La brunette se racla la gorge comme si ça allait faire disparaitre ce léger goût de regret qui s’était insinué en elle. Il y avait pourtant de quoi être fier… Malgré deux morts avant que les chasseurs n’arrivent, les seules victimes avaient été les coupables. Pourtant, elle avait le sentiment d’avoir laissé quelque chose sur le feu qui n’avait rien avoir avec la chasse qu’elle venait de clôturer avec un autre chasseur.
Le bruit d’un téléphone vibrant sur le cuir du siège passager fut alors remarqué par l’étudiante, sous le son de la radio qu’elle éteignit pour décrocher l’appareil. Elle avait déjà manqué le premier appel, apparemment.
Oups.
Une fois raccrochée, ses doigts tapèrent sur les touches du petit Samsung qui la mit en contact avec un autre appareil, plus loin. Un objet du format d’une boule de billard sembla s’être coincée dans la gorge de la chasseresse.
« Hey, c’est Kaley… Ils ont trouvés un autre cadavre… » Dit-elle gravement avec une moue d’enfant coupable qu’il ne pourrait, évidemment, pas voir. Le dossier avait-il été trop rapidement fermé ?
Allait-il venir plus tard ? Amélie se dit qu’il devait déjà être loin et si tel était le cas, elle vérifierait elle-même. D’ailleurs, elle le précisa.
« J’y retourne, juste pour être sûre… » ‘’Mais si je ne réponds plus au téléphone après ça, ne t’inquiète pas, j’aurais sûrement juste été mangée toute crue’’. C’était ça, la suite logique de sa phrase. Après tout, peut-être était-ce un des cadavres dont une des goules avait repris brièvement l’apparence et qui avait été découvert tardivement ? Ce n’était sûrement qu’une fausse alerte, juste une victime de plus à ajouter au tableau de chasse des créatures mortes.
La jeune femme entra dans la pièce, faisant claquer ses hauts-talons au sol, vêtue d’une chemise blanche ouverte sur un petit décolleté et d’un blaser noir, assorti à sa son pantalon moulant de la même couleur. Des vies étaient en jeu. La sienne l’était aussi. Elle risquait de terminer en haché.
Mais bordel, ce qu’elle adorait se faire passer pour un agent du FBI.
Amélie se posta devant une personne qui lui donna les informations dont il disposait, c’est-à-dire que le tas d’os dégueulasses qu’il analysait appartenait à la journaliste que Brian et Amélie avaient côtoyée le jour avant.
« Elle est morte depuis combien de temps ? » « Deux jours, apparemment... » La jeune chasseresse déglutit, hochant la tête en pinçant les lèvres. Oui, donc en fait, ils avaient peut-être déjà tué la créature qui avait assassiné la blondinette que les deux faux agents avaient rencontrés la veille et qui avait sûrement brièvement pris son apparence. Néanmoins, ça semblait faire beaucoup de chair pour rassasier le petit nombre de goules éliminés, n’est-ce pas ?
Les yeux chocolatés de la brunette fixèrent distraitement la porte de la morgue, s’attendant vaguement à ce que son « collègue » arrive. Quand Amélie s’était rendue compte qu’elle avait oublié quelque chose dans sa chambre d’hôtel, elle s’imposa un petit demi-tour et une grosse perte de temps avant de repartir en direction d’Huntfield. Il était donc normal que son co-équipier était plus loin de la ville concernée qu’elle.
Amélie était tombée sur un autre chasseur il y a plusieurs heures. Brian Keynes. C’était lui, le co-équipier. Oh, quand elle l’avait vu, elle l’avait directement reconnu, évidemment. Depuis combien de temps ses yeux ne s’étaient pas posés sur le chasseur ? Bien avant qu’elle ne sache pour le surnaturel et avant que la puberté ne la frappe de toutes ses forces.
La jeune femme sortit de l’endroit le plus dépriment du monde et, une fois sortie, s’adossa au mur de l’hôpital, le talon de sa chaussure posée au même endroit, laissant son regard se perdre dans l’immensité bleuté au-dessus de sa tête tandis qu’elle jouait à faire balancer et tourner son téléphone portable entre son pouce et son majeur, menaçant de le faire tomber. Comment chasserait-elle la ou les goules restantes ? Vu qu’elle avait tué ses copines, elles viendraient peut-être à elle ? En particulier si elle disait partir dans la soirée, les créatures meurtrières pourraient se dire que cet assassinat passerait particulièrement inaperçu… Ce qui était vrai, en fait. De plus, sa carrure frêle en faisait tout de même l’objet parfait pour une petite vengeance. Sans leur tendre un piège, Amélie se servait de sa propre chair comme appât, donc. Pas du tout suicidaire.
Amélie se perdit dans ses souvenirs, prenant sans invitation la place de ses hypothèses concernant sa chasse actuelle. Elle se rappela d’avoir habitée avec son oncle qui, cet enfoiré, se faisait passer pour un enfant de cœur devant les invités. Elle se souvint quand Lucy, Brian, Liam et une fille dont le nom lui échappait désormais venaient dormir chez eux, avec leurs parents. Et évidemment, elle se remémora comme les images d’un doux rêves auxquels on se raccroche les quelques scènes qui, très claires, restaient à sa portée. Brian était l’adulte sur qui elle avait craqué, dont elle fuyait, rougissante, les yeux dont la couleur la fascinait, les siens reflétant un petit coup de cœur flagrant teinté d’une innocence juvénile propre aux petites filles réservées de son âge. Qu’elle avait été timide, gardant pour elle tous ses démons bien trop puissants pour une femme miniature encore si fragile.
Les années étaient passées et Brian et Amélie ne s’étaient jamais revus. Savait-il pour son oncle, ce salaud qui les avait hébergés ? Peu importait, en fait, ce dernier n’étant plus aucune importance dans l’esprit d’Amélie. Ce n’était qu’une histoire, la sienne, peut-être, mais trop de choses s’étaient passées depuis pour qu’elle ne pense à ce genre de scènes lointaines ou à ses acteurs sans avoir l’impression de tenter de se rappeler de fantômes.
Brian était un de ses souvenirs qui était revenu dans sa réalité sans prévenir. Ses yeux s’étaient posés sur le chasseur et une enclume sembla être tombée sur la petite tête de la jeune femme. Les années ne l’avaient pas vraiment changé, presque fidèle au souvenir pourtant idéalisé du brunet. Amélie avait donné son deuxième prénom, inconnu de la plupart de ses connaissances pour ne pas être assimilée à la petite fille effrayée d’il y a presque dix ans et aussi, il fallait l’avouer, parce que c’était très amusant de mentir sur son identité à quelqu’un qui pourtant, vous connaissait. C’était un mensonge qui n’était pas destiné à durer, juste le temps que l’image de la femme qu’elle était devenue ne soit pas ternie par la pauvre petite orpheline maltraitée qui craquait sur le chasseur qui avait déjà passé la vingtaine. En attendant, pouvait-on vraiment être surpris ? Même maintenant, elle ne pouvait qu’admettre que Brian était trop séduisant pour être chasseur. Sans vouloir offenser qui que ce soit. Il fallait quand même arrêter de combattre l’apocalypse avec le genre de personnes qui pourrait envoûter une succube.
Dans un énième tour, le téléphone portable vola. Oh non.
Prévisible…