III. 04 Je t'invoque, ange de la Création

Il était 2 h 55 du matin. Eleonora coursait dans son appartement pour terminer sa préparation, le livre étant ouvert sur le plancher de son appartement. Dans son salon, elle avait écarté le tapis qu'elle avait roulé dans un coin, les divans qu'elle avait poussés contre le mur, la table basse qui avait été changé d'emplacement, pour laisser un grand espace vide de plancher en bois franc.

Dans cet espace, elle dessiné un cercle à la craie blanche et déposé des bougies en rond autour de celle-ci. Blanches. Elle avait répandu à l'extérieur du cercle blanc et des bougies, un cercle fait d'une huile sacrée comme indiqué dans le livre. Il était recommandé de l'enflammer, mais dans un appartement, Eleonora avait convenu que ce n'était pas franchement l'idée du siècle. Un paquet de feuilles anciennes était à côté du livre. Ce paquet contenait le nom véritable de tous les anges connus à cet époque. De ce qu'elle avait compris, ils pouvaient changer de nom lorsqu'ils étaient dans le monde des Hommes, mais leur nom véritable donné par Dieu ne pouvait tromper leur identité.

L'humaine voulait en invoquer un. Elle ne savait pas lequel choisir et lesquels étaient des hommes ou des femmes. Pour certains, c'était évident, mais pour d'autres... Elle choisit alors de procéder par hasard. Elle ferma les yeux, tendit les mains et tourna les pages, laissant son instinct choisir. Elle s'arrêta et posa fermement un doigt sur l'une des pages. Mahasiah. Le hasard avait choisi, alors soi. Elle ignorait quel ange viendrait à elle, n'ayant aucune description attenante aux prénoms. Prenant son courage à deux mains, elle termina d'allumer les bougies et à 3 h du matin pile, elle était prête. C'était l'heure où le voile entre le monde des vivants et le mystique était le plus faible... Toujours selon ses livres.

Eleonora se mit à genoux devant le livre ouvert et récita ce qu'elle avait par coeur.

- Par la déesse et le dieu, par l'air et le feu, par la terre et l'eau. Au nom de la vie, je t'invoque, toi, Mahasiah, ange du Créateur des cieux. Je t'invoque en ce cercle sacré, moi, Eleonora Swan, humble humaine. Mahasiah, je t'invoque et t'ordonne de venir à moi.

La jeune femme se tû, et ferma les yeux. Elle resta là, à genoux et les bras écartés dans l'attente insoutenable. Puis, n'entendant rien, elle ouvrit les yeux de déception au même moment où un léger bruissement vint troubler le silence.

Eleonora laissa échapper un cri de surprise et tomba sur les fesses, regardant d'un air ahuri l'homme qu'elle avait sous les yeux. Totalement sans voix, elle resta muette plusieurs secondes avant de retrouver soudainement la capacité de d'exprimer.

- Ça a marché... mon dieu, ça a marché! Êtes-vous bien un ... ange... monsieur?

La jeune femme posa cette petite question, histoire de s'assurer qu'elle ne rêvait pas.

En ce début d’été, la chaleur était presque insoutenable à l’extérieur, forçant les rares habitants du hameau à se réfugier chez eux dans l’attente de températures plus clémentes. Et pourtant, dans les ruelles de ce petit village des Pyrénées écrasées par le soleil, une haute silhouette noire s’avançait calmement, profitant de cet instant de solitude qui lui était accordé. Dans le silence, seuls le claquement régulier de ses chaussures italiennes sur le bitume brûlant venait troubler la somnolence de l’endroit . Avec son costume noir parfaitement coupé, sa chemise immaculée  et ses chaussures cirées l’ange aurait très certainement attiré l’attention des quelques autochtones si seulement ceux-ci avaient su résister à l’appel de la sieste. Mais c’était bien ce qu’il voulait éviter. Arrivant à l’angle d’une rue qui donnait sur la vallée que surplombait le village, Mahasiah prit la direction de l'Église: c’était une bâtisse romane de petite taille, pas bien grande comparée aux chefs d’oeuvre qu’avaient déjà bâti les hommes mais qui avait mille fois plus d’attrait pour l’ange que la plus spectaculaire des cathédrales. Il poussa la lourde porte de bois comme si elle avait été aussi légère que du papier et ses yeux noirs parcoururent les murs de pierre brute tandis qu’il s’avançait dans l’allée qui séparait les rangées de bancs usés par le temps. Il prit une grande inspiration d’air frais, se délectant de l’odeur de pierre et vieux bois qui embaumait le lieu.

Enfin. Il se sentait un peu chez lui, ici, dans la maison de son Père. L’austérité de l’endroit ne rendait l’endroit que plus accueillant à cet ange qui exécrait les fioritures et l’extravagance. Il se sentait bien plus à l’aise ici qu’au milieu des humains, ces créatures fragiles et inachevées qu’il connaissait mal et qui ne manquaient pas de le perturber. Cela faisait déjà quelques semaines qu’il avait été envoyé sur Terre et pourtant il ne s’était pas encore décidé à apparaître aux hommes, se contentant de rencontrer les anges qui croisaient son chemin, toujours à l’abri du regard des humains. C’était son choix. Là où ses frères et soeurs dans leur empathie cherchaient à aider les créations de son père, se souciant même de les protéger, Mahasiah avait toujours préféré rester dans l’ombre, le plus loin possible de l'intérêt de ces créatures qu’il ne comprenait guère. Était-ce du mépris? Certainement, bien qu’il ne fut loin d’être comparable à la haine de Lucifer. De la timidité? Sans doute aussi. Le dépaysement était un vrai choc pour Mahasiah, qui n’avait quitté qu’une seule fois le Paradis auparavant, et se trouver ainsi dans cette vieille église le rassurait car elle lui donnait l’impression de retrouver la présence de son Père au milieu de ce monde étrange. Il ne voulait surtout pas être détourné de sa mission, et se rendait régulièrement en des lieux saints comme celui-ci, aussi modestes soient-ils, afin de mieux prouver son dévouement. Arrivant enfin à l’autel, il s'arrêta et passa sa main sur la pierre froide. Il regarda un instant le vitrail qui lui faisait face et qui représentait le prophète Jesus Christ puis, apaisé par la lumière colorée qui caressait son visage il ferma les yeux.

Soudain, il ne sentit plus la lumière sur ses paupières, elle fut balayé par un voile sombre, et l’odeur de vieille pierre avait été remplacée par un parfum nouveau, mêlé de cire de bougie et...d’huile? Intrigué, il fronça légèrement les sourcils et ouvrit les yeux lorsqu’un petit cri aigu troubla le silence qui n’était plus. Regardant droit devant lui, il passa son regard noir sur  son nouvel environnement. Un appartement tout ce qu’il y avait de plus banal, dans une rue passante si il en jugeait par le vrombissement des voitures à proximité. Enfin, c’est presque par hasard qu’il rencontra le regard de l’humaine qui était par terre. Il ne bougea pas d’un pouce pendant un instant, ignorant sa question dans un premier temps et la dévisagea sans ciller.
Il était aussi surpris qu’elle, si ce n’est même plus. Il lui fallut quelques secondes avant de remarquer le livre d’incantations et les différents ingrédients parsemés dans la pièce par la jeune humaine et de comprendre sa situation. Il était un peu perdu, car si des hommes avaient parfois prononcé son nom dans leur prières au cours des derniers millénaires, cette jeune fille était la toute première à l’avoir jamais invoqué, ou plutôt à l’avoir fait venir de force pour ce qui était du point de vue de Mahasiah. Cela ne le ravissait pas au plus haut point, et, un court instant, il hésita même à repartir sur le champs. Il ne faisait pas partie des anges les plus puissants, ni les plus aimés, ni les plus connus pour leur empathie envers le genre humain d’ailleurs, mais le geste de l’humaine lui apparaissait tout de même d’une arrogance folle de la part d’une créature qui, si elle était une création de son Père, n’en demeurait pas moins fragile et fugace à ses yeux. Cependant, s’il avait réussi à esquiver cette pénible tâche jusque là, il était de son devoir d’ange  de lui venir en aide puisqu’elle avait fait appel à lui. La fixant toujours et la dominant de toute sa hauteur il s’avança vers elle, enjamba sans problème le cercle d’huile qui, sans doute du fait des compétences limités de ces petits animaux qu’étaient les hommes, n’avait pas été enflammé par l’invocatrice. Il la regardait comme on regarderait au zoo le représentant d’une espèce exotique et méconnue, la curiosité plissait légèrement ses yeux et inclinait sa tête sur le côté. Il se tenait très droit, ses bras tombant le long de son corps, dans une raideur de statue qui ne faisait que confirmer son inhumanité tandis que son visage demeurait impassible. Il s’arreta tout près d’elle.

-Je suis Mahasiah. Tu invoques un ange et pourtant tu es surprise de me voir. Pourquoi? demanda-t-il, brisant le silence gêné de sa voix suave mais sévère, à l’image du reste de sa personne.

Il ne la quittait pas des yeux, plus que jamais intrigué de cette première rencontre avec un membre de l’humanité. Elle l’intriguait au plus haut point et faisait naitre  une multitude de question à son propos dans l’esprit avide de savoir de l’ange, comme par exemple qu’essayait-elle de lui dire en se présentant assise à même le plancher à ses pieds?
Fatigué de la voir ainsi affalée sur le sol, il lui tendit la main non sans appréhender ce tout premier contact physique.

-Qu’est ce que tu fais par terre? la questionna-t-il d’un ton qui traduisait la plus sincère des curiosité comme le plus subtil des reproches de ne pas l’avoir accueilli en bonne et due forme .

Eleonora fixait comme une pauvre débile la créature qu'elle avait sous les yeux. Le regard écarquillé par la surprise, la bouche formant un ''o'' et toujours affalé sur le sol, elle devait donner la pire image de sa personne, surtout pour une créature comme un ange. Elle avait réussit à retrouver un semblant de parole et lui avait demandé comment il se nommait et s'il était bien un ange. Elle se devait de vérifier et de s'assurer qu'elle n'avait pas invoqué par erreur un démon par exemple.

La créature la fixa dans un silence de plomb avant d'enjamber le cercle. Selon le livre, l'ange n'aurait pas dû être en mesure d'en sortir par ses propres moyens. Puis, la petit phrase concernant le fait de devoir allumer le cercle, en lui foutant le feu, lui revint en mémoire. Elle aurait dû choisir un autre endroit et faire tout comme il faut. Là, en liberté comme ça, elle ignorait si ce Mahasiah serait dangereux au point de la tuer. Le feu au moins aurait réduit cette probabilité de beaucoup... ou l'aurait mis dans une colère brûlante. Finalement, c'était peut-être mieux ainsi.

D'une voix suave et légèrement sévère, il lui confirma son identité, mais lui demanda pourquoi l'avoir invoqué pour ensuite avoir l'air si surprise de le voir. C'est vrai que ça devait paraitre étrange. Ils étaient peut-être habitué à ce que des experts de l'occulte fassent appel à eux? Pas une jeune humaine qui savait à moitié ce qu'elle faisait.

Elle n'eut pas le temps de lui donner une réponse, que déjà l'ange lui tendait une main pour l'aider à se remettre sur pied. Le fait qu'elle soit au sol avait l'air de le troubler, surtout qu'il la regardait comme si elle était une créature étrange.

- J'étais à terre parce que vous m'avez surprise. Je ne savais pas que cette... invocation fonctionnerait. Je pensais m'être totalement gourré vu que j'ai omis de mettre le feu au cercle d'huile. Dans le livre ils disaient que j'en avais de besoin mais... ça me semblait étrange un peu.

Eleonora avait entretemps saisit sa main douce et s'était remise debout. Elle avait ensuite lâché la main de la créature céleste et elle essayait de se donner une certaine contenance malgré le complexe d'infériorité qui l'assaillait face à une être comme lui.

- Je m'appelle Eleonora Swan. Je suis une simple humaine en soif d'apprentissage. J'ai testé cette formule d'incantation, car j'aurais des questions. Je n'ai vu qu'une seule ange il y a quelques semaines. Cette dernière à guéri l'un des miens. J'ai été ébahie de constater sa.. capacité de guérison. Hum... Vous voulez vous asseoir?

La jeune femme ne savait plus trop par où commencer, tant elle était destabilisé par l'ange. Elle avait beau être devenu amie avec un skinwalker et avait côtoyer quelques chasseurs seulement, mais ce n'était pas suffisant pour qu'elle connaisse vraiment le monde et les choses qui le peuplaient. Sa chance était enfin là. Un ange. Quoi demander de mieux?

- J'aurais quelques questions. Seriez-vous d'accord pour y répondre? J'aimerais en connaitre plus sur les anges. Il y a quelques semaines encore, j'ignorais tout de votre existence.

Raide comme un piquet, Mahasiah continuait de fixer la jeune fille. Comme il l’avait deviné, celle-ci lui avoua avoir omis un détail dans la préparation de son incantation. Elle l’avait fait intentionnellement, à la stupeur de Mahasiah qui avait sous estimé la témérité naive des humains. Comment cette pauvre créature pouvait être encore en vie? A prendre de tels risques en des temps si troublés, Mahasiah ne donnait pourtant  pas cher de sa peau. Mais à l’instant présent, il était indifférent à l’avenir de la jeune fille et seul le préoccupait la raison de son appel.

Lorsque cette dernière prit enfin sa main dans la sienne pour se relever, l’ange fut surpris de sentir à quel point elle était nerveuse. Il pouvait le sentir au travers de la peau fine de sa petite main, mais aussi dans les intonations de sa voix. Les émotions étaient un concept étrange pour un être aussi entièrement neutre que lui, qui rationalisait son environnement avec une distance presque scientifique, et se retrouver si proche de l’humaine, qui, à l’égal de tous les membres de sa race, était un véritable maelström émotionnel, cela le mettait mal à l’aise. Cela le génait dans sa pudeur angélique de voir la jeune Eleanora  aussi peu capable de présenter une apparence sereine et digne. Aussi, fit-il un pas en arrière avant de finalement détourner son regard des yeux de l’humaine pour s’avancer  à travers la pièce sans rajouter un mot, explorant plus précisément l’endroit. L’écoutant toujours d’une oreille, il se pencha pour ramasser un livre qui était à terre. L’ouvrage était ouvert à une page où il remarqua que son nom était écrit en lettres fines. Son orgueil le titilla légèrement lorsqu’il remarqua que sur le papier, rien de plus n’était indiqué en dehors de son patronyme, ce qui laissait deviner que sa présence dans ce cercle était du au hasard et non à un choix réfléchi et pensé.  Il avait pensé que la destruction de Sodome et Gomorrhe aurait été suffisamment marquante dans l’histoire de l’humanité, mais visiblement, tout le monde semblait avoir oublié qui avait exécuté l’ordre divin, si tant est que  quelqu’un l’ait jamais su. Légèrement vexé que son seul fait d’arme n’ait pas été jugé digne de dépenser un peu plus d’encre par les auteurs, il laissa tomber le livre sur une table basse qui avait été poussée dans un coin de la pièce. Il n’était pas le gouverneur de l’orgueil pour rien, et lorsqu’il voyait que l’on avait pris la peine de préciser que le frère qui le précédait sur la page était apparu à un vieux berger quelque part dans la campagne de Jordanie pour l’aider à trouver une source, cela le laissait perplexe quant aux priorités des Hommes.
Il fit quelques pas dans la pièce, observant sans vraiment voir les différents éléments dispersés dans le salon. Mahasiah tourna soudainement la tête vers la jeune fille lorsque celle-ci lui avoua avoir vu une ange à l’oeuvre.

-Tu as vu une ange? Cela le laissait perplexe, puisqu’il lui semblait que la discretion était l’un des credo des missions angéliques, et le fait que sa soeur soit apparu à la jeune humaine alors qu’elle n’était visiblement pas sa cible lui laissait penser que la période que l’humanité traversait en ce moment avait mis au placard la retenue des anges. A-t-elle dit son nom? Je n’ai pas besoin de m’asseoir! Ajouta-t-il séchement en réponse à la proposition d’Eleanora.

Il la fixa un moment, dubitatif. Sa proposition était incongrue à ses yeux, puisqu’en tant qu’ange, la fatigue était une sensation qu’il cotoyait rarement.

Enfin, elle lui avoua ce qui l’avait poussé à l’appeler, ou plutôt à appeler un ange au hasard. Le peu de temps qui s’était écoulé depuis qu’il était apparu dans cet petit appartement, Mahasiah avait pensé qu’elle ne lui ferait pas perdre son temps puisqu’elle lui demanderait de soigner un de ses proches, ou encore de veiller sur elle ou il ne savait trop quoi encore. En tout cas, il pensait que cette affaire serait vite réglé et qu’il serait rapidement libre de retourner à sa mission. Il ne tarda pas à déchanter. La jeune humaine semblait jouer avec une chance insolente car il n’imaginait pas ce qui aurait pu lui arriver si elle était tombée sur un ange encore plus antipathique que lui, ou encore pire, un archange. Michael n’était pas si loin derrière lui sur la page que la hasard avait choisi.
Sa bouche s’entrouvrit légèrement sous l’effet de la surprise. Il resta silencieux un moment, réellement choqué de l’irrévérence de la jeune femme. Puis, l’affront mélé à sa nervosité, son sang ne fit qu’un tour. Brusquement, il brisa la distance qui le séparait de l’humaine et lui empoigna le bras avec force.

-Qui crois-tu etre? Dis-moi! Il serrait son bras dans sa main avec brutalité, lui criant sa colère à quelques centimètres de son visage à la peau d’albatre.  Votre  monde est en guerre et tu oses m’invoquer pour...pour un cour privé? Je n’en crois pas mes oreilles, comment peux-tu être si egoiste?! Je pourrais te tuer sur le champs pour ton insulte!

Il planta son regard feroce et noir dans le bleu cristallin des yeux de la jeune fille. Rarement l’ange s’était emporté avec tant de violence. Il avait bien conscience que ce n’était pas le comportement approprié pour un ange invoqué, mais il n’était pas vraiment accoutumé à l’empathie dont certains anges, plus rompus à l’exercice de s’exprimer face aux hommes, avaient l’habitude de deployer. Il fallait dire que passer d’arme divine à précepteur improvisé pour une insignifiante adolescente l’avait plus vexé qu’il ne l’aurait jamais imaginé. Il resta ainsi un instant, hésitant à lui briser le bras pour ancrer son sermon dans l’esprit de l’invocatrice. Sa propre rage le surprenait, le troublait terriblement.
Mais, après quelques instants de réflexion sur la demande incongrue d’Eleanora, il eut la sensation de trouver dans le désir d’apprendre  de l’humaine le sentiment familier qui l’habitait lui même en permanance, et qui faisait de lui l’un des archivistes les plus passionné du paradis.
Il réfléchit un court instant, calmant peu à peu sa colère et son envie de supprimer la jeune fille. Il prit enfin une décision.

-Bien.

Il resserra encore sa prise sur le bras mince et la força à s’asseoir dans un des divans, la jetant presque contre le moelleux des coussins. Mahasiah lui faisait face, debout, les bras le long du corps, ses poings serrés. Son emportement avait fait tomber quelques mèches sombres sur ses yeux. Il prit une longue inspiration, puis souffla:

-Je t’écoute. Que veux-tu savoir?

Il avait décidé de répondre à la demande de la jeune fille. Après tout, il n’allait tout de même pas transformer en torche humaine la première personne à l’avoir jamais invoqué.

Eleonora fixait avec crainte et appréhension l'ange qu'elle avait sous les yeux. Sa nervosité sautait aux yeux et cela ne manqua pas de ... suprendre l'ange? Oui, il semblait troublé de la voir dans cet état. Lui en revanche, n'affichait pas grand chose comme expression faciale. Il semblait presque froid. Inhumain. Un peu comme Ariel quand elle était apparu au commissariat. C'était vraiment des êtres étranges ces anges.

Elle le regarda se pencher et prendre le livre qu'elle avait utilisé pour sélectionner son nom. Le livre était un recueil plus ou moins ancien et plus ou moins complexe sur les anges. Il ne détaillait pas leur vie en tant que telle, c'était surtout un recueil de noms avec quelques évènements de l'histoire et quelques noms y étant associés. Rien de plus. Le livre d'incantations était à côté sur le sol, mais il ne sembla pas intéresser Mahasiah le moins du monde.

Elle regarda l'ange feuilleter le livre, il lui tourna le dos et elle le vit se raidir légèrement avant de fermer brusquement le livre. Puis, il le jeta négligemment sur une des tables qu'elle avait poussée contre le mur pour faire de la place dans son salon. La jeune femme continuait de babiller, n'étant pas certaine que l'ange l'écouta réellement. Pourtant, lorsqu'elle mentionna avoir vu une ange en action, cela sembla attirer son attention. Il se retourna soudainement et lui demander de confirmer ce qu'elle venait de dire, tout en lui demandant le nom de la créature. Puis, sèchement, il déclina son offre de s'asseoir. Eleonora se raidit. Pas très commode le petit monsieur. Tout compte fait, l'idée de foutre le feu au cercle d'huile vint lui traverser l'esprit, mais elle la réfuta. Si elle lui montrait sa peur, qui sait ce qu'il pourrait lui faire? Il n'avait pas l'air très sympathique avouons-le.

- Oui, j'ai vu une ange. Une grande blonde se prénommant Ariel à ce qu'un chasseur nous a dit. Elle a usé de pouvoirs de guérison.

La jeune femme répondit simplement à sa question, d'un ton parfaitement neutre. L'humaine qu'elle était, elle le regarda avec défi. Son complexe d'infériorité avait disparu face à cet être antipathique. Soudain, la face de l'ange se décomposa et il brisa la distance qu'il y avait entre eux. Avec force, il lui empoigna un bras avec violence et lui persifla au visage. Il lui demanda qui elle pensait être pour l'invoquer et lui poser des questions. Il la traita d'égoïste pour sa demande de cours privé alors que le monde était en guerre. Il lui fit une menace, lui faisant comprendre qu'il pourrait la tuer dès maintenant rien que pour son affront.

La colère déformait le visage de l'être qu'elle avait sous les yeux. La violence trahissait son être et son envie de meurtre était plus qu'évidente. Eleonora se mit à prier intérieurement qu'il ne la tue pas, invoquant une prière que sa mère lui avait appris dans son enfance. Finalement, l'ange sembla se calmer un peu, mais la dureté de son visage ne se tarissa pas. Il recula un peu, mais tenant toujours son bras avec fermeté il l'entrina vers un divan avant de presque l'y jeter. Elle atterit brusquement sur les coussins et vit que l'ange se tenait droit comme une statue devant elle, les bras le long du corps et les mains serrés en poings. Il lui demanda de commencer à poser ses questions.

- Super, ironisa-t-elle, Il a fallut que je tombe sur le pire des salauds d'ange existant. J'aurais mieux fait d'en invoquer un autre tout compte fait.

La jeune femme était insultée et profondément blessée. Lorsqu'elle avait vu Ariel, et la gentillesse qui émanait d'elle, elle s'était sentie attirée par elle comme à une aimant. Elle avait voulu faire connaissance avec elle immédiatement pour apprendre à la connaitre et peut-être un jour devenir son amie. Cet ange-ci toutefois était tout autre. Il dégageait de la rage, de la violence et aucune compassion ni même d'amour. Une vrai statue de pierre avec un coeur de métal. Rien d'attirant malgré sa beauté physique.

- Je voulais comprendre votre origine, celle de votre existence. Pourquoi les chasseurs disent que nous sommes en guerre et quel est vôtre rôle dans tout ça. Les anges sont hyper rares à ce que j'ai compris, dit-elle en croisant les bras.

Se perdant un court instant dans les méandres de sa mémoire phénoménale, Mahasiah feuilleta ses souvenirs telles les archives qu’il avait l’habitude de classer au Paradis. Mais il eut beau rechercher jusqu’au moindre souvenir d’une conversation écoutée d’une oreille distraite, il ne trouva aucune trace du seul prenom d’Ariel. Sans doute était-elle très jeune, ou encore affiliée à une garnison si lointaine de la sienne aussi bien dans la hierarchie que dans sa mission qu’il n’avait eu jusqu’alors aucune chance de la croiser aux cieux.  Il avait cependant pour indice qu’elle semblait avoir une predilection pour user de ses talents de guerisseur, bien que cela n’en fasse pas pour autant un de ses anges spécialisés dans les soins. Mahasiah soupira imperceptiblement.
C’est alors qu’il remarqua l’air de défi qui marquait la figure pâle de la jeune fille et l’acidité de ses paroles. L’ange ne bougea pas d’un poil, se contentant de la regarder de haut, comme il en avait désormais l’habitude. Il avait retrouvé son pragmatisme habituel et ne s’en offusqua pas aussi violemment qu’auparavant; bien qu’il garda ce petit evenement inscrit dans ses pensées. Il y avait fort à parier qu’il aurait du mal à supporter une nouvelle insolence de la part de la jeune humaine car la fureur qui était née quelques minutes plus tot courrait toujours dans ses veines.
Il remua un court instant les paroles d”Eleanora dans sa tete. Salaud? Il ne comprenait pas en quoi son comportement ait pu insulté de quelque manière que ce soit la jeune fille, puisque de son point de vue, c’était plutot elle et l’outrecuidance de ses actes qui convenaient le mieux à la definition de ce mot. Lui n’avait fait qu’agir justement, et, toujours selon son sens très particulier de l’humanité, il avait meme fait preuve d’empathie, voire de compassion, et elle devrait l’en remercier. Mais Mahasiah n’avait que faire de sa reconnaissance. Seule la dernière phrase de la jeune fille trouvait l’approbation de l’ange. En effet, elle aurait mieux fait d’invoquer un autre de ses frères, ce qui aurait épargné à Mahasiah cette épreuve toute nouvelle.

-Cesse de geindre et réjouis-toi plutot que la main du Seigneur ait porté ton doigt sur mon nom, et non sur celui de mon ainé, Michael. Alors tu n’aurais pas vécu assez longtemps pour comprendre ne serait-ce qu’un instant la monstruosité de ton erreur et de ta bétise.

Son ton était neutre, mais sec, qui ne souffrirait aucune réponse. Elle n’allait certainement pas le croire etant donné les profondeurs abyssales de sa méconnaissance du monde des Cieux. La jeune fille devait encore croire à ces douces lubies folkloriques qui dépeignaient les archanges en de magnifiques creatures pleines de misericorde.
Il réfléchissait déjà à la question que venait de lui poser la jeune femme. Aux questions, à vrai dire. Et elle étaient éparpillées, n’avaient presque aucun rapport entre elles. l’ensemble était confus, et Mahasiah se demanda si c’était aussi le cas de l’esprit de la creature.
Ne supportant plus la vision de l’humaine, presque écoeuré du mépris mais aussi de la plus totale indifference qu’elle lui inspirait jusqu’à présent, il se mit enfin en mouvement pour faire quelques pas dans le petit appartement. Il parcourait les differentes etagères et objets d’un regard profondement las.

Je dois te prévenir que je ne pourrais pas répondre à toutes tes questions, car mon devoir m’en empèche.
Mes frères et moi sommes nés de la lumière divine, et avons été créés par notre Père pour le servir et l’adorer. Sur notre création et notre existence, je ne sais rien d’autre, et ne chercherais pas à en savoir davantage. Rajouta-t-il d’un ton plus dur, alors qu’il avait commencé plutot calmement ses explications.
Je me contente, à l’égal de la plupart de mes frères et soeurs, de servir sa volonté, puisque c’est ce que je suis.  Quel fils serais-je si je remettais en question ce cadeau immense que mon Père m’a fait en me donnant une existence? Ce serait trop impoli et déplacé de ma part que de faire preuve d’autant d’insolence et de doute. L’avidité des humains… ajouta-t-il avec un certain dédain, tout en lançant par dessus son épaule un regard appuyé à la jeune fille. Et Nous sommes des milliers, plus que tu ne pourrais imaginer et bien plus que ce livre ne pourrait jamais t’en apprendre. Conclut-il avec un regard dédaigneux vers l’ouvrage.

Il s’avança à travers la pièce pour finalement s’arreter devant une fenetre.

-Quand à la guerre qui dechire votre monde, tu ne devrais pas trop y preter attention… Cette bataille ne concerne que le Ciel et les Enfers. Les humains ne doivent pas essayer de s’en méler. J’ignore les ordres qu’on reçu mes frères et soeurs pour cette guerre, et je ne peux te révéler les miens. Tout ce que je peux te dire c’est que c’est une sombre periode pour votre race et nombre d’entre vous y perdront la vie; toi et tes semblables devraient rester tranquilles plutot que d’essayer de comprendre cette guerre qui vous dépasse..Bientot elle sera finie et ne sera plus qu’un autre chapitre dans l’Histoire.

L’oeil distrait de Mahasiah regardait la rue en contrebas, se désolant de la misère de ce monde. Combien de temps cette guerre-ci durerait-elle? Et combien de temps encore serait-il obligé de rester loin de chez lui, au milieu de cet univers totalement étranger? Quelques jours, des années, des siècles? Une bataille comme il en avait vu des centaines de milliers au cours de sa vie, une guerre qui serait semblable à toutes celles qu’il avait retranscrit dans les archives du Paradis. Une bataille pour Mahasiah n’était pas faite de déchirements, de pertes, de victoire ou de larmes...Pour lui c’était le temps des dates, des noms qui se levaient dans l’ombre pour ensuite retomber, des evenements et des mouvements des armées.

Eleonra était frustré de faire face à un ange comme lui. Il semblait méchant et pas patient du tout. Elle lui balança à la figure qu’elle aurait dû en contacter un autre tout compte fait, le traitant de salaud au passage. Ses mots frappèrent durement l’ange, et celui-ci la regarda avec un regard très dangereux. En d’autres circonstances, Eleonora aurait fondu de terreur devant lui, mais son insolence l’insultait tellement, qu’elle lui tenait tête au lieu de s’écraser à ses pieds.

Les paroles qu’il lança ensuite la gifla de plein fouet. Il lui recommanda de cesser de geindre et lui fit comprendre la ‘’chance’’ qu’elle avait eu de tomber sur lui et non pas sur Michael. En gros, l’autre taré l’aurait évincé de la surface de la Terre en quelques secondes.

- Dans le fond, vous êtes en train de m’apprendre que vous êtes tous une bande de tarés, mais à un niveau d’une profondeur différente pour chacun?, demanda-t-elle avec sarcasme.

Eleonora le provoquait d’une certaine manière. Elle le défiait surtout. Elle lui lança quand même les questions qu’elle aurait voulu poser, surtout si l’ange aurait plus sympa. Faisant fi d’elle, il lui tourna le dos et arpenta l’appartement en jetant un regard las sur ce qui l’entourait.

Puis, il parla sur un ton légèrement différent cette fois. Moins arrogant précisons. Il lui apprit qu’il ne pourrait pas répondre à tous ses questionnements car son devoir en tant qu’ange l’en empêchait. Eleonora nota mentalement cette information. Puis, il lui apprit qu’ils étaient nés de la main de Dieu, de la lumière divine. La jeune femme retint un commentaire désobligeant. Pour elle et la majorité des humains, l’existence de Dieu était assez abstrait en soi. Ils n’avaient jamais eu de preuve de son existence au fond non?

Il ajouta que les anges servaient Dieu, accomplissant des tâches selon Sa volonté. Il le faisait pour remercier leur Père pour leur existence et que le contraire serait déplacé et malpoli. Il parla ensuite d’avidité que les humains avaient en lui jetant un regard qui hérissa la jeune femme de colère, avant de se détourner de nouveau. Puis, il termina en lançant qu’ils étaient des milliers, donc plus nombreux que ce livre pouvait en contenir.

Puis, il se dirigea vers la fenêtre et lui expliqua que la guerre actuelle concernait que l’Enfer et le Paradis. Il lui recommanda de rester à distance de cette guerre. Il ajouta que les humains devraient éviter de s’en mêler et de rester tranquille dans leur coin.

Le sang d’Eleonora ne fit qu’un tour avant qu’elle ne se lève de colère. La rage bouillait dans son être en écoutant cet être divinement chiant.

- Cette guerre concerne tout le monde! Même nous les humains. On est peut-être que des rats à vos yeux divins, mais d’autres saloperies se mêlent de cette guerre et nous incluent malgré nous dedans. Savais-tu que les anges essaient de nous recruter pour combattre et vous filer un coup de main aussi? Mais d’où est-ce que tu sors bordel? Sur quel fichu nuage te tenais-tu pour manquer autant d’informations? Bon sang!, lança-t-elle d’un ton exaspéré et frustré à la fois.