VI.01 - De sang et d'art [Abigail Archer]

Tu étais un vampire depuis dix ans. Dix ans de ténèbres et tu sais quoi ? Ca ne te dérangeait pas de ne pas vivre le jour. Les rayons du soleil ne te réduisaient pas à l'état d'un tas de cendres mais même avant ta transformation, tu étais davantage un oiseau de nuit. Oh, la nuit est plus festive mais surtout tu t'étais toujours senti plus en forme, plus perceptif, plus apte à apprendre quand le soleil tirait enfin sa révérence. Pour prendre des notes en cours, ça allait et les vols en simulation ne posaient pas de problème. Ni la pratique, les vols de nuit étant les plus risqués et tu y excellais. Non, ce qui t'avait surtout choqué, c'était de découvrir que le monde tournait encore moins rond. Du surnaturel ! Dieu, des archanges, des anges, des démons et donc Lucifer, Satan et Ca t'en bouche un coin. Des vétalas, des auravores, des fantômes, des doppelgänger, des loups garous et des vampires dans ton cas. Déjà que le crash de ta navette spatiale t'avait secoué ! Alors là, transformé en suceur de sang, c'était la fête du slip. En plus tu découvrais que la partie de ta famille intégriste cachait sa traque des monstres sous un racisme répugnant. Tu te retrouvais du jour au lendemain seul survivant d'un nid de vampires dont tu ignorais tout. Unique héritier des chasseurs de ta famille, une lignée qui remonterait à loin. Au moins aux premiers colons en Amérique. Et c'était là que ta personnalité extravagante trouvait hilarant de se nourrir du sang des humains qui imposaient leur volonté par la violence : Maffieux, délinquants, croyants radicalisés, terroristes, flic zélés, psychopathes, chasseurs intégristes et on en passe des vertes et des pas mures. Ca c'était l'alimentation puisque tu ne serais pas allé acheter ta dose de sang dans un abattoir ou un hôpital. Joindre l'utile à l'agréable ! Venait ensuite l'héritage familial. Bah, les monstres étaient comme des humains mais tu ne les saignais pas. Tu te lançais donc dans la chasse des créatures qui ne voulaient pas coexister avec les humains. Ca incluait les démons, tu ne risquais pas de les laisser régner sur terre, déjà que c'était le bordel.

Dix ans.

Dix ans, c'est à la fois court et … Court. Tu ne les as pas vus passer. Janvier 2014 arrivait déjà quand tu entendais parler de vampires qui saigneraient leurs proies avant d'en faire des sortes de sculptures. Des artistes gore ? C'était fâcheux, d'abord pour les victimes, ensuite pour l'opinion publique. La thèse du psychopathe humain risquait de prendre rapidement du plomb dans l'aile. Comme tu menais l'enquête sur eux uniquement à la tombée du jour, tu perdais forcément un peu de temps même si tu pouvais étudier des documents pendant la journée. Il te fallait deux mois pour localiser les vampires qui allaient frapper bientôt à nouveau.

Un chasseur sachant chasser doit savoir chasser sans son chien mais un chasseur de monstres, c'est pas pareil. Peut-être que si j'avais un chien des enfers mais ça doit être ingérable ces bestioles et avoir une haleine … d'enfer. Je n'aimais pas l'odeur du soufre, l'odeur d’œuf pourri. Ça faisait maintenant quelques années que je chassais les humains et les autres créatures. Des années à faire ce que je faisais de mieux et que j'aime faire. Je menais des recherches poussées dans tout ce que j'entreprends, ça c'est mon coté lettré, ensuite c'était la négociation musclée avec des entités qui ne connaissaient, pour trop d'entre elles, que la violence comme mode de communication. Durant mes traques, j'avais croisé une vétala pacifique. Ben je lui avais dit de continuer comme ça, dans la voix de la non-violence. Puis je découvrais un petit nid de vampires qui travaillaient à l’hôpital, se nourrissant du sang conservé dans des poches. Je leur avais conseillé de se fournir dans les abattoirs, les campagnes du don du sang, ce n'était pas pour leur gueule. Pas déconner. Comment je pourrais zigouiller des créatures qui ne font de mal à personne ? Ben je pouvais pas. Ceci dit, ça restait exceptionnel. Quand une créature avait la capacité d'emmerder le monde, en général, elle le faisait. Je travaillais le jour mais surtout la nuit. Je ne suis ni du matin, ni de l'après-midi.

Début Mars, j'entendais parler d'une sombre histoire de vampires qui se la joueraient sculpteurs sur chair. Donc pas des adeptes du "vivre et laisser vivre" alors il était temps de couper court. Deux jours après, avec des témoignages et mon piratage de fichiers de police, je trouvais la planque dans une zone industrielle du nord et le pire coin du nord : Le Maine. Sans généraliser, je n'aimais pas les filles et les mecs du Maine, ils me gavaient. C'était comme dans le Texas mais en plus froid. Des trous de balle qui se prennent pour le centre de l'univers. En même temps, c'est un trou noir, ça leur irait pas mal. Je garais discrètement pas loin la moto que j'avais empruntée pour l'occasion. Je prenais un fusil à pompes en plus de mon colt 1911, mon épée et je rasais les murs discrètement en direction d'une source de bruits louches mais sans surprise. Les sangsues frappaient à nouveau, il fallait les calmer définitivement.

Tu t'infiltrais furtivement dans la zone industrielle et plus précisément dans cette usine désaffectée où les vampires avaient décidé de parquer leurs proies cette fois-ci. Le plan était simple en théorie et compliqué en pratique, comme tout bon plan qui se respecte : Eliminer le plus possible de vampires en toute discrétion, donc sans alerter les monstres encore en possession de leur tête. Délivrer les humains. Les faire sortir en un morceau sinon ils se plaindraient et du coup tu râlerais. Pas que ça te déplaise de râler mais si possible en évitant de voir de l'humain se faire disperser aux quatre vents. Le but était de les sauver et de raccourcir du vampire manquant de civisme. Transformer le citoyen américain en œuvre d'art plus ou moins contemporaine, c'était un grand manque de civisme. Ca dépendait des humains mais ce n'étaient jamais ceux qu'il aurait fallu ! Par conséquent, tu sélectionnais un bon carton, tu te cachais dessous, deux trous sur chaque coté pour voir et tu progressais incognito dans l'usine. Evidemment, tu ne faisais pas ça, c'était une blague.

Haha.

Tu avançais contre le vent, ce qui aurait compliqué ta progression s'il y avait eu du vent. Or, du vent, il n'y en avait point. Du vent le vent. Tu venais de mettre un vent au vent. Les vampires semblaient attendre quelqu'un en fait mais pas toi. Ca t'interpellait quelque part.

*Ca m'interpelle quelque part*

C'était ce qu'on appelle un leitmotiv en littérature. La littérature et toi, ça faisait deux mais la professeur de littérature était très peu attirante donc tu avais écouté le peu qu'elle vous avait enseigné, sinon tu n'aurais pas écouté le peu qu'elle vous avait par conséquent enseigné. En même temps, une heure de cours par semaine … Tu éliminais le premier vampire qui attendait donc planqué et ne s'attendait pas à ton arrivée. Tu le décapitais proprement pour un résultat très sale. Tu avais deux épées courtes, pas un sabrolaser qui aurait cautérisé la plaie. Tu évitais le geyser et continuais ta progression. Tu ne savais pas où étaient les vampires mais tu te disais que tu les aurais mis dans un certain endroit si tu étais à leur place. Comment c'était trop aléatoire, des fois qu'eux ne pensent pas comme toi, tu décidais de capturer un vampire et de le faire parler avant de le tuer. Tu espérais qu'il serait assez stupide pour parler alors qu'il se doutait que tu l'éliminerais tout de suite après. S'il avait deux neurones, il préférerait mourir que de parler ou il tenterait quelque chose de stupide mais peut-être qu'il tenterait quelque chose de stupide après avoir parlé, et qu'il dirait si possible la vérité. Cette solution devenait beaucoup trop hasardeuse. Du coup, tu avais une meilleure idée.

Je prenais une précaution puis je m'infiltrais dans l'usine désaffectée, me cachant dans les ombres, pas dur il y en avait partout. L'endroit était très peu surveillé, j'aurais presque pu passer par l'entrée principale. Je n'aimais pas ça mais l'arrogance des monstres allait peut-être leur jouer un mauvais tour. Je me devais d'être encore plus vigilante que jamais. C'était le genre de situation où avoir un ou deux autres chasseurs à mes cotés n'aurait pas été du luxe mais je devais agir vite, la situation était urgente. Ces vampires soit disant artistes risquaient de massacrer leurs victimes. S'ils diffusaient leurs œuvres au monde entier, le grand public finirait pas comprendre la vérité et ce serait la panique, sans oublier une chasse aux sorcières dans tout le pays, voire le monde. Rien de souhaitable.

C'est là que je tombais sur un vampire décapité. Alors là, je ne comprenais pas. J'en aurais perdu mon latin si je connaissais cette langue morte, aussi morte que ce monstre en face de moi. Je surveillais autour de moi. C'était trop silencieux. Non, il y avait un bruit diffus mais audible en tendant l'oreille, plus loin, plus bas aussi. Cet endroit comportait un sous-sol et les personnes enlevées récemment y étaient maintenues captives. Qu'on y ajoute le silence de leur kidnappeurs et je me retrouvais face à un piège. Quelqu'un était venu aussi discrètement que moi et avait tué ce vampire. Ce piège était-il pour lui ou pour moi ?

Je me cachais alors instinctivement dans les ombres. Un autre vampire arrivait, trouvait le mort et s’accroupissait à coté de lui avant de regarder attentivement tout autour de lui, des fois que le tueur soit toujours là. Puis il regardait dans ma direction et ouvrait de grands yeux surpris. J'avais ainsi la confirmation que si les vampires ne voient pas dans l'obscurité comme en plein jour, ils ont une meilleure vision nocturne que nous, les humains. Pour ce que ça changeait, il était surpris et le temps qu'une mouche pète, sa tête roulait sur le sol. Ceci fait, je faisais sauter la charge explosive déposée juste avant d'entrer. J'avais repéré le camion transportant les proies des vampires et ce dernier faisait beaucoup de bruits en explosant. Les monstres se mettaient à hurler, une diversion idéale pendant que je fonçais pour délivrer les captifs.

La meilleure idée, c'était de te servir de ton odorat pour localiser les proies mais en fait, leurs cris suffiraient à te guider vers eux. Ils étaient lointains et étouffés donc en sous-sol. Tu poursuivais ta progression discrète. Tu tuais un autre vampire sur ton chemin et le cachais mieux que le cadavre précédent. Ils attendaient quelqu'un et ce n'était pas toi. Tu entendais alors une explosion dehors et les monstres semblaient tous s'y précipiter. Ca sentait la diversion à plein nez mais tu en profitais pour rejoindre très vite les prisonniers. Deux hommes et trois femmes étaient enchaînés à des tuyaux dans une salle de maintenance. Ils n'avaient pas l'air frais mais étaient toujours vivants et en un seul morceau. Tu sentais la peur émaner de chacun de leurs pores quand tu t'approchais d'eux.

"Pas de panique. Je vais vous faire sortir de là."

Leur disais-tu en tranchant leurs liens puis tu leur intimais cordialement mais fermement de cesser de t'inonder de questions.

"La ferme !"

Pas si cordialement que ça mais ça marchait même s'ils auraient mieux fait de ne pas l'ouvrir dès le début, ça aurait été mieux pour toi. Tu étais empoigné et jeté violemment contre une citerne dont la parois se déformait sous l'impact. C'était le geôlier, il venait de te jeter comme une brindille. Tu en avais lâché ton épée. Tu te relevais et lui faisait ton plus beau sourire de vampire, ce qui surprenait l'ennemi juste assez pour que tu te jettes sur lui et le roue de coups. Le truc c'est qu'il faisait deux mètres cube ou pas loin, tout en muscles et rigolait avant de t'empoigner dans le but de t'écraser contre lui.

"C'est tout ce que tu peux faire ?"

Il comprenait ton sourire ironique trop tard, la lame de ta deuxième épée courte s'enfonçait dans sa gorge. Il te lâchait et tombait à genoux en tentant vainement de retenir le sang qui giclait de sa plaie béante puis tu le décapitais.

"Encore un qui n'a pas la tête sur les épaules. Suivez-moi et faites aussi peu de bruit que possible."

Tu ramasses ton autre épée et constate que les humains ont un peu peur de toi, ayant vu ta vraie nature. Comme ils n'ont pas le choix, ils doivent néanmoins te suivre. Tu as l'impression qu'ils font plus de bruit qu'un troupeau d'éléphants mais vous sortez à l'air libre sans encombre, vous retrouvant à l'arrière de l'usine, à l'opposé de l'endroit où l'explosion a eu lieu.

"Oh bravo !"

Vous voilà devant une dizaine de vampires furieux. Ca, tu ne l'avais pas prévu. Furieux, tu le devinais mais qu'ils soient là, non. Tu plaçais les humains face à un mur pour que vous ne soyiez pas pris à revers et te plaçais devant eux pour les protéger. Les monstres rugissaient de colère en se plaçant en arc de cercle devant toi alors tu rugissais aussi pour leur montrer que tu n'avais pas peur mais tu ne te faisais pas d'illusion, à dix contre un, ils allaient te tailler en pièces.

"Oui c'est ça, rendez-vous, ça vaut mieux !"

Haha !

Je fonçais vers le lieu où je trouverais les prisonniers et passais par une salle qui devait être une galerie d'art pour ces dégénérés. Un seul coup d’œil, que je regrettais aussitôt, m'incitait à ne pas en voir plus. Fallait avoir un sérieux pète au casque pour voir une forme d'art là dedans, de la boucherie, ni plus ni moins. Je ne m'attardais pas davantage dans cet abattoir et poursuivais ma route. Mon instinct me poussait alors vers le toit pour passer par une autre voie que celle qui avait l'air balisée devant moi. Je redoutais une embuscade et préférais faire un détour pour peut-être surprendre mes cibles. Dehors, je contournais une série de cheminées lorsque je surprenais les prisonniers en train de se barrer ! Pourquoi je me cassais la tête ? A bien y regarder, quelqu'un les guidait, vêtu de cuir et armé d'une lame, comme un poignard. Autre surprise, des vampires tentaient alors de les encercler mais le gars empêchait leur manœuvre. Je dirais que tous les monstres étaient réunis pour lui faire sa fête, ils étaient bien une dizaine. Ils rugissaient de colère, montrant leur nature vampirique et à ma stupéfaction, il en était un lui aussi ! J'étais perplexe mais une chose était claire, le vampire qui avait fait sortir les captifs ne résisterait jamais à dix contre un. J'agissais donc en lançant une grenade qui atterrissait dans un beau petit tas de vampires, les plus éloignés des civils et du vampire qui tentait de les sauver. Le temps qu'ils la remarquent, quatre monstres étaient éparpillés, les jambes arrachées, puis ils gisaient au sol en geignant. Pas glorieux. On se croyait au sommet de la chaîne alimentaire hein ?!

«On nous attaque !»

Criait un des vampires encore entiers en faisant volte face. Quel temps de réaction ! Quelle brillante déduction ! Je sautais sur une benne à ordure et tirait à plusieurs reprises au fusil à pompes sur deux vampires en face de moi, leur explosant les genoux, puis je bondissais à terre et les décapitait, les faisant taire, leurs cris de douleur me cassaient les oreilles. Un vampire est beaucoup moins rapide et facilement décapitable, si si, ça se dit, à cause d'une mobilité réduite à rien, même pas à trois fois rien. J'achevais aussi deux des quatre blessés graves grâce à la grenade dans la foulée avant de faire face aux quatre survivants. Ah non, aux deux survivants, quelle idée aussi de tourner le dos à son ennemi. Deux contre deux, ça devrait aller mais je comptais bien prendre l'avantage sur ce mystérieux sauveur à la première occasion, dès que les pseudo artistes seraient décapsulés.

Quand tu entendais les coups de feu, tu pensais avec un optimisme insensé qu'un chasseur était venu tuer tous les vampires ici et aussi avec réalisme qu'il allait aussi tenter de te tuer ensuite. Une chose à la fois néanmoins. Tu profitais que les vampires te tournent le dos pour en décapiter deux en utilisant la technique dite du ciseau. Deux lames et la tête alouette. Tu achevais aussi les deux vampires qui rampaient par terre, ça leur apprendrait à se croire tout permis en changeant les humains en statues grotesques, amalgames de chair, voir fusion de deux corps aplatis et remodelés avec très peu de talent qui plus est. Il en restait donc deux entre les renforts express et toi, armés d'une sorte d'épée torsadée pour leur part. En l’occurrence, la personne qui était tombée à pic était une femme habillée en chasseuse, bougeant comme une chasseuse, apparemment armée comme une chasseuse et parlant probablement comme une chasseuse. Du genre à coller un direct à un inconnu qui vanterait sa beauté. Tu la trouvais belle mais tu n'étais pas lourd avec les femmes, tu ne dirais pas par exemple que tu aimais les allumeuses, les femmes immorales ou celles qui se disaient sensuelles, peut-être même les deux. Tu avais d'autres défauts !

"Je vais me mettre à l'art moi aussi, tiens !"

L'un des vampires t'attaquait sur tes bonnes paroles à peine provocatrices, vous croisiez le fer mais il n'était pas doué, tu passais sa défense aisément et lui tranchais un bras à hauteur de l'épaule.

"Et voilà le travail, le vampire manchot !"

Tu n'avais pas tranché le bras qui tenait l'arme blanche aussi attaquait-il avec férocité mais la perte de son bras le déséquilibrait et tu lui tranchais l'autre bras avant de le décapiter. Pendant ce temps, la chasseuse en avait terminé avec le dernier monstre pseudo sculpteur gore encore en vie après avoir fait un commentaire qui te faisait sourire. Elle avait du s'y prendre à deux fois pour trancher la tête de sa proie mais pour une humaine, ce n'était pas mal du tout. Vous vous faisiez donc face avec une certaine prudence et tu te disais que c'était clair et net pour toi, cette femme ne pouvait être qu'une chasseuse et pour elle, tu ne pouvais être qu'un vampire. Vous aviez tous les deux raison. Et maintenant ? Le suspense était à son comble.

Le vampire qui avait sauvé les civils avait aussi achevé deux blessés au sol avant de trancher les bras de son adversaires et de le décapsuler avec deux épées courtes. D'habitude, les mecs avaient le complexe de la lame la plus longue, ça m'intriguait.

«Pas de bras, pas de chocolat.»

Disais-je tout simplement avant de contrer une attaque assez sournoise de mon ennemi mais il avait frappé tellement fort que j'aurais presque pu en perdre mes plombages, si j'en avais eus. Le vampire vêtu de cuir tuait alors l'avant-dernier kidnappeur pendant que je me débarrassais de l'autre. Il avait le cou épais celui-là, il m'avait fallu deux coups pour détacher sa tête de ses épaules. Nous nous faisions alors face. Nous nous observions en silence, je me demandais s'il était un éventuel allié ou un possible ennemi. Il savait que j'étais une chasseuse, je n'en doutais pas comme il était un vampire, je le savais, il savait que je savais, je savais qu'il savait que je savais. Et cetera. Il avait une gueule plutôt pas mal et de l'allure dans son cuir, j'aurais pas vraiment dit motard mais plutôt … Chasseur ? Je trouvais ça louche. Quelqu'un se raclait alors la gorge dans ce silence tendu.

«Heu, c'est terminé ? Vous n'allez pas vous entre-tuer, n'est-ce pas ? Non parce que ce monsieur n'est pas très aimable mais il nous a tout de même sortis de là.»

Et moi, je puais ? Il les avait fait sortir de là mais ils étaient restés en vie grâce à moi. Je reniflais, le civil avait néanmoins raison. C'était terminé et nous ne pouvions pas parler devant ces témoins. Les civils ne devaient pas connaître le monde du surnaturel. D'abord ils n'y croiraient pas et ça pourrait les rendre fous. Ce serait gênant d'en sauver un pour apprendre plus tard qu'il avait exterminé toute sa famille pour leur bien. J'entendais alors les sirènes de la police. L'explosion du camion avait du alerter les forces de l'ordre et la cavalerie arrivait après la bataille, pour changer.

«C'est terminé. La police arrive. Si vous n'avez pas envie qu'ils vous interrogent pendant des heures au poste, je vous conseille de ne pas leur parler de nous. Tout ce que vous avez vécu ce soir est rationnel. Un gang de camés qui ont fini par s'entre-tuer.»

Ils étaient d'accord, très bien. Je voyais bien qu'ils étaient pressés de retrouver leur famille et tellement reconnaissants pour le sauvetage, même envers moi que je les calmais tout de suite :

«Pas d'autographe.»

Je n'aurais pas le temps de rejoindre la moto alors je lui faisais signe que je le suivais. Comment ça, un prétexte ?

«T'es qui toi ? Un vampire qui tue des vampires. Tu es tombé récemment sur la tête ou tu as été bercé trop près du mur ? Et c'était débile le vampire manchot. C'était pas une machine à sous.»

Je lui disais ça une fois assez loin des rescapés.

Pas de bras, pas de chocolat. Tu dois dire que c'était bien vu. Elle se méfiait de toi mais toi tu étais encore plus méfiant même si tu devinais déjà qu'elle n'était pas une chasseuse intégriste sinon tu aurais déjà du te défendre. Pas aimable, comment ça, pas aimable, ces abrutis t'avaient distrait ! Les humains étaient tirés d'affaire, grand bien leur fasse et la police rappliquait. Ils venaient voir ce qui avait provoqué l'explosion et trouveraient les humains. Motus et bouche cousue donc, c'était la meilleure solution. Tu rendais son pendentif à une des femmes et vous tiriez votre révérence. Un usage du vous dans le sens collectif, la chasseuse te faisant signe qu'elle te suivait. Tu l'intriguais et du coup ça t'intriguait. Vous étiez tous deux intrigués mais toi tu ressentais quelque chose en plus quand elle te parlait : Elle t'énervait un peu. Non. Elle t'énervait ! Puis elle te tutoyait, en même temps pourquoi pas. C'était assez drôle parce que tu ne connaissais pas son nom et inversement. Tu laissais courir pour le mur, tu lui en réservais une de toute façon, une pique bien acérée qui piquerait !

"Je suis un monstre qui chasse des monstres. C'est inédit, fais un vœu mais gaffe de pas faire venir un démon des croisements. Ils sont collants."

Vous arriviez à ta voiture, un petit bolide deux places que tu n'avais eu aucun mal à planquer dans cet environnement désolé. Quelques tôles, un peu de végétation et c'était bon. C'était le véhicule idéal pour se faufiler rapidement dans la circulation. Elle avait même l'air plus grande dedans que dehors. Un petit peu, ce n'était pas le T.A.R.D.I.S.

"Je te dépose."

Ca n'était pas une question et tu enchaînais déjà :

"Je te dépose mais pas tout de suite, j'ai une course à faire avant, une course urgente. Toi qui es si intelligente, tu as du comprendre l'anomalie de ce sauvetage."

Tu te la jouais en apparence ironique mais quelque part, tu te doutais qu'elle comprendrait le hic dans cette histoire et sa conséquence logique quand on avait compris le truc. Dans la voiture, tu activais le tableau de bord qui vous montrait un point GPS qui bougeait. Ce n'était pas anodin. D'habitude, la destination est statique mais la jeune femme comprendrait peut-être que cette fameuse course urgente en question était fortement liée à la mission de sauvetage de cette nuit. Vous vous mettiez donc en mouvement tandis que la voiture de police arrivait à l'usine désaffectée et n'y trouvait personne.

Un vampire chasseur, comme un humain mais vampire. Tout à fait. Il y avait des vampire pacifistes, je le savais, mais des vampires chasseurs ? Jamais vu. Il n'avait pas l'air d'être du genre à dévaliser les hôpitaux, ni même les abattoirs, et quand on sait qu'un vampire qui ne se nourrissait pas pouvait se transformer en bête sauvage j'en déduisais que celui la se nourrissait bien d'humains et j'avais ma petite idée de son choix nutririonnel. Je l'avais vu défendre spontanément de parfaits inconnus. C'était peut-être un détail pour certains mais pour moi, ça comptait. Je préférais quand même ne pas connaître son petit nom, des fois que je doive l'envoyer au paradis des suceurs de sang. Je rétractais donc mon épée et souriais en voyant son véhicule, compact, c'était le mot. J'allais me fendre d'un compliment et puis voilà que le vampire faisait dans l'ironie ! Du coup, je ripostais dans l'habitacle.

«Woa, Futé essaie de communiquer … Comment ça, l'anomalie ?»

On se mettait en route et je pensais au début que le pseudo chasseur ne savait pas se servir de son GPS, que ce dernier changeait tout le temps de destination. Puis je réfléchissais à une éventuelle anomalie et d'un coup, ça me sautait aux yeux. Je me tapais le front du plat de la main.

«Oh non, c'est pas vrai … Ils ont été enlevés devant un témoin, un homme, trois femmes.»

De plus, l'un des hommes était beaucoup moins chiffonné que les autres captifs et il n'y avait sans doute pas que ça. Je me tournais vers le conducteur qui conduisait. Allez ?

«Tu l'as senti, je suis sure que tu l'as senti. Ce type qui nous parlait, les autres trop calmes, c'est un vampire, il les a à nouveau enlevés dès que nous sommes partis. Là, tu les suis jusqu'à leur vrai nid. Des muscles et des neurones, intéressant.»

Puis j'étais frappée par quelque chose qui semblait manquer à mon interlocuteur, son humanité ! Alors je le foudroyais du regard en lui mettant un direct à l'épaule.

«Et le cœur, t'as encore un cœur depuis que t'es devenu un vampire ? T'as laissé quatre civils être à nouveau enlevés pour qu'ils t’emmènent au vrai nid. Qu'est-ce qui te différencie vraiment de ces prédateurs cruels si tu agis comme eux ? La fin justifierait les moyens, c'est ça ?»

Contrairement à tant d'autres, je ne le jugeais pas en disant ça, pas tout de suite, j'attendais qu'il me réponde avant de le juger donc il avait intérêt à bien peser ses mots avant de s'exprimer.

Futé. Futé ! C'était l'ironique ça et l'ironie, c'était mal, pensais-tu ironiquement. Elle avait du caractère la chasseuse mais en doutais-tu ? Absolument pas. La jeune femme réfléchissait et comprenait ce qui clochait. Elle était d'abord impressionnée par ta déduction même si ça semblait aussi être une vanne déguisée. Comment ça, elle t'avait pris pour une brute ? Puis tu fronçais les sourcils lorsqu'elle t'accusait d'être inhumain dans le sens dépourvu de cœur. Ce n'était pas ça mais ce n'était pas mieux.

"Ah oui ? Accroche-toi bien !"

Tu appuyais sur l'accélérateur et vous commenciez à dépasser plusieurs véhicules. Vous alliez de plus en plus vite et tu négociais les virages même les plus serrés avec une maîtrise totale, et ce quoique te dise ta passagère. Ce faisais évidemment ça pour rejoindre rapidement le camion qui apparaissait bientôt dans votre champs de vision sur une petite route isolée. Tu arrivais à sa hauteur, coté passager et tu vidais le chargeur de ton glock 19 à travers la portière.

"Prends le volant !"

Ce disant, tu ouvrais la portière qui coulissait sur le coté, ce qui te permettait d'arracher la porte du camion avec ta force vampirique et de sauter adroitement dans l'habitacle de l'autre véhicule. Le serviteur humain des vampires était blessé, hors de combat mais toujours en vie, tes balles ayant traversé la carrosserie comme dans du beurre mais seules quelques unes ayant fait mouche. Le camion commençait déjà à tanguer dangereusement mais tu poussais sans ménagement l'humain qui geignait de douleur, prenais sa place et immobilisais le véhicule sur le bas coté. Tu en descendais, rejoint par la chasseuse.

"D'accord, je n'y ai pas pensé mais je sais reconnaître mes torts et les réparer. Mais tu as vu ça, l'art et la manière !"

Tu te demandais pourquoi tu te justifiais ainsi devant elle mais tu y tenais. Toujours est-il que tu allais ensuite ouvrir la portière arrière et tu réalisais une fraction de seconde trop tard qu'elle n'était pas verrouillée. Ca aurait du être le cas pour transporter des prisonniers. A l'intérieur, les quatre "civils" pointaient leurs armes à feu sur toi avec un rictus féroce. Tu levais instinctivement les mains. Si les vampires avaient fait ça à l'usine, tu aurais fait comme la chasseuse, tu les aurais affaiblis avec ton arme à feu avant de les décapiter.

"Oh je vois, vous servez également ce nid de vampires."

Tout ça n'avait aucun sens mais tu allais passer un sale quart d'heure d'ici peu de temps. Tu avais rengainé ton pistolet et n'aurais jamais le temps de le ressortir. Les laquais armaient déjà leurs armes et s’apprêtaient à te transformer en passoire. Ca ne te tuerait peut-être pas mais ça piquerait ! Ca te faisait rire, tu éclatais de rire !

"C'est ça, tirez ! Faites vous plaisir, comme à la foire ! Non seulement ça ne me tuera pas mais après je vous ferai bouffer vos propres intestins !"

Le stress venait de se faire manifester brièvement l'autre. Les humains étaient surpris par ton comportement et hésitaient quelques instants mais tu n'avais pas le temps de leur tirer dessus, pour une raison très simple. Tu n'avais pas rechargé ton glock. En fait, pour deux raisons très simples.

Au début, je croyais que le vampire prenait mal ce que je venais de lui dire mais ce n'était pas le cas. Il conduisait de plus en plus vite et même si je m'efforçais à garder mon sang-froid, ça commençait à m'inquiéter un peu !

«Un vampire qui roule à tombeau ouvert !»

Evidemment, ce n'étaient pas les sangsues des romans, ce n'étaient pas des cadavres qui bougeaient encore mais je trouvais ma réplique assez amusante et surtout assez appropriée. Je m'accrochais à la poignée haute au dessus de moi même s'il était évident que l'homme avait un talent certain pour la conduite. A sa place, je nous aurais envoyés dans le décor au moins à deux reprises même si je ne me débrouillais pas mal avec un volant. Je comprenais alors ce qu'il faisait. Il nous faisait rejoindre le camion et s'en emparait avec une efficacité qui me sidérait. Décidément, il était plein de surprises.

«Allez ?»

Disais-je pour moi seule quand il me demandait de prendre le volant, ce que je faisais parce que je n'avais pas envie de finir enroulée autour d'un arbre. J'immobilisais la voiture à coté du camion et rejoignais le mâle triomphant. Mais quel crâneur ! Ok, il pouvait crâner mais quand même, quel crâneur !

«Alors deux choses. La première, si tu prends tout ce que je dis au pied de la lettre, on va pas s'en sortir. Deux, gaffe, la modestie te perdra.»

Je réalisais alors que je venais de parler comme si on allait continuer à … Chasser ensemble ? Moi avec un vampire qui ne me prendrait pas la tête pendant la journée … Je dégainais mon fusil à pompes pendant que le chasseur aux dents longues ouvrait aux prisonniers. Je devais faire gaffe, des fois que des invités surprise ramènent leur fraise. Liam parlait en levant les mains et je comprenais. J'étais hors du champs de vision des ennemis à l'intérieur du camion. Je me plaçais comme il fallait pour faire un maximum de dégâts et tirais quelques instants après les paroles suivantes du mâle. Les ogives blindées transperçaient le camion de part en part, mettant déjà à mal ses occupants puis le vampire se décidait à recharger son flingue et on retapissait les parois.

«Il faut recharger tout de suite ton arme, il va falloir revoir ta formation de base mais je veux bien te prendre comme apprenti. Tu sais conduire, t'es pas manchot et ta force serait utile.»

Puis je regardais son véhicule avant d'ajouter avec un grand sourire :

«En plus j'ai vu la taille de tes épées, ton glock, ton petit bolide, tu n'as visiblement rien à compenser question taille.»

Un jour à marquer d'une pierre blanche, plusieurs compliments cachant ma perplexité. Je ne comprenais pas ce qui venait de se passer. Avait-on vraiment voulu nous piéger dans cette usine ? Ca n'avait pas de sens.

La chasseuse venait de te sauver la vie. Elle aurait largement pu attendre que les humains fassent le travail à sa place pour les éliminer ensuite. En plus elle te faisait des compliments et pas des moindres, surtout le dernier !

"Suspense."

Te contentais-tu de dire à sa dernière remarque avec un sourire rusé. L'air de rien, elle te proposait une alliance alors même que vous ne saviez pas le nom de l'autre. Bah, détail. Tu devais convenir néanmoins que quelque part, c'était cet événement que tu attendais depuis dix ans. Pour l'instant tu n'en disais rien et allais retrouver le blessé.

"Tout me laisse à penser qu'ils cherchaient à te piéger, toi."

L'état du blessé avait quelque peu empiré dans le sens ou tu retrouvais son cadavre et ce dernier avait de la bave verdâtre aux lèvres.

"Je te jure ! Il s'est suicidé avec une capsule de cyanure, ces monstres sont vraiment décidés mais il y a un GPS dans le camion alors on va découvrir rapidement sa destination."

Vous alliez dans la cabine du camion et là, tu faisais craquer des phalanges d'une façon explicite quant à la suite des événements.

"Laisse faire l'artiste."

Tu tapais des codes avec virtuosité à partir du moment ou tu ne tapais pas trop vite sur le clavier sinon tu te plantais. Ca n'était déjà pas fameux en soi mais le "meilleur" était à venir. Après au moins cinq minutes de laborieuses reprogrammations superficielles, tu levais un pouce vers la chasseuse avec un air pour lequel un pouce vers le bas aurait été plus adéquat.

"Et voilà le travail, j'ai la météo pour demain, du jamais-vu sur un GPS. Si tu penses pouvoir faire mieux, je t'en prie, je te laisse agir, je te laisse le champs libre, tu as le feu vert, j'ai hâte de te voir à l'oeuvre."

Il faudrait aussi voir que tu n'en fasses pas trop mais quelque chose te disait que la jeune femme s'en tirerait mieux que toi. En même temps, ça ne serait pas difficile du tout. Il fallait retrouver le cerveau de ces vampires pour le refroidir rapidement avant qu'il inspire d'autres "artistes en herbe".

Dans les épisodes précédents de mes aventures aussi intrépides que mouvementées, j'étais partie libérer des captifs de vampires et tuer ces derniers. J'avais alors rencontré un vampire qui chassait lui aussi les monstres alors qu'il en était lui-même un. Le vampire chasseur semblait enclin à peser le pour et le contre avant de répondre à mon offre d'alliance. Quelque part, c'était plus censé et j'aimais bien sa façon de répondre à mon dernier compliment. Donc, il semblait penser que j'avais été la seule cible à l'usine, c'était moi qui aurais du me retrouver encerclée. Intéressant. Pas très rassurant mais intéressant. Nous découvrions alors que le survivant s'était suicidé. Il aurait peut-être fallu garder au moins un des autres en vie mais c'était trop tard.

«Tu sais ce que tu fais … ?»

Je lui posais cette question pertinente quand nous étions dans l'habitacle et qu'il prétendait pouvoir retrouver la destination rien qu'en y entrant "quelques" codes supplémentaires. Je l'observais d'abord intriguée, puis amusée, puis je baillais parce que ça devenait long quand même.

«Et voilà le travail, j'ai la météo pour demain, du jamais-vu sur un GPS.»

Je tapais alors lentement dans mes mains en une parodie d'applaudissement plutôt appropriée après sa parodie de piratage.

«Quel talent ! La silicon valley en tremble encore. A mon tour.»

Je sortais mon micro-ordinateur ultra portable, le branchais au jack du GPS, lançais quelques sou-programmes et j'avais la destination en moins de trente secondes. Simple comme bonjour avec le matériel et le talent.

«Il y a eu un peu de lag, ça aurait du être un peu moins long ...»

Disais-je, pince-sans-rire. Ainsi le repaire des vampires au goûts artistiques aussi tordus et gore qu'eux se trouvait dans le sous-sol d'un château médiéval qui avait été importé pierre par pierre d'Europe. Son propriétaire était ultra friqué, j'avais aussi obtenu ces informations dans la foulée et j'en soutirerai sans le moindre doute d'autres pendant que nous roulerons.

«Comme on dit, il faut battre le fer tant qu'il est chaud. Conduis, je vais chercher une entrée secondaire pendant le trajet : Un accès qui mènerait directement au sous-sol, sinon on improvisera.»

Après tout, c'était son bolide alors c'était à lui de le conduire, je ne pouvais pas tout faire. Conduire ou pirater, il faut choisir.