Jane A. Thurman [Terminé]

Il avait neigé l’hiver précédent. Le printemps renaissait et la nature en fête semblait avoir oublié les longs mois de chagrin et de froid. Inverness, petite ville dans l'Alabama, se réveillait de sa torpeur. Le printemps. Période propice aux naissances. Une femme, en cette fin de journée, sent son ventre se contracter violemment. La vie qui palpite en elle ne demande qu’à en sortir pour enfin explorer le monde extérieur. Plusieurs heures passent et les cris résonnent dans la petite maison humble du couple. Un couple de bottiers. Des artisans vivant du produit de leur art mais doué d’une habileté peu commune. La femme hurle au rythme des contractions. La sage-femme était venue les soutenir, elle se tenait juste à côté de la parturiente. L’homme se tenait dans la pièce de vie, arpentant la salle, le regard angoissé, perdu dans ses pensées. Il se figeait à chaque cri puis, invariablement, reprenait sa marche. Et soudain, un cri vibrant, déchirant, retentit. L’homme sursaute et se précipite dans la pièce adjacente. La sage-femme lui sourit, tenant dans ses bras une petite chose gigotante.

C’est une fille. Félicitations, elle est magnifique.
Oh, mon dieu…

L’homme, ému aux larmes, tient sa fille dans ses bras et la porte délicatement pour la déposer à côté de sa mère.

Bienvenue Jane…

Les parents de la petite Jane ne pouvaient naturellement imaginer à cet instant que l’enfant aurait un destin peu commun. La petite fille était calme, gentille et obéissante. Elle grandit et, grâce à la renommée de ses parents, elle ne manqua de rien. Elle vécut une enfance heureuse, au milieu d’amis du quartier. Dès son entrée à l’école, elle montra des capacités certaines pour apprendre et se montrait curieuse de tout. Elle passa donc une enfance totalement normale. D’enfant, elle devint une jeune adolescente dont tout le monde louait la beauté.

Jane aidait régulièrement ses parents à tenir la boutique. Ce soir ne faisait pas exception à la règle. Ce fameux soir de sa vie où tout bascula. Elle était restée tard, les clients se bousculant comme de coutume dans le magasin. Il était tard, très tard mais cela n’inquiétait pas Jane outre mesure. Elle connaissait par cœur le chemin qui menait chez ses parents. Elle décida, après avoir fermé l’échoppe, de couper par la forêt, cela lui ferait gagner un temps précieux. Si elle avait pris la route, toute sa vie aurait été différente… Elle marchait d’un bon pas, observant d’un œil légèrement inquiet les ombres que dessinaient les arbres sur le sentier. Tout à coup, elle ne se sentait plus si rassurée… Accélérant l’allure, elle crut soudain entendre un bruit non loin. Elle n’y prêta pas attention, marchant de plus belle. Quand soudain, une forme immense et sombre la percuta de plein fouet. Sonnée, elle tomba au sol, l’espèce de gigantesque loup à moitié humain sur elle. Une douleur lui transperce le corps tandis que les crocs barbouillés de sang déchirent sa chair en différents endroits. La violence de l’attaque la laisse étendue sur la mousse, brisée, le sang coulant de ses blessures. Jane perd alors connaissance….

Lorsqu’elle ouvre à nouveau les yeux, elle ne reconnait rien autour d’elle. Des hommes en blouse blanche lui parlent mais c’est comme si les mots ne parvenaient que difficilement à son cerveau. Blessée. Extraordinaire qu’elle soit encore en vie. Deux jours qu’elle est inconsciente. Des tests qui lui font. Comprendre. Pourquoi. Pourquoi ses plaies se cicatrisent à vue d’œil. Jane ne parvient pas à raccorder les wagons. Elle frémit lorsqu’elle voit un homme se pencher sur elle, une seringue à la main. Un flash. Terrifiant. La forme sombre est à nouveau sur elle. Il va la tuer, c’est certain. Hurlant, Jane se redresse et repousse l’homme qui effectue un vol plané à travers la pièce. Ne prêtant même pas attention à cette force étrange qu’elle semble posséder, elle arrache sa perfusion et s’enfuit, écartant tout obstacle sur son passage. Perdue, sans attache et la tête pleine de questions, elle erra pendant quelques jours, se nourrissant de ce qu’elle pouvait trouver ou voler. Recherchée, elle se terra dans la forêt pendant quelques temps, mangeant des baies et des racines. Trois jours plus tard, elle comprit enfin sa nouvelle nature. Trois jours plus tard, la pleine lune réveilla la bête qui sommeillait en Jane. Si elle avait pensé que la douleur qu’elle avait ressentie lors de son agression était terrible, elle était bien en-deçà de ce qu’elle put ressentir ce soir-là. Elle avait la sensation que chaque os de son corps se brisait, qu’on lui déchirait la peau, que son cerveau bouillait, sur le point d’éclater, que son cœur allait briser la prison de ses côtes. Une douleur sans nom qui menaçait de la rendre folle. Et puis, le souffle court, elle respira l’air de la forêt, son odorat augmenté lui permettait de déterminer l’origine de chaque odeur. Ce fut sa première course dans la forêt en tant que lycan…

Un an plus tard, elle rejoignit la meute de la ville. C’était la première fois qu’elle pouvait vivre avec des gens comme elle. Jane avait bien changé. La petite fille timide et gentille avait disparu, elle était morte dans l’agression qui avait fait d’elle une lycan. Ce fut quelques mois après son arrivée qu’elle découvrit la vérité sur Nathanaël, le chef de la meute. C’était lui qui l’avait agressé et transformé. Une soif de vengeance la saisit alors. Pendant plusieurs jours, elle avait été douce et particulièrement aguicheuse envers Nathanaël. Ce soir-là, le chef l’avait invité chez lui. Jane avait vu là l’opportunité qu’elle recherchait depuis sa terrible découverte. Elle se rendit donc chez Nathanaël à l’heure dite. Champagne et mots doux, la discussion commençait, badine, sur des sujets peu importants. Mais rapidement, le jeune loup posa sa main sur sa joue et l’embrassa, tendrement d’abord, beaucoup plus férocement ensuite. Jane se laissa faire, feignant le plaisir, pour finalement s’étendre sur le lit de le chef, ce dernier la déshabillant lentement. Elle sentait son souffle dans son cou, son corps chaud contre le sien lorsqu’ils ne formèrent plus qu’un et son esprit froid était fixé sur son objectif. L’ultime moment, l’ultime soupir et le chef gisait sur le lit à ses côtés, sans force, somnolent, parfaitement à sa merci. Jane savoura cette vision. Enfin, elle allait avoir sa vengeance. Se levant discrètement, elle se transforma et approcha du lit, tous crocs dehors. Malheureusement pour elle, son attaque échoua, Nathanaël se réveillant au dernier moment. Elle se retrouva face au chef transformé, prêt à répondre à l’agression. Mais ce dernier l’arrêta d’un regard et reprit forme humaine. Sachant qu’elle avait échoué et que la punition serait à la mesure de l’offense, Jane reprit également forme humaine pour finalement, se voir proposer le rôle de compagne. Nathanaël avait été impressionné par sa détermination et sa fougue. Elle accepta au début par intérêt, pour ne pas être expulsée de la Meute. Et puis, lentement, mois après moi, elle finit par tomber amoureuse réellement de l’homme qui avait fait d’elle ce qu’elle était à présent.

Le couple régna quelques années de main de maître sur la Meute. Mais tout allait à nouveau basculer pour Jane. Un an à peine après sa nomination, Nathanaël se tue dans un accident de voiture. Jane est sous le choc, défaite et anéantie. Son cœur saigne et elle pleure la perte de l’homme qu’elle a tant aimé. Elle abandonne le poste de femelle dominante au profit d'une louve plus jeune qui ne tarde pas à trouver un nouveau chef pour la meute. Devenant une solitaire, Jane erre à présent de ville en ville, ne se mêlant plus à ses semblables. Elle se trouve un emploi de serveuse à Huntfield et s'en contente, à l'écart des hommes et des créatures... Mais on ne peut vivre indéfiniment à l'écart du monde...

Depuis, Jane a rencontré notamment un chasseur à qui elle a sauvé la vie, Jimmy O'Connell, et elle ignore la raison de son geste. En tout cas, une profonde attirance la lie à lui...