité. C'est un peu ma raison d'être, notre lien...ce qui nous unit ensemble.

Niveau vérité, celle-là était sans doute la plus importante que j'avais pu lui dire jusqu'à maintenant. Je ne lui avais pas dit à quel point je tenais à elle, mais Jessica savait en tout cas que je ne mentais pas en disant qu'elle était importante pour moi. En même temps, je ne pourrais jamais lui mentir à ce sujet.

- Si jamais tu as peur, à n'importe quel moment de la journée, de la soirée, ou même en pleine nuit, n'hésite pas à m'appeler. Tu ne me dérangeras jamais...[/i]

Avant de me relever, j'avais pris soin d'enfoncer mes chaussettes dans mes patins afin de marcher pieds nus une fois debout, puis j'avais noué ensemble les quatre cordons pour pouvoir relier mes patins ensemble et les accrocher sur mon épaule pour le retour à la maison. Procéder ainsi me permettait d'avoir les mains libres puisque, étant donné que mon sac à dos était chargé de vivres, il n'y avait plus de place pour les enfouir à l'intérieur. J'aimais marcher pieds nus, je le faisais presque tout le temps alors ça ne me gênait pas du tout d'avoir à faire un bout de chemin sans rien dans les pieds.

L'orage qui pointait au loin depuis un moment n'allait pas tarder à se déverser sur nous alors ce départ vers la maison tombait pile. En calculant bien, il était fort possible Manakel et moi nous fassions prendre par la pluie mais ça ne m'embêtait pas du tout. Plus rien ne pouvait m'ébranler depuis que je l'avais retrouvé. Je me sentais apaisée comme jamais, surtout quand je marchais ainsi à ses côtés, collée contre lui, son bras dans mon dos et ma tête contre son épaule. Sur ma figure, un doux sourire demeurait accroché, signe que je resplendissais de bonheur. C'était incroyable de penser que j'avais retrouvé Manakel après une séparation de plus de vingt-et-une années, particulièrement quand on pensait qu'au départ je l'avais toujours cru "inventé" et donc inexistant car à mes yeux, Manakel avait toujours été un ami "imaginaire réel". Réel parce que j'avais pu le toucher et qu'il m'avait bercée, soignée et consolée étant toute petite. Imaginaire parce qu'il n'y avait que moi qui avait été en mesure de l'apercevoir. C'était sans doute cette étrange confusion dans mon esprit, jumelée à l'intimidation d'enfants et les nombreuses remontrances de mes parents qui avait fait en sorte que j'avais décidé de le chasser lorsque j'avais six ans. Le retrouver, alors que je réalisais qu'il avait finalement toujours existé, était quelque chose d'assez particulier et de stupéfiant.

J'avais remarqué que nos retrouvailles avaient énormément touché Manakel. J'en comprenais maintenant la raison; contrairement à moi, mon ami avait toujours su que ce qui s'était passé entre nous avait été authentique alors que moi j'avais cru fabuler. En l'ayant pensé "inventé de toutes pièces", j'avais fini par l'oublier... alors forcément ma souffrance avait été moindre que la sienne. J'ignorais de quelle façon Manakel avait vécu notre séparation mais je me doutais qu'elle avait dû être assez douloureuse quand je voyais avec quelle douceur il prenait soin de moi depuis ma chute en patins et combien il était heureux de m'avoir retrouvée. Comprendre et réaliser ce fait m'affectait beaucoup. À cause de moi, Manakel avait souffert. Comment était-il possible de rester indifférente quand il m'avouait à quel point notre bulle lui avait manquée? À quel point faire à nouveau partie de ma vie comptait pour lui? C'était purement et clairement impossible. Ces années gaspillées, je me jurais de les récupérer. Manakel n'allait plus jamais souffrir par ma faute.

Ayanna circulait tout autour de nous tandis que nous poursuivions notre route vers la maison. C'était une chienne enjouée et très docile. Elle avait l'air heureuse avec Manakel, ce qui n'était pas surprenant du tout. Moi aussi j'étais très bien avec lui. C'était un bonheur qui pouvait s'apparenter à celui que je vivais en compagnie de Logan. D'ailleurs, Manakel ne se trompait pas quand il devinait à quel point j'étais amoureuse de Logan. Cette étincelle dans mes yeux qu'il apercevait lorsque je parlais de lui, je ne pouvais la voir mais je ressentais sa présence. Quand il était question de Logan, mes yeux brillaient toujours et maintenant que Manakel était de retour dans ma vie ils allaient briller encore plus.  J'espérais juste que le fantôme de Kierkan ne revienne pas les assombrir...

Alors que nous discutions tranquillement, Manakel m'avoua quelque chose qui m'intrigua grandement. Je savais que notre lien était très spécial et très puissant, mais pas au point que c'en devienne sa raison d'être. L'aveu me secoua, me réjouit et m'inquiéta à la fois. Est-ce que mon ami savait quelque chose que j'ignorais? Est-ce qu'il allait m'arriver malheur s'il ne me guidait pas? Un peu comme il avait dû le faire avec mes parents? Mon esprit s'embrouillait. Toutes sortes de théories me traversaient la tête. Je ne savais plus quoi penser mais je savais au moins que maintenant que j'avais retrouvé Manakel, plus rien de mal ne pourrait m'arriver parce que je pourrais l'appeler n'importe quand.

- Je te remercie Manakel, sois assuré que je ferai appel à toi dès que j'en ressentirai le besoin...

Je restais agrippée à lui, ma tête encore et toujours déposée contre son épaule. Je me sentais bien, j'étais apaisée. À chaque caresse de Manakel, les images de Kierkan s'effaçaient doucement, devenaient de plus en plus floues et de moins en moins obsédantes. J'étais calme, très calme. Je voyais la maison pointer à l'horizon, j'allais bientôt pouvoir retrouver les bras de mon bien-aimé et lui raconter ces douces retrouvailles que j'avais vécues avec mon bel ange gardien.

Le tonnerre grondait de plus en plus fort et la pluie avait commencé à tomber quand Manakel et moi furent enfin sur place.  Mes cheveux dégoulinants collés à mon visage, je souriais en disant au revoir à mon ami. Nous nous promettions de nous revoir souvent, très souvent.

- Sois prudent, d'accord? Sois prudent avec les démons... et les anges... et tout ce qui grouille de surnaturel. Je ne veux pas qu'il t'arrive du mal Manakel...

Je déposais un bisou sur sa joue, effleurant l'autre du bout des doigts.

- Je t'aime... Merci de veiller sur moi...

Nos doigts qui s'étaient, à un certain moment, entremêlés se dénouèrent tout doucement, au fur et à mesure que je reculais pour me diriger vers ma maison. Quand ils se séparèrent, mon bras ne retomba pas lourdement contre mon corps. Il demeura plutôt levé en l'air, comme pour tenter d'attraper Manakel de nouveau.

- Je t'en prie, fais attention à toi...

Et dans un dernier sourire, je disparus dans la maison.

FIN POUR MOI

L'existence humaine, lorsqu'elle était déchargée de toutes ses difficultés, était quand même remplie d'une sorte de magie, notamment lors de la naissance des histoires d'amour, toujours bercée par le plus aléatoire des hasards, mais également par une certaine beauté envoutante. Malgré le fait que je ne faisais pas partie de cette espèce, à cause de ma nature de création angélique du Seigneur, cette partie de l'existence humaine arrivait toujours à me fasciner. Peut-être étais-je vieux jeu, mais il n'y avait à mon sens rien de plus beau que l'amour, qui finissait encore plus beau lorsqu'il était envahi par une aussi belle pureté.

Peut-être n'étais-je pas aussi sensible que les humains à cette belle magie du coup de foudre capable de les atteindre, mais je n'étais pas indifférent face à elle. Les personnes victimes d'un coup de foudre s'unissaient car leur amour était devenu une évidence. C'était un peu ce qui m'était arrivé avec Jessica. Ma mission concernait au départ ses parents, et je l'avais correctement effectuée, mais mon attirance me reliant à Jessica avait été puissante, au point de bouleverser mes règles, mes valeurs, puis au final toute ma vie. Le principe du coup de foudre n'était peut-être pas approprié pour décrire ce que je ressentais, en tant qu'ange, pour Jessica, mais cela suffisait pour comprendre à quel point notre relation était importante pour moi.  

Tout, je disais bien absolument tout, m'attirait vers elle...

Mes retrouvailles avec Jessica me touchaient énormément, évidemment, car je pouvais me sentir en train de baigner dans cette attirance qui me fascinait autant. J'étais me sentais de nouveau moi-même, après avoir passé de longues années à ignorer cette facette brisée de mon être. Jessica m'avait en quelque chose aidé à renaître, pour laisser le vrai Manakel faire son retour. Elle ne pouvait pas s'en rendre compte, mais sa réapparition avait illuminé mon existence, tout comme je semblais avoir illuminé la sienne. Ce qui venait de se passer était juste exactement ce dont nous avions besoin pour continuer notre existence dans ce monde à l'avenir incertain. Maintenant que Jessica était réapparue dans ma vie, je n'allais plus jamais la laisser tomber. Il était hors de question, pour moi, de l'abandonner, car c'était clairement au dessus de mes forces. Jessica était la personne la plus importante de mon existence. Si jamais je devais la perdre de nouveau, cela me briserait, sans espoir de réparation. Jessica était la colle qui permettait à tous les bouts de mon être de tenir ensemble. Sans elle, je ne savais pas trop à quoi ressemblerait ma vie. Sans doute n'aurait-elle plus aucun sens.

Ensemble, nous poursuivions notre route vers le domicile de Jessica, alors qu'Ayanna circulait tout autour de nous. Nous étions collés l'un à l'autre, incapables de se séparer tout de suite. En même temps, après toutes ces années, cette conclusion était logique... Je me sentais bien avec Jessica et cette dernière semblait l'être tout autant. Cette bulle nous faisait du bien et je ne voulais pas la briser. Replonger dans ce qui me liait à Jessica me réparait.

- Je serais toujours là pour toi Jessica...toujours...je te le promets.

En même temps, j'étais tellement lié à elle que je ne concevais pas l'idée de l'abandonner du jour au lendemain, alors cette promesse était une sorte d'évidence, en quelque sorte.

- Je ne pourrais pas accepter de te perdre...

Alors qu'on arrivait enfin non loin de chez elle, le tonnerre se mettait à gronder de plus en plus fort, désormais accompagné d'une pluie en train d'humidifier nos corps ainsi que le sol qu'on foulait. L'heure était venue de la laisser partir, même si je n'en avais pas du tout envie. Le temps était passé si vite...

Jessica me demanda d'être prudent, avec tout ce qu'il y avait de surnaturel dans cette ville, car elle ne voulait pas qu'il m'arrive du mal. Elle était gentille...mais après tout je partageais le même sentiment avec elle.

- Ne t'en fais pas pour moi Jessica, je ferai attention à moi, mais je t'en supplie, sois également très prudente toi aussi. dis-je avant d'ajouter ceci : Je ne veux pas te perdre...

Quand elle déposa ce bisou sur ma joue...en me disant qu'elle m'aimait, ce fut certainement la meilleure des preuves montrant que ces années passées sans elle avaient été bien trop sombres. Maintenant elle était là...et il n'y avait plus aucune place pour l'obscurité, plus aucune...

- Je t'aime... lui dis-je, en déposant un bisou sur la main qui effleurait ma joue.

La séparation n'était pas facile. En même temps, comment cela aurait-il pu être autrement ? Nous étions très liés...

- À très bientôt Jessica...

J'insistais sur le "très" car il était hors de question de rester loin d'elle très longtemps. Une partie de mon être lui était dédiée...

Alors que Jessica disparaissait dans la maison, j'appelais Ayanna, qui se colla à moi. Nous faisions demi-tour pour entreprendre le chemin inverse. À peine dix pas avaient été effectués que je me retournais vers la maison de Jessica, pour jeter un dernier regard vers elle.

- Merci d'exister Jessica...

C'était sans doute idiot de parler alors que Jessica n'était pas là pour m'entendre mais je l'avais pourtant fait, parce que j'avais eu envie de le faire.

- Viens Ayanna, rentrons chez nous. dis-je avant de quitter les lieux, cette fois-ci pour de vrai.