VIII.04 - Sur la route de Memphis

21 août 2017

J’ai tué des démons dans le désert. C’était bien et ça m’a défoulé. Je crois que les humaines appellent ça "joindre l’utile à l’agréable". Cerise sur le gateau, je les ai tués lentement, très lentement. Ca n’est pas du sadisme quand c’est le Bien qui tue lentement le Mal. C’est pour la Juste Cause. Oui, et je picore du maïs avec … J’ai oublié mais ça n’était pas une expression "catholique", ni "cathodique", d’une époque ou les télévisions fonctionnaient grâce à un tube cathodique. Pour dire que ça ne passerait pas à la télévision mais aujourd’hui il y a les écrans plats, et la télévision est devenue une "TV poubelle", même moi qui ne suis guère tout ça, je le sais, c’est dire. Mais je m’égare quelque peu.

Ce qu’on appelle une digression.

Je digresse donc mais en attendant, ils sont morts, les démons. Morts pour de bon, pas juste renvoyés en Enfer d’où ils ont la fâcheuse tendance à revenir. Là, ils ne reviendront pas, parce qu’ils sont morts en effet. C’est quand même incroyable, à une époque ils fuyaient. Ils doivent se dire qu’ils sont tombés sur un ange de cinquième génération et ils tombent sur un os, comprendre sur moi, un ange de première génération. Juste après les archanges. Qui plus est l’un des meilleurs combattants de sa génération. Oui je sais, j’ai un ego démesuré. Si on me rajoute un soupçon de puissance, je risque d’exploser.

Et en plus je n’étais pas de bonne humeur.

Il faut dire que je les aurais éliminer rapidement si j’avais été dans un état d’esprit meilleur mais c’est la faute d’Andrew et des autres auravores aussi parce que tuer des démons dans un rituel visant à créer d’autres auravores, je le comprendrais même si j’aurais préféré qu’ils en avisent avant le Paradis, même si en l’occurence Andrew aurait du m’en parler avant, également mais tuer des anges, ça c’est impardonnable. En plus ils ont réussi à se sauver, pas tous mais toujours trop d’entre eux. En plus, à cause des auravores, j’ai à présent la preuve que je n’aurais pas du leur donner une chance et Castiel avait raison de se défier d’eux, et Ariel avait raison de vouloir les exterminer jusqu’au dernier. Ils avaient raison et je dois reconnaître que j’ai eu tort. Ca n’est pas la première fois que je fais erreur et probablement pas la dernière fois. Puis ont dit qu’on apprend de ses erreurs mais ça m’avait mis de mauvaise humeur. Maintenant, ça va

C’est là que je la repère.

Une humaine, qui fait quelque chose de bizarre. Alors c’est vrai, le propre des mortels est de faire des choses bizarres, étranges, inapropriées, déplacées et parfois franchement cavalière. Sans aller jusque-là, ce qu’elle fait est bizarre et je m’approche d’elle en mode "je suis curieux donc j’y vais".

"Bonjour."

C’est au moment ou ce mot franchit mes lèvres que je réalise que je suis vêtu d’une façon pas vraiment appropriée pour un déplacement sur une route qui traverse un désert, surtout quand on n’a pas de voiture ni de moto comme moi.


En somme, le contraire de la mortelle, qui elle est plutôt couverte pour éviter l’exposition du soleil et donc les coups de soleil alors qu’elle s’escrime sur sa moto en exprimant un langage pour le moins cru dont je ne connaissais pas la moitié du vocabulaire avant de m’approcher d’elle. Un contact déjà instructif en somme. Quelque part. Et comme ma salutation fait un peu court, j’enchaîne.

"Pourquoi faites-vous de la mécanique en plein désert ?"

Je suis sur d’avoir une raison "sur le bout de la langue" mais elle m’échappe, cette même raison, pour le moment en tout cas, d’où ma question exprimée sur le mode de la curiosité à tout le moins sincère.

Je revenais d'une chasse qui s'était assez bien passée, rien de folichon, un fantôme qui ne voulait pas comprendre qu'il avait passé l'arme à gauche. Il y a des limite au déni je crois, celle là c'en est une belle. Donc oui, la chasse s'était bien passée, le retour à ma caravane que j'avais laissée à une cinquantaine de kilomètres, beaucoup moins. Dès que j'avais démarré, j'ai entendu rien qu'au bruit du moteur qu'un truc clochait avec ma moto, je m'étais dit que ça devrait aller pour cinquante kilomètres et … ben nan. Il a fallu que je m'arrête en urgence au bord de la route. Le pire ? Ma moto sort à peine du garage du coin. Si je pouvais trainer mon garage avec moi, je le ferais et j'aurais plus à confier ma moto au premier guignol disponible.

Me voilà donc à genoux en train d'essayer de voir le problème, sous un cagnard insupportable. Mes mains sont couvertes de graisse de moteur et avec cette chaleur ça colle, c'est génial, je transpire comme une vache et je colle des mains, que du bonheur. En plus si j'ose retirer mon blouson, je vais me prendre un coup de soleil du style a vous filer une saloperie à la peau.

"Putain de bordel de merde ! 'Chier ! Connard de garagiste de mes deux meules, je vais te retrouver et te disperser la tronche façon Picasso. Ta gueule de boule puante va suinter par tous les pores de ta sale face de rat dégénéré que même tes ancêtres se retourneront dans leur tombe façon grillade faisandée au jus de cafard."

Ouais quand je m'énerve, ça se voit et ça s'entend, surtout. Je vais faire comment moi, pousser jusqu'au prochain bled paumé du désert ? Du stop en espérant ne pas tomber sur un psychopathe que je devrai buter ? M'asseoir et attendre de crever de déshydratation et quand on me retrouvera je ressemblerai à un vieux raisin sec ?

En plus il est évident le problème, ce con de garagiste ma collé une pièce pourrie sur mon bébé à moi et m'a fait payer pour ça ! Je le hais, à cet instant précis il est au top de ma black list. Une voix me parvient, une voix qui me dit bonjour, mon regard va dans la direction de la voix et je vois un mec, fringué comme un gus qui se baladerait sur la plage. Contrairement à moi, il à l'air tout frais lui. De où qu'il arrive le playboy ... J'ai déjà des hallucinations ? Sur ce, il me demande pourquoi je fais de la mécanique au milieu du désert. Ben pour le fun tiens ! Je m'éclate là, ça se voit pas ?

Bon soyons zen, polie et tout le tralala.

"Bonjour ! En fait je suis en panne. J'essaie de réparer mais je peux rien faire sans cette pièce qui ma lachée."

Je me méfie, mais je lui fais tout de même signe d'approcher pour lui montrer.

"Vous voyez, là, la pièce rouillée. Ben à moins de la remplacer, je peux pas bouger d'ici."

Je veux rentrer à ma caravane, j'ai soif, j'ai faim, j'ai sommeil et je crois que je parle à une hallu.

Il peut sembler parfois problématique de parler à un humain, pour un ange. Surtout quand c’est moi l’ange parce que trop de mortels sont tellement perturbés par mon charisme céleste, et je ne signe pas d’autographe pour ainsi dire. Heureusement, ce n’est pas le cas de cette mortelle. Sa moto est en panne, elle ne s’amuse donc pas à bricoler son moyen de locomotion bruyant et poussif. J’ai du mal à comprendre la passion qu’ils ont pour ces engins lourds, polluants et qui peuvent donc les laisser tomber en plein désert. Je regarde aux alentours et ne percevant pas la présence d’une faucheuse, j’en déduis que la mortelle en question ne va pas mourir aujourd’hui et donc que je pourrais l’aider, d’autant que je la trouve toujours bizarre mais pour une raison qui m’échappe encore. En tout cas, je regarde la pièce que l’humaine me montre après qu’elle ait dit bonjour à son tour. Cordiale, c’est bien. Je regarde la pièce et les instruments dont elle se sert pour tenter ce qu’ici bas on appelle "une réparation de fortune" et je me dis que ce n’est pas avec ça qu’elle va y arriver. La première station service est loin et mon iphone m’indique qu’on est dans une zone blanche. Elle n’a donc pas du pouvoir joindre … La station service la plus proche et même si je doute qu’ils aient cette pièce, ils auraient pu au moins la remorquer. Du coup j’imagine que si elle devait se débrouiller seule, l’humaine devrait se faire prendre en stop. Vue la fréquentation de la route, vue que le peu de fréquentation de cette route doit être mâle et bas du front et vue que cette mortelle n’a pas vraiment le profil de la victime mais de celle qui rend coup pour coup, je me dis qu’une faucheuse devrait pointer le bout de sa faux au plus fort de la chaleur estivale et donc d’ici peu de temps.

Je vais donc l’aider.

Après tout, nous autres les anges sommes censés protéger les mortels, c’est juste que trop d’entre nous ont fait mine de l’oublier et le dicton "aide-toi le Ciel t’aidera" n’a pas du arranger la mentalité de trop de mes frères et sœurs.

"Ne bougez pas, je vous ramène ça."

Je pars d’un battement d’ailes pendant qu’elle a le nez plongé dans son moteur et ne me voit donc pas partir. Le temps de passer par un entrepôt où je suis sur de trouver le matériel adéquat, je reviens et je dépose la pièce et une véritable caisse à outils sous ce même nez qui ne regarde par conséquent plus le moteur mais ce que je viens de lui apporter. Plus un parasol que je plante tranquillement dans le sol, assez profond pour qu’il tienne seul et une bouteille d’eau fraiche que je lui tends en dernier.

"Voila, vous pourrez réparer sans subir une insolation mais je ne me suis pas présenté."

C’est un moment délicat, se présenter pour un ange parce que un nom d’ange, les humains ne les donnent en principe pas à leur enfant, à part Michel ou pour une marque de lessive. C’est là que je repère le matériel ésotérique entassé dans une des sacoches sur la moto que l’humaine a laissé ouverte en cherchant de quoi réparer sa moto. Et je comprends "sa bizarrerie". Elle est comme Bobby, Dean, Sam, Alix.

"Ah mais vous êtes une chasseuse. C’est difficile de vous distinguer des motards."

Sans doute parce qu’un mortel peut être les deux, chasseur et motard mais au moins je n’ai pas à trouver un nom "plus humain".

"Je suis Jeliel et vous avez du le deviner en voyant ce que je vous ai ramené promptement, je suis un soldat de Dieu. Un ange."

De toute façon, elle n’a pas l’air bête alors pour elle, j’étais soit une hallucination au demeurant crédible sous ce soleil de plomb, soit un ange. Alors je pourrais les transporter d’un battement d’ailes à une station service digne de ce nom dans le pays, sa moto et elle maintenant que je sais qu’elle sait pour le surnaturel mais j’aurais tendance à penser qu’elle va préférer réparer d’abord sur place avant d’envisager de vivre une expérience que certains humains n’apprécient pas, ce déplacement céleste ayant tendance à leur donner la nausée, au mieux.

Comment ça il me ramène ça. En marchant sous ce soleil de plomb ? Il a pas de glande surrénale ce type, c'est pas possible autrement ou c'est vraiment une hallu et je parle toute seule à genoux devant ma Harley. Bah, tant que je me met pas à tirer à coup de fusil à pompe sur des ennemis invisibles, on va dire que ça va.

"La première station doit être à trente bornes, je suis pas sûre que ce soit un bonne id …"

Au moment où j'allais finir ma phrase, une caisse d'outils et une pièce flambant neuve apparaissent sous mon nez. Woa, j'aurais aussi du demander un sandwich, cent balles et un mars ! Il a même pensé à un parasol et à une bouteille d'eau fraîche que j'attrape sans demander mon reste et dont je vide une bonne moitié du contenu d'une seule traite pendant que le mec me dit qu'il ne s'est pas présenter tout en ne se présentant toujours pas puisqu'il remarque que je suis chasseuse et pas motarde et enchaine pour enfin me dire qu'il est un ange.

"Je suis comme Lorenzo Lamas, motarde ET chasseuse. Un ange ? Tout s'explique du coup, j'ai bien cru que je m'étais pris une insolation et que je délirais."

J'aurais du y penser, mais quelles étaient mes chances qu'un ange me tombe dessus en plein milieu du désert ? Un Ange serviable en plus. Ben d'au moins une donc.

Je retire ma veste en cuir qui faisait à peu près le même effet qu'un sauna et la pose sous mes genoux. Puis je commence mes réparations ce qui ne m'empêche pas de continuer à parler.

"Ben contente que vous soyez tombé sur moi, Jeliel, moi c'est Alexis, auriez pas un petit sandwich aussi ?"

Je déconne hein mais en même temps je me demande si un ange à de l'humour ou s'il est du genre à tout prendre au premier degré et va à nouveau disparaître et revenir avec de la bouffe. Après tout c'est le premier ange que je croise, j'ai eu affaire aux démons, aux monstres, les anges jamais. Tout ce que je sais d'eux c'est que certains sont cools, d'autres supportables mais sans plus et d'autres encore des plaies ambulantes encore pire qu'un démon.

A l’évocation, je fais ce que j’ai coutume de faire quand je suis confronté à la culture humaine. Je demande à mon téléphone, avant de me souvenir que ça ne capte toujours pas ici. Ce n’est pas grave, je regarderai plus tard, je taperai sur google "laure enzo la masse". Sûrement une catcheuse pro. Puis je lui dirai bien qu’elle ne délirait pas elle s’en doute à présent. Non, maintenant elle est sure de ne pas avoir déliré. Puis si elle est fan de catch, elle doit préférer les grands baraqués couverts de tatouages parce que même si je n’ai pas de culture pour les médias humains, j’ai quand même évolué dans pas mal d’environnements et il y a même un catcheur qui a servi de vaisseau à un ange pendant un moment. J’ai oublié son nom si je l’ai jamais su. Pour dire que si elle avait une hallucination, ce n'est pas moi qu'elle verrait, c'était donc un indice.

"Surtout, vous avez failli tomber nez à nez avec une bande de démons qui se la jouait vandales ravageant tout sur son passage. Je venais de tuer le dernier quand je vous ai vue et j’ai trouvé bizarre que vous fassiez de la mécanique dans un tel endroit, c’est que j’ai tendance à oublier que la technologie humaine a ses limites, comme un iphone sans réseau."

Dis-je cordialement en remettant mon téléphone dans la poche de mon pantalon, puis je souris quand l’humaine me demande un sandwich.

"Vous avez de l'humour. Et comme dit l’expression, cent balles et un mercure ?"

Mercure, la barre chocolatée, "de la glace dehors et du liquide métal en fusion dedans" … Du coup j’ai du me tromper de planète mais ça ne doit pas être Venus. Ni Pluton. C'est Uranus peut-être. Comme je suis toujours hors réseau et que je ne vais pas me transporter ailleurs juste pour utiliser mon téléphone pour chercher une ou deux informations ... En fait je songe à partir pendant un bref moment parce qu’après tout, j’ai tiré d’affaire la chasseuse et qu’elle va s’en sortir sans moi à présent. Sauf que ne n'en fais rien.

"Par contre, si vous n’êtes attendue nulle part actuellement et que vous avez faim, je peux vous emmener dans le restaurant de votre choix, n’importe où dans le monde, avec votre moto, et vous ramener ensuite à l’endroit toujours de votre choix. Un aller et retour, ce n’est pas non plus taxi angel."

Et là, la mortelle doit probablement se demander quelle peut bien être ma motivation derrière cette invitation, sauf qu’il y en a deux, une simple et une moins simple et ça m'étonnerait qu'elle en devine ne serait-ce qu'une, de raison.

"Des démons ? J'ai vu aucun indice de présence démoniaque dans le coin quand je suis arrivée il y a quelques jours et je viens de me farcir un fantôme récalcitrant pas très loin d'ici, j'aurais du revenir du coup et pas seule s'ils étaient en bande, c'est quoi cette zone pourrie. Ben merci pour ça aussi."

L'ange comprend donc ma blague, c'est qu'il a un minimum d'humour. Je dis minimum parce que je me retiens de rigoler pour ne pas qu'il pense que je me moque de lui lorsqu'il évoque un mercure. Ça aussi c'est une chose que je sais des anges, eux et nos expressions humaines, ça fait deux. Et donc j'imagine qu'il a rien compris non plus quand j'ai parlé de Lorenzo Lamas. Certaines personnes se vexent quand on les corrige, comme si on les avait insultées alors qu'on tentait de les aider, ceci dit je ne pense pas qu'un ange m'en voudra de l'aider à mieux comprendre les expressions humaines. Je souris donc en lui expliquant.

"Un mars, pas un mercure. Un coup de barre ? Un mars et ça repart ! Pensez à … je sais pas, le dieu romain, le mois, la planète, j'ai pas de meilleure idée de moyen mnémotechnique que ça sur ce coup désolée."

Je continues a trifouiller le moteur tout en parlant, j'aurais pu balancer la pièce moisie au milieu du désert mais non, c'est trop facile, je préfère plutôt la ranger dans la sacoche de la moto et quand je pourrai, j'irai la faire bouffer au garagiste qui m'a fait ça.

À la place d'un sandwich, Jeliel me propose de m'emmener au resto que je veux, n'importe où. Je sais pas pourquoi il tient tant à m'aider, mais pourquoi pas. On peut pas dire que je connaisse beaucoup de restaurants dignes d'être appelés restaurant, je connais les fast food, les boui boui locaux où on est jamais plus de quatre à table à la fois … Mais il a bien dit partout dans le monde ! Ça change tout alors, j'ai toujours eu envie de manger un vrai repas italien. Un vrai de vrai, avec de la vraie sauce italienne, des vraies pâtes italiennes et tout et tout. Ooooh du tiramisu. Par contre je regarde mes mains, mes fringues, je me renifle même. Mouais.

"Non on ne m'attend pas et c'est franchement une proposition qui me plaît, j'adorerais un vrai repas italien, mais dans cet état, je suis pas tellement présentable pour un resto, si ?"

Je replonge les mains dans le moteur pour fixer mes réparations à coups de clé.

"En tout cas j'ai presque fini, une dizaine de minutes et c'est bon."

Et puis me voilà en train de me demander quel effet ça fait vraiment la téléportation. J'ai lu des trucs, mais expérimenter c'est pas la même chose.

J’évite de sourire quand l’humaine prénommée Alexis me dit qu’elle n’a pas vu de trace de démons dans le coin à son arrivée, parce que ça aurait sûrement l’air d’un sourire condescendant ou indulgent, et dans les deux cas les mortels n’aiment pas ça. Ceci dit, moi non plus, je n’aime pas ça, qu’on me prenne de haut.

"C’est parce que je les ai exterminés dès leur apparition. J’avais calculé leur point de chute et leur ai réservé un accueil digne de ce nom et vous n’avez pas à me dire merci. J’aurais du faire davantage depuis plus longtemps. J’ai reçu pour ordre d’observer les humains, de vous observer, alors je vous ai observés en attendant de nouveaux ordres qui ne sont jamais venus. Mais je doute que nos histoires de famille vous intéressent."

Elle me corrige ensuite sur le mars, pas le mercure et à la réflexion, ça me semble plus logique. Trop d’anges ne supportent pas la simple idée qu’un mortel puisse leur apprendre quelque chose puisqu’ils sont supérieurs à l’humanité mais ce n’est pas mon cas. Si nous étions supérieurs, nous pourrions créer notre propre corps d’une simple pensée. Puis les anges et les humains sont complémentaires et pas seulement parce qu’on a besoin de leur accord pour œuvrer sur terre mais même si j’ai l’audace d’être moi pour ainsi dire, ce n’est pas quelque chose que je pourrais dire aux miens dans l’immédiat.

"Merci pour la précision. Je connais l’être humain mais je ne me suis pas intéressée à sa culture, ou plutôt à ses différentes cultures parce que bien souvent la réalité dépasse la fiction mais j’aurais peut-être du finalement."

Là par contre j’ai un sourire amusé quand Alexis me dit qu’elle aimerait aller manger à un restaurant italien, un vrai mais qu’elle ne doit pas être présentable.

"Tous les restaurants ne sont pas guindés mais c’est moins qui ne doit pas être présentable. Prenez votre temps. Je reviens d’ici environ une minute, peut-être deux."

Lui dis-je quand elle m’apprend en avoir encore pour dix minutes. En fait je reviens deux minutes et une poignée de secondes plus tard, après avoir récupéré une de mes vestes en cuir léger et avoir fait un léger détour de quelques milliers de kilomètres, à vue de nez.

"Ca devrait être bon."

Je me penche et la regarde terminer son travail en affichant une perplexité que je ne cherche pas à dissimuler.

"Ca doit être gratifiant de faire fonctionner ces machines."

J’imagine en tout cas. Ah, c’est réparé. Pour preuve, ça fait du bruit quand elle active le démarreur et quand elle accélère un peu, ça fait encore plus de bruit.

"Je dois admettre que le son d’une harley est unique au monde."

C’est un compliment, je sais que les possesseurs de motos de cette marque y attachent une importance toute particulière.

"Nous y allons. N’ayez pas peur, ce n’est pas une téléportation, c’est un déplacement céleste. Je vais faire en sorte que vous n’ayez ni la nausée, ni des problèmes de transit."

Ce disant, je la visualise, atome par atome, taille, poids et quelque chose me frappe pendant que j’estime la cohérence de son âme. De quoi me mettre le doute une fraction de seconde, ce qui fait beaucoup venant de moi.

"Woa, vous avez une belle âme. Mais on doit vous le dire souvent."

Alors la dernière phrase c’est ce qu’on appelle de l’improvisation, genre quand on ne sait pas quoi ajouter. Et je coupe, court à ce moment que je considère comme gênant en plaçant tout le matériel sur la moto, sans salir la selle, y compris le parasol replié parce qu’il n’y a pas de raison de le laisser ici, puis en posant une main sur le guidon de la moto et l’autre sur l’épaule de l’humaine avant de nous transporter d’un battement d’ailes sur un emplacement de parking d’un restaurant italien. La température est tempérée à cette période de l’année dans l’hémisphère sud et particulièrement dans cette région du globe, du coup ça ne causera pas un choc thermique à l’humaine.


"Bienvenue à Bowen, Australie et voici "Chez Luigi", un restaurant italien familial et un vrai restaurant italien."

Luigi vient nous accueillir et comme tout italien qui se respecte, il ne peut évidemment pas s’empêcher d’avoir des termes séducteurs pour souhaiter la bienvenue à Alexis. Même s’il parle en italien, elle a sûrement compris le fond !

"Luigi, que dirait ta femme ?"

Puis je demande plus sérieusement s’il peut garder le matériel qu’on a pris et qui ne peut pas rester en plan comme ça, ce qu’il accepte de bonne grâce avant de nous montrer notre table en terrasse, et y repose deux assiettes de pâtes encore fumantes.

"J’ai pris la liberté de passer commande après avoir récupéré ma veste, si tu désires commander autre chose, ne te gêne pas."

Dis-je à Alexis avant de me rendre compte que je suis passé au tutoiement. Alors c’est vrai que la différence entre le vouvoiement et le tutoiement est subtile en anglais/américain/australien. c’est une question d’emploi des mots, quand c’est plus cérémonieux, c’est le vouvoiement, quand c’est plus usuel, plus amical/familial quelque part, c’est le tutoiement. Enfin mis à part les membres d’une famille guindée qui se vouvoient. Je n’en montre rien mais je suis étonné de voir deux assiettes en fait, avant de comprendre que c’est plus humain de faire mine moi aussi de me restaurer. Ca me fera toujours un peu d’énergie puisque tout ce que nous assimilons, nous les anges est transformé en énergie. Ca nous fait un point commun avec les démons. Chassant cette pensée superflue, j’invite courtoisement l’humaine à s’asseoir avant de faire de même.

"vingt-six degrés celsius, soixante-dix-neuf degrés Fahrenheit et c’est pour ainsi dire l’hiver à cette période de l’année alors tu imagines l’été. On ne serait pas en terrasse."

La mortelle est attablée à un restaurant italien en Australie avec un ange qui lui parle de météo. J’imagine qu’elle n’imaginait évidemment pas vivre ça en se réveillant ce matin.

L'explication de l'ange sur le pourquoi du comment je n'avais pas pu savoir que des démons traînaient dans le coin est logique. C'est sûr que s'il leur est tombé dessus dès leur arrivée, c'est pas moi qui risquait de savoir qu'ils étaient là. Je ne réponds pas à ses commentaires sur la famille. Je n'ai plus de mère et je n'ai pas de père, mais le mien c'est pas Dieu et il ne s'est pas barré en laissant sa création en plan. C'est difficilement comparable quoi.

L'ange confirme ce que j'avais déjà compris, il y connaît que dalle en culture humaine.

"Houlà, disons qu'il y a de quoi faire si vous voulez apprendre la culture humaine. Et puis y a pas que des trucs intéressants, loin de là. Même nous on arrive pas toujours à suivre. Il y a aussi une question de goûts."

Je rêve ou je suis en train de me la jouer pédagogie avec un ange là ? Bah, pourquoi pas après tout. Jeliel pense que mon allure devrait aller pour un resto, je veux bien mais faudra au moins que je me lave les mains et pas en les essuyant sur mes fringues, du coup. Il estime que c'est plutôt lui qui n'est pas présentable avant de disparaître, j'imagine qu'il va se changer. À son retour il portait une veste en cuir et faisait de suite moins "tache" dans le décor. Il m'observe donner mes derniers tours de clé en me disant que ça doit être gratifiant de savoir réparer ces machines.

J'allais comparer le fait de réparer une moto au pouvoir de guérir un humain, mais j'ai vite rectifié le tir. Ça a beau être mon bébé, la faire redémarrer c'est pas franchement équivalent à un miracle. Faut pas non plus déconner.

"Ouais, gratifiant c'est le mot. Pour tout vous dire, j'en ai fait mon métier. Enfin, après la chasse."

Dis-je avant de vérifier que la moto démarrait bien à nouveau et cette fois sans bruit louche. Tout avait l'air de baigner. J'adresse un hochement de tête des plus affirmatif possible lorsque Jeliel parle du bruit particulier de ces engins.

J'avais nettoyé mes mains avec le reste d'eau de la bouteille et le chiffon que je range toujours dans la sacoche. Nous étions donc prêts pour quitter l'endroit. L'ange m'affirme qu'ils fera en sorte de m'éviter les désagréments du voyage.

"C'est … rassurant !"

Le soldat de Dieu complimente alors mon âme, limite étonné.

Oui oui, on me dit très souvent que j'ai une belle âme c'est clair. On ne me parle jamais de mes cheveux, de mon sourire, de mes atouts féminins, mais très souvent de mon âme ! Je me demande comment je dois prendre ça, comme "Woa, belle paire de nichons" ? Évidemment que non hein, mais je dois répondre quoi moi ? Merci ? Du coup je ne réagis même pas, à part en affichant une expression d'étonnement que je n'arrive pas à dissimuler. Ceci dit, j'étais contente de le savoir ! C'est au bord du bug mental que je le regarde réunir le matériel qui traînait et venir poser une main sur mon épaule pour nous amener … je sais pas où, mais j'allais l'apprendre dès nôtre arrivée. En Australie donc.

J'avais redouté le voyage malgré les dires de l'ange, mais je me sentais bien. Oh, et ça ne ressemblait pas à un tunnel à la Stargate comme je me l'étais imaginé, non, pouf on était là. Un italien nous accueille et tout ce que j'ai compris c'est "Bellissima". Ces italiens, toujours à en rajouter, magnifique, magnifique … faut pas pousser mémé non plus. Entre la belle âme et ça, je vais plus me sentir moi hein si vous continuez !

Deux assiettes nous attendaient déjà et nous nous installons donc. Ça a l'air super bon ! Je serais pas foutue de dire c'était quoi comme recette mais miam !

"C'est parfait ! Juste un petit tiramisu en dessert et je serai aux an … ravie !"

Gaffe aux expressions quand même. Et puis Jeliel s'était mis a me tutoyer, ça ne me dérangeait pas, ça m'arrangeait en fait. Le voilà qui me parle du temps.

"J'imagine pas, on arrive tout juste d'un désert. Il fait frais ici à côté."

Dis-je en souriant avant d'enchainer tout aussi souriante.

"Je savais pas que les anges mangeaient, ça sert à quelque chose ou juste à se fondre dans la masse ? Tu sens le goût ?"

Arrête les questions idiotes, respire, mange. Je me fourre la fourchette dans la bouche et javais tort c'est pas super bon. C'est hyper bon !

Alexis m’a dit qu’il y avait de tout en matière de culture humaine et ça je m’en doutais mais cette diversité est sans doute encore plus riche que je le pense.

"Oui, il y en a pour tous les goûts et les d’égouts, le problème c’est cette étrange volonté de certains humains d’imposer une seule culture universelle qui à force de vouloir plaire à tout le monde ne plaît au final à personne mais je suis mal placé pour en parler, c’est juste un ressenti que j’ai eu en observant l’humanité ces dernières décennies."

Elle parle ensuite de son autre métier en dehors de la chasse, à savoir justement la mécanique. Ca explique sa facilité à réparer sa moto. Puis je la regarde se laver les mains. Sachant que je suis capable de rendre son intégrité d’origine à une peau calcinée, je pourrais enlever cette légère marque sombre qui ne disparaîtra jamais totalement des mains de la mécanicienne qu’est cette humaine mais j’en ferai rien parce que ça fait partie d’elle. Du moins je n’en ferai rien sauf si elle me le demande mais j’en doute parce que ça reviendrait. Je me doute qu’elle n’est en fait pas rassurée à l’idée de vivre ce qu’elle doit probablement toujours considérer comme une téléportation et je réalise que mon compliment sur son âme a du être cavalière parce que c’est quelque chose que les humains ne ressentent pas. Ils en ont la capacité mais dans des moments précis, quand ils regardent dans les yeux un ou une proche, et techniquement dans l’œil parce que sinon ils loucheraient, dans un instant qui est soit extrêmement heureux ou atrocement triste, ils peuvent voir l’âme de l’autre pendant un bref instant, un de ces précieux instants que j’ai rarement eu la chance d’observer à travers les siècles, pour ne pas dire les millénaires.

J’ai donc dit "une boulette". Pas la première, pas la dernière. Puis on se déplace d’un battement d’ailes en Australie et tout se passe bien parce que les désagréments dans le style intestinaux sont dus uniquement à notre distraction céleste sur des réactions biologiques dont notre nature d’ange nous dispense. Alexis est ravie en voyant le repas et nous nous retrouvons donc attablés alors que Luigi donne des ordres en cuisine. Ca sent le tiramisu, ça c’est l’oreille distraite des employés de restaurant, ils n’entendent rien de ce que les clients tout en entendant tout. En gros ils font comme s’ils n’entendaient rien. Je note que le magasin d’en face vend des vêtements personnalisables avec surtout des références retro de la musique et s’appelle "le Memphis" et comme j’ai rencontré l’humaine sur la route de Memphis, quelque part on est toujours sur la route de Memphis.

Un détail, certes.

Je souris quand Alexis me pose des questions liées à mon sens du goût et en voyant sa gêne ensuite.

"Ne sois pas gênée, la curiosité est libre dans les deux sens."

Je ne réponds pas tout de suite parce qu’elle va comprendre très vite. On mange. Je la regarde se régaler et je rajoute du sel à mon plat, puis encore un peu, et encore un peu mais ça ne change rien et je mastique mes pâtes comme si ça n’avait aucun goût et c’est d’ailleurs le cas. Notre discrétion est avant tout basée sur l’invisibilité mais je n’en parle pas parce que ça met les humains mal à l’aise, la pensée qu’on puisse les voir n’importe où, n’importe quand à partir du moment où ils n’ont pas placé des protections anti anges.

"C’est vrai que nous pouvons faire semblant de manger, mes sœurs, mes frères et moi, sachant que tout ce que nous ingérons est totalement transformé en énergie."

J’avale une autre bouchée en n’exprimant aucun plaisir, et pour cause, avant de continuer.

"Pour nous les anges, la nourriture est une somme de molécules dont nous devinons le goût séparément mais pas leur fusion. Du coup nous n’avons pas le sens du goût à notre création. Mes frères aînés l’ont mais ce sont les archanges et après un millénaire de pratique régulière, quelques frères et sœurs ont développé ce sens mais très peu d’entre nous au final. Je n’en fais pas partie parce que je n’y ai pas vu d’intérêt. Ceci dit, à te voir te régaler, ça a l’air bien et je t’en prie, continue."

Luigi revient alors en nous demandant si ça va et je prends un air ravi qui me semble au demeurant crédible.

"Delizioso."

Ceci dit, je regarde la mortelle comme pour lui signifier que "je ne mens pas, c’est délicieux, c’est juste que moi ça m’échappe et puis ça fait plaisir à l’humain.

"Pas de tiramisu pour moi mais un café, noir."

C’est alors que me revient une hésitation de la chasseuse à notre arrivée.

"Oh, et tu peux être aux anges, c’est une expression après tout, flatteuse qui plus est."

Ca et des expressions intimes comme "entrevoir le septième Ciel" ou "entendre le chœur des anges" qu'il vaut mieux ne pas aborder, du moins qu'il vaut mieux que moi je n'aborde pas.

Mais non, je suis pas gênée ! Bon d'accord, un peu quand même. Après j'ai surtout pas envie d'être chiante en mode gamine qui découvre des trucs qu'elle avait jamais vu et qui pose des tonnes de questions à la limite de devenir tête à claques. Parce que l'air de rien, là je me retiens. Ce que je sais des anges, je l'ai lu ou on me l'a raconté. Étant donné que c'est le premier que je rencontre, j'en ai plein, des questions, de la plus triviale à la plus sérieuse en passant même par celles qui fâchent. Pour le moment je profite du repas et du fait que pour une première rencontre, j'aurais pu tomber bien pire sur le style d'ange.

Malgré le fait qu'il me dise que je n'avais pas à être gênée de me renseigner, j'attendais toujours la réponse de mon interlocuteur angélique. Puis je le vois ajouter du sel à son plat. J'en conclue que c'est un oui, ils sentent le goût et il trouve que ça manque de sel. Sauf qu'il en ajoute encore, encore et … encore ouais. Je crois que pas loin du tiers du flacon de sel y passe. Des petits tas blancs sont éparpillés dans son assiette et pourtant il continue de manger comme si de rien n'était. Ok, non, il ne sent rien du tout !

"Un peu de sucre avec ça ?"

Dis-je en riant, puis je l'écoute me confirmer qu'en fait non les anges ne sentent pas le goût des aliments, à part pour certains d'entre eux, mais que ça leur reste utile de manger. Dire qu'il sait même pas comment ce qu'il vient de saccager à coup de sel était bon. C'est triste !

"Je vois, donc à part le goût et le fait que pour nous le humains, se nourrir est vital, le reste c'est … à peu près la même chose, sauf que pour nous en plus de l'énergie on grossit. Mouais, finalement non, c'est pas du tout la même chose."

Je ris lorsque Jeliel affirme au dénommé Luigi que le repas est délicieux. Je préfère pas toucher à son assiette, sous peine de devoir boire la cruche de flotte à la régalade. Ceci dit je lui fait signe discrètement de mieux diluer les petits tas blancs s'il veut que l'italien le croit. C'est que c'est plutôt visible.

Pendant que je termine mes pâtes à "je sais pas quoi mais que c'est bon" et avant qu'on nous apporte le tiramisu, l'ange commande un café.

"Pour moi aussi avec le dessert, mais un sucre, le mien. S'il vous plait."

Dis-je à Luigi avant qu'il reparte de son côté. Jeliel remarque mon hésitation quant à l'expression que j'avais rectifiée.

"Alors ouais, là de suite, je suis aux anges !"

Affirmai-je avec un grand sourire. Par contre, je me demande tout de même pourquoi l'ange était si généreux.

On nous apporte le dessert et les cafés. Du vrai tiramisu et pas un truc de supermarché fait en usine ou à la va-vite dans un fast food. Non j'en suis pas à baver, mais presque !

"Tu sais pas ce que tu rate. Et c'est … tant mieux en fait, j'imagine."

Je dis ça à l'ange en avalant une bouchée avant de prendre une gorgée de café. Et de me brûler bordel !

Un peu de sucre avec ça. Ca, ça veut dire que j’ai trop salé. Du coup je mange tout pour faire disparaître "les preuves compromettantes". La mortelle me sourit mais elle se demande pourquoi j’agis ainsi et c’est normal, c’est humain. Elle ajoute que je ne sais pas ce que je rate avant d’ajouter que c’est tant mieux, elle imagine. Je la trouve … Comment disent les humains ? Ah oui, je la trouve nature, ce qui ne signifie pas qu’elle serait l’équivalent d’un yoghourt sans agents conservateurs, qu’elle serait … Bio. Ca signifie qu’elle est entière et dit ce qu’elle pense. Elle me fait penser à des chasseurs de ma connaissance, justement et à mon avis elle connaît au moins l’un d’entre eux, ou l’une d’entre elles. Le monde est petit et le milieu des chasseurs, c’est un petit monde.

"Les anges qui se rapprochent des humains développent des émotions humaines puis ils deviennent des anges déchus mais est-ce vraiment lié ? Vous autres humains seriez-vous les seuls à être capable d’évoluer ? Seriez-vous les seuls à disposer du libre arbitre ? Je ne le crois pas mais je ne suis pas omniscient."

La terrasse se remplit autour de nous, Luigi estime que c’est ma présence, je n’en suis pas certain pour ma part mais c’est la Foi, si elle déplace des montagnes, elle peut expliquer l’affluence ainsi. Je souris quand Alexis se brûle légèrement la lèvre avec son café.

"Quand le café fume, c’est qu’il est chaud."

Dis-je en buvant dans mon café lui aussi fumant mais sans rien ressentir bien sur. Ca n’est pas un avantage ou un inconvénient, c’est différent. Je tente de régler l’addition mais Luigi refuse, offensé jusqu’à ce que je renonce. Au moins je peux lui donner un pourboire, un bon pourboire et je rejoins Alexis à sa moto le temps de ramener le matériel emprunté à sa place.

"Je devine ta perplexité. La plage de Bowen vaut le coup d’œil. On peut y aller en moto et si ça ne te dérange pas, je serais curieux de la piloter. Je vous ai vu faire des dizaines de fois, des centaines de fois, ça n’est pas sorcier."

Je ne sais pas trop comment interpréter son regard alors que je mets le deuxième casque de la chasseuse, que je m’installe sur l’engin motorisé, que je fais tout ce qu’il faut faire … Et que le moteur cale. Ce n’est pas grave, je recommence, et le moteur cale à nouveau.

"A cœur vaillant rien d’impossible, encore un essai."

Et oui, le moteur cale. Cette machine ne veut pas démarrer, ou si, elle démarre mais quelques secondes. Du coup je suis moi aussi perplexe.

"Je passe derrière."

Ce n'est pas si simple que ça finalement !

Juste avant que je me brûle Jeliel me demandait … je suis pas très sûre de sa question en fait. Et je ne suis pas certaine que mon avis sur la chose lui soit très utile. Pour ce que j'en sais, si ça se trouve Dieu n'attends que ça, qu'ils évoluent, ou alors il s'en fout royalement. Vu qu'il est aux abonnés absents, c'est pas lui qui va nous le dire.

"Je crois que le monde n'est ni tout blanc, ni tout noir, il y a du gris."

Misère cette réponse digne d'un conseil de gâteau chinois, le genre de truc qui veut tout et rien dire à la fois, mais qu'est-ce que je pourrais lui dire d'autre.

L'ange se moque gentiment de ma brûlure en me disant de souffler avant de se la péter en buvant son café bouillant, oui ben hein, moi j'ai pas un palais angélique. Je souffle donc et boit à nouveau sans me brûler cette fois.

"Ah oui, c'est mieux en soufflant."

Plaisantai-je. Repas fini, Luigi refuse le paiement de l'ange qui visiblement apprend par la même qu'on ne contrarie pas un Italien quand il vous offre quelque chose. Ça me fait sourire. Je rejoins ma moto pendant que Jeliel négociait très mal la note. De retour vers moi, il me dit ressentir ma perplexité avant de me proposer de visiter la plage de Bowen tout en avouant sa curiosité de conduire ma Harley.

J'ai même pas le temps de dire ouf que le voilà déjà en selle. Je sais pas ce qu'ils ont tous à vouloir piloter ma moto à ma place, mais bon, je le laisse essayer puisque c'est pas sorcier. C'est sourcil levé que je le regarde tenter une fois, caler, une deuxième fois, caler. Faire preuve de ténacité avec une troisième tentative. Y arrivera, y arrivera, suspense. Et … non toujours pas. Beaucoup de personnes pensent que c'est mauvais pour le moteur, de caler, mais c'est faux, sinon je serais déjà en train de râler et vous imaginez les écoles de conduites, leurs voitures et motos passeraient leur temps au garage vu le paquet de gens qui ne savent pas démarrer. Donc non, je ne râle pas, je trouve la situation drôle même. C'est presque … mignon, cette ténacité sans faire le moindre progrès pour finalement passer sur la place passager.

"Question de synchro entre la main et le pied, si ça peut te rassurer, j'ai pas réussi dès le début non plus ! Regarde."

Ouais, j'ai beaucoup calé comme tout le monde avant de choper le truc. Je grimpe devant et je montre donc la technique à Jeliel en joignant le geste à la parole, puis le moteur se met à ronronner. Un ronronnement bruyant, ok, mais si doux à mes oreilles !

"Je roulerai pas trop vite, mais accroche toi quand même, on sait jamais !"

J'avais jamais foutu un pied en Australie aussi je crois l'ange sur parole et nous prenons le chemin de la plage.

Je n’en montre rien mais ce n’est pas une bonne nouvelle pour moi, pour le camps du Bien que l’humaine évoque le gris. Tout n’est pas blanc ou noir, ça fait partie de la propagande du Mal pour habituer les mortels "au moindre mal", pour rendre leur âme grise, ce qui signifie qu’ils noircissent peu à peu leur âme mais je ne m’en ouvrirais pas tout de suite à la chasseuse parce que ça prendrait des airs de donneur de leçon. Sans doute plus tard. En attendant, je dois dire que je trouve attentionné de sa part qu’elle ait toujours un mot amical, qu’elle atténue mon échec à faire démarrer sa moto. De son coté, ça peut aussi la rassurer de voir que les anges ne sont pas infaillibles.

"Je sais comment on s’accroche en moto, c’est déjà ça."

Ce ne serait ainsi pas une bonne idée de simplement poser les mains sur les épaules de Lexi parce que la personne qui ferait ça resterait sur place à la première accélération. J’enlace donc la taille de la chasseuse en veillant à ne pas lui couper le souffle parce que les humains ont besoin de respirer. Nous arrivons ainsi à la plage qui s’avère trop fréquentée à mon goût, à cause d’une manifestation artistique ou sportive, je ne sais pas et on ne pourra pas discuter tranquillement avec tout ce monde, aussi je désigne une autre direction à la mortelle, ce qu’ils appellent un plan B. Je l’amène à un jardin public mais dans une sorte de bulle et qui est censé représenter le jardin d’Eden.

"Ca n’était pas vraiment comme ça, on va dire que c’est l’intention qui compte. Mais Ca n’était pas vraiment comme ça."

Le bon coté de la foule à la plage, c’est qu’il n’y a que nous deux dans "le jardin d’Eden". Là, j’observe Lexi pendant qu’on évolue parmi des automates d’animaux qui donnent l’impression de … Sourire.

"Une girafe qui sourit. Quelle imagination."

Il n’y a que des animaux, c’est déjà ça. En tout cas, je ne sais pas si c’est du à une bonne aération ou au doux bruissement d’une petite cascade mais une ambiance sereine semble régner en ce lieu donc propice à mes paroles suivantes.

"Nous les anges combattons le Mal depuis toujours mais nous avons aussi passé trop de temps à observer certaines périodes, puis trop de mes frères et sœurs ont tendance à oublier que Dieu nous a confié le devoir de protéger l’humanité. Si tu as besoin d’aide, je viendrai combattre à tes cotés, comme pour détruire les boites démoniaques. Tu dois les connaître, ne serait-ce que de nom. Une fois localisées, elles seront protégées par des protections anti-anges et tu pourrais les désactiver, me permettant ainsi d’intervenir pour qu’on détruise ces boites une fois pour toutes."

La nouvelle des boites démoniaque s’est répandue à travers le réseau des chasseurs ces derniers mois dont ça m’étonnerait qu’elle ne connaisse pas leur existence. Lexi connaît aussi probablement l’existence des auravores mais j’évite de lui parler de mon erreur d’appréciation à leur sujet, pas aujourd'hui en tout cas.

Jeliel savait effectivement s'accrocher à moto. Ça ne me gênait pas d'avoir ses bras autour de la taille, il n'est pas mon premier passager. Au début ouais, j'admets que je n'aimais pas trop ça, surtout quand le passager serre encore plus fort à la moindre accélération. Ce que l'ange ne fit pas, faut croire qu'il avait confiance en ma conduite, ou c'est simplement parce qu'en cas d'accident, lui ne risquait absolument rien. Je préfère croire en la première option. Et puis sans me la jouer midinette, j'aurais pu tomber sur pire qu'un ange playboy, comme passager. Ouais j'ai du mal à ne pas le voir autrement que de la façon dont il était apparu dans le désert en mode cheveux au vent. Oh pis ça va, j'ai pas à m'auto justifier !

Nous arrivons donc à la plage qui devait valoir le coup d'oeil. Coup d'oeil, c'est bien la bonne expression puisque j'ai à peine le temps de l'admirer cette fameuse plage que Jeliel trouve l'endroit bien trop peuplé et estime qu'on ferait mieux d'aller ailleurs pour discuter. Je suis donc les nouvelles indications de l'ange et nous arrivons à un jardin botanique sous une serre. L'endroit me plaît beaucoup, je le préfère même à la plage. Dans mon boulot, le tourisme c'est pas vraiment ça et ça me changeait de voir des endroits sympas à la place des trucs sordides habituels. Ça devait même se voir à mon humeur.

Le jardin était censé représenter le jardin d'éden, l'ange n'est pas vraiment d'accord quant à la ressemblance.

"J'en doute pas, ça devait être quelque chose !"

Pour ma part je voyais l'endroit bien plus grand que ce jardin déjà, pour le reste j'avoue que j'avais du mal à me l'imaginer sans avoir en tête le peu de représentations humaines que j'en avais vu. Malgré le fait que l'endroit doit être loin de ressembler à l'original, Jeliel a l'air à l'aise ici et pendant que l'ange fait des remarques sur une girafe souriante, moi je suis surtout en mode "c'est joliiiii".

J'écoute attentivement ce qu'il me dit alors. Ça à l'air d'être mon jour dites donc, c'est pourtant pas mon anniv', ni noël. Son aide en cas de besoin, voilà ce qu'il m'offre, rien que ça. Je sais même pas si je dois dire merci vu qu'il dit que c'est son devoir, alors me voilà en train de bafouiller un truc qui ressemble quand même pas mal à des remerciements.

"Je m'attendais pas à ça, je sais pas quoi dire à part merci !"

Oui bon, c'est finalement bien des remerciements. L'ange a également mentionné les boîtes démoniaques. Je vis dans une caravane, pas une grotte, je sais de quoi il parle. Par contre j'ignore comment les détruire et s'il faut signer quelque part pour ça, j'ai déjà le stylo.

"Ah, les boîtes, j'ai pas énormément d'infos sur ces saletés. Je sais juste que les choses étaient déjà bien assez compliquées sans elles, on avait pas besoin de démons capables de raser une ville rien qu'en pétant."

Non, un démon ne pète pas, il n'éternue pas non plus mais c'est pas le sujet.

"Je ferai mon maximum pour aider à nous en débarrasser, tu peux compter sur moi pour pourrir la vie des démons."

Une simple rencontre dans le désert prenait une tournure plutôt, non très intéressante. Comme quoi des fois, même une panne à de bons côtés !

Je me demande vaguement après coup si Lexi n’aurait pas aimé contempler tout de même la plage, l’océan et si je ne vais pas aller jusqu’à verser dans l’autojustification, il faut bien admettre que j’ai tendance à verser dans le dirigisme. En somme, j’aurais pu lui laisser le choix même s’il est toujours possible de profiter du paysage australien ensuite. Puis en effet, une girafe qui sourit, c’est joli, ça doit être le but. Par contre je ne m’attendais pas à ce que la mortelle me dise merci pour quelque chose que je n’ai pas encore faite. Les paroles c’est bien beau mais rien ne vaut les actes alors j’imagine qu’il y a déjà une confiance qui s’est nouée entre nous. Ca arrive et ce n’est pas basé sur de la béatitude, c’est déjà ça. C’est que je n’apprécie pas les fous de Dieu, ils justifient surtout des atrocités avec leur Foi.

"J’imagine que ça sentirait le soufre si un démon avait des gaz."

Ca me fait rire, c’est bête mais ça me fait donc rire mais c’est mieux de ne pas continuer sur ce terrain parce qu’après on pourrait légitimement se demander ce que ça sentirait si un frère, une sœur ou moi-même nous avions des gaz. Si nous pétions pour le dire simplement comme la chasseuse.

"Merci."

Lui dis-je en toute simplicité quand elle accepte de m’aider à détruire les boites en se doutant que ça sera certainement dangereux, pour ne pas dire périlleux. Et je contredis en effet mes pensées précédentes sur la différence entre "promettre" et "agir" mais je me doute que cette humaine fait ce qu’elle dit, dit ce qu’elle fait … Non, ça le fait moins, "dit ce qu’elle fait", je suis même sur qu’elle fait ce qu’elle dit. Puis comme on fait trop vite le tour d’un jardin au demeurant pas bien grand, et que la plage n’est tout de même pas investie totalement par la foule, loin s’en faut, on se retrouve dehors avec pour horizon, ciel, l’océan pacifique.

"Ca fait cliché mais le ressac m’aide à méditer."

Je dis ça assis sur un rocher globalement plat à coté de Lexi parce que ça ne le ferait pas de parler uniquement devoir après tout. Il manque probablement de la bière mais la foule a vidé tous les distributeurs locaux. Quand les humains font quelque chose, en principe ils ne le font pas à moitié.

"Tu me diras quand tu voudras rentrer, et la destination."

Même si elle désirait rester un peu dans ce pays, ça serait cavalier de la laisser "en plan", sans visa, sans pouvoir justifier comment elle aurait pu passer au moins deux frontières parce que l’argument "je suis venue avec un ange" ne serait pas spécialement convaincant.