Victoire de Suscinio (terminé)

Il fait noir. Trop noir. Ce n’est pas normal, non ? Et d’abord, qu’est-ce que je fais là ? Pire. Qui suis-je ? Si même ça, je ne le sais, je suis mal. Très mal. Je ne suis pas seule. Ça, c’est sûr. J’entends des pas. Et enfin, une voix :

-George, elle est réveillée.

Qui était réveillée ? Moi ? Comment le savait-il. J’avais essayée de garder une respiration régulière. On était que trois dans la pièce. Ça, je le savais. Donc, c’était de moi qu’il parlait. J’ouvris un œil et vis deux hommes qui m’observaient. Un serviteur guindé et un noble blondinet plutôt pas mal. Mais je ne connaissais ni l’un, ni l’autre. J’acceptais la main du noble avant de leur demander qui ils étaient.

-Tu te moque de nous, Victoire ?

-C’est ainsi que je m’appelle ?

-Bien sûr ! Tu ne t’en rappelle plus ?

Et enfin, ils m’ont pris au sérieux. Et ont éclairé ma lanterne. Je m’appelle Victoire Angélique de Suscinio et j’ai rencontré George, un anglais, alors que son navire avait coulé sur les côtes bretonnes. Heureusement pour moi, j’étais pas la première personne que celui-ci rencontrait. Sinon, j’aurais été morte. Et après deux mois de « flirt », il décida de me transformer en vampire. J’avais alors 24 ans. Mais pourquoi l’avoir fait ? Ça, je n’en avais aucune idée.

***
-Contrôle-toi, Victoire.

George avait dit cette phrase laconiquement. Il avait l’habitude, j’avais tellement de mal à me contrôler. Mais j’avais faim. Devant une assiette, on en laissait pas les trois quarts facilement ! Eh bien, c’était pareil face à l’humain  qui me servait de repas. Et comme d’habitude, je ne le lâchais pas jusqu’à ce que George me force à le faire. Je montrais alors des dents, en colère contre  lui. Cela faisait maintenant quatre mois que j’étais devenu un vampire. Et je n’arrivais toujours pas un me retenir. Et ça m’énervait. Et puis, pourquoi me demander de transformer un humain? Il savait parfaitement que j'étais incapable de me contrôler. Pff, décidément, je ne le comprenais pas.

***
Le carnaval de Venise. En cette année 1540, je le trouvais magnifique. Avec mon kimono et mon masque vénitien en plâtre qui recouvrait mon visage ne laissait voir aucune de mes émotions. Mais un regard suffit pour montrer au samouraï aussi masqué que moi de nous comprendre. Il m’avait fallu environ cinquante ans pour apprendre à me contrôler et depuis, j’étais la partenaire de George pour traquer les ennemis de notre clan. Et là, c’était un jeune vampire qui avait révélé sa nature aux humains. Lorsque George avait appris son existence, il avait décidé de le pourchasser. Parce que le jeune vampire ne savait pas se contrôler, qu’il s’ennuyait et qu’il risquait de nous nuire à tous.

Enfin, on le repérait. Et la course poursuite commença. J’étais chargé de le faire courir et George de l’arrêter par surprise et de lui arracher la tête.

Et voilà à quoi se résumait ma vie. Je faisais tout pour mon clan, j’obéissais au doigt et l’œil à George. Je ne voulais qu’une seule chose. Qu’il me renseigne encore sur mon passé et sur la raison qui l’avait poussé à me transformer. Parce que, certes, des fois, on couchait ensemble, mais cela n’allait pas plus loin, et je n’étais sûrement pas la seule à partager le lit de George. Mais il ne voulait jamais me répondre. Et moi, je rongeais mon frein en me demandant comment j’étais avant, si j’étais toujours une tueuse impitoyable. Bref, je me demandais qui j’étais.

Et environ 250 ans plus tard, je trouvais la réponse à ma question. Et cette réponse me venait de… Rousseau. Grâce à sa réflexion sur la conscience, je compris qu’il ne fallait qu’une chose : que j’écoute ma conscience. Et depuis, je refusais de seconder George dans nos missions. Et il fit rapidement le lien entre ma nouvelle conscience et le livre de Rousseau. Et ça, ça ne lui a pas plu. Alors, il menaça de me tuer si je n’exécutais pas un pauvre humain qui avait assisté à une conversation compromettante pour lui. Mais je ne voulais pas le faire. Surtout que cet humain n’avait rien fait de mal. Ce que George ne comprenait pas, c’est qu’en écoutant cette conscience, j’avais l’impression de vivre. De vivre vraiment et de ne pas être une machine. Je réussis à sauver l’humain et à m’enfuir jusqu’à Minehead. Et de là, je proposais à John, l’humain, un marché. Je ne pouvais pas m’enfuir seule, une femme célibataire voyageant seule, c’était trop voyant. Et cet humain ne pouvait pas espérer de s’en sortir vivant. Sauf si moi, je l’aidais. Alors je lui proposais de se faire passer pour mon mari, Mister MacLeod, et de prendre le premier bateau pour les Etats-Unis. Et il accepta.

Voilà comment je pris la direction du continent Américain avec John. Et bizarrement, on se prit d’amitié. Il arrivait, petit à petit, de me montrer comment vivent les humains. Et je ne m’ennuyais plus autant qu’avant. Mais cette traversée fut terrible. Je profitais de chaque escale pour me nourrir du plus d’humain possible. Sur le bateau, j’alternais entre les marins et John, qui avait accepté de me laisser boire un peu de son sang, qu'il m'apportait de mon plein grès sans que j'ai besoin de le couper, génial, non ? Cependant, j’avais continuellement faim. Et ce fut très dur de me contenir. Et enfin, on posait le pied aux Etats-Unis.

Trois jours plus tard, je devenais, devant la loi, Madame Victoria MacLeod. Et ensuite, on prit la route vers l’intérieur des terres. Le mieux serait de passer inaperçu. Alors, John devint fermier et moi, je me nourrissais des voyageurs et de temps en temps j’allais à la grande ville la plus proche pour me nourrir plus discrètement. Et lorsque je ne trouvais personne, je me nourrissais de John. Vous pouvez vous demander pourquoi je ne l’ai pas transformé. Oh, il aurait bien aimé. Mais je lui demandais s’il supporterait de passer l’éternité à fuir, à se cacher et le pire… à s’ennuyer. Et alors, je lui certifiais que jamais je ne lui ferais subir cette malédiction. Et même si la question souleva des disputes, je tenais bon. Et on passait notre temps à aller de ville en ville, me faisant passer pour sa femme, puis pour sa fille en enfin pour sa petite-fille. Et, à l’âge de 70 ans, John mourut dans une chambre d’hôtel. Lors de son enterrement, je lui promis de ne jamais l’oublier. Et encore, sa présence me manque.

Et à cet enterrement, je croisais le majordome de George. Alors je su qu’il était temps pour moi de changer de continent. Je passais donc plus d’un siècle à fuir, changeant de nom, changeant de métier, changeant de pays et de continent. Dès que je croise un de mes semblables, je fuis. Mais j’en ai marre de fuir, marre de quitter mes amis, marre de vivre toute seule. Quant au retour de Lucifer, je ne suis pas pour lui, mais je ne suis pas assez folle pour me mettre à dos ses troupes. J’en ais assez de George. Cependant, je serais prête à m’investir contre Lucifer si on me protégeait de George où si on me rendait la mémoire sur ma vie humaine.

Et aujourd’hui, j’ai décidé d’assumer mes choix et d’arrêter de me cacher. J’ai repris mon nom de Victoire de Suscinio et suis entrée à l'université de Huntfield. Mais est-ce que j’aurais le courage d’affronter mes ennemis ? Je sais que je suis déjà morte de peur en croisant un vampire. Mais il faut que je sois courageuse.