III.05 ¤ Destins croisés

Vendredi 10 septembre 2010

Le campus universitaire de Huntfield. Une zone de calme au cœur de la tourmente s’étant depuis peu abattue sur la ville. Les démons s’étaient tout d’abord contentés de couper la ville du reste du monde en érigeant des barrages en travers de tous ses accès et en contrôlant scrupuleusement les entrées et les sorties. Et au final : entrer dans la ville ne représentait pas un défi en soi. C’est surtout en sortir qui relevait du véritable parcours du combattant. Et Ithuriel était bien placée pour le savoir compte tenu de ses vaines tentatives pour quitter cet endroit depuis son arrivée inopinée. Les démons maitrisaient le terrain et il était pour ainsi dire impossible d’échapper à leur surveillance et de franchir les limites de la ville. Et ce n’était là que le début de l’occupation.

Il y avait d’abord eu quelques raids organisés ici ou là dans la ville. Des escarmouches sanglantes ayant plus d’une fois coûté la vie à nombre d’innocents. Mais la donne avait changé depuis quelques temps maintenant. Et plus précisément depuis que les démons avaient mis la main sur les rues et les ruelles de Huntfield. Il était devenu dangereux à présent de circuler dans la ville de jour et le danger n’en était que décuplé une fois la nuit tombée. À moins d’avoir la chance d’habiter dans les quartiers contrôlés actuellement par les défenseurs du bien, les autorités préconisaient aux habitants de ne pas sortir de chez eux sauf en cas d’extrême urgence ou de danger de mort immédiat. Autant dire que l’ambiance n’était pas au fixe. Et cela n’était pas seulement dû à l’arrivée lambinante de l’automne. Après un été caniculaire, la soudaine baisse des températures commençait à se faire sentir et à peser sur les esprits de tous ces gens reclus chez eux sentant le danger s’accroître dans leur petite ville.

Ithuriel était du lot malheureusement. La faute à toutes ces émotions se bousculant en elle et dont elle peinait à garder le contrôle. Cela faisait maintenant quatre mois qu’elle était arrivée à Huntfield sans savoir ni pourquoi ni comment. Cela n’avait jamais été dans ses projets. Elle s’était même évertuée à en demeurer le plus loin possible sachant tout ce qui s’y tramait. Sachant que c’était là que se trouvait l’Archange qu’elle n’était pas encore prêtre à affronter. Comme si elle aurait eu la moindre chance. Il n’existait rien de plus puissant en ce monde qu’un Archange. Seul Dieu leur était supérieur en toutes choses. Ithuriel se voilait la face si elle estimait pouvoir imposer sa volonté à son grand frère et remporter un combat à la loyale contre lui. C’était pourtant la mission qu’elle s’était donnée. Et pour ce faire, elle devait au préalable retrouver confiance en elle, ainsi qu’une raison d’être à son existence. Le genre de choses qu’elle ne trouverait jamais à Huntfield. Et pourtant, ses pas l’y avaient menée contre son gré. En cause ? La Grâce dont elle s’était séparée en se coupant les ailes – cette essence divine lui donnant son statut d’ange du Seigneur – était tombée entre les mains d’une abomination. Peut-être était-ce lui qui l’avait attirée ici. Mais dans quel bus alors ? Pour quoi faire ?

Autant de questions auxquelles Ithuriel avait été incapable d’apporter la moindre réponse. Cela faisait pourtant quatre mois qu’elle s’acharnait à tenter de comprendre la situation. En vain. Les réponses continuaient de lui faire défaut et le doute commençait à la ronger de l’intérieur en la minant. Rien d’étonnant donc à ce que l’arrivée de l’automne se mit à peser sur son moral. Les températures restaient plus ou moins clémentes – cela dépendait des jours. Mais le soleil avait rapidement laissé place à de sombres nuages chargés d’eau qui ne tarderaient pas à être percés et à inonder la ville. Les démons avaient-ils quelque chose à voir là-dedans ? Était-ce une manière pour eux de miner le moral de leurs adversaires ?

Ithuriel se détourna de la fenêtre devant laquelle elle s’était tenue durant les deux dernières heures à observer la vue depuis sa chambre de motel miteuse. Elle ne supportait plus cette apathie. Mais elle était désemparée. Elle ne savait plus comment s’y prendre pour mener à bien ses recherches. Chaque piste qu’elle avait explorée l’avait conduite dans une impasse. Elle avait traqué près d’une dizaine de ces monstrueuses abominations engendrées par l’Archange renégat et aucune d’elles n’avait été capable de lui fournir la moindre information capitale. Les plus dociles avaient tout juste été bons à lui fournir des informations d’ores et déjà en sa possession. La déchue n’avait pas le sentiment d’avancer vers la résolution de ce problème. Or plus elle tardait à remettre la main sur sa Grâce et plus le démon risquait à tout moment d’en faire usage. Ce qui serait catastrophique pour elle et pour les habitants de cette ville.

Une heure plus tard, Ithuriel traversait le campus universitaire en direction de la bibliothèque. La zone était calme. Paisible. Ce qui était d’autant plus étonnant quand on venait d’un quartier chaud où tout pouvait arriver si on avait la malchance de croiser la route de la mauvaise personne. Le fait est que les chasseurs y étaient pour beaucoup. Le campus était à présent l’un des secteurs clés de Huntfield. Un lieu stratégique ne devant en aucun cas tomber entre les mains des forces adverses. D’où les chasseurs stationnés à tous ses accès contrôlant les identités. Ithuriel n’y échappa pas. Et ce n’est qu’une dizaine de minutes plus tard qu’elle pénétra enfin dans le Saint des Saints : la bibliothèque universitaire. Des centaines de milliers de sources d’information plus ou moins compétentes dans le domaine justifiant sa présence en ces lieux. Mais c’est tout ce à quoi elle avait accès pour l’heure. Elle aurait à faire avec en attendant de trouver mieux.

Au bout d’un moment, la déchue referma l’ouvrage dans lequel elle était plongée depuis Dieu seul sait combien de temps exactement en soupirant d’exaspération. Cela ne la mènerait à rien. Il n’y avait rien dans ces livres. Elle avait le sentiment de ressasser encore et toujours les mêmes informations inutiles. C’était frustrant. Et plus frustrant encore était le fait d’être frustré !

*Fichues émotions humaines !* s’exclama la déchue en retirant ses lunettes et en se frottant les yeux. *Tout cela ne mène à rien. Je ne fais que perdre mon temps. Encore !*

Ithuriel repoussa le livre qui alla rejoindre une pile d’ouvrages sans intérêt d’ores et déjà mis de côté. Six-mille ans déjà que l’écriture avait été inventée et pourtant personne ne semblait avoir été un jour confronté au cas de figure dans lequel elle se trouvait présentement : à savoir un ange dépouillé de sa Grâce par un démon. Ses frères et sœurs avaient pourtant arpenté ces terres en de bien nombreuses occasions et nombre d’entre eux étaient tombés sur le champ de bataille aux mains de leur ennemi. Il devait forcément exister un précédent. Ithuriel ne pouvait quand même pas être le premier ange à se retrouver en pareille situation.

Cela ne l’aurait pourtant pas étonnée. Le doute n’était-il pas justement la raison pour laquelle elle avait chuté et s’était coupé les ailes ? Le doute d’être à la hauteur de sa mission. La sensation d’avoir encore et encore fait défaut à Dieu. L’impression d’être maudite. L’était-elle justement ? Maudite ?

Une voix tira Ithuriel de ses pensées. Une jeune femme s’était arrêtée devant sa table et avait tenté de retenir son attention. Redressant la tête, la déchue croisa le regard d’un visage familier. Celui de l’une de ses sœurs : Astarielle.

Lilian & Astarielle

La bataille avait été dure, mais les forces du bien avait fini par l'emporter. Astarielle avait fait partie de cette rude bataille, beaucoup de ses frères étaient tombés... Beaucoup de chasseurs et de créatures aussi. C'était donc un goût amer que donnait finalement cette bataille. Certes, les cavaliers de l'apocalypse n'étaient plus, mais Lucfier était toujours parmi eux et le danger planait plus que jamais sur leurs tête. L'être angélique avait besoin de réconfort en quelque sorte, elle avait besoin de comprendre pourquoi tant des siens avaient donné leur vie. Elle savait aussi pourquoi elle-même se battait, mais elle voulait juste... Donner un peu d'espoir, se redonner courage.

Le campus était l'un des derniers refuges sur pour les humains. Mais c'était aussi là qu'Astarielle se sentait bien. Elle se souvenait encore de ces quelques jours d'innocence qu'elle avait pu passé dans les couloirs du bahut. Elle avait alors tous le loisir de rencontrer les humains, d'apprendre à les comprendre : cette nouvelle génération. C'était une époque douce et joyeuse. Mais rapidement, les choses s'étaient envenimées... Les démons étaient arrivés, mais surtout les cavaliers... La haine et la souffrance avait alors rapidement pris le cœur des hommes... Mais aujourd'hui, l'espoir devait renaître.

Astarielle s'avança sur le chemin de pierre qui la séparait de cette énorme bâtisse qu'était l'université. Elle en respira l'air frais. Maintenant que Tim avait retrouvé son père, elle n'avait plus besoin de jouer les baby-sitter à plein temps.  Le jardin qui entourait le campus était encore fleuri, mais bientôt le froid reviendrait au galop pour tout détruire. La jeune femme s'avança dans le bâtiment, observant les murs de ce vieil endroit. Il y avait un lieu qu'appréciait particulière son hôte : la bibliothèque.

L'ange s'avança à travers les couloirs pour finalement arriver à destination. Astarielle avait également appris à apprécier cet endroit de savoirs et de connaissances. Il y  régnait une atmosphère particulière, comme si nous étions dans une bulle temporelle.  Elle s'avança dans la bibliothèque, caressant du bout des doigts les livres. Peut-être que les livres avaient la réponse à ses question, les réponses à toutes ses questions... Qu'il s'agit de Lucifer, de Diana ou encore tout simplement des sentiments humains... D'ailleurs Astarielle savait que dans les livres les bons sentiments étaient facilement lisibles...

Son regard vairon se posa alors sur l'ensemble de la pièce et la jeune femme remarqua qu'il y avait quelques étudiants qui restaient comme de vaillant soldat pour étudier. C'est alors qu'elle remarqua une jeune femme referma brusquement un ouvrage, apparemment agacée. Astarielle fronça les sourcils. Des souvenirs de son véhicule lui apparurent. Apparemment, elle connaissait cette jeune femme ou tout du moins elle lui donnait une impression de familiarité.... Elle s'avança vers la belle, restant discrète pour voir plus nettement son visage.

La jeune s'était alors levée pour rejoindre une autre pile d'ouvrages. L'ange se demandait bien ce que pouvait chercher cette humaine, peut-être pouvait-elle l'aider ? Son visage était doux et elle semblait si fragile... Elle savait maintenant a qui elle avait affaire... Lilian Mcallistair. Mais apparemment, il était étonnant de la voir ici. Elle était censée être dans le coma suite à un terrible accident. Une histoire compliquée qui semblait avoir beaucoup touché Ealie. Elles étaient apparemment très amie... Et il y avait ce jeune homme que tentait de lui cacher Ealie. C'était étrange ces émotions qui lui traversaient le corps.. Heureusement, elle restait un ange et réussissait à mettre tout ceci de côté. Elle s'avança vers elle et se racla la gorge.

« Lilian ? » demanda-t-elle timidement, avec un petit sourire qui caractérisait si bien Ealie. « C'est bien toi ? »

Un ange pouvait-il céder au désespoir et entrer en dépression ? La foi n’était-elle pas leur seule raison d’être ? Un moteur et une source inépuisable d’énergie et de volonté leur permettant de mener des actions tout bonnement miraculeuses et de rendre possible l’impossible ? Certainement. Du moins est-ce ce qu’Ithuriel avait toujours cru jusqu’à maintenant. À présent mortelle, elle avait été confrontée à un tout nouveau sentiment auquel elle n’avait jamais fait face auparavant : le doute. Et le doute avait cette capacité de briser toute volonté et de plonger ses victimes dans le désespoir et l’apathie. Ithuriel se sentait vidée. Exaspérée. Certaine que jamais elle n’obtiendrait les réponses à ses questions. Que c’était peine perdue de continuer à chercher sa Grâce car cela se résoudrait au final par un nouvel échec. Un de plus à ajouter à sa très longue liste. Un affront supplémentaire fait à son Père.

La déchue était ainsi plongée au plus profond de son être assailli par le désespoir quand une voix des plus douces et chaleureuses tenta de retenir son attention. Une voix empreinte de timidité. Une voix qu’elle reconnaissait et dont elle reconnut immédiatement le possesseur quand elle releva la tête et croisa le regard de sa sœur Astarielle. La surprise s’afficha tout d’abord sur le visage d’Ithuriel. Non. Ce ne pouvait pas être possible. Astarielle ? Ici même ? Que faisait-elle à Huntfield ? Que faisait-elle dans cette bibliothèque ? Était-elle là pour elle ?

Non. Bien sûr que non. Il fallut une longue seconde à la déchue pour se faire à cette idée. Personne ne connaissait sa nouvelle identité. Et qui plus est, compte tenu des protections et des sigils contrant le pouvoir des anges dont elle s’était parée, il était tout bonnement impossible à sa jeune sœur de découvrir qui elle était sans qu’elle le lui révèle elle-même de vive voix. Elle n’avait donc aucune raison de s’inquiéter. Et ce d’autant plus qu’elle n’était pas de toute manière en présence d’une ennemie. C’était même le contraire. Astarielle avait été avant la chute d’Ithuriel ce qui se rapprochait le plus d’une amie. Une très bonne amie même. Une confidente vers laquelle elle s’était tournée quand le doute avait commencé à la ronger et quand elle avait émis le souhait de commettre un blasphème dans le but de se racheter ensuite en subissant l’épreuve du feu de la mortalité. C’est Astarielle qui avait tenté de raisonner son amie et qui avait fait tout son possible pour la convaincre de renoncer à sa folle entreprise. Hélas, s’il y a bien un adjectif décrivant au mieux la déchue, c’est certainement : déterminée. Et quand bien même les paroles d’Astarielle s’étaient avérées empreintes de vérité et de sagesse, Ithuriel avait été au bout de son entreprise et avait chuté des Cieux avant de se réincarner dans le corps de Lilian.

*Lilian ?* répéta pensivement la déchue en réalisant soudain que sa sœur l’avait appelée par le nom de son hôte. Et soudain la vérité s’imposa à elle : quand bien même la dénommée Lilian avait quitté depuis longtemps son corps meurtri plongé dans le coma, Ithuriel était parvenue à récupérer la totalité des souvenirs de la malheureuse. Elle replaça alors le visage de la jeune femme se tenant devant elle. Non pas le visage d’Astarielle, mais celui de son hôte : Ealie. La douce et aventureuse Ealie Turner dont les grands-parents habitaient la maison voisine de celle des McAllistair à Seattle. La Ealie Turner qui s’était entichée de Jared, le petit frère autodestructeur de Lilian. La Ealie Turner qui s’était ainsi liée d’amitié avec Lilian et avec laquelle elle s’était souvent liguée pour faire vivre l’enfer à Jared.

— Ealie ? demanda Ithuriel avant même d’avoir eu conscience de vouloir prononcer ce mot.

La question de Lilian tint dès lors lieu de réponse à celle de sa petite sœur. Oui, c’était bien elle. Lilian. Lilian et non Ithuriel. Lilian la mortelle que l’hôte de sa sœur avait connue voilà plusieurs années de ça. Avant le terrible accident de voiture qui lui avait coûté la vie. La Création de Dieu était vraiment pleine de surprises. Était-ce donc le destin qui avait voulu qu’Ithuriel se réincarne précisément dans un corps ayant une histoire passée avec celui de l’hôte investi par l’ange qu’elle considérait comme son amie la plus proche et la plus intime ? Dieu avait-Il anticipé depuis longtemps la défection d’Ithuriel et s’était-Il arrangé pour que Ealie et Lilian se rencontrent au cours de leur vie de simples mortelles avant d’être choisies par deux créatures célestes également liées l’une à l’autre ? Autant de questions à même de donner le vertige. Comme quoi les mortels disaient vrai : « les voies du Seigneur sont impénétrables. »

Ithuriel se leva alors précipitamment de sa chaise en arborant un magnifique sourire des plus sincères. Quand bien même une part d’elle-même avait d’abord succombé à la peur en découvrant ce visage ô combien familier devant elle, l’autre part – celle qui venait tout juste de sombrer dans le désespoir – se réjouissait de revoir Astarielle et n’avait que faire des risques que cela représentait pour sa survie et sa sécurité. Astarielle était comme une lumière soudain apparue pour repousser les ténèbres venant de se refermer sur elle. La déchue prit sa jeune sœur dans les bras et la serra contre elle comme elle aurait serré une bouée de sauvetage après être passée par-dessus bord et avoir plongé tête la première dans l’immensité obscure et glacée de l’océan.

— Quelle bonne surprise ! s’exclama Ithuriel en mettant fin à l’étreinte. Qu’est-ce que… Qu’est-ce que tu fais ici ? Et… comment vas-tu ? Qu’est-ce que tu deviens ? Raconte-moi tout.

Le cœur d’Ithuriel était soudain plus léger et ses épaules comme délestées de ce poids invisible pesant sur elles depuis qu’elle avait découvert ce qu’il était advenu de sa Grâce. Cette rencontre inopinée avec Astarielle lui offrait une occasion de ne plus penser à ses problèmes et de ne se préoccuper de rien de contraignant. Un peu comme une bulle d’innocence au milieu du chaos ambiant. Une parenthèse plus que bienvenue dans un monde se trouvant au bord du gouffre de la désolation et de l’annihilation.

Astarielle aurait pu prendre un autre chemin. Elle aurait pu tout simplement ignorer cette étrange sensation de familiarité. Mais quelque chose, ou quelqu'un l'avait amené à assouvir sa curiosité. Elle savait que son véhicule la connaissait, mais quelque chose d'inexplicable lui avait donné envie d'aller vérifier cette histoire. Et l'ange ne s'était pas trompée.

Lilian. Une bonne amie d'Ealie. C'était la surprise qui avait été sa première impression. Si les souvenirs auxquelles elle avait accès été bon, normalement Lilian devait encore être sur un lit d’hôpital. Une histoire dure comme il en existe souvent lorsqu'on est mortel. Ealie semblait encore être nostalgique de cette douce adolescence. L'humaine semblait être beaucoup s'attaché à toute la famille puisqu'il semblait y est également un frère... Ealie semblait avoir de drôle de sentiments envers ce jeune homme d'ailleurs. Bizarre.

Quoiqu'il en soit l'ange s'était donc dirigé vers elle, pour pouvoir vérifier ses hypothèses et surtout comprendre comment elle était arrivée là. Il fallait juste qu'Astarielle réussisse à se mettre dans la peau de la petite humaine... Même si au fond, ce n'était pas trop compliqué puisqu'elles se ressemblaient un peu dans le fond, c'était peut-être pour cela qu'elles avaient été compatible pour qu'Ealie devienne son véhicule.

Un sourire franc et immense se dessina sur ses lèvres lorsque Lilian prononça son prénom. C'était amusant, elle avait l'air encore plus surprise qu'elle de la voir. Mais les quelques secondes de surprise passées, l'humaine se leva précipitamment et la pris dans ses bras. D'abord, Astarielle en fut étonnée, pourquoi les humains avaient toujours ces besoins de contact physique ? C'était bizarre. Mais un sourire tendre étira ses lèvres. Elle sentait combien cette étreinte réconfortait petite Ealie et la blondinette répondit alors à l'étreinte de la jeune femme.

Ca pour une surprise, c'était une surprise pour les deux ! C'est alors qu'elle se détacha de quelques centimètres. La blondinette put enfin plonger son regard dans les siens. Un sourire toujours sur les lèvres. Elle ouvrit la bouche, puis se souvient qu'elle devait être Ealie et non Astarielle.

« C'est plutôt moi qui devrait être surprise ! Tu as l'air d'aller bien ! Je n'en reviens pas qu'on met pas prévenu que tu étais réveillée ! Je suis si contente. » dit-elle joyeusement en faisant une pression amicale sur le bras de Lilian. Elle savait qu'Ealie l'aurait sûrement repris dans les bras, mais Astarielle n'y arrivait pas encore. C'est comme, elle aurait pu lui dire la vérité, mais la jeune femme devait être encore fragile depuis son réveil.

« Pour ce qui est de ce que je fais là et bien... j'étudie ici l'art ici. Et toi alors ? Qu'est ce que tu fais ici ? » demanda-t-elle comme si elle la connaissait depuis toujours.

Spoiler:

Les retrouvailles avaient été pour le moins inattendues. Ithuriel ignorait tout de la présence de sa sœur Astarielle à Huntfield. Mais quand bien même elle l’aurait su, qu’aurait-elle fait ? Aurait-elle tenté de prendre contact avec elle ou aurait-elle fait tout son possible pour l’éviter et la tenir à l’écart ? L’un dans l’autre, la déchue l’ignorait. Elle avait scrupuleusement évité tout contact avec une créature céleste depuis sa réincarnation sur Terre afin d’éviter de compromettre sa nouvelle identité et la mission qu’elle s’était donnée. Mais Astarielle était sa plus proche amie et une confidente de confiance. Ithuriel devait savoir qu’elle pouvait se tourner vers elle pour cette sombre histoire de Grâce volée. Astarielle ne la jugerait jamais. Elle pouvait l’aider à rattraper son erreur et à empêcher que le pire ne se produise. Pourtant, la déchue demeura silencieuse sur sa véritable nature et se contenta de jouer un rôle : celui de son hôte.

Elle exprima sa surprise de se retrouver en compagnie de cette amie qu’elle avait perdue de vue depuis quelques années. Et soucieuse de rattraper le temps perdu, la déchue s’était empressée de lui demander des nouvelles. En réalité, c’était surtout des nouvelles de sa sœur qu’elle aurait souhaité avoir, et non des nouvelles de son hôte. Mais l’autre ange ne l’ayant pas reconnue s’était également mis en tête de jouer le rôle d’une simple humaine. Mais qu’importe, c’était si bon d’entendre de nouveau le son de sa voix. Ithuriel pouvait presque se sentir de nouveau de retour chez elle. C’était tellement agréable.

En réponse à son exclamation et à ses questions, Astarielle fit remarquer à sa grande sœur que c’était plutôt elle qui devrait être surprise. Elle insista également sur le fait qu’elle avait l’air d’aller bien. Ce qui étonna quelque peu Ithuriel. Oui, elle allait bien. Pourquoi cela n’aurait-il pas été le cas ? Pour la simple et bonne raison qu’elle ne devrait pas aller bien. Ou plutôt que son hôte ne devrait pas aller bien. Elle était supposée être étendue dans une chambre d’hôtel, plongée dans le coma depuis ces deux dernières années maintenant. Et pourtant, la voilà qui se tenait là devant sa vieille amie sans faire montre d’une quelconque complication due à son récent accident. C’était presque… miraculeux. D’ailleurs, Astarielle fit remarquer qu’elle n’en revenait pas que personne n’ait pris la peine de la tenir informée du récent réveil de la jeune femme.

Ithuriel nota une pointe de tristesse dans la voix de sa sœur qu’une vague de joie emporta rapidement lorsqu’elle s’exclama qu’elle était si contente. Néanmoins, l’écho de cette tristesse toucha Ithuriel qui ne put s’empêcher de faire de son mieux pour rassurer son amie.

— C’est… Tout s’est passé si vite, en fait, expliqua-t-elle avec hésitation. Le réveil et tout. Je n’ai pas su retrouver mes marques après l’accident. Je me sentais perdue et comme catapultée dans un monde que je ne reconnaissais pas. Il me fallait un peu d’espace et de solitude pour faire le point. Je… Je suis donc partie. (Elle baissa la tête, honteuse.) Partie sans prévenir personne.

Astarielle avait ce don et cette innocence la rendant naturellement digne de confiance et faisant naître chez quiconque discutant avec elle le désir de s’ouvrir et de ne dire que la vérité. Ithuriel n’avait même pas eu à se forcer ou quoi que ce soit. Elle n’avait dit que la stricte vérité en toute connaissance de cause. Elle avait voulu être honnête avec sa jeune sœur et elle avait souhaité se soulager de ce poids invisible pesant sur ses épaules depuis des mois sans qu’elle n’en ait eu conscience avant aujourd’hui. Ce n’était pas facile de vivre dans le mensonge en permanence. Cela finissait par devenir insupportable. Étouffant. La vérité était en fin de compte salvatrice. Mais à petite dose seulement. La déchue n’était pas encore prête à révéler à la jeune femme sa véritable nature.

Il y eut un petit silence pendant lequel Astarielle observa son amie sans émettre le moindre jugement. Et sentant que le moment n’était sûrement pas venu de creuser plus avant la question de l’accident ou celle du réveil qui avait suivi, elle rebondit sur ce que la déchue avait dit un peu plus tôt en expliquant qu’elle était ici pour étudier l’art. L’art ? Ithuriel s’en souvenait à présent. La jeune Ealie avait toujours fait montre d’un véritable talent inné pour le dessin. Un don qu’elle partageait d’ailleurs avec Jared, le petit frère de l’hôte d’Ithuriel. C’est une des nombreuses choses qui les avaient rapprochés. Ils étaient tous les deux à la fois très semblables et pourtant si différents. De parfaites âmes sœurs.

Mais là n’était pas la question. Ithuriel s’était abîmée un instant dans le souvenir de cet autre petit frère qu’elle n’avait jamais rencontré et qu’elle n’avait jamais connu en personne. Mais ce dernier avait été si proche de sa défunte sœur qu’un lien unique s’était forgé entre eux et ce lien, Ithuriel le détenait à présent et elle ne pouvait éprouver que tendresse et désir de protection en repensant à ce garçon plein de fougue et tellement aventureux. Elle aurait souhaité qu’il soit là aussi. Mais qu’importe. Astarielle, ou plutôt Ealie, venait de lui retourner sa question en lui demandant ce qu’elle-même faisait ici.

Ithuriel prit une profonde inspiration en réfléchissant à ce qu’elle pouvait bien dire pour justifier le fait qu’elle se trouvait aujourd’hui dans une ville assiégée par des démons et des créatures surnaturelles à des centaines de kilomètres de sa ville natale. Elle repensa à ce qu’elle avait avoué précédemment. Avoir éprouvé le besoin de prendre ses distances avec ses proches et sa vie passée. Ce besoin de solitude. Et c’est tout naturellement qu’elle répondit :

— Les études. Moi aussi je suis ici pour les études. (Elle marqua une courte pause.) Ayant eu vent d’une rumeur faisant état de phénomènes surnaturelles se déroulant ici, à Huntfield, j’ai sauté sur l’occasion pour en apprendre plus. Je… Je prépare une thèse sur le sujet dans le cadre de mon doctorant et cette ville me paraissait être un bon sujet d’étude. (Au même moment, les lumières de la grande bibliothèque vacillèrent et clignotèrent quelques instants. Un cuisant rappel de ce qui se passait dans le reste de la ville en proie au chaos et à l’anarchie.) Maintenant, je ne suis plus tellement sûre d’avoir pris la bonne décision, ajouta Ithuriel avec un petit sourire après avoir levé les yeux vers l’une des lampes. Mais tu me connais, quand j’ai une idée en tête, je peux me montrer un poil butée et déterminée. (Ce qui était la stricte vérité, autant pour Lilian que pour Ithuriel. Sur ce point, les deux femmes étaient semblables.) Mais sinon, qu’est-ce que toi tu deviens ? demanda ensuite la déchue.

Elle aurait souhaité ajouter « depuis ma chute » et la dernière fois que nous nous sommes parlées. Les mots refusèrent cependant de franchir ses lèvres. Pas maintenant. Elle avait encore trop honte de ses nombreux échecs pour partager la vérité même avec sa plus proche confidente. Et ce sentiment devait se lire sur son visage étant donné qu’elle évita de croiser le regard de sa jeune sœur pendant quelques instants. Un sourire suffirait-il cependant à apaiser les soupçons de l’ange ? Sûrement pas. Mais sait-on jamais…

Astarielle n'avait plus réellement l'habitude de jouer les humaines. En réalité, par les temps qui couraient, il était plus facile d'être un ange. Son identité était à présent connu de nombreux humains, elle avait même dit la vérité à la petite Saeko. Mais étonnement, Astarielle n'eut pas le courage de lui révéler que ce n'était pas à Ealei qu'elle parlait. Elle semblait si heureuse d'avoir retrouvé son amie, qu'elle s'en voudrait de lui retirer ses retrouvailles. D'ailleurs, intérieurement Ealie devait bouillir d'inquiétude. Savoir que son amie, tout droit sortit du coma, était dans une ville infestée de démons n'était pas pour la faire sauter de joie.

Quoiqu'il en soit, Astarielle tentait de se montrer douce et gentille avec Lilian. Elle savait que dans leur histoire, c'était plutôt Lilian qui protégeait Ealie... Mais cette fois, c'était elle qui avait été dans le coma un petit moment et qui devait être fragile. Étonnement, l'étreinte de la jeune femme la réconforta, son cœur se réchauffa. Pourtant, elle ne la connaissait ni d'Adam, d'Eve... Une impression familière la saisit. C'était sûrement le corps de son véhicule qui réagissait.

L'ange observait d'ailleurs l'humaine pour savoir si elle allait réellement bien. Grâce à ses pouvoirs, elle pourrait lui donner un petit coup de main si nécessaire... Mais apparemment, ce n'était pas nécessaire pour l'instant. Elle déplora alors le fait qu'elle n'avait pas été prévenu de son réveil. Enfin, en réalité, même si quelqu'un lui avait laissé un message son la petite boite noire elle n'aurait pas su... Elle avait encore beaucoup de mal d'utiliser ce téléphone portable qu'avait son hôte. Quoiqu'il en soit, elle se contenta de sourires, de paroles agréables et surtout d'une pointe de surprise ! Mais au fond, elle sentait bien qu'Ealie était triste que ce jeune homme ne l'est pas appelé pour annoncer la bonne nouvelle, ou même que Lilian ne l'est pas contacté elle-même....

« Oh ? Tu es partie sans donner de nouvelles ? Mais ta famille doit s'inquiéter tu ne crois pas? En plus c'est dangereux... Si tu viens de sortir de ton coma...  » ajouta-t-elle d'un ton contrarié. Elle passa alors une main dans sa chevelure dorée pour dégagé son regard. Elle observa un peu plus Lilian. Au moins, maintenant, elle savait que ce n'était pas sa faute si elle n'avait pas été au courant du réveil de Lilian. Elle se racla la gorge et baissa les yeux. Il fallait qu'Astarielle la convainc qu'elle rentre chez elle... Elle serait plus en sécurité auprès de sa famille.

« Tu sais... Tu n'as pas vraiment choisi ton moment pour faire du tourisme à Huntfield... Je suppose que tu as pu constater la panique à l’extérieur... Tu loges où ? J'espère que  tu n'es pas à l'université au moins avec tous ces gens ? Ou dans une chambre d'hôtel miteuse... » ajouta-t-elle en lui faisant les gros yeux comme une grande sœur qui s'inquiéterait pour sa cadette. Même si techniquement, Lilian était plus âgée que Ealie... Et bien Astarielle était beaucoup plus âgée que Lilian ! Na !

« Et tu n'as pas de traitement à prendre avec ton réveil ? » demanda-t-elle d'un ton inquiet.

Elle préféra ne pas attendre la réponse à ce traitement... Après tout, ce n'était pas vraiment ses affaires... Ou tout du moins, elle préférait répondre à sa question et savoir pourquoi elle avait choisi Huntfield. Elle balança la petite vie tranquille d'Ealie, les études d'art au centre de sa vie. Et rapidement, retourna la question. La réponse surprit énormément Astarielle. Elle s'était jetée dans la fausse aux lions en toutes connaissances de cause ?! Une chose était sûre... Elle n'arrivera jamais à la faire quitter cette ville du coup... L'ange se contenta de lever un sourcil perplexe. Elle préparait une thèse que les phénomènes paranormaux ? C'était assez original pour une humaine.

« Oh ? Tu es donc venue en toutes connaissances de cause ? Ce n'est pas pour me rassurer... Rassure moi, tu ne vas pas au devant des ennuies au moins ? » demanda-t-elle étonnée. Pourtant, dans ses souvenirs, Lilian était plutôt du genre posé et c'était son frère qui était casse cou... Heureusement, elle fut rassurer lorsque Lilian ajouta que finalement cela n'avait pas été une si bonne idée que ça. Un sourire amusé et tendre se dessina sur ses lèvres. Oui, Ealie se souvenait bien du côté plus que têtue de Lilian, c'était un trait de famille d'ailleurs.

Son autre question la surprit... CE qu'elle devenait ? Et bien en deux ans, il ne s'était finalement pas passé grand chose dans la vie de Ealie... Enfin, à part sa possession par un ange, mais ça elle n'avait pas besoin de le savoir. Elle l'observa quelques instants. Cette autre sensations de familiarité qu'elle vit dans son regard... Elle semblait lui cacher quelque chose cette jeune humaine, mais quoi ? Astarielle fronça les sourcils avant de reporter son attention sur le meuble en bois et de l'effleurer du bout des doigts. Ah oui, elle devait répondre à sa question.

« Et bien... Pas grand chose... Je fais comme tout le monde, j'essaye de survivre dans ce monde de fou... J4avoue que j'ai été surprise d'apprendre l'existence du surnaturel... Ca m'a fait un choc... Mais j'essaye d'aider le plus possible, avec mes faibles moyens... Oh et j'ai un neveu, le fil de mon parrain Seth, tu te souviens ? Ils sont en ville, malheureusement... »

Astarielle n'était pas certaine qu'Ealie avait parlé de son parrain et de son histoire à Lilian, mais qu'importe... Ce n'était décidément pas ce qu’elle voulait savoir. Elle eut alors un éclair de lucidité. Et si finalement, Lilian l'aidait à trouver ce qu'elle cherchait.

« Et alors, tes recherches portent leurs fruits ? »demanda-t-elle innocemment en prenant un livre au hasard.

Passé le premier choc des retrouvailles et l’échange de gestes affectueux, Ithuriel et Astarielle avaient engagé la conversation en prétendant toutes deux être leur hôte respectif. N’était-ce pas ironique ? Les deux sœurs se considérant comme les plus proches amies et jouant justement le rôle de deux mortelles amies de longue date. Des destins croisés prouvant une fois de plus que le hasard faisait bien les choses. Mais les voies du Seigneur étant impénétrables, mieux valait ne pas chercher à comprendre la logique derrière tout ceci. Dieu avait Ses raisons d’avoir écrit ainsi l’histoire de la vie. Mieux valait respecter Ses choix et Ses décisions sans les remettre en question perpétuellement. C’était ça avoir la foi.

Astarielle avait exprimé sa surprise au début de la conversation de ne pas avoir été informée du réveil de Lilian plus tôt. Ithuriel avait été touchée de percevoir une pointe de tristesse dans la voix de sa jeune sœur et elle lui avait avoué ne pas s’être attardée très longtemps à Seattle une fois sortie du coma. Soi-disant à cause du fait qu’elle peinait à retrouver ses marques et qu’elle se sentait perdue et comme catapultée dans un monde qu’elle ne connaissait pas. Ce qui dans le fond était en partie vrai. Mais la déchue avait surtout souhaité épargner à la famille de son hôte la dure séparation qui aurait été inéluctable en fin de compte étant donné qu’elle s’était mise en tête de partir en chasse. Elle avait une longue liste d’entités démoniaques à vaincre pour racheter ses erreurs passées. Lucifer étant le nom trônant au sommet de cette liste presque interminable. Il n’aurait pas été honnête de faire miroiter à cette famille le retour de l’enfant prodige pour le leur arracher quelques jours ou semaines plus tard.

Mais Ithuriel n’avait pas développé ses explications à ce point. Elle avait souhaité taire à sa prétendue amie sa véritable nature. Hélas, Astarielle jouait également un rôle et celui-ci lui imposa de demander à son interlocutrice si sa famille ne s’inquiétait pas de sa soudaine disparition. D’autant plus que c’était certainement dangereux pour elle et sa santé d’avoir quitté l’hôpital si tôt après sa sortie de coma.

— Ils vont bien, mentit Ithuriel en sentant un poids lourd tomber dans son estomac. Ils ont compris que j’avais besoin d’un peu de temps pour retrouver mes marques et mes repères. Et ne te fais aucun souci pour moi, ma santé n’est pas danger pour le moment. Mon corps a très bien récupéré et je ne souffre d’aucune séquelle due à l’accident. C’est… un miracle.

Oui. Un miracle. Littéralement. Et pour cause : un ange était descendu sur Terre et avait redonné vie à cette enveloppe charnelle à l’abandon depuis maintenant deux années avant d’en investir les lieux et de la revendiquer comme sienne désormais. Mais ce n’était pas du vol. Pas à proprement parler étant donné que l’hôte précédente l’avait déserté et s’en était allée rejoindre son paradis aux Cieux. Ithuriel n’avait fait que profiter de la vacuité de ce corps pour servir une noble mission. Ce n’était pas du vol… Du moins tentait-elle de s’en convaincre. Elle n’avait pas demandé son avis à Lilian après tout.

Astarielle s’était alors raclé la gorge avant de reprendre la parole. Mais quelque chose dans son regard et dans sa voix avait changé. La jeune femme se montra soudain plus dure mais sans pour autant être hostile. Ithuriel fronça les sourcils en se rendant compte que son amie – et sœur – agissait soudain en grande sœur justement. Il y avait toujours cette pointe d’inquiétude dans la voix de la douce Astarielle. Ithuriel ne put s’empêcher de sourire malgré elle. Cela aussi lui avait manqué.

Mais que répondre aux questions d’Astarielle ? Elle venait de lui demander où est-ce qu’elle logeait en insistant sur le fait qu’elle espérait que ce n’était ni à l’université ni dans une chambre d’hôtel miteuse. Malheureusement, Ithuriel vivait bien dans une chambre de motel miteuse et elle passait généralement la majeure partie de son temps libre sur le campus à faire des recherches à la bibliothèque. Du moins quand elle n’était pas à arpenter les rues à la nuit tombée en quête de démons auxquels elle souhaitait soutirer de précieuses informations. En somme, elle faisait exactement le contraire de ce qu’Astarielle semblait attendre d’elle. Alors que lui répondre au juste ?

Heureusement, Ithuriel ne put pas en placer une et n’eut donc pas à répondre à toutes ces questions. Elle n’aurait pas supporté de mentir une fois de plus à sa jeune sœur si douce et si honnête. Mais jeune sœur déterminée à se comporter en vraie mère poule cependant compte tenu de la nouvelle question qu’elle venait de poser à Ithuriel : à savoir si elle avait un traitement à prendre depuis son réveil.

— Non, aucun, répondit la déchue sans avoir à mentir cette fois. Comme je te l’ai dit, mon corps s’est parfaitement remis de l’accident. C’était un véritable miracle.

Mais la réponse d’Ithuriel se retrouva finalement noyée dans la vie d’Ealie dont la jeune femme traçait les grandes lignes des événements récents. À savoir ses études d’art. Et s’étant vue retournée la même question, Ithuriel avait répondu qu’elle était également ici pour les études. Ce qui eut l’air de surprendre Astarielle. Était-ce à cause de la nature même de la thèse qu’elle préparait ou bien du fait qu’elle avait décidé de reprendre ses études quelques mois à peine après être sortie d’un coma de deux ans ? L’un dans l’autre, Ithuriel n’aurait pas été étonnée que ce soit à cause des deux. Pourtant, ce n’était ni l’un ni l’autre. La surprise d’Astarielle était due à une troisième option : qu’Ithuriel ait choisi volontairement et en toute connaissance de cause de venir à Huntfield. C’était comme être journaliste de guerre et de choisir volontairement de mettre les pieds en zone hostile. Une décision à la fois courageuse et stupide.

Mais Ithuriel rassura sa jeune sœur en lui faisant part de ses doutes. Peut-être aurait-elle mieux fait de s’abstenir de venir ici. Non pas à cause des tensions menaçant de détruire la ville. Mais à cause de tout ce qui s’était passé dans la vie de la déchue depuis qu’elle avait été poussée à venir dans cette ville par une force invisible ayant surpassé sa volonté à elle. Elle n’avait pas choisi de mettre les pieds Huntfield. On avait choisi pour elle. C’est ce démon s’étant emparé de sa grâce qui l’y avait contrainte.

Refusant de laisser cette abomination ternir ce petit moment de félicité au milieu de cette atmosphère de tension et de chaos, Ithuriel demanda à sa jeune sœur ce qu’il en était de sa vie à elle. Que devenait-elle au juste ? Quand bien même elle souhaitait en apprendre plus sur ce qu’était devenue Astarielle, elle dut se contenter d’en apprendre plus sur Ealie. Mais l’un dans l’autre, cela revenait pratiquement au même. Astarielle s’efforçait de survivre dans ce monde hostile en continuant de faire ce qu’elle avait l’habitude de faire : à savoir apporter son aide aux nécessiteux. Elle avoua aussi avoir un neveu. Le fils de son parrain. Un dénommé Seth qu’elle ne connaissait pas. Mais au vu de la réaction de l’ange, il ne fit aucun doute que Lilian, elle, connaissait Seth. Aussi Ithuriel hocha-t-elle vivement la tête en souriant.

— C’est une très bonne nouvelle, dit-elle en apprenant pour la naissance du neveu. (Propos qu’elle fut contrainte de nuancer l’instant d’après en apprenant que Seth et sa famille étaient eux aussi à Huntfield.) Je suis désolée. J’espère qu’ils sont à l’écart de… tout ce qui se passe en ville dernièrement.

L’inquiétude d’Ithuriel était sincère. Les anges pouvaient être des créatures froides et dépourvues de la moindre émotion, il n’en demeure pas moins que leur mission première était de protéger les mortels. S’ils devaient en sacrifier pour en sauver le plus grand nombre, il le ferait sans hésiter un seul instant ; mais dans le cas ici présent, il n’était pas question de vie ou de mort dans ce sens-là. Aussi l’inquiétude d’Ithuriel était effectivement sincère. Les vies de Seth et de ses proches comptaient plus que tout.

Peut-être la dernière allusion d’Astarielle et le douloureux rappel des tensions menaçant d’avoir raison de la santé mentale de tous les étudiants de cette ville jeta un froid sur la conversation et est-ce pour cette raison que la jeune femme préféra changer de sujet ou peut-être préférait-elle éviter qu’Ithuriel et elle ne s’aventurent sur une pente trop glissante qui aurait pu également briser leur moral. Quoiqu’il en soit, elle demanda à sa grande sœur si ses recherches portaient leurs fruits.

Ithuriel leva les yeux au ciel et soupira.

— Pour être tout à fait honnête avec toi, non, elles n’avancent pas comme je le voudrais. (Ce qui dans le fond était un euphémisme. Elles n’avançaient même pas du tout. Ithuriel était aussi près de découvrir l’identité du démon s’étant emparé de sa grâce que Lucifer était près de retourner dans sa cage. Rien de franchement prometteur en somme.) Je piétine et n’ai pas le sentiment d’avancer et d’arriver à ce que je veux vraiment. C’est particulièrement… frustrant.

Ithuriel se rendit alors compte qu’Astarielle avait l’air de l’écouter d’une oreille distraite. Elle venait de s’emparer d’un livre au hasard et faisait mine de le feuilleter en toute innocence. Ithuriel n’aurait pas été une bonne amie et encore moins une bonne sœur si elle n’avait pas senti qu’il y avait anguille sous roche. Elle connaissait suffisamment Astarielle pour savoir que celle-ci lui cachait quelque chose.

— Hum, fit-elle en fronçant les sourcils, toi tu as quelque chose à me demander, n’est-ce pas ? Tu me caches quelque chose. (Un sourire étira ses lèvres.) Dis-moi tout. Je t’écoute.

Cela faisait un petit moment qu'Astarielle n'avait pas joué son hôte. En même temps, avec les événements, elle n'avait pas réellement eu l'occasion de parler beaucoup avec des humains... Et, il fallait avouer qu'ils avaient plus besoin d'un ange plutôt que d'une humaine. Au fond d'elle, Astarielle savait qu'Ealie était fière de son choix. La belle humaine avait toujours été une combattante dans la vie. Peut-être même, une fois qu'Astarielle la laissera libre elle deviendra une chasseuse... Qui sait. Surtout qu'elle savait se battre et qu'elle était loin d'être bête. Enfin, tout ceci n'était pas encore d'actualité puisque la mission d'Astarielle était loin d'être terminée, elle ne faisait malheureusement que commencer.

En tout cas, Astarielle réussissait presque à partager la joie de son véhicule lorsqu'elle revit cette vieille amie. C'était bien étrange comme sentiment. La blondinette devait faire attention à ne pas trop se laisser influencer par les sentiments humains qui étaient, selon elle, une faiblesse. C'était certes, une belle faiblesse, mais Astarielle était un ange et se contentait parfaitement  de sa façon de vivre. Quoiqu'il en soit, elle avait un drôle de sentiments familiers l'envahissait... Comme si elle connaissait Lilian depuis toujours...

La blondinette l'observait avec intérêt. Cette petite humaine avait du cran quand même ! Et une sacrée force... Elle venait tout juste de sortir du coma et sa première idée fut de continuer ses études. Études sur un drôle de sujet d'ailleurs.  Le surnaturel. Mais le plus étonnant c'était qu'elle s'était jeté en toutes connaissances de cause dans la ville d'Huntfield. En tout cas, Astarielle joua le jeu. Elle savait combien les humains étaient très famille et du coup, elle demandait à la jeune femme si sa famille n'était pas trop inquiète et surtout... Si elle n'avait pas de problèmes de santé lié à sa convalescence. Aussi étonnant que cela pouvait être, Lilian lui annonça que sa famille comprenait parfaitement. En tout cas, Ealie lui souffla que c'était très étrange, notamment avec son frère qui avait été dévasté par l'accident de son aînée.. Il l'aurait laissé partir vivre sa vie comme ça ? Alors qu'elle sortait tout juste d'un coma.... C'était bizarre.

Du coup, l'ange l'observait d'un air scrutateur.  Elle se demandait vraiment si elle n'était pas en train de lui raconter des salades.... Et puis, un ange sent aussi lorsqu'on a tendance à lui mentir. Mais pourtant, Lilian n'aurait pas d'intérêt à mentir à celle qui pensait être son amie Ealie ? Elle lui lança un petit sourire, mais lorsqu'on connaissait assez Astarielle, on pouvait lire dans ses yeux que les miracles, elle, elle n'y croyait pas vraiment.

« C'est une bonne chose alors. Je suis contente pour toi.  En tout cas, si tu as des soucis n'hésite pas à me demander de l'aide, d'accord? » Et oui, l'ange proposait encore son aide à quelqu'un. Ce n'était pas sa faute c'était dans sa façon d'être, elle était toujours disponible pour son prochain.

En tout cas, Astarielle ne put s'empêcher de montrer son désaccord avec la présence de l'humaine dans les parages. Elle devait savoir maintenant que c'était dangereux non ? Et puis, l'ange savait combien il était important pour son hôte de savoir ses proches en sécurité et Lilian comptait beaucoup pour la jeune femme. Du coup, vient la question fatidique de l'endroit où loger la douce Lilian. Astarielle avait déjà vu plusieurs chasseurs vivre dans des hôtels miteux qui semblait-il profiter un peu de la situation précoce de la ville. Seulement, les questions s'enchaînaient dans la tête de la blondinette... Et tant de questions pour si peu de réponses. Apparemment Lilian semblait vouloir répondre seulement aux questions qui l'arrangeait.

Astarielle fronça les sourcils, d'un air contrarié de ne  pas avoir toutes ses réponses.... Bon, elle n'avait pas de traitement, elle espérait au moins qu’elle allait voir un médecin pour voir si tout continuait d'aller bien.... Mais quelque chose chiffonnait l'ange. C'était quoi cette histoire de miracle.. Les miracles ça pouvaient certes arriver, cependant, c'était l'oeuvre toujours de quelqu'un... Seulement, toutes les forces angéliques étaient réunis à Huntfield pour combattre le mal... Alors qui pouvait avoir fait renaître Lilian ? La ramener de son corps ? Et pourquoi elle ? Astarielle devenait de plus en plus septique. Un mystère commençait doucement à entourer cette humaine. Elle la fixa de son regard vairon. Ce regard vairon avait toujours le chic pour réussir à perturber les gens tant il semblait inquisiteur.

« Un miracle hein ? » répéta-t-elle. Mais, elle n'insista pas et se contenta de lui adresser un sourire, faisant semblant de passer à autre chose, en oubliant le reste. Mais ses petites questions ne quittaient pas sa tête.

La surprise s'empara alors Astarielle lorsqu'elle apprit la véritable raison de la venue de Lilian à Huntfield. Franchement, elle était un peu suicidaire non ? Certes, les personnes qui échappaient à la mort avaient tendance à profiter pleinement de la vie et parfois la mettre en danger plus facilement que d'autre. Mais là c'était surprenant. Et puis, cette thèse sur le surnaturel ! Enfin, peut-être que ce point là pourrait lui servir et l'aider, lui faire gagner du temps. Parce que le temps, c'était clairement ce qui manquait aux personnes qui s'opposaient à Lucifer.

Alors que la conversation tournait plus autour de Lilian pour le plus grand plaisir de la blondinette, l'humaine décida d'inverser la tendance. Mouais, que dire de plus sur la vie d'Ealie franchement ? A part cette histoire de retrouvaille avec son parrain et la découverte d'un neveu, il n'y avait pas grand chose. Astarielle se contenta d'hausser les épaules et d'offrir un petit sourire déconfis. Si ils étaient en dehors de tout ça … Certainement pas ! Seth avait tout de même été l'hôte de la Mort.. Autant dire qu'il n'aurait pas pu être plus au centre de la bataille.

« Non pas vraiment...  Malheureusement, on fait avec... De toutes façons on est tous dans cette galère donc,on se sert les coudes comme un peu et on survit. D'ailleurs, si tu es venue seule ça ne doit pas être facile de vivre cette situation ? Tu aurais du m'appeler ! » ajouta-t-elle d'un ton de reproche. Enfin appeler... Oui. Elle n'aurait juste pas su décrocher... A part si Joanna avait été à ses côtés ! Enfin si, elle comprenait quand même petit à petit le fonctionnement de la technologie maintenant.

Quoiqu'il en soit, il était vrai qu'aux yeux de l'ange c'était presque impossible pour une humaine de survivre seule dans cette jungle, ce qui n'était pas pour rassurer la pauvre Ealie qui semblait réellement s'inquiéter pour son amie. C'était d'ailleurs étrange de sentir tant d'émotions à son sujet. Apparemment la petite Turner était réellement attachée à cette famille.

Mais rapidement, l'ange préféra changer de conversation. C'était plus simple de parler de sujet qui n'était pas en relation de la vie de son véhicule. Et puis, pour être exacte, elle était intriguée et avait bien besoin d'informations... Peut-être que cela pouvait être un échange de bon procédé ? Elle l'aidait dans ses recherches et elle aussi ?

« Oui je veux bien croire. Tu cherches quoi exactement ? » demanda-t-elle en laissant son regard vairon vagabonder sur les titres des livres. « Je peux peut-être t'aider ? Tu sais à force de vivre ici, je commence à connaître quelques trucs. » ajouta-t-elle en haussant les épaules. C'est alors que son regard se posa sur un autre livre qu'elle saisit et commença à feuilleter. Mais ce qui suivi l'étonna. Elle releva les yeux, étonnée. Comment elle avait deviné... Comme si elle la connaissait. Elle la regarda, perturbée, puis finit par secouer légèrement la tête.

« Et bien... je me demandais si par hasard tu trouvais pas dans tes livres quelques choses concernant Lucifer et sa cage... Comment le renvoyer d'où il vient quoi...Enfin ce genre de choses quoi... Ou encore sur des personnes ayant obtenu un pouvoir brutalement... ou ce genre de chose. » ajouta-t-elle.

L’échange entre Ithuriel et sa jeune sœur prit une tournure qui fut loin d’inspirer confiance à la déchue. La conversation était d’une banalité affligeante. Il était question principalement de platitudes si chères aux mortels. Mais cela ne dérangeait pas Ithuriel. C’était même une source de réconfort après avoir été si longtemps séparée de cette sœur qu’elle considérait comme sa plus proche amie et confidente. Non, ce qui lui posa problème, ce fut les réactions presque imperceptibles de l’ange. Elle n’était pas aussi douée qu’Ithuriel pour dissimuler ses émotions. Être complètement privée de sa grâce jouait certainement en la faveur de la déchue sur ce point. Astarielle était pour sa part partagée entre sa nature céleste et celle mortelle de l’âme avec laquelle elle cohabitait. Aussi Ithuriel avait-elle pu lire sur son visage quelques réactions inconscientes ayant échappé à sa petite sœur : réactions prouvant qu’elle n’était pas dupe.

Astarielle était peut-être d’une douceur et d’une innocence sans borne, elle n’en était pas pour autant dépourvue de cervelle. Elle n’était pas aussi naïve et ingénue qu’elle voulait bien le laisser croire. Et les propos étranges et mystérieux d’Ithuriel avaient semble-t-il piqué sa curiosité. Le fait que la déchue ait parlé de miracle avait retenu son attention. Et depuis cet instant, on aurait dit que la jeune femme ne cessait de méditer sur l’emploi de ce mot en particulier plutôt qu’un autre. Et plutôt que de prendre le risque de se trahir involontairement, Ithuriel préféra ne pas chercher à détourner l’attention de sa sœur. Mieux valait ne pas trop en faire. Astarielle finirait bien par oublier tout ceci. Après tout, Ithuriel aurait pu parler de miracle en toute innocence. Les mortels le faisaient bien tout le temps : un miracle par ci, un miracle par là. C’était un mot tombé en désuétude… non ?

Peut-être pas. Les yeux vairons du jeune ange braqués sur Ithuriel laissaient penser qu’elle n’était pas décidée à lâcher l’affaire pour l’instant. Mais par chance, elle ne chercha pas à creuser plus avant cette question pour le moment. Fut alors soulevée la question du parrain d’Ealie. La déchue ne le connaissait pas. Mais compte tenu de la manière dont Astarielle en parlait, il semblait que Lilian ait d’ores et déjà entendu parler de lui auparavant. L’avait-elle même déjà rencontré ? Ithuriel n’en avait pas la moindre idée. C’est pourquoi elle se contenta de jouer un rôle en feignant de savoir de qui il s’agissait.

Malheureusement, les nouvelles que lui transmit Astarielle à son sujet n’étaient guère très reluisantes. Il était loin d’être à l’abri des événements survenus récemment en ville. Personne ne l’était vraiment en réalité. Mais ils faisaient avec car ils n’avaient pas d’autre choix. Ils étaient tous dans cette galère et se serraient les coudes de leur mieux pour survivre à ce chaos. L’unité était leur force. Aussi Astarielle en vint-elle à demander à Ithuriel si elle était seule. Car si c’était le cas, ce ne devait pas être facile à vivre comme situation. Elle était loin de se douter à quel point elle avait raison sur ce point.

Ithuriel était seule, effectivement. Et cette solitude était pesante. Mais c’était son choix. Elle préférait être seule pour mener à bien cette mission qu’elle s’était donnée. Elle estimait que c’était même une nécessité. Un moyen pour elle de prouver à Dieu qu’elle était digne de Son pardon. Et dans le fond, la solitude avait toujours fait partie intégrante de son existence. Elle avait été commandante de garnison dans l’armée céleste durant des milliers d’années. Une position de pouvoir créant indubitablement un fossé entre elle et les hommes servant sous ses ordres. Mais il est vrai que ses rares amies proches lui manquaient. Surtout Astarielle. Celle dont elle avait toujours été la plus proche. Celle à qui elle mentait à présent en se faisant passer pour une femme qu’elle n’était pas vraiment. C’était insupportable.

Astarielle lui fit alors remarquer qu’elle aurait dû lui passer un coup de téléphone. Ce dont elle était de toute évidence révoltée étant donné qu’Ithuriel s’en était abstenue. Aussi la déchue répondit-elle :

— Je ne voulais pas m’imposer comme ça. (Elle marqua une pause.) Oui. Je sais. C’est stupide à bien y réfléchir. Je suis désolée.

Ithuriel était sincère. Et pour cause : la remarque d’Astarielle pouvait avoir deux niveaux d’interprétation. D’une part, Ealie reprochant à son amie Lilian de ne pas lui avoir donné signe de vie en arrivant à Huntfield. Et d’autre part, Astarielle reprochant à Ithuriel exactement la même chose. Certes, Astarielle ne savait pas qui était véritablement la femme avec laquelle elle parlait du bon vieux temps. Mais le fait est qu’Ithuriel le savait elle et que les paroles de sa sœur prenaient dès lors une toute autre signification à ses yeux. Peut-être aurait-il mieux valu qu’elle soit honnête avec elle ? Il était déraisonnable et même critiquable de poursuivre cette comédie. Astarielle méritait la vérité. Mais Ithuriel n’était pas prête. Pas encore.

Heureusement, la conversation prit un nouveau tournant et Astarielle abandonna le domaine du privé pour recentrer la conversation sur les études de Lilian. Ithuriel lui avoua que ses recherches étaient au point mort et qu’elles n’avançaient pas aussi bien qu’elle l’aurait souhaité. Astarielle reconnut en effet que cela devait être frustrant. Et c’est donc tout naturellement qu’elle chercha à en savoir un peu plus avant de proposer son aide à son amie. Elle précisa qu’à force de vivre ici, à Huntfield, elle commençait à connaître quelques trucs. Peut-être son aide pourrait-elle faire avancer les recherches de Lilian.

La proposition d’Astarielle jeta un froid sur la discussion et un silence lui tint lieu de réponse un moment. Que répondre à cela ? Il était hors de question qu’Ithuriel lui dise la vérité sur la nature des recherches qu’elle menait. Cela reviendrait à trahir son secret. Elle ne voulait pas en arriver là. Elle ne voulait pas avouer à Astarielle qui elle était vraiment et ce qu’elle avait fait. Elle voulait encore moins lui révéler la menace que représentait sa grâce tombée aux mains d’un démon. Elle n’était pas prête à affronter le jugement de sa sœur ou ses remontrances. Pas maintenant. Pas avant d’avoir tout remis en ordre.

Heureusement, le fait qu’Astarielle ait l’air d’avoir la tête ailleurs joua en la faveur d’Ithuriel et lui offrit une opportunité d’éluder la question en faisant remarquer à sa sœur qu’elle lui cachait quelque chose. Une manœuvre de diversion typique. Reprocher à un autre ce que l’on fait soi-même et que l’on refuse d’admettre. Ithuriel insista donc pour qu’Astarielle crache le morceau plutôt que d’avoir à le faire elle-même. Elle n’en éprouva toutefois aucun réconfort. Elle se sentait même plutôt mal de ne pas révéler toute la vérité à une personne si chère. Astarielle était après tout sa plus proche confidente.

Astarielle ne cacha pas sa surprise. Et elle admit rapidement se demander si par hasard Ithuriel n’avait pas trouvé dans ses livres quelque chose concernant Lucifer et sa cage. Comme par exemple un moyen de le renvoyer d’où il venait ou quelque chose dans le même genre. Elle lui demanda aussi si elle avait quelque chose mentionnant des personnes ayant soudain obtenu un pouvoir ou d’autres informations s’en rapprochant. Ithuriel serra les dents et les poings. Elle secoua finalement la tête.

— Non. Je suis désolée. (Sa voix était devenue sèche et cassante.) Il n’y a rien à ce sujet. Désolée. (Elle marqua une pause et jeta un œil par-dessus son épaule.) Excuse-moi, Ealie, mais il commence à se faire tard et j’ai encore beaucoup de travail qui m’attend. Ça m’a fait très plaisir de te revoir et j’espère que nous aurons l’occasion de remettre ça. Mais là… il faut que j’y aille. Désolée.

Ithuriel ramassa ses affaires et les jeta pêle-mêle dans son sac sans se préoccuper du fait que des livres appartenant à la bibliothèque s’étaient glissés dans le lot. Peu importe. Elle avait bien plus lourd sur la conscience que l’emprunt illégal de livres scolaires. Pour l’heure, elle voulait juste prendre au plus vite ses distances avec sa petite sœur dont la présence mettait Ithuriel mal à l’aise. La déchue ne supportait pas l’idée de lui dissimuler la vérité. C’était plus fort qu’elle. Et cela n’arrangeait en rien les choses que l’ange la questionne sur Lucifer et ses partisans. Non. C’était trop pour elle. Elle ne voyait pas d’autre échappatoire possible que la fuite.

Ce n’est qu’une fois parvenue dans une autre aile du département des lettres qu’Ithuriel cessa de fuir et s’autorisa une pause. Ses mains tremblaient sous le coup de l’émotion. Mais laquelle exactement ? La colère ? La peur ? Le dégoût ? Impossible à dire. Tout se mélangeait dans sa tête. C’était insupportable. Ithuriel aurait voulu que tout cela cesse. Ce qui en soit n’avait aucun sens. Elle avait fait le choix de se couper les ailes en toute connaissance de cause et à présent elle regrettait ce choix. Elle n’avait apporté que chaos et désolation sur sa route depuis sa chute. Et elle en était même arrivée à mentir à sa propre famille. Elle se dégoûtait elle-même. Elle ne se reconnaissait même plus. Ce n’était pas elle, ça. Cela ne l’avait jamais été. Était-elle en train de devenir une autre personne ?

Un bruissement d’ailes caractéristique résonna dans son dos. Ithuriel se rendit compte qu’elle n’était pas seule dans ce couloir pourtant désert la seconde d’avant. Et la présence qu’elle sentait à ses côtés était familière elle aussi. Et pour cause :

— Astarielle, souffla Ithuriel à voix basse en se retournant.

Ce n'était vraiment pas facile pour Astarielle de faire semblant d'être Ealie Turner. Surtout que techniquement, Lilian la connaissait par cœur. Elles avaient vécu pas mal de choses ensemble... Mais apparemment, elle ne semblait pas remarquer la moindre différence... Pourtant, même Seth avait vu une différence.

En tout cas, Astarielle ne put s'empêcher de l'interroger. On aurait presque dit que Lilian était suspecte de quelque chose. Non, c'était juste que l'ange aimait comprendre et certains éléments de la mémoire d'Ealie n'aidait pas à comprendre... A chaque secondes qui passaient, la blondinette se posait de plus en plus de questions. Quelque chose clochait... Notamment au niveau de cette histoire de famille qui la laisser aller dans un endroit dangereux.  Au vu de l'affolement de son frère et de sa détresse lorsque Lilian à eu cette accident... Et les médecins qui disaient qu'il n'y avait plus la moindre chance qu'elle se réveille... Et que malgré l'avis des médecins la famille avait décidé de la laisser brancher à cette appareil... Non... Sa famille ne l'aurait jamais laissé partir ainsi.

De toutes façons, Astarielle avait déjà décidé de trouver le numéro de cette famille pour leur demander comment allait leur fille. L'ange avait peut-être l'air idiote, mais elle n'était pas née de la dernière pluie... De toutes façons, ce n'était pas la principale concernée qui lui indiquerait la vérité, elle irait donc elle même à la pêche aux informations.

Malgré tout ceci, la blondinette ne laissait rien paraître. Elle était souriante et poser encore toujours ses questions. Seulement, ce fut lorsqu'elle lui reprocha de ne pas l'avoir appelé qu'une étrange réaction se fit observer. Elle avait l'air tellement sincère lorsqu'elle s'excusa de ne pas l'avoir fait. Leurs regards se croisèrent et l'espace d'un instant, Astarielle eut l'impression d'y reconnaître une lueur familière.

Elle secoua la tête pour se changer les idées. N'importe quoi. Tout ceci était impossible. Mais plus elle y pensait et plus... Non. Elle préféra alors changer le sujet, se concentrer sur autre chose. Un sujet d'ailleurs qui pouvait lui être utile dans sa lutte. Elle était persuadée que Lilian pouvait peut-être l'aider. Du coup, elle s'était concentrée sur les études de l'humaine...  Seulement, cela semblait être un sujet classé défense, parce que lorsqu'elle proposa son aide, un silence de plomb lui répondit. Astarielle fronça les sourcils. C'était quoi le soucis... Elle avait vendu son âme à un démon et elle ne voulait rien savoir ? Soit, là encore elle trouvait elle-même les réponses. C'est qu'à force d'être sur Terre, elle avait appris à comment obtenir des informations. Et puis, elle avait connu plus discret comme changement de conversation.

Elle lui demanda alors autre chose. Au sujet de la cage de Lucifer. Après tout, c'était elle qui lui avait demandé ce qu'elle cherchait, ce qu'elle avait derrière la tête. Mais apparemment, cela ne convenait pas à la belle puisqu'elle devint soudain froide.  Astarielle ne put empêcher la surprise s'inscrire sur son visage. Qu'avait-elle dit encore qui ne lui plaisait pas ?

Ok, franchement, elle devait effrayante là. Astarielle resta muette devant ce comportement plus que suspect. Quelque chose ne tournait pas rond, elle l'avait senti depuis le début qu'elle lui cachait des choses. Elle l'observait alors qu'elle allait ramasser ses affaires. Elle croisa les bras, restant imperturbable à première vue. Son regard se faisait plus froid et pénétrant sur la jeune femme qui détalait.

Elle avait eu des doutes sur la sincérité de la belle, mais maintenant c'était certain... Petit à petit les pièces du puzzle tentaient de se mettre dans l'ordre. Alors que Lilian quittait la bibliothèque précipitamment, Astarielle déposa son regard sur les livres et les pianota de ses ongles. Elle devait avoir des réponses, des certitudes. Elle n'aimait pas du tout ce qu'elle deviné... Tout ceci n'était pas normal...
Fini de jouer, pensait Astarielle. Cette fois-ci, ce n'était pas Ealie qu'elle aurait en face d'elle, mais bien Astarielle. Elle devait être sûre de ce qu'elle avait compris... Si c'était ça alors. Elle se mit alors à l'abri des regards, pour fermer les yeux quelques instants. Elle voulait savoir si c'était bien elle.

En une fraction de seconde, elle était donc derrière celle qui prétendait être Lilian. Son prénom se fit entendre, pas celui de son véhicule, son prénom à elle. Astarielle. Son cœur rata un battement. Elle ne s'était pas trompée. Leurs regards se croisèrent. Maintenant, elle savait.

Prise alors d'un élan étrange, la belle s'avança vers sa sœur et la prit dans ses bras, comme il y a quelques minutes plus tôt. Mais, cette étreinte n'avait plus rien à voir avec la précédente. Cette fois-ci, c'était deux sœurs qui se retrouvaient. Astarielle ferma les yeux, heureuse. Elle était tellement heureuse de la revoir... Bon sang, elle croyait l'avoir perdu pour toujours... Elle croyait avoir échoué lamentablement. En soit, elle avait échoué, mais elle pouvait de nouveau être la pour elle, la pour l'une des personnes qui comptaient le plus pour elle.

« C'est bon de te retrouver, Ithuriel... » murmura-t-elle avec douceur et sincérité. Elle était si contente de la voir vivante. Maintenant, les deux femmes allaient réellement pouvoir parler... Sans mensonge. Sans artifice.

Fin.
Merci pour ce rp ♥