III.04 Will you be strong and stand with me?

Un bruit semblable au froissement d’ailes brisa le silence qui régnait sur cette route de campagne, déserte à cette heure tardive de la nuit. C’était une route flambant neuve, et pourtant rarement empruntée pour le peu de destinations qu’elle offrait aux rares voyageurs qui l’utilisaient. C’était ce genre de route que l’on évitait la nuit, dont le silence morbide et la foret inquiétante qui bordait un de ses côtés avait vite fait de mettre mal à l’aise les conducteurs, sans compter le nombre extraordinairement réduit de lampadaires qui l'éclairaient. L’un des rares engins électriques qui prodiguait sa lumière évanescente sur le bitume humide était situé prêt d’une maison blanche et fantomatique, dont il éclairait à peine la façade décrépie. Mahasiah releva la tête vers les étages de la maison, posant en même temps son regard sur le ciel parfaitement noir, dont les étoiles étaient occultées par d’épais nuages. Bien qu’il fut plus de minuit passé, la chaleur de la journée n’avait pas quitté le sol ni l’air, et un orage ne tarderait bientôt plus à éclater. A côté de la maison laissée à l’abandon, se trouvait une minuscule station service dont le gardien était un adolescent tardif qui s’était endormi à son poste, malgré la lumière hésitante des néons de sa petite boutique.

La silhouette de l’ange  se trouvait de l’autre côté de la route, et faisait face à ce spectacle désolant. Il y avait quelques jours déjà qu’il était sur terre, et il n’avait pas manqué de parcourir le monde, au grès des aléas de sa mission, se laissant presque porter par le hasard. Il avait vu la chapelle Sixtine, admiré la beauté d’Istanbul ou encore profité des jardins paisibles du palais de l’Alcazar et bien d’autres choses encore nées de la main de l’Homme. Les hommes… A chaque fois qu’ils réussissaient presque à monter, ou seulement apparaître, dans l’estime de Mahasiah,  ces singes hurlants se débrouillaient toujours pour le décevoir au plus haut point. Du génie des grands peintres, il passait soudainement à la bêtise de ceux qui ne vivaient que pour acheter un gadget technologique, des calmes jardins ils le forçaient à parcourir des décharges qui s’étendaient jusqu’à l’horizon.  Et dire que le monde de son père ne semblait plus tourner qu’autour de ces êtres insignifiants, imparfaits… Des créatures qui avaient défiguré ce qui était une plaine magnifique bordée d’une forêt créé par son Père avec ce misérable taudis qui se tenait à quelques mètres de lui. Un exemple parmi tant d’autres, dont il ignorait encore tout et dont il n’était pas sur de vouloir les découvrir. Mais de tous les endroits qu’il avait vu, les Etats-Unis étaient pour lui le summum de la laideur, rien qu’un amas de métal qui ruinaient ce qui, il y a à peine quelques siècles, était une étendue parfaite et sauvage. Mahasiah le sentait dans l’air. Cet endroit était loin de la grâce de Dieu et les traces de travaux démoniaques marquaient encore le paysage. Les infâmes de l’enfer l’avaient choisi comme terrain de jeu et de chasse. Et sur cette terre désolée, il sentait qu’il n’était qu’à quelques kilomètres de l’épicentre de l’activité infernale qui préoccupait tant les pairs qu’il avait rencontré. Une brise tiède vint caresser l’herbe sèche sur laquelle il se tenait. Profitant de l’espace et du calme, il déploya ses ailes colorées et sombres. Il étira ses membres angéliques, décrivit quelques battements avant de les replier à moitié dans son dos.

Toujours planté dans l’ombre, droit comme un I, ses mains enfoncées dans les poches de son pantalon fait sur mesure, l’ange repensait à ces anges. Des frères, des soeurs, qui avaient tant changé pour la plupart. Car si certains demeuraient fidèles à eux mêmes, la plupart semblaient affectés par leur séjour prolongé sur Terre en cette sombre période. Les plus jeunes avaient souvent peur du chaos qu’ils rencontraient, tandis que d’autres se trouvaient totalement transformés. A son grand regret, il avait déjà croisé la route de frères qui avaient tourné le dos au Paradis, et de ce fait, il avait l’impression de revivre ses heures terribles où les anges étaient tombés les uns après les autres à la suite de Lucifer.
Heureusement, il restait quelques anges qui, tout comme lui, étaient d’une incorruptibilité totale, féroce et absolue, et  poursuivaient l’oeuvre de leur père sans tomber dans la facilité d’une rébellion.  Cependant, Mahasiah n’avait pour l’instant pas revu ces rares anges dont il était proche au Paradis, bien qu’il sut que certains d’entre eux étaient en mission sur Terre en ce moment même. Ses pensées se dirigèrent alors vers l’un d’eux en particulier, qu’il n’avait pas revu depuis quelques temps déjà. car ils avaient été séparés par le chaos qui avait envahi les cieux il y a peu. Il partageait de nombreux traits communs avec cette jeune ange dont il appréciait plus que tout l’inflexibilité de son caractère. La haut, ils ne formaient sans doute pas le duo le plus joyeux  du Paradis, mais au moins s’entendaient-ils quant au travail à accomplir. Mais elle avait disparu, et depuis qu’elle avait quitté les cieux, aucune nouvelle la concernant n’était parvenue à son frère qui, dans les limites ténues de l’affection qu’il était capable de ressentir, commençait à s'inquiéter de sa survie.

-Diana, l’appela-t-il du ton neutre et sévère qui le caractérisait. Es-tu ici?

Ici. Un si petit mot pour demander à sa soeur si elle était sur Terre. Après cette demande toute simple, il resta là, attentif, ses yeux noirs et impassibles parcourant les champs immenses et l’orée de la foret, espérant recevoir une réponse.

Diana était sur le toit d'un immeuble à bureau situé dans l'épicentre de New York. Son cas du jour : un homme d'affaire très louche aux saveurs démoniaques. Pire encore. Ce n'était pas un démon. À son arrivé, elle avait pressentie quelque chose de bizarre. Mystère résolu. La chose était un ange disgrâcié par le Seigneur lui-même. Un ange déchu.

Ce qui avait frappé Diana était la laideur de ses ailes. Déchirées, déchiquetées. Sa grâce; disparue. Ce fût le comble de l'horreur pour l'ange de voir une créature si peu ressemblante à quoi que ce soit. Au moins, les démons c'était clairement le summum de la laideur et la pervertion de l'âme à son niveau le plus élevé. Un ange déchu? Une abomination sans nom.

Diana s'était fait passé pour une femme d'affaires travaillant à la bourse et ayant quelque chose d'intéressant à offrir à l'entreprise. Le document en question? Un paquet de feuilles blanches dans un dossier format lettre beige. Le cadeau empoisonné entre ses mains, elle avait franchie toutes les barrières pour se rendre au bureau de l'homme en question. La secrétaire personnelle de la créature l'annonça et la fit entrer dans le bureau. Au départ, la créature avait affiché un sourire carnassier. Puis, comprenant ce qu'il avait sous les yeux, son sourire se tordit et ses yeux réflétèrent la peur et la haine.

La secrétaire partie, Diana s'était avancé vers l'abomination, s'était assise tranquillement sur une chaise en cuir devant le bureau tout en déposant le ''dossier'' sur celui-ci.

- Vous savez pourquoi je suis ici n'est-ce pas?, avait-elle demandé simplement avec un sourire poli.

La créature déplumée devant elle avait alors affiché un visage crispé : '' Je préférerais l'ignorer. ''

Puis, sans crier gare, il s'était levé et s'était jeté sur elle. Le plus triste avec les créatures démunies de ce genre, était qu'elles étaient si désespérées de récupérer leur grâce qu'elle ne se gênait pas pour commettre le pire des délis : voler la grâce d'un autre ange. Diana s'était retrouvé cloué au plancher sous le poids de cette créature et la chose s'en prit à ce qu'elle chérissait le plus : sa grâce. Diana s'était débattu comme une diablesse, son plan ayant parti en fumée parce qu'elle n'avait pas prévu une telle situation, et elle avait malgré tout passé à deux cheveux d'y perdre ce qui faisait d'elle une ange. Lorsque la situation fût à son avantage, elle lui planta sa lame en plein coeur. La secrétaire fit irruption à cet instant, ayant été alerté par les bruits du combat. Diana avait alors réagit par pur instinct. Par télékinésie, elle avait projeté la femme par la baie vitrée du bureau. Trop tard elle prit conscience de son acte. Elle s'en était rendu compte en ayant entendu les bruits de freins des voitures plus-bas, qui elles, venaient de se prendre dans les roues un corps d'une innocente.

Diana s'était alors téléporté en urgence sur le toit de l'immeuble, car elle avait senti approcher d'autres humains alertés. Peu longtemps après, les sirènes de police et d'ambulances avaient troublés la platitude de cet endroit de la ville.

L'ange était encore en train de se remettre de l'agression reçu envers sa grâce et en train de guetter cet immeuble, lorsqu'elle se sentie appelé. La voix de l'ange, masculine, lui dit vaguement quelque chose sans pour autant lui sonner les cloches du souvenir. Serrant vigoureusement son épée toujours présente dans sa main, tâchée du sang du déchu, elle se téléporta à l'endroit d'où elle était convoqué.

Le lieux était simple. Une autoroute déserte bordant des champs d'une herbe brûlée par le soleil et une forêt sèche. Un endroit inconnu, mais où certes la pluie pourrait venir y faire preuve de clémence, ne serait-ce qu'une fois en cette semaine de canicule.

Diana toujours en habit de bureau, veston et pantalon souple noirs, avec des talons aiguilles, se tourna et vit dans l'ombre celui qui avait osé l'appeler. Disons seulement que les anges essayaient d'oublier son nom en ces temps troublés, car ses actes récents des derniers mois avaient fait friser d'horreur et de dégoût les plus ''gentils'' d'entre eux.

- Ah... tiens, un bureaucrate peu ordinaire, lâcha Diana en reconnaissant soudainement l'ange. Mahasiah, ça faisait longtemps! Je commençais à me demander si les autres avaient eu raison de toi.

L'ange s'avança vers son confrère et allié par le passé, Mahasiah, et alla lui faire une brève accôlade.