III.03 ¤ Shopping qui sort de l'ordinaire

Samedi 8 mai 2010

La petite clochette suspendue au-dessus de la porte carillonna gaiement lorsqu’Ithuriel pénétra dans la sombre et mystérieuse boutique d’ésotérisme dont elle avait déniché l’adresse sur l’Internet. Cette fois cependant, elle entrait dans cet antre en sachant d’ores et déjà à quoi s’attendre. Et pour cause : il s’agissait présentement de sa seconde visite. Aussi ne prit-elle pas la peine d’errer sans but entre les présentoirs croulant sous les herbes, racines, poudres et autres ingrédients dont les connaisseurs des sciences occultes se servaient pour mener à bien leurs petits rituels secrets. Elle-même avait déjà mis la main sur pratiquement tous les ingrédients dont elle avait besoin. Il ne lui en manquait qu’un. Et ce n’était pas vraiment le genre d’ingrédient que l’on trouve généralement exposé en vitrine.

S’immobilisant devant le comptoir central au fond de la boutique, Ithuriel pressa la clochette disposée sur la pièce en bois et n’eut à attendre que quelques secondes avant qu’une silhouette féminine ne se glisse silencieusement de l’arrière-boutique pour venir à sa rencontre. La gérante de la petite boutique reconnut immédiatement la jeune femme s’étant présentée à elle quelques jours auparavant avec une demande pour le moins… particulière. Elle demeura silencieuse un moment en observant Ithuriel avant de se décider enfin à prendre la parole :

— Bonjour à vous, souffla-t-elle d’une voix inégale. Je constate que vous avez reçu mon message.

Ithuriel hocha la tête. Elle avait effectivement reçu un courrier dans la matinée de la part de la gérante l’informant que l’article qu’elle attendait venait d’être livré à la boutique. Ithuriel ignorait comment la propriétaire de la boutique avait fait pour mettre la main sur cette chose avec le blocus démoniaque empêchant toutes allées et venues en dehors des frontières de la ville. Mais le fait est qu’elle y était parvenue et c’est tout ce qui importait dans l’immédiat. Cela faisait des jours maintenant qu’elle était arrivée en ville et elle avait besoin de réponses. Elle avait besoin de savoir pourquoi elle ne parvenait pas à quitter la ville – en dehors bien sûr de la menace démoniaque encerclant Huntfield. Elle devinait qu’il y avait autre chose. Il ne s’agissait pas seulement des démons. Son intuition lui criait qu’elle était en danger mais elle était incapable de deviner la source de cette mystérieuse menace.

— Vous l’avez ? demanda-t-elle finalement en ne pouvant dissimuler son empressement.
— Oui. C’est dans l’arrière-boutique. Je vous l’apporte tout de suite.

La gérante disparut derrière un rideau de perles en laissant Ithuriel seule dans la boutique. La clochette au-dessus de la porte d’entrée tinta une nouvelle fois tandis qu’une nouvelle cliente pénétrait dans la boutique. Ithuriel jeta un œil par-dessus son épaule avec précaution. S’agissait-il d’une menace ? Une existence entière passée à porter les armes et à combattre les ennemis de la Création laissait forcément des marques. Ithuriel était en permanence sur le qui-vive. Et ce d’autant plus depuis sa réincarnation. Elle avait perdu sa force et tous ses pouvoirs. Elle n’était dorénavant qu’une mortelle. Si délicate et si fragile. Elle devait redoubler de prudence ; surtout qu’elle semblait attirer à elle le surnaturel comme un aimant attire à lui la limaille de fer avec un magnétisme certain. Cela s’était avéré dès son arrivée à Huntfield : à peine était-elle arrivée en ville qu’elle avait attiré l’attention d’un porteur de peau et de plusieurs démons. Mieux valait donc demeurer sur ses gardes et se préparer à toute éventualité.

C’est la raison pour laquelle Ithuriel sentit ses muscles se raidir tandis qu’elle portait inconsciemment la main à sa taille où elle dissimulait une arme. Elle avait perdu son épée céleste durant sa Chute. Elle avait donc été forcée de rabattre son choix sur une dague aussi mortelle que facilement dissimulable sous ses vêtements. Elle était prête à se battre si cela s’avérait nécessaire. Mais de toute évidence, la nouvelle venue ne semblait pas décidée à lui sauter à la gorge. Ithuriel se détendit légèrement tandis que leurs regards se croisaient. Elle souffla alors un « bonjour » avant de se retourner vers le rideau de perles derrière lequel la gérante avait disparu. Néanmoins, elle continuait de suivre du coin de l’œil les mouvements de la plantureuse jeune femme lui tenant à présent compagnie dans la boutique. Mieux valait prévenir que guérir comme disait ce vieux dicton des mortels.

Les affaires marchaient bien pour Willow depuis son arrivée à Huntfield. Un peu trop bien à son goût. Jamais auparavant elle n'avait ressentit une atmosphère aussi tendue parmi la communauté des chasseurs.
Bref, les clients allaient et venaient - et parfois ne revenaient pas - , les affaires suivaient leur cours, jusqu'à ce que la jeune chasseuse reçoive une requête sortant de l'ordinaire – si l'on pouvait appeler cela l'ordinaire- .
Rien de moins que les phalanges d'un saint datant d'au moins 600ans. Une commande pour le moins très inhabituelle.

Une commande qui ne manqua pas d'éveiller les soupçons de Willow. Elle avait vu défiler de nombreux chasseurs au fil des ans. Pourtant, non seulement le nom de la jeune femme commanditaire ne lui évoquait rien, mais surtout ce genre d'ingrédient ne lui avait été réclamé que très rarement et pour des rituels complexes et puissants. Aussi elle entrevit la possibilité que sa cliente n'était pas ce qu'elle prétendait être. Plus elle y pensait, plus elle était persuadée que sa cliente était en réalité une sorcière. Une sorcière qui préparait quelque chose de moche.
Et il était hors de question de la laisser faire. Si Willow était venue à Huntfield c'était pour combattre, soutenir les chasseurs dans leur lutte. Cependant, il restait un problème de taille. Elle n'avait jamais eu directement affaire à une sorcière. Il lui fallait un coup de main. C'est ainsi qu'elle se tourna vers une connaissance de longue date, devenue son amie. Emmy Stinger, une chasseuse dont Willow savait qu'elle se trouvait à Huntfield.

Les deux jeunes femmes s'étaient rencontrées pour la première il y a longtemps, dans l'ancien magasin de Carl. Elles s'étaient retrouvées des années après en chassant par hasard sur la même affaire. Emmy avait été l'une des première personnes que Willow avait mises au courant de son déménagement à Huntfield et les deux jeunes femmes entretenaient désormais un lien d'amitié solide.

Quoi qu'il en soit, les deux chasseuses s'étaient entendues pour s'occuper de cette menace. Elles avaient prévu de lui tendre un piège dans la boutique même, où Emmy se ferait passer pour une autre cliente, ceci afin de maximiser l'effet de surprise et de pousser la sorcière à commettre une erreur.

Willow se retrouvait donc dans sa boutique quelques jours plus tard à attendre, non sans une certaine nervosité, la visite de leur cible qu'elle avait prit soin de prévenir de l'arrivée de sa commande.
Elle était occupée à mettre de l'ordre dans son stock d'amulettes quand elle entendit la clochette de sa porte d'entrée. Elle se releva en hâte, manquant de se vautrer en enjambant les caisses éparpillées un peu partout dans la pièce, dont les nombreuses étagères ne suffisaient pas pour emmagasinner tout son stock. Elle pressa le pas dans un couloir recouvert de sigles en tous genres quand ce fût la clochette de son comptoir qui retentit. Arrivée juste devant le rideau de perles d'argent séparant l'arrière-boutique de la boutique elle-même, elle reprit son calme avec une profonde inspiration, puis franchit le rideau.

C'était elle. La sorcière. Willow s'avança lentement vers elle. La mystérieuse jeune femme avait l'air d'être impatiente de mettre la main sur les fameux ossements, ce qui ne fit que conforter Willow dans les soupçons qu'elle nourrissait à son égard.
Elle lui dit qu'elle allait lui chercher sa commande puis disparut aussitôt dans l'arrière boutique. Dès qu'elle fût hors de vue, elle attrapa son portable et envoya  un simple – Elle est là – à Emmy. Puis elle tendit l'oreille jusqu'à entendre bientôt le tintement de la porte d'entrée. Elle s'empara de la boîte en fer qui renfermait les ossements et retourna à son comptoire.

Un coup d'oeil lui confirma que c'était bien son amie qui était entrée et faisait pour le moment mine de s'intéresser à un présentoir de pierres taillées. Elle lui lança un bonjour quand leurs regard se croisèrent, puis elle reporta son attention sur leur cible. Il était temps d'essayer de lui tirer les vers du nez. Elle démarra, souriante, sur le ton de la conversation.

- Je dois bien avouer que ça n'a pas été facile. Ce n'est pas tous les jours qu'on me demande un truc du genre, je ne sais pas ce que vous comptez en faire mais ça doit être quelque chose de costaud.

La jeune chasseuse ne pût s'empêcher d'afficher un sourire gêné, puis se décida à ouvrir la boîte pour ensuite la faire pivoter et en présenter le contenu. Tout en continuant à parler, elle fit signe à la jeune femme qu'elle pouvait examiner l'ossement.

- Et voilà. Une phalange de sainte-Edwige, XIIIème siècle. Ca ira pour ce que vous avez prévu?

Guettant toujours une réaction de sa part, elle la laissa se faire une opinion sur la marchandise. Toutefois elle gardait son objectif à l'esprit. Aussi, elle adressa un regard en coin à Emmy pour lui signifier de se tenir prête, puis elle arbora un air beaucoup plus sérieux en plantant directement son regard dans celui de la présumée sorcière.

- Non vraiment, on peut faire des trucs qui en imposent avec ça. J'espère que vous savez ce que vous faites

Willow ne devait en aucun cas la laisser repartir sans avoir obtenu la moindre information.

Ithuriel observa un moment à la dérobée l’autre cliente présente dans la boutique. Elle n’aurait su dire pourquoi exactement, mais celle-ci éveillait ses soupçons. C’était comme si son instinct essayait de lui envoyer un message. Ithuriel sentait qu’elle devait demeurer sur ses gardes. Cependant, elle ne tenta pas non plus de faire quoi que ce soit. Elle ne pouvait guère faire confiance à son instinct. Récemment, il lui avait fait défaut à de bien trop nombreuses reprises. Et tant et si bien même que c’était en partie à cause de lui qu’elle se retrouvait présentement en ces lieux. Son instinct lui avait fait défaut presque autant qu’elle avait pu faillir à sa mission en ne parvenant pas à empêcher le retour du grand Archange déchu. Peut-être n’était-ce que de la paranoïa finalement. Peut-être cette autre cliente n’était-elle en réalité rien de plus qu’une simple cliente. Ithuriel n’aurait su le dire avec certitude.

La jeune femme reporta son attention sur la propriétaire de la boutique lorsqu’elle entendit les perles du rideau s’entrechoquer et vit la vendeuse réapparaître dans la pièce. Celle-ci prit le temps de saluer sa nouvelle cliente avant de se consacrer entièrement à Ithuriel. Elle déposa entre elles sur le comptoir une boîte en fer tout en déclarant que mettre la main sur une telle relique n’avait pas été une paire de manche. Ithuriel s’en doutait. Le commerce de reliques sanctifiées n’était guère monnaie courante. Il était plus souvent question d’artéfacts ayant été à un moment ou à un autre en possession de tel Saint ou de tel Prophète. Mais les restes physiques de leur enveloppe charnelle, à moins de s’y connaître en matière de sciences occultes, cela était sans intérêt pour un non initié. En l’occurrence, Ithuriel n’avait rien d’une novice. Elle savait ce qu’elle faisait et ce dont elle avait besoin pour parvenir à ses fins. Aussi ne prit-elle pas la peine de répondre à la première remarque de la vendeuse.

Cela explique sans doute le sourire gêné qui barra les lèvres de Willow face à l’absence de réponse de son interlocutrice. Il arrivait parfois qu’Ithuriel se détache complètement de l’instant présent. Quelques réminiscences d’une autre vie. Un bref aperçu d’une vérité qu’elle s’efforçait de garder dissimulée aux yeux de tous : elle n’était pas entièrement humaine. Il demeurait en elle une part exotique ; quelque chose qui la rendait différente de ses prétendus semblables. Elle avait beau avoir appris à reconnaître et à imiter la plupart des réactions propres aux mortels, il n’en demeure pas moins que parfois elle ne pouvait s’empêcher de redevenir tout simplement elle-même : une créature en décalage avec ce que les Humains qualifiaient de normal. Et dans le cas ici présent, c’était vérifié : les yeux rivés sur la boîte en fer sur laquelle reposaient les mains de la vendeuse, Ithuriel avait complètement ignoré les paroles de la jeune femme pour ne se concentrer que sur le contenu de la boîte.

Désespérément, elle cherchait à capter le pouvoir résiduel émanant des restes sanctifiés. Avant de se couper les ailes et de se condamner à une existence mortelle, elle aurait été en mesure de ressentir le pouvoir émanant d’une telle relique. Mais là… rien. Quand bien même la vendeuse déverrouilla-t-elle la boîte pour permettre à Ithuriel d’en examiner le contenu par elle-même, la jeune femme demeura incapable de certifier si cette phalange avait bel et bien appartenu à une femme canonisée ou s’il était question là d’une vulgaire supercherie. Un os arraché à la première tombe venue. Un subterfuge pour lui soutirer son argent en prétendant lui vendre ce sur quoi elle désirait tant mettre la main. Mais aux dires de la vendeuse, Ithuriel avait présentement les yeux rivés sur les restes de Sainte Edwige.

— Sainte Edwige ? répéta pensivement Ithuriel. Edwige de Silésie. Une femme très pieuse. (Ithuriel se tut un instant et médita avant de finalement hocher la tête avec conviction.) Cela fera l’affaire. Sainte Edwige avait à cœur d’aider les nécessiteux et elle a mené une vie exemplaire en se tenant à l’écart de la tentation et du mensonge. (Ithuriel quitta la relique des yeux pour plonger son regard dans celui de la vendeuse.) Ce sera parfait. Combien je vous dois exactement ?

Ithuriel n’avait même pas conscience d’avoir étalé ses connaissances religieuses. Les mots étaient sortis de sa bouche tout naturellement. Comme si on lui avait tout bonnement demandé l’heure et qu’elle s’était empressée de donner une réponse. Aussi sa question pouvait-elle surprendre et prendre un peu au dépourvu. Elle était littéralement passée du coq à l’âne en une fraction de seconde.

Au même moment cependant, un bruit dans le dos d’Ithuriel retint son attention et la jeune femme se détourna un instant pour jeter un œil par-dessus son épaule. Ses yeux se posèrent un bref instant sur l’autre cliente présente dans la boutique qui faisait mine de flâner entre les rayons. Elle avait renversé un flacon ou quelque chose dans le genre. Mais Ithuriel n’eut guère le temps de s’interroger plus avant car son attention fut immédiatement ramenée vers la vendeuse qui souligna le fait qu’avec une relique  comme celle qu’elle s’apprêtait à lui vendre, mieux valait savoir à quoi s’attendre. Ce n’était pour sûr pas le genre de chose à mettre entre tous les mains. Cela pouvait très vite devenir dangereux.

Ithuriel était bien placée pour le savoir mais elle secoua la tête pour rassurer son interlocutrice.

— Ne vous faites pas de souci pour moi, déclara-t-elle en reposant un instant les yeux sur la phalange de Sainte Edwige. Je sais exactement ce que je fais. Combien alors ?

Ithuriel releva les yeux vers la vendeuse et sortit son portefeuille du sac qu’elle portait en bandoulière en travers de la poitrine. Elle fronça légèrement les sourcils en tirant une carte de crédit au nom de la femme dont elle avait investi le corps laissé à l’abandon dans l’unité des soins intensifs d’un hôpital de Seattle. Ithuriel était convaincue que la carte suffirait à couvrir cette dépense. Mais elle s’en voulait de se servir de l’argent d’une autre à ses propres fins. Mais d’un autre côté, Lilian n’en aurait plus besoin. Cela faisait plusieurs années déjà qu’elle avait quitté son corps et trouvé le repos éternel aux Cieux – dans son paradis personnel. Ithuriel n’avait donc pas à éprouver le moindre remord du fait de dilapider cet argent. D’une certaine manière, c’était pour le bien commun. Ce n’était pas tant à des fins égoïstes.

Ithuriel tendit sa carte à la vendeuse et paya la transaction avant de récupérer son bien nouvellement acquis. Elle remercia la propriétaire de la boutique en lui offrant un sourire rayonnant tout en glissant la boîte en fer sous son bras gauche. Instinctivement, elle fit en sorte de garder sa main droite libre au cas où elle aurait à tirer sa dague et à combattre. Cela n’avait rien à voir avec la tension qui régnait au sein du petit commerce et dont elle était passée complètement à côté du fait de son attention toute focalisée sur l’objet de sa convoitise. Il s’agissait plutôt d’une déformation professionnelle. Quand bien même elle était mortelle à présent, cela ne changeait rien au fait qu’elle avait été et resterait à jamais une combattante. Elle avait peut-être perdu sa Grâce mais pas son âme de soldat.

Ithuriel se dirigea vers la sortie de la boutique après avoir salué la vendeuse. Mais le fait est qu’elle ne posa jamais la main sur la poignée de la porte. Et la clochette suspendue au-dessus de l’entrée ne vint pas non plus briser le pesant silence qui s’était soudain abattu dans la pièce quand l’autre cliente vint lui couper toute retraite. Les sourcils d’Ithuriel se froncèrent de nouveau. Quelque chose n’allait pas…

Le moins que l'on puisse dire, c'était que cette Lilian n'était pas du genre loquace. Du moins c'était les pensées qui traversaient l'esprit de Willow, alors que sa cliente ne pipait mot et se contentait de fixer intensément la boîte en fer. Une opinion qui fut mise à mal un instant plus tard, quand elle fit étalage de ses connaissances sur la fameuse sainte-Edwige.
Pour tout dire, Willow fut très surprise. Certes elle savait elle-même qui était cette sainte. Mais c'était uniquement parce qu'elle avait dû faire des recherches pour se procurer la relique. Par ailleurs, sainte-Edwige était loin de figurer parmi les saints les plus connus et quand bien même, ce genre de connaissances était peu commun, même parmi les chasseurs.

- Euh oui c'est bien ça, acquiesça-t-elle simplement avec hésitation.

Décidément, cette jeune femme la laissait perplexe. Et nul doute que Willow aurait beaucoup de questions à lui poser par la suite.
D'un coup d'oeil, elle pu vérifier qu'Emmy avait comprit le message, puisque cette dernière alla se placer prestement devant la porte d'entrée, bloquant toute issue. Tous se passait bien jusque-là et leur cible ne semblait pas avoir remarqué quoi que ce soit. Du moins il fallait l'espérer, car elle s'était retournée au moins une fois pour observer Emmy. Enfin, ce serait sans doute la réaction normale de quiconque fréquentait ce genre d'établissement, pensa Willow, elle y comprit.

Son attention se reporta sur leur présumée sorcière qui lui affirma savoir ce qu'elle faisait. Cela, la tenancière du Carrefour du Chasseur n'en doutait pas une seconde. C'était bien ce qui l'inquiétait. Quoi qu'il en soit, Lilian ne semblait pas disposée à lâcher des informations importantes au fil de la conversation. Il était donc grand temps de refermer le piège. Sans plus de cérémonie, Willow se saisit de la carte de crédit que la jeune femme lui tendait et la débita, puis la lui rendit en même temps qu'elle lui confia la boîte.

Dès que la cible se fut retournée, la jeune vendeuse se saisit à tâtons du fusil caché dans un compartiment de son comptoir. Plus question de retour en arrière maintenant. Le plan était lancé. Une fois de plus, elle fut impressionée par le calme et l'assurance d'Emmy dans ce genre de situation. Une attitude qu'elle lui avait toujours enviée. Celle-ci s'était interposée entre Lilian et la sortie puis l'avait mise en joue sans attendre. Willow, sans lâcher la scène des yeux, arma ostensiblement son arme tout en rejoignant son amie. Silencieuse, elle planta un regard qu'elle voulait menaçant dans celui de Lilian, lui signifiant qu'elle avait non pas une, mais bien deux chasseuses sur les bras.

Willow approuva les paroles d'Emmy d'un hochement de tête. On était certes jamais trop prudent. Les sens en éveil, elle guettait tout signe que la sorcière se préparait à user de ses pouvoirs.

- Oui, ce sera un bon début. Oh, et au passage, dites-nous donc ce que vous êtes venue faire à Huntfield. Et je vous conseille de ne pas essayer nous embobiner.

Effectivement, quelque chose n’allait vraiment pas. À peine se fut-elle mise en travers de sa route que la prétendue cliente de la boutique sortit une arme à feu qu’elle braqua d’emblée sur la tête d’Ithuriel. Et sur ses lèvres fleurissait l’un de ces sourires qui sonnent faux. Ceux qui se veulent menaçants et qui tendent à envoyer un message on ne peut plus clair : « ne tente rien ou tu le regretteras amèrement. » Pourtant les mots qui franchirent ensuite la barrière de ces mêmes lèvres se voulurent bien moins durs et intimidants que le sourire en lui-même – ou même le regard qu’elle planta dans celui de la déchue. Mais elle disait vrai : par les temps qui courent, on n’était jamais trop prudent.

Ithuriel l’avait appris à ses dépens durant les mois qui avaient suivi sa Chute et sa réincarnation ici sur Terre. La vie de simple mortelle n’avait déjà d’ordinaire rien d’une sinécure, mais les choses allaient de mal en pis depuis le retour de Lucifer et sa victoire sur ses opposants. Et encore, ce n’était pas comme si l’Archange renégat était monté sur scène. Il n’avait toujours pas fait parler de lui ouvertement et il se contentait de tirer les ficelles dans les coulisses. Mais le globe terrestre tout entier avait connu une brusque recrudescence de l’activité surnaturelle – principalement démoniaque. Et Huntfield avait hélas eu la chance d’être choisie pour être l’épicentre de cette hausse. Ithuriel comprenait donc aisément la réaction de la femme lui faisant face. Elle-même avait eu son lot de créatures démoniaques et autres engeances issues des profondeurs lui ayant barré la route depuis le début de son exil.

Elle avait chuté pour absoudre ses erreurs et ses péchés. Elle s’était coupé les ailes pour retrouver un sens à son existence. Pour retrouver une raison d’être à la mission qui lui avait été confiée. Mais rien ne s’était passé comme elle l’avait prévu. Les mortels étaient beaucoup trop faibles. Ils n’avaient pas la force physique pour affronter ne serait-ce qu’un seul démon. Ils n’étaient que de la chair à canon et n’importe quel monstre surgi du plus sombre des cauchemars pouvait avoir raison de l’un d’entre eux sans la moindre difficulté. Ithuriel y avait vu là un genre de challenge. Un moyen de se prouver à elle-même qu’elle était capable de retrouver un sens à sa vie. Elle était un soldat. Combattre était dans sa nature. Elle avait été créée pour cela et elle était douée dans ce qu’elle faisait. Mais poser les yeux sur cette arme braquée sur sa tempe lui rappela d’un coup la fragilité de sa propre existence. Elle n’était plus un ange – comment pourrait-elle l’oublier un jour étant donné qu’elle ne cessait d’y repenser en permanence – et une balle tirée à bout portant pouvait maintenant avoir raison d’elle.

Le regard d’Ithuriel fit la navette entre la fausse cliente et l’arme braquée sur sa tête. « Elle n’avait pas à s’inquiéter » avait-elle dit ? Plus facile à dire qu’à faire. Dans le fond, Ithuriel n’était pas effrayée. Le fait est cependant que son corps, lui, répondait naturellement aux stimuli provoqués par une soudaine décharge d’adrénaline dans son système. Elle sentait son cœur battre la chamade dans sa poitrine et ses mains devinrent moites autour de la boîte en fer qu’elle tenait serrée dans ses mains. Quand bien même elle ne s’en rendit pas compte immédiatement, ses articulations avaient commencé à blanchir et ses muscles se tendaient d’eux-mêmes comme si son corps était prêt à combattre ou bien à prendre la fuite. L’instinct du soldat. Mais Ithuriel se fit violence pour n’esquisser aucun geste menaçant.

Sa respiration se coupa net quand elle perçut un autre bruit menaçant dans son dos. La propriétaire de la boutique entra alors dans le champ de vision d’Ithuriel en brandissant elle aussi une arme à feu qui en imposait. Quand bien même elle ne connaissait pratiquement rien dans le domaine des armes, nul doute que la taille du canon était proportionnelle aux dégâts qu’il pouvait faire. Mieux valait demeurer sur ses gardes et la jouait fine. Elle était là pour trouver des réponses à ses questions et non pas pour mettre fin prématurément à sa quête de pénitence. Ni même pour s’en prendre aux innocents.

La femme blonde qui tenait entre les mains le pistolet exigea alors de savoir ce qu’elle comptait faire au juste avec l’artefact qu’elle venait de se procurer à l’instant. L’autre femme – la tenante en titre de la boutique – hocha la tête pour appuyer les propos de sa compagne. Elle ajouta dans la foulée qu’elle désirait savoir aussi ce qu’elle était venue faire à Huntfield. Et appuyant ses propos d’un mouvement on ne peut plus explicite avec le canon de son arme, elle précisa qu’il valait mieux ne pas tenter de les embobiner l’une ou l’autre.

Ithuriel tenait toujours la boîte en fer dans ses mains aux articulations blanchies. Lentement, elle leva la droite en prenant soin de faire un geste lent dans lequel ne transparaissait aucune once de menace. Elle ne voulait pas se faire bêtement tirer dessus pour un simple malentendu. Mais la dague glissée dans la ceinture de son jean la démangeait et l’ange dut se faire violence pour ne pas chercher à l’atteindre.

— Il doit y avoir un malentendu, souffla la jeune femme d’une voix ingénue. (Elle désigna du menton la boîte en fer dans son autre main.) C’est juste une babiole. Rien de plus. Je ne vois pas de quoi vous pouvez bien avoir si peur ni pourquoi vous réagissez de la sorte. (De toute évidence, les deux femmes ne mordirent pas à l’hameçon.) Vous l’avez dit vous-même, reprit alors Ithuriel d’une voix plus assurée et moins candide, on n’est jamais trop prudent par les temps qui courent. Et en pareille situation, tous les moyens sont bons pour se protéger et assurer ses arrières. (Elle se tut et ajouta à l’attention de la tenante du commerce.) Et la raison de ma présence à Huntfield ne regarde que moi. Si cela peut vous rassurer et apaiser vos craintes, je n’ai pas l’intention de m’attarder ici plus longtemps que nécessaire. Si cela n’avait tenu qu’à moi, pour rien au monde je n’aurais mis les pieds ici en premier lieu. Plus vite vous me laisserez partir d’ici et plus vite j’aurais quitté la ville. Je ne suis pas là pour vous faire du mal.

Peut-être un peu présomptueux de la part de celle se trouvant en position de faiblesse – et qui plus est dépassée en nombre par l’ennemi. « Ennemi » était un grand mot. Mais Ithuriel avait laissé sa nature de soldat prendre le pas sur tout le reste. Et tandis qu’elle entretenait la conversation en dévoilant aussi peu d’informations que possible, son regard passa de l’une à l’autre des deux femmes se tenant face à elle. Elle était à la recherche d’une faille dont elle pourrait tirer parti afin de faire pencher la balance en sa faveur et lui offrir un moyen de pression sur l’adversaire. Mais quelque chose dans l’attitude de la blonde au pistolet retint l’attention d’Ithuriel. Et soudain la lumière se fit dans son esprit.

— Vous êtes une chasseuse, souffla-t-elle à mi-voix. C’est plus clair maintenant. (Elle posa les yeux sur la commerçante.) Je suppose que vous l’êtes également. J’aurais dû m’en douter plus tôt. J’étais trop focalisée sur cette relique pour me poser les bonnes questions. (Ithuriel secoua la tête et soupira.) Ne vous en faites pas, je puis vous assurer que je n’ai aucune mauvaise intention. Que ce soit à votre égard ou à l’égard de cette ville. Vous n’avez rien à craindre de moi. Je ne représente aucune menace.

La tenancière de la boutique détacha une fraction de seconde son regard d’Ithuriel pour interroger sa compagne. Il n’en fallut pas plus pour que la déchue passe à l’action. Profitant de l’opportunité, elle se saisit du canon du fusil et s’en servit pour projeter celle qui le brandissait sur l’autre chasseuse. Il y eut une détonation assourdissante et Ithuriel sentit ses jambes à deux doigts de se dérober sous elle quand elle se rendit compte que la chevrotine l’avait manquée de peu, ayant préféré faire sa fête à la vitrine remplie de bonbons se trouvant juste à côté de la jeune femme. Ce n’était pas passé loin. Mais elle ne s’attarda pas pour méditer sur cette révélation. Sans attendre, elle se jeta sur le côté et disparut juste derrière une étagère lui servant à présent de couverture. Elle haussa la voix et dit alors :

— Maintenant nous pouvons discuter et tâcher de trouver un terrain d’entente. Inutile d’en venir aux mains. Je vous le répète, je ne vous veux aucun mal. (Elle marqua une pause. Elle hésitait à poursuivre, mais mieux valait mettre les choses au clair.) Mais s’il le faut, je sais me défendre et je n’hésiterai pas à me servir de mon arme contre vous. Ne m’y obligez pas.

Ajoutant le geste à la parole, Ithuriel tira de sa ceinture sa dague effilée. Elle ne mentait pas en disant ne vouloir faire de mal à personne. Mais si sa vie était menacée, elle se devait de tout faire pour s’en sortir indemne. L’instinct de survie était plus fort que tout. Surtout chez les mortels. Et n’était pas l’une des leurs désormais ?

Bon. La stratégie d'Emmy était légèrement agressive. Elle avait déjà expérimenté et ça s'était mal passé... Du coup, elle s'était dit qu'il fallait qu'elle soit un peu moins sur la défensive... Ou tout du moins, qu'elle ne soit pas si dure. Mais en même temps si les gens n'avaient pas l'air toujours aussi coupables elle n'aurait pas besoin de pointer un flingue sur leur tête  ! Surtout que la skinwalker ne voulait surtout pas que Willow soit blessée. Elle s'était attachée à cette petite ! Enfin petite... Elle n'était pas si petite... Mais elle était plus jeune ! Que ce soit dans la vie ou dans le métier, donc il était du devoir d'Emmy de la protéger coûte que coûte.

Bref. Les trois faces se faisaient donc face. Willow l'avait rapidement rejoint pour mettre en joue à son tour la supposée sorcière. Les menaces... Elle avait dis qu'elle allait être plus douce et moins dure c'est ça ? C'était rappé. Même son regard se faisait dur et menaçant. Toute cette situation lui rappela un mauvais souvenir où elle se sentait encore coupable pour la peur qu'elle avait lu dans le regard d'Adam... Elle avait été aussi bête que les chasseurs et elle refaisait la même erreur. Elle devait tenter de calmer le jeu... Mais avant, savoir si la personne en face était du bon côté...

Willow ajouta quelques mots à ses propres paroles. Une chose était sûre, elle avait plutôt intérêt à répondre à leur question si elle voulait que tout se passe sans accroche. La réaction de la cliente était étrangement calme ce qui n'était pas pour rassurer la Skinwalker. Elle était sûre qu'elle préparait un mauvais coup ou un truc du genre.... Aussi c'est pourquoi Emmy resserra la garde de son arme lorsqu'elle leva lentement sa main droite, n'importe quel geste anodin pouvait être mortel venant d'une sorcière. Elle le savait assez bien vu qu'elle fréquentait l'une des plus puissantes... Emmy lui fit d'ailleurs comprendre que son mouvement n'était pas le bien venu et releva doucement son arme pour viser entre ses deux yeux.

Un malentendu ? Une babiole... Quelque chose d'aussi spécial devait forcément être utilisé pour quelque chose de spécial également et aucune des deux chasseuses n'étaient dupes là-dessus.
Sa voix et ses gestes étaient assurés, aucune once de panique ne semblait parcourir son regard... Ne craignait-elle pas les balles ? Si elle avait été un démon Emmy l'aurait senti...

« Écoutez, ce n'est pas spécialement contre vous. On veut juste savoir ce que vous allez faire de ce truc. Comme vous l'avez si bien dis, c'est pour jouer la sécurité. »

Elle jeta ensuite un regard en direction de Willow.... Elle n'aimait pas du tout que son attention aille sur son amie... C'était sûrement son côté protectrice qui se révélait. Elle laissa tout de même la gérante réponde aux dires de la cliente, après tout c'était elle qui avait posé la question, à elle tirer le faire du nez et aussi de lui faire comprendre sa façon de penser.

Elle n'était pas là pour leur faire du mal... Pourquoi pas après tout ? Alors qu'Emmy allait devenir un peu plus... Douce ? Se remémorant que la violence n'était pas toujours la solution. Elle lui adressa d'ailleurs la parole, ce qui eut pour effet plus de la rendre plus tendue qu'autre chose... mais qu'importe. Son regard noisette se posa sur la jeune femme à la peau claire. Une chasseuse...  Oui, elle l'était... Elle était également autre chose, mais ça c'était une autre histoire. Elle déglutit légèrement, son regard était toujours froid et professionnel.

« Vous avez bien deviné. Donc vous vous doutez pourquoi on vous demande tout ceci. Si nous n'avons rien à craindre de vous, qui êtres-vous et surtout, qu'est ce que vous voulez faire de cet artefact ? » demanda-t-elle d'une voix neutre. Elle n'allait tout de même pas la laisser partir sur parole. Elle voulait juste savoir ce qu'elle allait faire bon sang, c'était si compliqué ? ! Son regard ne la quitté pas une fraction de secondes, elle savait bien que la moindre touche d'inattention pouvait être dangereuse. Alors qu'Emmy pensait qu'elles allaient enfin trouver un  moyen pour s'entendre, tout généra.

La femme se saisit du canon du fusil de Willow pour la propulser vers Emmy. La chasseuse allait d'ailleurs tirer sur cette femme pour que son amie ne soit pas blessée, mais elle fut déstabiliser et un coup parti. Emmy n'eut pas vraiment le temps de comprendre si ça venait de son arme ou celle de Willow, mais qu'importe. LA cliente avait préféré la violence à l'état brute, elle allait le regrette. Emmy vérifia également que Willow allait bien et la tira vers elle pour aller se mettre à couvert prés d'une vitrine. La belle se retrouva alors dos à la base de la commode. Elle lança un regard à Willow et lui murmura.

« Ca va ? »

C'est à ce moment là que la femme leur adressa la parole. Une colère sourde monta en Emmy et son regard s'assombrit.

« Discuter ? Si vous n'aviez rien à vous reprocher vous n'auriez pas réagi comme ça ! Alors maintenant, dites nous qui vous êtes et jouez pas à la plus maline avec nous. Nous sommes deux, armés et sur un terrain connu. Alors vous savez qu'on à le dessus »

Emmy se remémora alors qu'elle s'étati dit qu'elle aussi ne voulait pas la violence... Mais son message n'était pas réellement pacifique. C'est pourquoi elle ajouta.

« Nous non plus nous ne voulons pas d'effusion de sang. Mais on ne peut pas vous laisser partir avec l'artefact si on ne connaît pas vos intentions. »

Spoiler:

Leur cible demeurait étonnament calme malgré les canons des deux chasseuses pointés dans sa direction, ce qui n'était pas pour rassurer Willow. Etait-ce une démonstration d'assurance de sa part ou une simple façade. Dans le premier cas, ça n'augurait rien de bon. L'espace d'un instant, la commerçante craint même d'avoir affaire à quelque chose de bien plus dangereux qu'une sorcière.

Celle-ci tenta dans un premier temps de jouer la carte de l'ignorance. Mauvaise pioche. Willow fronça légèrement les sourcils, son regard toujours aussi droitement planté dans celui de la jeune femme en face d'elle, comme pour dire "laissez tomber, ça ne prends pas". Visiblement elle saisit le message car elle commença à se défendre avec plus d'insistance. Mais ça n'était toujours pas suffisant. D'ailleurs Emmy le lui rappela en insistant elle-même. Les deux chasseuse voulaient des réponses, ni plus ni moins.

Selon la cliente, sa présence n'était pas leurs affaires. Mais il en faudrait plus à Willow. Maintenant que les chasseurs dans son genre pouvaient se permettre d'avoir pignon sur rue, elle n'allait certainement pas croire que cette mystérieuse femme ait pu pénétrer dans sa boutique sans savoir un minimum à quoi s'attendre. Quelque chose ne tournait pas rond, rien ne pourrait lui enlever cette impression. Et cela commençait à l'agacer qu'on essaie la tromper aussi ouvertement. Il était temps qu'elle remette les pendules à l'heure.

- Peut-être l'avez-vous remarqué, mais Huntfield n'est pas ce qu'on pourrait appeler une destination touristique de premier choix ces derniers temps. Et vous débarquez, sortie de nulle part, pour me demander une pièce rare et puissante. Dans le genre suspicieux vous sortez du lot. Désolée mais vous allez devoir vous montrer plus loquace que ça si vous voulez repartir.

Willow détestait avoir à violenter inutilement les gens, mais il lui fallait être intransigeante sur ce genre de chose.

- Quant à quitter la ville, sachez que le fait que vous utilisiez cette relique ici ou ailleurs m'importe peu. Je ne peux décemment pas vous laisser filer avec ça, sans être sûre de vos intentions.

C'était déjà assez dur de ne jamais voir revenir bon nombre des chasseurs qui passaient par chez elle, elle n'allait certainement pas mettre d'autres personnes en danger à cause de sa négligence. Cette relique quitterait cet endroit pour une bonne raison ou elle ne le quitterait pas du tout.

Comme d'habitude, Emmy restait d'un calme impressionnant. Sa présence rassurait quelque peu Willow qui ne savait pas si elle aurait pu gérer cette situation toute seule. Pourtant elle pouvait sentir que son amie s'était un peu tendue et cela n'augurait rien de bon.

Willow fut réellement surprise quand sa cliente comprit qu'elle et Emmy étaient des chasseuses. Ca lui paraissait tellement évident à elle. Pour ne pas savoir ça, cette femme devait être une novice. Mais que pourrait bien fabriquer une novice avec un artefact pareil? Encore un peu plus de mystère, c'était énervant. "Elle ne représentait pas une menace". Ca, Willow ne demandait pas mieux que de pouvoir la croire. Ce n'était pas comme si elle menaçait les gens pour le plaisir. Elle voulait simplement avoir l'esprit tranquille. Et s'il existait une personne de plus en ce monde sachant se servir d'une relique puissante tout en étant du bon côté, ça l'aiderait vraiment à mieux dormir.

Emmy acquiesça aux dires de la cliente avant d'insister, répétant qu'elles voulaient obtenir des réponses. Willow se demanda si leur requête allait finalement aboutir, car cette femme ne semblait disposée à donner aucune information. Elle ne réalisa même pas qu'elle avait quitté un bref instant sa cible des yeux.

Le temps que Willow comprenne ce qui se passait, elle avait déjà perdu l'équilibre et se retrouva projetée en direction d'Emmy. Elle eu à peine le temps de se remettre sur ses jambes que son amie l'entraîna avec elle pour se mettre toutes deux à couvert. La plus jeune des deux chasseuse se retrouva donc assise dos à un meuble, les mains toujours crispées sur son arme et le regard rivé sur le sol. Quand Emmy se tourna vers elle pour lui demander si tout allait bien, Willow se contenta de hocher la tête. Elle ne pouvait pas affronter son regard alors qu'elle venait de commettre une erreur qui aurait pu leur coûter très cher.

Les deux autres jeunes femmes se menacèrent l'une l'autre. D'après les dires de leur adversaire, elle était armée mais rechignait à se battre, tandis qu'Emmy, elle, était visiblement de plus en plus remontée. Willow se sentait tellement peu à sa place en cet instant. Au milieu de ces deux femmes dont chacune – elle en avait la preuve à présent – était plus apte qu'elle à se battre. Les deux autres étaient déjà en train de s'invectiver, prêtes au combat, alors que son propre coeur battait encore la chamade. Elle aurait dû être plus sur ses gardes. Elle aurait dû rester plus en retrait.

Oui elle aurait dû, mais il était trop tard maintenant.

- Pourquoi, lança-t-elle, pourquoi devez-vous rendre ça si compliqué? Vous croyez que cette situation nous plaît? Nous vivons des temps très dangereux, l'existence du surnaturel est désormais reconnue par tous et vous voilà, une inconnue, en quête d'une relique sacrée.

Elle n'arrivait pas à s'arrêter de parler. Etait-ce l'adrénaline, la honte, la nervosité? Elle n'aurait pas sû le dire.

- Vous voulez que je vous dise ce qu'on croit? On croit que vous êtes une sorcière. Vous prétendez ne représenter aucun danger, mais prouvez-le nom d'un chien! Répondez-nous. C'est pourtant simple, sacré bon sang!

Willow prit de grandes inspirations pour se calmer. Toujours sans regarder Emmy, elle releva la tête

- Ecoutez. Oui, nous sommes des chasseuses. Et vu comme ça a eu l'air de vous surprendre, si on avait vraiment voulu vous éliminer, je vous assure que ce serait déjà fait.

Les idées de nouveau claires, elle jeta enfin un regard vers son amie. Qu'allaient-elles faire maintenant?

Ithuriel avait fait tout son possible pour rassurer les deux femmes la menaçant de leurs armes. Mais en vain. La blonde n’était pas convaincue par la défense de la déchue et quand bien même elle insista en disant que ce n’était pas spécialement contre elle, le fait est qu’elle exigeait tout de même des réponses. Elle ne semblait pas décidée à lâcher le morceau. Preuve en est : Ithuriel ayant visé juste quant au fait que la gérante de la boutique et elle étaient des chasseuses, la blonde ajouta que la déchue devait de fait savoir pourquoi elles insistaient autant. Elle voulait à présent connaître le nom de la jeune femme en plus de ses intentions. Elle avait l’air déterminée et du genre têtue.

Quant à la brune, la propriétaire de la boutique ésotérique, elle paraissait convaincue qu’Ithuriel tentait par tous les moyens de les embrouiller sa compagne et elle. Elle trouvait très suspicieux en effet que la déchue sorte de nulle part en exigeant de mettre la main sur une relique puissante sans pour autant donner la moindre information quant aux projets qu’elle avait la concernant. Dans le fond, elle n’avait pas tort : c’était effectivement très suspicieux. Ithuriel aurait probablement réagi de la même manière si les rôles avaient été inversés. Néanmoins, l’explication qu’aurait pu donner Ithuriel pour se justifier était somme toute plus suspicieuse encore et ne ferait que compliquer plus encore la situation. D’où le fait qu’elle garde le silence. C’était autant une question de survie que de bon sens.

C’est alors que la situation avait dégénéré pour de bon. Profitant de l’inattention des jeunes femmes, Ithuriel avait réussi à trouver refuge derrière une étagère en échappant ainsi à la menace des armes à feu des deux chasseuses. L’un des tirs n’était pas passé loin d’elle, mais la déchue réfléchissait d’ores et déjà à la suite des événements. Les chasseuses se trouvaient entre elle et la sortie. Et il était hors de question qu’elle engage le combat si cela pouvait encore être évité. C’était cependant plutôt mal parti. Mais compte tenu de la situation avec l’Archange renégat, chaque chasseur à même de faire front face à la menace était une chance supplémentaire d’empêcher l’Apocalypse. Et qui plus est : ce n’était pas dans les intentions de la déchue d’ôter la vie à de parfaits innocents.

Aussi est-ce la raison pour laquelle Ithuriel avait mis les deux femmes en garde. Elle était armée et elle savait se battre. Si la situation l’exigeait, elle n’hésiterait pas à sauver sa peau avant toute autre chose. Cependant, quand bien même les pourparlers semblaient mal partis, peut-être y avait-il encore moyen de régler toute cette histoire dans le calme et sans la moindre effusion de sang.

La réponse de ses interlocutrices ne se fit pas attendre. Ithuriel reconnut la voix froide et colérique de la blonde. La fausse cliente. Selon elle, si Ithuriel n’avait rien à se reprocher, alors elle n’aurait pas réagi de la sorte. Elle n’avait pas entièrement tort sur ce point. Mais le fait est que la confiance n’était guère monnaie courante ces derniers temps. Entre le retour de Lucifer et les raids organisés par les démons, difficile de savoir vers qui se tourner en toute confiance. Et si Ithuriel était une étrangère aux yeux de ces deux chasseuses, la réciproque était également vraie : elle ne savait rien d’elles et était bien placée pour savoir que même des chasseurs pouvaient œuvrer pour l’autre camp. Il ne fallait jamais se fier aux apparences. Et c’est pourtant ce qu’elle attendait de la part des deux femmes. Quelle ironie…

Puis vinrent les menaces. La blonde tint à faire remarquer à Ithuriel qu’elle était seule contre deux et que contrairement à elles, la déchue n’était pas en terrain connu. Les chasseuses avaient l’avantage du nombre et de la connaissance du terrain. Ithuriel était effectivement mal placée pour exiger quoi que ce soit. Mais elle n’était pas une vulgaire mortelle et les anges avaient leur fierté et cette sale habitude de toujours exiger les choses sans concession. Aussi Ithuriel ne baissa pas les bras. Hors de question.

— Mieux vaudrait ne pas me sous-estimer au risque de vous en mordre les doigts, souffla Ithuriel. (Ce qui après mûre réflexion n’était sûrement pas la meilleure chose à dire en pareille situation. Aussi tenta-t-elle de se rattraper de son mieux.) Cela ne vous avancera à rien de savoir qui je suis ou même ce que j’ai l’intention de faire avec cette relique. C’est personnel et cela ne regarde que moi. Croyez-moi ou non, mes intentions ne sont pas mauvaises. C’est même tout le contraire. Mais cela ne vous concerne pas. Je ne peux rien vous dire de plus. Désolée.

La voix de la gérante de la boutique s’éleva alors. Elle désirait savoir pourquoi Ithuriel s’efforcer donc de rendre la situation plus compliquée encore qu’elle ne l’était déjà. Elle s’exprimait avec hâte comme sous l’effet du stress ou de l’adrénaline. Mais à l’entendre, elle non plus ne désirait pas voir la situation virer au bain de sang si cela pouvait être évité. Eh bien, soit ! Elles étaient trois donc. Pourtant, aucun des deux partis n’était décidé à baisser les armes le premier et à enterrer la hache de guerre. Ithuriel campait sur ses positions en refusant de révéler ses projets et les chasseuses refusaient de lâcher cette affaire. Elles se trouvaient donc toutes les trois dans une impasse. C’était vraiment mal parti…

La gérante tenta alors une première approche pacifique en révélant à Ithuriel ce que son amie et elle pensaient de la situation. Une sorcière ? Elles pensaient avoir affaire à une vulgaire sorcière ? Comme elles étaient bien loin du compte. Certes, Ithuriel avait besoin de cette relique sainte pour exécuter un rituel ancestral, mais elle n’était pas pour autant une sorcière. Les sorcières œuvraient toutes pour les ténèbres. Elles ne valaient guère mieux que les démons que certaines vénéraient comme des dieux. Non. Ithuriel était aux antipodes de ces garces malfaisantes. Mais elle comprenait le malentendu.

La propriétaire de la boutique ésotérique jura en exigeant une dernière fois qu’Ithuriel fasse un effort de justification. Si vraiment elle ne représentait aucun danger alors qu’elle le prouve. Comme ça tout le monde serait content et elles pourraient tourner la page et passer à autre chose. Et tentant le tout pour le tout afin de s’attirer la sympathie de la déchue, la chasseuse alla même jusqu’à faire remarquer que si elles avaient voulu s’en prendre à elle, elles l’auraient déjà fait.

Ithuriel ferma les yeux un instant et prit une lente inspiration. Hors de question qu’elle révèle à qui que ce soit sa véritable nature ou même ses intentions. Hélas, elle se trouvait dans une impasse et savait pertinemment que ces chasseuses ne la laisseraient pas quitter cet endroit en vie si elle ne se décidait pas à jouer franc-jeu avec elles. Ithuriel détenait pourtant la relique. Pourquoi ne pas fuir ? Impossible car ses adversaires lui barraient la route. Ithuriel serra donc les dents et souffla :

— Même si je vous révélais la raison pour laquelle j’ai cherché à mettre la main sur cette relique, vous ne pourriez pas comprendre. (Elle marqua une pause.) Vous ne me faites de toute évidence pas assez confiance avec cette relique alors si je vous disais tout ce que je sais, nul doute que je ne passerais pas la nuit. (Ithuriel se tut une nouvelle fois.) Avez-vous déjà entendu parler du… (Ithuriel prononça alors un mot aux intonations barbares et gutturales. De toute évidence, le mot qu’elle avait employé était tiré d’une langue morte bien plus ancienne que le grec ou le latin.) Ou Revelationum Ritus. Le rituel des Révélations. (Elle marqua une pause pour laisser le temps à ses interlocutrices d’assimiler ces nouvelles informations.) C’est un rituel énochien censé apporter les réponses aux questions que se pose celui qui l’exécute. C’est un peu comme… une marche spirituelle. La vérité s’impose à celui qui mène à bien le rituel. (Ithuriel se tut.) C’est tout ce que je peux vous dire. Le reste est personnel. Vous voyez. Il n’y a aucune raison de douter de mes intentions. Je ne veux de mal à personne. Je suis juste en quête de réponses. C’est tout. Est-ce que vous êtes rassurées maintenant ?

Ithuriel se tut. Elle venait de révéler la nature du rituel qu’elle avait l’intention de mener à terme si on lui en laissait l’occasion, mais elle avait pris soin de taire ses réelles motivations. À quoi bon leur révéler qu’elle cherchait à comprendre pourquoi elle était incapable de quitter cette ville ? Certes, un blocus démoniaque empêchait quiconque de franchir les limites de la ville, mais ce n’était pas à cause de cela qu’Ithuriel était condamnée à demeurer à Huntfield. Son esprit s’embrouillait chaque fois qu’elle était décidée à quitter cet endroit. Elle passait soudain d’une parfaite lucidité à un sentiment qu’elle peinait à expliquer – elle devenait soudain confuse – dès qu’elle se mettait en tête de fuir la ville. Et si au tout début cela ne lui avait pas paru suspect, il était désormais évident que quelque chose se tramait à son insu. Rien de tout ceci n’était normal et elle souhaitait découvrir pourquoi. D’où le rituel. Mais encore fallait-il que les chasseuses acceptent de la laisser partir en paix. Mais ce n’était pas gagné on dirait…

Spoiler:

La situation était plus compliquée qu'Emmy l'avait voulu. Elle essayait de garder son calme et surtout de trouver une solution pour que tout le monde soit content. Elle ne voulait pas jouer la carte de la violence. Déjà, parce qu'il y avait Willow et elle avait beau être une chasseresse, Emmy ne voulait pas prendre le risque de la mettre en danger en s'attaquant à quelqu'un qu'elles ne connaissaient pas. Et secundo, la dernière fois qu'elle avait jouer cette carte elle s'était attaquée à une créature gentille : Adam. La skinwalker s'en voulait encore pour cette histoire d'ailleurs.

Les deux chasseuses tentaient tant bien que mal d'expliquer pourquoi elles réagissaient ainsi... Mais la cliente ne semblait ne vouloir rien entendre. Soit elle était vraiment trop têtue, soit elle était bête soit elle était vraiment coupable. Les trois hypothèses allaient devoir se vérifier. Mais la situation dégénéra et cette garce venait de les mettre à mal. Le premier réflexe d'Emmy fut de bien sûre protéger Willow et de la mettre à l'abri chose qu'elle réussit à faire. Elle lui demanda d'ailleurs si tout allait bien et la chasseuse se contenta d'hocher la tête. Elle avait l'air de s'en vouloir, pourtant elle ne devrait pas. La skinwalker posa une main rassurante sur l'épaule de son amie et lui offrit à sourire réconfortant, comme pour lui dire que tout irait bien.

Emmy s'éclaircit ensuite la voix pour se faire entendre. Mais la jeune femme était vraiment quelqu'un qui semblait bornée. Étrangement, elle ne répondit pas au fait que si elle n'avait rien eu à se reprocher elle ne se serait pas comporter ainsi. Mais lorsqu'elle la menaça, la jeune femme lui annonça qu'elle ferait mieux de ne pas la sous-estimer. Sauf que ce que la petite jeunotte ne savait pas c'était qu'Emmy avait plus d'un tour dans son sac et surtout, elle était plus rapide et ce n'était pas une vulgaire balle qui pourrait la tuer, mais bien une balle en argent en plein cœur. Elle était désolée ne pas pouvoir leur dire la vérité, ça leur faisait une belle jambe tiens ! En attendant, elles étaient toutes les trois coincées dans cette boutique.

C'est à ce moment là que Willow prit la parole, pour annoncer des propos pleins de sagesses. Mais la cliente était vraiment butée. Emmy avait l'impression que cette histoire ne se finirait jamais. Elle ferma les yeux, tentant de se calmer et de trouver une solution. Si aucun des deux camps ne faisaient un pas vers l'autre, alors ils n'avanceraient pas... Peut-être que la skinwalker, en tant que plus âgée et plus expérimentée – enfin, tout du moins elle était sûre d'être plus vieille que Willow et ce n'était pas le physique de la cliente qui allait la contredire- devait-elle avoir la sagesse de déposer les armes pour trouver un accord.

Mais les paroles de Willow semblaient réussir à toucher leur adversaire qui leur révéla enfin pourquoi elle était venue. Oh, au fond, elle pouvait toujours leurs mentir, mais Emmy appréciait déjà ce premier pas vers la paix. Elle plongea son regard dans celui de son amie, comme pour savoir si Willow trouvait les explications de la jeune femme logique. Emmy acquiesça, comme pour signifier qu'elle ne semblait pas être un réel danger. En réalité, la cliente avait plutôt l'air perdue dans cette histoire... Et si la relique ne lui servait qu'à trouver des réponses alors soit.

C'est donc pour cela que la skinwalker se mit à découvert, montrant ainsi qu'elle balançait le drapeau blanc.

« Bien.... Rassurer je ne sais pas... Mais on va vous donner le bénéfice du doute, tout du moins vous laissez partir... Si vous ne cherchez que des réponses alors je vous souhaite de trouver ces réponses.... Mais si vous tentez de faire du mal aux habitants de Huntfield.... Croyez moi que vous ne serez plus de ce monde pour savourer votre victoire. »

Elle déposa alors son arme sur le comptoir et invita Willow du regard à se relever. La cliente ne le savait pas, mais Emmy avait imprimer son odeur dans sa mémoire... elle pourrait alors la retrouver si elle se mettait à sa chasse. Elle s'avança dans la salle, d'un pas assurée. Elle préférait être devant Willow, au cas où tout ceci ne faisait que dégénérer encore.... Elle tendit la main en direction de la jeune femme.

« Je me nomme Emmy Stinger. » ajouta-t-elle d'une voix sûre d'elle. Elle attendait à ce que Willow se présente alors elle-même, après tout, elle était une grande fille !

Spoiler:

Les paroles que Willow avait proférées sans réfléchir eurent plus de poids que ce qu'elle aurait cru. En fait il s'avéra même que la cliente, après s'être d'abord montrée extraordinairement têtue, consentit finalement à leur donner quelques menues informations. Menues en effet car elle ne leur révéla que le nom du rituel qu'elle comptait accomplir ainsi que son effet. Mais c'était déjà un sacré pas en avant compte tenu de la situation. Pour la première fois depuis le début de cette histoire, les choses avançaient dans le bon sens.

Le Revelationum Ritus. Willow n'en avait jamais entendu parlé, mais ça ne l'empêcherai pas de faire des recherches pour valider les dires de sa cliente. Selon cette dernière, il s'agissait d'un rituel énochien. La jeune chasseuse n'était certes pas experte en la matière mais elle savait de quoi il s'agissait. L'Énochien, le "premier langage". Si tel était le cas alors la nécessité d'obtenir une vieille relique sainte prenait tout son sens. Willow croisa le regard interrogatif d'Emmy. Will hocha la tête pour lui signifier que cette histoire semblait plausible et son amie en fit de même.

Ce fut Emmy qui prit l'initiative de sortir de leur cachette. D'après ses dires, elle était donc prête à accorder du crédit aux paroles de la jeune femme . Tout en lui faisant bien comprendre qu'elle aurait un oeil sur elle. Willow n'en revenait pas que la tension ait été effacée de manière si rapide. Comme quoi un peu de bonne volonté venant d'un côté pouvait facilement susciter une réaction similaire de l'autre. Et puis chaque partie avait prétendu ne vouloir faire plus de vagues que nécessaire. Apparemment c'était vrai et c'était un bon point en faveur de la cliente.

Willow prit le temps de se relever tout en desserrant sa prise sur son arme. Pendant ce temps, Emmy avait déjà déposé la sienne et s'avançait à la rencontre de l'autre jeune femme. Will la suivit un moment des yeux. Elle semblait avoir retrouvé ce calme qui prouvait qu'elle maîtrisait la situation. Et si elle affichait cette attitude tout en étant désarmée, c'était signe que le danger était passé. Willow s'approcha également, déposant au passage son fusil sur son comptoir tandis qu'Emmy enterrait définitivement la hache de guerre en entamant des présentations en bonne et due forme auxquelles Will se joignit bientôt.

- Moi c'est Willow Robbinson. Et pour compléter ce qu'à dit Emmy, soyez sûre que je vais faire de plus amples recherches sur ce rituel. Mais d'ici là, vous avez le bénéfice du doute.

Pour ce qui était du nom de sa cliente, Will le connaissait déjà, sans quoi elle n'aurait pu la contacter. Cependant elle lui avait peut-être donné un faux nom par précaution. De toute façon, elle la laissa se présenter elle-même par politesse d'une part, et pour signifier qu'elles repartaient maintenant de zéro, sur des bases plus saines d'autre part.

Il restait encore des zones d'ombres dans toute cette histoire et sa cliente gardait son lot de mystères. Mais maintenant au moins, la chasseuse avait un fil conducteur, une piste pour tenter d'en savoir plus. Tout de même, pour avoir besoin d'un rituel nécessitant une relique pareille, la jeune femme devait être dans de beau draps.

- Les réponses que vous cherchez m'ont l'air difficiles à trouver. Je vous souhaite sincèrement d'y arriver. Et si par hasard vous tombez sur un truc pas net en cours de route, vous savez où je me trouve, ajouta-t-elle, c'est mon boulot d'aider dans ces cas-là.

Ceci étant dit, Will laissa vagabonder son regard dans la pièce. Les débris et les bonbons jonchaient le sol, témoins du coup de feu parti un peu plus tôt dans le feu de l'action. Elle retint à grand peine une moue ennuyée. D'abord, elle y tenait à cette vitrine. Ensuite, c'était là un beau bazar en perspective à nettoyer. De quoi occuper son après-midi

Spoiler:

Revelationum Ritus. Le rituel des Révélations. C’est tout ce qu’Ithuriel avait accepté de fournir comme explication pour justifier le fait qu’elle désirait à tout prix mettre la main sur une relique sainte. Elle ne s’embarrassa guère de plus d’informations. Il était hors de question qu’elle révèle aux premières venues la vérité sur ses origines et sur ses réelles motivations. C’est un point sur lequel elle n’avait cessé d’insister depuis le moment où elle avait été acculée au pied du mur : tout ceci relevait du domaine du privé. Il s’agissait d’une affaire personnelle qu’elle désirait régler en toute discrétion. Contrairement à toutes ces pimbêches étalant les moindres détails de leur vie partout sur l’Internet ou à la télévision, Ithuriel était de nature plus réservée. Et également plus suspicieuse et secrète.

Toujours est-il que cette démonstration de bonne foi parvint à dénouer un peu la situation et à faire avancer le conflit vers une résolution pacifique. Quelques secondes – peut-être même une minute ou deux – s’écoulèrent une fois qu’Ithuriel eut demandé à ses interlocutrices si elles étaient rassurées de connaître à présent la raison pour laquelle elle avait cherché à se procurer la relique sainte. La blonde fut la première à prendre la parole. Et se mettant à découvert, elle déclara ne pas être véritablement rassurée, mais qu’au vu des révélations de la déchue, elle était prête à lui laisser le bénéfice du doute. Elle consentait à la laisser partir en toute liberté. Elle lui souhaita même de trouver les réponses qu’elle cherchait si tel était vraiment son but. Des paroles avenantes et encourageantes qui furent cependant nuancées par une menace à peine voilée : si Ithuriel tentait de faire le moindre mal aux habitants de la ville, elle n’aurait pas l’occasion de savourer sa victoire. Emmy s’en assurerait.

Ithuriel hocha la tête en silence. Un mouvement que son interlocutrice était toutefois incapable de voir de l’endroit où elle se trouvait. La déchue pour sa part voyait le reflet de la chasseuse se refléter dans la vitrine d’une étagère en verre se trouvant juste devant elle. En signe de bonne foi, la chasseuse leva son arme et la posa lentement sur le comptoir avant de tourner la tête et de faire signe à sa consœur de sortir de sa cachette. La gérante de la boutique ésotérique apparut à son tour dans la vitrine et son arme ne tarda pas à rejoindre celle de l’autre femme. Qu’allait faire Ithuriel à présent ?

Les deux chasseuses ayant fait l’effort de rendre les armes, Ithuriel ne voyait pas de raison de demeurer ainsi sur la défensive. Aussi consentit-elle enfin à quitter à son tour sa cachette en tenant son arme à bout de bras. Elle attendit quelques instants que les deux autres jeunes femmes aient posé les yeux sur la lame au fil tranchant avant de lentement remettre la dague mortelle dans son fourreau. Puis levant de nouveau les mains devant elle, la déchue montra qu’elle n’était plus armée. La tension tomba d’un coup et l’atmosphère devint bien moins étouffante dans la boutique. L’orage était passé. Mais il s’en était fallu de vraiment peu.

La chasseuse blonde s’avança d’un pas vers Ithuriel en tendant la main. La déchue observa cette main avec suspicion avant de finalement consentir à la serrer avec fermeté. Elle n’avait jamais véritablement compris la raison d’être de cette poignée de main. Elle se sentait toujours stupide de prendre la main d’un autre individu et de la secouer comme ça dans les airs. C’était tellement inutile. Cela n’avait aucun sens. Mais il s’agissait-là d’une de leurs ancestrales coutumes. Alors soit… Accompagnant la parole au geste, la chasseuse blonde se présenta comme étant Emmy Stinger et quelques instants plus tard, ce fut au tour de la brune d’annoncer qu’elle s’appelait Willow Robbinson. Et histoire de mettre les points sur les i une bonne fois pour toutes, la gérante de la boutique informa Ithuriel qu’elle ne manquerait pas de faire quelques recherches approfondies à propos de ce prétendu rituel sans défense.

— Faites donc si cela vous rassure, répondit Ithuriel avec un hochement de tête. J’aurais certainement fait la même chose si les rôles étaient inversés. Mais je puis vous assurer que vous ne trouverez rien. Je ne mentais pas en disant que mes intentions étaient toutes sauf belliqueuses. Ce rituel ne présente aucun danger pour autrui. Vous n’avez aucun souci à vous faire à ce propos. (Puis s’adressant cette fois-ci autant à Emmy qu’à Willow.) Lilian. Lilian McAllistair. Enchantée de faire votre connaissance.

Enchantée ? Peut-être un mot quelque peu déplacé compte tenu de la tension qui avait manqué faire couler le sang moins de quelques minutes auparavant. Mais n’était-ce pas là aussi une tournure d’usage qui revenait souvent lors des présentations ? Les mortels et leur cérémoniel. Une chose dont les anges ne s’embarrassaient pas. Eux étaient directs et intransigeants. Ils avaient beau avoir devant eux toute l’éternité pour mener à bien leurs affaires, ils n’avaient pas de temps à perdre en vaines fioritures. Ils allaient toujours droit au but. Le plus souvent sans lésiner sur les effusions de sang et la violence. Elle-même n’en était pas passée loin en voulant à tout prix mettre la main sur cette relique.

Néanmoins, l’heure n’était guère à la fraternisation. La déchue n’était pas ici pour se faire de nouvelles amies. Bien au contraire, elle désirait plus que tout quitter cette maudite ville le plus vite possible. Et ce n’était sûrement pas en s’attardant ici plus longtemps qu’elle y parviendrait. Son regard faisant la navette entre Emmy et sa compagne, Ithuriel hésita et demanda :

— Et maintenant ? Sommes-nous quittes ? (Elle marqua une pause et ajouta.) Je vous ai dit ce que je comptais faire de cette relique et vous avez exprimé votre désir de me laisser le bénéfice du doute. Je peux donc m’en aller maintenant ? (Son regard fit de nouveau la navette entre les deux chasseuses.)

Cela ne semblait pas poser problème à la dénommée Emmy. Comme venait de le rappeler Ithuriel, elle avait été la première à exprimer son intention de laisser le bénéfice du doute à la jeune femme. Alors elle n’avait aucune raison de la retenir contre gré plus longtemps. Quant à la gérante de la boutique, elle-même ne semblait pas avoir d’objection à laisser partir Ithuriel – du moins, ouvertement. Mais ses paroles ne laissèrent aucunement transparaître les quelques vestiges de doute dont elle ne s’était pas encore totalement débarrassée. Elle souhaita à Ithuriel de trouver le succès dans la réalisation de son rituel. Elle l’invita même à reprendre contact avec elle si jamais elle se heurtait à un obstacle et si elle avait besoin d’aide ou de conseil. Un moyen comme un autre de la garder à l’œil. Mais Ithuriel se garda bien de faire le moindre commentaire. Loin d’elle l’envie de jeter de l’huile sur le feu. Après tout, cela pouvait tout aussi bien être une offre sincère et dénuée de mauvaises intentions. Mais la déchue avait des difficultés à accorder aussi facilement sa confiance. Surtout en ce moment…

Ithuriel hocha la tête en offrant à la jeune femme un sourire sincère. Elle lui assura alors que cela n’était pas tombé dans l’oreille d’une sourde. Et décrétant que l’heure était venue de prendre congé, elle fit mine de quitter la boutique lorsque ses chaussures firent crisser les morceaux de verre répandus dans toute la pièce. Les restes de la vitrine ayant jusqu’à maintenant contenu les bonbons éparpillés un peu partout entre les étagères.

— Désolée pour ça, souffla Ithuriel avant de finalement prendre pour de bon la direction de la sortie.

Avant de passer la porte, elle s’assura au préalable d’avoir toujours avec elle la boîte contenant la sainte relique. Entretemps, l’après-midi avait filé à toute allure et le soleil avait pratiquement fini de disparaître derrière l’horizon. La nuit serait complètement tombée d’ici qu’elle regagne son motel miteux. Autant ne pas s’attarder donc. Il ne faisait déjà pas bon se promener en ville de jour par les temps qui courent, alors de nuit… ce n’était guère plus recommandé.

S’éloignant rapidement de la boutique, Ithuriel finit par disparaître dans la nuit comme une ombre.

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