III.01 Nouveau boss

Assis sur une chaise haute à l’extrémité du bar, le déchu épluchait méticuleusement les diverses factures et impayés dont il avait hérité avec le rachat du Naughty Kitten. Armé d’un Mont Blanc avec lequel il gribouillait quelques notes d’une écriture souple, d’une calculatrice qu’il pianotait régulièrement, et surtout, de sa patience, Asmodée, nouveau propriétaire de ce club de strip-tease d’Huntfield, étudiait toutes les possibilités afin de rendre son investissement le plus rapidement rentable. La gestion de cette affaire par Carter relevait selon le démon, d’une véritable hérésie, tant les erreurs étaient légion. Le refus catégorique au recours d’un comptable avait laissé de sérieux dégâts dans le fond de commerce. Aujourd’hui, il incombait donc au Profanateur du Jardin de redresser la barre, afin de promouvoir encore un peu plus la Luxure dans cette ville.

Récupérer la société ne s’était pas montré bien compliqué, malgré la forte opposition qu’avait manifesté Carter. D’après lui, cette boite, c’était un peu comme son bébé. Il y avait investi la quasi-totalité de ses biens, et s’était donné corps et âme pour la faire survivre. C’étaient ses propres mots. Pour Asmodée, il était clair et net que cette pitoyable tentative pour faire naitre la sympathie et la pitié chez tout racheteur potentiel, était un mensonge. Si Carter avait réellement donné son âme pour son club, alors les finances de ce dernier ne s’en seraient pas trouvées aussi misérables. Quoi qu’il en fût, ce furent surtout des fraudes fiscales qui portèrent le coup de grâce à ce cher Carter, parvenant mystérieusement à la connaissance du déchu. Asmodée avait toujours su que tôt ou tard, ses contacts dans les hautes administrations d’Huntfield lui seraient utiles.

Mais pour l’heure, ce chaos budgétaire nécessitait une remise en ordre d’urgence. L’argent n’était pas vraiment un problème, Asmodée ayant largement les moyens et les partenaires pour renflouer les caisses du club. Mais remettre tout en ordre ne se ferait pas du jour au lendemain, et le démon devait étudier les priorités. Qui plus est, le Gardien des Plaisirs Impies comptait bien donner un bon coup de peinture au bâtiment lui-même. Pour l’heure, ce lieu avait plus l’air d’un bordel de bas quartier qu’autre chose. Asmodée comptait apporter à son nouveau jouet une note de charme et de luxe qui offrirait d’avantage de cachet au Naughty Kitten.

Posant son stylo plume au milieu de la paperasse, le démon soupira. S’emparant de son verre de scotch qui reposait un peu plus loin, il but une gorgée dont la chaleur lui parcourut l’œsophage. La sensation de l’alcool descendant le long de sa gorge, arracha un instant le déchu à ses fastidieux calculs. A quelques mètres de lui, l’un de ses employés essuyait méticuleusement les verres, pour ensuite les ranger sur les étagères derrière lui. En ce début d’après midi, il n’y avait aucun client. Les filles n’étaient jamais là avant dix huit heures. Or, étant la principale source d’attraction du club, leur absence entrainait la désertion des lieux par les clients. Derrière lui, le déchu entendait également un second employé, en train de passer le balais et de réinstaller tables et chaises pour la soirée. Quelques gorgées plus tard, et Asmodée avait terminé son verre. Le barman s’approcha de lui, la bouteille à la main.

« Un autre patron ?

- Avec plaisir …, le démon laissa sa réponse en suspens, ignorant le prénom du jeune homme.

- Stephen », acheva alors le barman tout en versant un nouveau verre de scotch.

D’un signe de tête et d’un sourire, Asmodée remercia son employé. Stephen … le déchu grava dans un coin de sa mémoire l’identité du jeune homme à la chemise blanche rehaussée d’un gilet de costume noir qui était retourné s’occuper des verres. Entre les mains du déchu, le prénom d’un individu devenait une arme redoutable contre son propriétaire, offrant à l’Avatar de la Luxure une emprise sur sa volonté.

Saisissant de nouveau son Mont Blanc et sa calculatrice, Asmodée se remit à l’ouvrage.

Au loin, le déchu entendit une porte claquer. Le bruit provenait des loges et autres parties du club réservées aux employés. Curieux. A cette heure-ci, personne n’était sensé être arrivé,  exceptés les deux jeunes hommes déjà en salle. Relevant le nez de ses comptes, le déchu jeta un œil en direction de la source du raffut, un sourcil rehaussé par la curiosité. Quant à l’explication du courant d’air, elle impliquait qu’une porte ou une fenêtre à l’arrière du bâtiment était restée imprudemment ouverte, donnant libre accès à l’édifice au premier venu. Finalement, l’arrivée d’une jeune femme à la chevelure flamboyante apporta l’explication. Plus précisément, c’était l’air furibond qu’elle dissimulait tout juste derrière un sourire de façade approximatif, ainsi que son pas déterminé dont les talons imposaient le rythme à toute la salle principale. Sans doute était-ce l’une des danseuses. Si elle pensait que son avance lui serait comptabilisée, c’était qu’elle se méprenait. Si Carter avait l’habitude de faire ce genre de fleur alors qu’il n’en avait pas les moyens, le déchu avait la ferme intention de remédier à cela.

Mais pour l’heure, Asmodée avait d’autres préoccupations. Aussi laissa-t-il la jeune femme poursuivre sa course en direction du barman, à qui elle posa une question après avoir tenté de se rapprocher de lui par-dessus le bar. Suite à la réponse de Stephen, la demoiselle s’approcha alors d’un pas des plus discrets du nouveau patron. Ce fut à ce moment que le démon comprit la source du mécontentement de cette dernière. Elle était à la recherche de Carter, souhaitant lui faire part de son point de vue quant à sa soudaine débandade. Le sourire de façade toujours d’actualité, elle balança son dégoût avec une vindicte qui ne manqua pas d’arracher un sourire au déchu. L’onomatopée qui suivit indiqua alors qu’elle venait vraisemblablement de réaliser à qui elle venait de s’adresser. Pour une première rencontre avec son nouveau patron, elle venait d’y aller très fort.

Déposant son stylo, le déchu releva le regard, posant ses yeux vert-noisettes sur son interlocutrice maladroite. Le regard de biche de cette dernière, habilement mis en valeur par son maquillage, derrière son soudain embarras, exigeait clairement des réponses. Quant à ses lèvres pulpeuses, ultime touche de glamour sur un visage, qui en dégageait déjà pourtant beaucoup, elles se fendirent d’une moue mêlant sourire et gène. A son tour, le déchu adressa à sa jeune employée avec un sourire amusé, se tourna sur sa chaise, légèrement vers elle.

« Effectivement, j’ai bien peur que ce genre de désagrément ne soit pas le meilleur moyen d’arranger ses finances, répondit Asmodée d’une voix complice. Mais je ne manquerai pas de lui faire part de votre point de vue, ainsi que de votre mécontentement, si d’occasion, je le croise. »

Le démon recapuchonna sa plume avant de la remettre dans la poche intérieure de sa veste. Puis, réunissant les divers documents étalés devant lui, il en fit une pile régulière qu’il tassa entre ses mains, avant de les placer dans une chemise cartonnée. Le bar débarrassé de toute cette paperasse ennuyante, Asmodée reporta son attention sur la jeune femme.

« Cependant, il y a fort peu de chances que cela se produise … Carter ayant à faire face à d’autres soucis plus embarrassants que la perte de son club. Visiblement, l’Oncle Sam n’aime pas trop se faire escroquer », acheva le déchu avec un air taquin sur le visage.

Prenant le porte document sous le bras gauche, le démon se releva. D’un trait, il vida son verre avant de le faire glisser d’une pichenette sur le bois vernis du bar jusque devant Stephen, à qui il adressa un signe de tête amical. Ceci fait, il reporta son attention sur la jeune artiste.

« Vous avez donc devant vous, votre nouvel employeur. Vous pouvez m’appeler Ben », poursuivit-il en tendant la main en direction de la jeune femme.

Le déchu tut son pouvoir autant qu’il le lui était possible, afin d’éviter que son contact ne fasse naître chez son interlocutrice le moindre doute quant à sa véritable nature. Au mieux, elle trouverait cette poignée de main des plus agréables et chaleureuses, au pire, sa colère serait telle, qu’elle ne prêterait même pas attention à la sensation que son épiderme ressentirait.

« Alors, Ginger, mis à part transmettre votre message à Carter, que puis-je faire pour apaiser votre frustration ?, demanda le déchu d’un ton affectueux. Il serait dommage que votre énervement ne soit ressenti par notre clientèle lorsque vous vous produirez ce soir. »

Alors qu’elle prenait conscience de sa maladresse, la jeune femme prit le parti de garder le silence et d’écouter attentivement son nouveau patron, espérant ainsi redorer quelque peu son blason. Sur son visage et dans son regard, le déchu put clairement discerner un mélange d’inconfort et de culpabilité. Non seulement, elle venait d’être des plus caustiques juste devant celui qui lui signerait son chèque à la fin du mois, mais en plus, elle avait jugé Carter sans connaitre l’intégralité de la situation. Les remords tiraillèrent la demoiselle durant quelques instants, alors que cette dernière tentait de garder la face et de ne rien laisser paraitre devant son boss.

Lorsque la danseuse saisit la main tendue du démon, ce dernier ne put s’empêcher de percevoir le trouble furtif qui s’empara de la jeune femme. Plusieurs secondes, elle resta figée par la surprise, tenant toujours la main d’Asmodée, sans cesser de le fixer du regard. Finalement, elle parvint à se ressaisir avec habileté de la confusion qu’avait fait naitre chez elle ce contact. A son tour, elle se présenta, révélant s’appeler Xiél. Le clin d’œil qu’elle adressa alors à son interlocuteur amusa ce dernier. Cette jeune femme était dans son rôle, c’était indéniable, sachant parfaitement user de ses charmes afin d’attirer la sympathie de son auditoire. D’ailleurs, ses propos suivants confirmèrent ce constat, puisqu’elle affirmait savoir maitriser l’art du paraitre. Ainsi donc, Asmodée avait à faire à une professionnelle qui connaissait parfaitement son métier.

La jeune femme fit alors mine de réfléchir, jouant avec une mèche rousse qui s’était échappée de son chignon. Alors qu’elle faisait tourner ses cheveux entre ses doigts, elle sembla trouver ce qu’elle était en train de chercher.  Avec un trait d’humour, Xiél demanda au déchu de ne pas s’attarder sur les premiers instants de leur rencontre. La jeune femme souhaitait conserver sa place, sans avoir à en passer par un rapport sexuel avec son patron. Face à une telle franchise, Asmodée ne put réprimer un rire amusé. Décidément, cette personne n’avait pas froid aux yeux, et elle savait ce qu’elle voulait. Pour finir, Xiél annonça que son absence causerait bien des déceptions parmi les habitués du club, allant même jusqu’à comparer son charme à celui d’un ange. Toujours amusé par les propos de son employée, le déchu garda cette fois-ci le silence, se contentant simplement d’arquer légèrement un sourcil devant l’évocation angélique.

Après quelques secondes de réflexion, le déchu donna sa réponse. Xiél s’était montrée honnête et franche avec lui, il en ferait donc de même.

« Ainsi donc, vous souhaiteriez que je ne tienne pas compte du fait que vous êtes passionnée par vos valeurs, et de nature audacieuse, commença-t-il avec un ton amusé dans la voix. Dommage … c’étaient pourtant des aspects de votre personnalité que j’appréciais. »

Le déchu se tapota alors le menton du bout du doigt, un air de réflexion sur le visage, alors que son regard, légèrement plissé par la taquinerie, ne cessait à aucun moment de fixer la jeune femme.

« Du coup, si je vous écoute et que, par conséquent, je fais abstraction de ce qui m’a plu chez vous dans un premier temps, qu’est-ce qui me pousserait à vous garder ? Sachant que vous venez aussi de renoncer à l’option maîtresse du patron. »

Au loin, Asmodée put entendre le barman étouffer un rire, alors qu’il poursuivait d’essuyer les verres. Visiblement, Stephen ne perdait pas une miette de la conversation. Le démon se pencha alors légèrement vers la jeune femme, comme pour instaurer un climat de confidence entre eux. Pourtant, le déchu ne chercha à aucun moment à parler plus bas que précédemment.

« Bien, évidemment, ceci était une blague, inutile de chercher une réponse. Personne n’a l’obligation de coucher avec moi pour garder son poste, assura le déchu en adressant un clin d’œil à Xiél. Pas même vous, Stephen ? », termina-t-il en se redressant pour s’adresser au jeune homme debout derrière le bar, qui piqua un phare dans la seconde.

Satisfait de son effet, le déchu afficha alors un sourire espiègle, avant de reporter son attention sur son interlocutrice. En observant la jeune femme, Asmodée en arriva rapidement à la conclusion qu’elle devait être le genre d’employée à connaitre son boulot. Qui plus est, elle avait l’air débrouillard et futé. Alors pourquoi diable était-elle à Huntfield ?

« Dites-moi … qu’est-ce qui a pu conduire une jeune femme telle que vous, à s’installer à Huntfield ? Les perspectives d’avenir sont restreintes et vous avez encore la vie devant vous. Pourquoi donc venir perdre votre temps ici ? »

La réflexion de son patron calma la rouquine pendant un court instant, elle eut le souffle coupé par les réponses que lui offrait Ben. Étrangement elle était heureuse, un patron qui acceptait son caractère dans ce milieu était quelque chose qu'elle appréciait profondément. Carter avait beau être son ami, il fallait bien faire la distinction entre « pendant le travail » et « en dehors du club ». Lorsque Xiél enfilait les robes moulantes choisies par son ancien patron, elle devenait une employée qui n'avait pas le droit de critiquer ses choix, elle avait le droit de se plaindre évidemment, mais pas d'être écouté. Elle avait dû faire taire chaque remarque cinglante qui lui passait par l'esprit lorsqu'il la forçait pour la énième fois à porter des ailes d'anges. Qui est celui qui a décidé que les prénoms d'ange devaient tous se terminer en 'el' ?

La pointe d'humour dont fit preuve son boss tira un léger rire à Xiél, elle l'appréciait déjà. Elle fit tout de même la moue lorsqu'elle entendit Stephen rire, elle l'avait presque oublié celui-là. Le démon se pencha alors vers elle et avant qu'elle ne put en avoir conscience son corps se réchauffa. Elle savait gérer ses émotions en temps normal, rester dans son personnage même face à un homme qu'elle trouvait attirant, mais là ce n'était pas un client, c'était son patron et il était vraiment très séduisant. Elle ferma les yeux alors qu'elle laissa passer un soupire d'entre ses lèvres. L'interdiction de toucher à cet homme était tout aussi grande qu'avec les habitués du club, mêler coucheries et travail était une très mauvaise idée et beaucoup de ses collègues danseuses lui avaient bien fait comprendre lorsqu'elles avaient vu le rapprochement de Xiél et de Carter. Jalousie, rejet, colère et encore pire sentiment, beaucoup de choses pouvaient naître d'une nuit de plaisir charnel et la rousse refusait que tout cela vienne gâcher sa nouvelle vie.

Xiél rit en voyant le barman rougir à la question de Ben. Elle allait adorer travailler pour cet homme du moins autant que l'on peut aimer danser à moitié nue devant des inconnus venus seulement pour remplir leur tête d'images fantasmatiques. Apprécier son patron était une chose qu'elle trouvait plutôt important, accepter un ordre qui déplaît est bien plus facile lorsque l'on affectionne la personne qui le prononce et ça rendait aussi l'ambiance de travail beaucoup plus tenable. Le rire de Xiél se stoppa soudainement, il venait de poser la question qu'elle redoutait, son coeur se serra alors que des mensonges en tout genre lui emplissait l'esprit.

« Dites-moi … qu’est-ce qui a pu conduire une jeune femme telle que vous, à s’installer à Huntfield ? Les perspectives d’avenir sont restreintes et vous avez encore la vie devant vous. Pourquoi donc venir perdre votre temps ici ? »

L'interrogation résonnait dans son esprit comme pour prouver qu'elle avait bien été prononcée à l'instant même. Xiél baissa les yeux en espérant que Ben ne verrait pas qu'ils venaient de se remplir de larmes qu'elle retenait avec douleur. Elle attendit un instant, jusqu'à ce qu'elle réussisse à créer un nouveau sourire de façade sur ses lèvres et que le trop plein de liquide dans ses deux globes couleur noisette. Elle releva le visage vers son patron alors qu'elle récitait dans son esprit : « Il ne remarquera rien, il ne remarquera rien. » Elle n'avait plus repensé à la mort de sa soeur depuis un moment à présent et lorsque cette phrase était sortie de la bouche de Ben, Xiél n'avait pas pu retenir les sensations de cette soirée de refaire surface. La douleur, la peur, la compréhension, la tristesse, elles étaient toutes remontées, ces émotions trop forte qui la faisait toujours souffrir, mais qu'elle arrivait à faire taire lorsqu'elle était en public, du moins jusqu'à maintenant. Elle chercha dans son esprit une réponse véridique, mais qui n'en dévoilait pas trop sur son passé.

« Je suis à la recherche de quelqu'un et j'ai appris qu'il se trouvait très certainement dans cette ville. »

Le ton de la jeune femme n'était plus aussi enjouée qu'auparavant, mais elle tenta de le cacher en levant les yeux vers ceux de Ben en continuant dans sa lancée.

« Et vous alors, y'à-t-il une autre raison que l'argent et le fait d'avoir des femmes séduisantes sous ses ordres qui vous ont poussé à acheter ce club ? Vous n'aviez pas de projets d'avenir moins 'déshabillé' ? »

Elle réussit à lui lancer un sourire amusé, le passé était de nouveau enfermé, il ne la toucherait plus, enfin pour le moment.

L’amusement de la jeune femme, né des remarques de son patron envers le barman, se dissipa brutalement lorsque la question sur les raisons de sa présence à Huntfield se posa. Alors que quelques instants auparavant, elle semblait heureuse et satisfaite de cette entrevue, à présent, une expression de tristesse profonde voilait son regard. Quelques secondes, Xiél baissa la tête, manifestant une pudeur insoupçonnée chez une strip-teaseuse. Son silence, manifestation du trouble qui venait de naitre en elle avec cette interrogation, tendait à prouver que les choses n’étaient sans doute pas toutes simples. Lorsqu’elle fit de nouveau face à son patron, elle affichait ce sourire de façade dont elle s’était armée un peu plus tôt déjà. Mais à présent, ce sourire avait quelque chose de différent, pour la simple et bonne raison qu’il ne cherchait pas à dissimuler de la colère ou de la rancœur, mais plutôt de la tristesse et de la souffrance. Son regard noisette tentait d’être infaillible, mais comme toute bonne fenêtre sur l’âme, les yeux mentaient difficilement, d’autan plus lorsqu’ils étaient jugés par une créature telle que le déchu. De nombreuses larmes avaient sans doute déjà coulé au travers de ces yeux par le passé, et aujourd’hui, cet âge révolu semblait refaire surface avec les souvenirs que la question du démon avait soulevés, accompagné de son flot irrépressible de larmes.

Puis, Xiél révéla que sa présence à Huntfield était due à la présence d’une personne qu’elle recherchait, cette dernière étant vraisemblablement en ville. Dans sa voix, un insoupçonnable trémolo teintait ses mots de chagrin et de souffrance, tout juste perceptible pour l’oreille du démon, et très certainement indécelable pour un simple mortel. Aucun mensonge n’habitait cet aveu. Pour autant, Asmodée voyait en cette réponse, une phrase assez floue pour permettre à son interprète d’en dire le minimum pour continuer de pouvoir dissimuler les véritables raisons de sa présence ici. La personne en question qu’elle recherchait, était sans conteste liée aux malheurs passés de la danseuse.

Finalement, la jeune femme retourna la question au déchu. C’était une habile manière de se débarrasser de cette situation qui lui était difficilement supportable. Ainsi libérée, son sourire se fit plus convainquant, gagnant très certainement une part d’honnêteté : Xiél était heureuse d’avoir surmonté cette épreuve sans flancher.

De son côté, le démon devait à son tour répondre. Il était clair qu’il ne pouvait dévoiler la vérité, ses véritables intensions étant hors de portée de la compréhension des humains. Qui plus est, la discrétion était la clé du succès d’après le déchu, ainsi, il était primordial qu’il ne crame pas sa couverture de gérant d’entreprise aux yeux de la société humaine.

« Eh bien, je suis un homme d’affaire, et comme tout homme d’affaire, je cherche l’argent là où il se trouve, commença-t-il par répondre en affichant un sourire confiant. En l’occurrence, dans cette chère petite ville d’Huntfield, le commerce du charme fait recette, et personne avant moi, n’a encore eu l’idée de centraliser cette activité pour en faire grimper les profits. »

Un court instant, le déchu observa l’employé de la salle en train de terminer de disposer les tables et les chaises. Il reporta ensuite son attention sur la jeune femme. Finalement, dans ce qu’il avait répondu, tout était vrai. Faire main basse sur le commerce de charme de la ville était un excellent moyen de faire des profits. Pourtant les bénéfices d’une telle activité ne se résumaient pas uniquement à des caisses se remplissant de billets verts, ceci n’étant que la partie émergée de l’iceberg. En réalité, c’était surtout une manière de posséder un réseau d’influence discret, mais particulièrement étendu. Quasiment aucun humain n’était insensible au milieu du sexe et de la perversion. C’était dans leur nature d’être attiré par ce milieu, qu’il soit un simple employé tout en bas de l’échelle sociale, ou un leader politique influent. Tous finissaient tôt ou tard par entrer en contact avec les affaires du déchu. Or, personne ne parlait de ce genre de chose, personne n’admettait avoir eu recours à ce type de passe-temps. Le secret s’entretenait le plus simplement du monde, alimenté par la honte et la culpabilité. Ainsi, nul ne soupçonnait l’étendu de ce réseau tentaculaire que contrôlait le déchu, le tabou assurant de préserver le secret.

Mais d’une manière beaucoup plus générale, s’il devait y avoir une personne à la tête des activités immorales et décadentes de la ville, ce ne pouvait être nul autre qu’Asmodée, l’Avatar de la Luxure.

Ainsi, le démon tentateur se félicitait-il intérieurement d’avoir retourné ce don du Créateur qu’était le libre arbitre, contre ses propres enfants chéris. Il avait compromis l’innocence du Premier Couple en tentant Eve … et s’était fait la promesse de poursuivre son œuvre aussi longtemps que cela lui serait possible.

« Et en prime, ce milieu m’a offert bien des contacts utiles, m’ouvrant des portes qui en temps normal me seraient restées closes. Pour dire plus simplement les choses, cette position est une aide précieuse quand il s’agit de retrouver quelqu’un », termina le démon avec un sourire et un regard à la fois énigmatique et tentateur.

Xiél écouta attentivement les raisons de Ben qui l'avaient poussé à se tourner vers le commerce du charme. Il n'avait pas tort d'un côté, beaucoup d'hommes influents et au portefeuille bien remplit était présent certain soir au bas de la scène bien que Carter n'est pas le charisme nécessaire pour rendre cet endroit attirant pour tous les gros bonnets de la ville. De son côté Ben semblait avoir l'expérience et une facilité dans le domaine qu'il s'était choisi. Une seule chose poussait la rouquine a regretté ce changement, le comportement des hommes qui même sans se déshabiller gagne plus que toutes les danseuses du club. L'argent rend les hommes puissants imbus de leur personne en leur faisant croire qu'ils peuvent tout se permettre, chose que confirmer Carter lorsque certaine fille se plaignait d'attouchement un peu trop gênant et qu'il leur disait simplement de retourner travailler. Xiél s'était défendu la première fois et elle avait appris qu'écrasé la main d'un homme puissant avec un talon aiguille apporter quelques soucis.

La rousse avait beau faire le même métier que toutes les autres, ses raisons étaient totalement différentes tout comme son passé. La plupart se sont tournés vers le strip-tease, car la seule autre option était de faire le trottoir. Xiél avait fait 5ans d'étude en biologie et avait travaillé durant 3ans dans un laboratoire, la seule raison qui l'a poussé à devenir strip-teaseuse c'est que les hommes influents se trouvent plus souvent dans des clubs que dans des laboratoires et avoir des réponses y est donc plus facile. En parlant de réponses, Xiél leva les yeux vers Ben lorsqu'il affirma que sa place était une aide précieuse lorsqu'il s'agissait de retrouver quelqu'un. Essayait-il de lui faire comprendre qu'il voulait lui venir en aide ? Ou du moins qu'il le pouvait. Carter lui avait donné quelques indices déjà, mais il ne possédait pas le même réseau que son nouveau patron. Elle hésita un instant, ce n'est pas qu'elle ne lui fait pas confiance, mais elle venait à peine de le rencontrer.

« Avoir de l'influence ne veut pas dire que vous seriez capable de vous en servir pour quelqu'un d'autre sans rien en échange non ? »

Elle n'allait tout de même pas commencer à se faire de faux espoirs, même s'il avait l'air d'un homme gentil et qu'il était plutôt séduisant, cela ne voulait pas dire qu'il ne cache rien, bien au contraire. Elle repensa à celui qui l'avait poussé à partir pour Huntfield, ses informations étaient véridiques, mais leurs prix étaient quelque peu exagérés. Il y avait eu d'autres cas comme sa soeur, d'autre personne ayant perdu l'esprit et dont les yeux étaient devenus noirs. Elle avait tout de même eu l'impression qu'il lui cachait quelque chose, peut-être savait-il quelle drogue avait provoqué ça chez sa soeur ou même savait-il qui vendait cette substance à New York ou bien ici à Huntfield. Xiél n'avait pas osé demander, le prix de cette information devait être trop élevé pour ce qu'il lui restait.

« Même si je suis pratiquement sûre de votre réussite avec la gestion de ce club, j'ai plus de mal à croire en votre aide totale et altruiste. »

Elle aurait aimé pouvoir simplement lui demander, mais rien n'était si facile. Avoir un allié comme Ben dans sa poche pouvait toujours être utile surtout pour une femme comme Xiél, nouvelle et qui ne connait rien aux ficelles qui tiennent cette ville en place. Surtout que chaque habitant semble caché quelque chose, même ceux qui lui sont venus en aide, comme si Huntfield renfermé un secret que seule ceux qui y vivent peuvent connaître ou ont découvert à contrecoeur. Une chose qu'elle découvrira très certainement au moment venu sans vraiment le vouloir, mais sa curiosité et sa quête de vengeance est plus forte que toutes les peurs qui la tiraillent lorsqu'elle repense à tout cela. Qu'importe ce que cache cette ville, elle sait que cela est liée à la mort de sa soeur et Xiél fera tout pour découvrir tout ça.

« Il est vrai qu'Huntfield est un véritable mystère pour moi, je ne sais rien de ce que renferme cette ville, mais je finirais bien pour le découvrir. »

Elle avait dit ça à haute voix sans vraiment s'en rendre compte, ses pensées devenant trop présente dans son esprit.

L’attention de la jeune femme sembla redoubler lorsque le déchu fit référence aux possibilités qu’offraient ses contacts, notamment en ce qui concernait la recherche de personnes. Dans le regard de la danseuse, une étincelle de convoitise pétilla comme si son interlocuteur était en possession que quelque chose qu’elle désirait particulièrement. Pourtant, le reste de son visage ne laissait rien transparaitre de ce désir, n’exprimant que l’impassibilité. La réflexion de Xiél fit légèrement rire le démon. Il semblait bien qu’elle avait compris le mode de fonctionnement de son patron. Rien n’était gratuit.

« Effectivement, on n’obtient rien sans rien dans la vie, lui répondit-il avec un clin d’œil, et ça, vous semblez l’avoir compris il y a un moment. J’ai comme l’impression qu’il y a une femme d’affaire qui se cache derrière cette danseuse exotique », rajouta-t-il avec une pointe d’amusement dans la voix.

Xiél eut alors une réflexion qui fit se hausser l’un des sourcils du démon. Ses propos sonnaient presque comme une déception, à croire que la jeune femme était persuadée de ne pas avoir les moyens de s’offrir les services du déchu. Pourtant, Asmodée savait mieux que n’importe qui que tout le monde avait quelque chose à offrir … que tout était négociable. Effectivement, le Gardien des Secrets n’avait rien d’un mécène ou d’un philanthrope, mais c’était bien là tout l’intérêt de la chose. Jouer lorsque les risques étaient nuls n’avait aucun piment.

La jeune femme sembla alors se plonger dans ses pensées plusieurs secondes. Elle était tellement absorbée qu’elle en paraissait absente. Puis, sans réellement s’adresser à qui que ce soit, elle avoua ne pas entièrement saisir les mystères qui entouraient cette ville. Cependant, elle comptait bien les percer. Du peu qu’il en avait vu, Asmodée ne doutait pas de l’obstination de la jeune femme pour parvenir à ses objectifs. Cependant, il n’était pas persuadé ce que soit une bonne idée, la psyché des humains résistant difficilement à la vérité sur le surnaturel. Comme il en avait souvent été témoin, la Connaissance, entre des mains non averties, pouvait donner des résultats catastrophiques.

« A trop creuser, on déterre parfois des choses qui n’auraient jamais dû l’être, commença par répondre le déchu. Si toutefois, vous décidez de poursuivre votre quête de réponses, je ne saurai trop vous conseiller de bien vous entourer … Huntfield n’est pas ce qu’elle parait. Elle est aussi redoutable que les plus grandes villes de notre pays, ne vous laissez donc pas surprendre. »

Asmodée reposa sa chemise cartonnée sur le comptoir. Finalement, cette conversation risquait d’être un peu plus longue qu’il ne l’avait pensé au début. Cela ne lui couterait donc rien de prendre d’avantage ses aises. Après tout, il était chez lui, il n’avait donc pas à se gêner. Ecartant légèrement les pans de sa veste pour venir placer ses mains sur ses hanches, le déchu reporta son attention sur Xiél, poussant un léger soupire d’inquiétude. Ginger semblait avoir de la suite dans les idées, et surtout, un foutu caractère qui la pousserait à ne rien lâcher tant qu’elle ne serait pas arrivée à obtenir ce qu’elle désirait. Si elle s’entêtait à l’aveuglette, le démon ne donnait pas cher de sa peau. D’ici moins d’un mois, la gamine serait retrouvée morte … voire, pas retrouvée du tout.

Or, l’Avatar de la Luxure partageait un lien particulier avec celles et ceux qui le servaient, qui l’aidaient à répandre la dépravation. Alors qu’il ne voyait en la plus part des humains qu’une source de divertissement, une âme à récolter ou un pion à manipuler, son regard était tout autre pour ceux qui contribuaient à promouvoir la décadence. Il les considérait presque comme ses propres enfants, et n‘appréciait pas les savoir en danger inutilement lorsque ce n’était pas lui qui avait décidé de les mettre dans une telle situation.

« Promettez-moi d’être prudente, demanda alors le déchu. Et en cas de besoin, n’hésitez pas à venir me voir … Mais surtout, gardez en tête qu’il n’est pas encore trop tard pour renoncer. »

Le visage du démon était à présent d’un sérieux qu’il manifestait rarement. Son sourire s’était effacé et ses sourcils s’étaient légèrement froncis. Sa voix restait malgré tout étrangement posée.

Xiél repensa au chemin qu'elle avait fait depuis son départ de New York. Changer de vie, de travail et même de vie sentimentale avait été plus simple qu'elle ne l'aurait imaginé, elle avait su enterré ses émotions, ses envies secondaires et consacrer chaque instant de sa vie dans la découverte de la vérité. Une seule chose l'avait fait subir une véritable déception : son ignorance. Avec ce départ elle se sentait comme un nouveau né qui devrait réapprendre à marcher, parler et même manger seule. Ses années d'études, les preuves scientifiques, tout ça n'avait plus sa place dans son monde. Elle devait apprendre et pour cela il lui fallait quelqu'un pour l'aider, mais elle se refusait ce droit. Elle ne voulait impliquer personne dans sa quête. Et pourtant elle ne s'était pas privée lorsque Carter avait proposé de chercher quelque chose qui lui permettrait d'avoir des réponses. Peut-être que le bien-être des gens n'avait plus d'importance pour elle, peut-être que sa colère l'avait poussé à oublier son humanité. Elle regarda un instant ses mains et intérieurement elle répondit elle-même à toutes ses questions : « Et alors ? ».

Elle fut tirée de ses pensées par la réplique de Ben. Était-ce une mise en garde ? Cela voulait-il dire qu'il savait exactement de quoi elle parlait ? Elle en était pratiquement sûre. Il devait cacher quelque chose lui aussi, chaque personne à son secret voir ses secrets. Xiél cachait son passé, les véritables raisons de sa venue dans cette ville et la douleur qui la tiraillait quotidiennement. Elle ne reprochait pas à chacun de rester discret sur certain sujet, mais elle avait besoin de déterrer certaine chose pour en apprendre davantage sur cette ville.

« J'espère vous comptez dans mes alliés dans peu de temps et je suis sûr que le mélange de mes performances et de mon côté attachant sera suffisant. »

Elle sourit pour tenter de faire comprendre que cette phrase n'était qu'une plaisanterie, mais au fond, elle espérait réellement pouvoir compter sur l'aide de Ben si jamais il lui arrivait quelque chose. Non pas qu'elle s'était liée à lui en ces quelques minutes, même s'il lui semblait plutôt sympathique, mais plutôt parce qu'il lui fallait quelque chose de plus qu'un simple travail en ce lieu de dépravation pour continuer à sourire tous les jours en venant bosser. Elle avait beau continuer à vivre sans attache et sans se connecter sentimentalement à cette ville, la solitude était une chose qu'elle avait toujours eue du mal à supporter. Xiél fit une moue attendrie lorsqu'elle entendit les paroles de son patron. S'inquiétait-il vraiment pour elle ou n'était-ce que des paroles prononcées par simple politesse ? Elle ne s'en inquiéta pas longtemps.

« Je ne peux ni renoncer, ni vous promettre d'être prudente. Se serait vous faire une promesse que je sais que je ne peux pas tenir, mais j'essayerai au moins. Je n'aimerais pas que vous savor inquiet pour moi. »

Elle laissa un rire passer ses lèvres alors qu'elle sera légèrement la main de Ben avant de la relâcher quelques instants plus tard comme pour lui faire comprendre son intention de faire attention. Elle reporta ses yeux vers le visage de son patron, il avait changé, étrangement changé. Elle se sentit obligé de se taire pendant un instant, comme si elle devait comprendre l'émotion dans les yeux de ce patron pour continuer la discussion. Essayait-il de la convaincre d'abandonner ce pourquoi elle avait entièrement changé d'univers ? Elle ne pouvait tout simplement pas, la vengeance avait entièrement pris sa vie, elle était son but ainsi que la quête de vérité. Sans ça que ferait-elle ? Devrait-elle continuer à danser dans ce club ? Devrait-elle retourner à New York avec Timothé ? Elle n'arrivait pas à imaginer la fin de cette nouvelle vie.

« Il n'y a qu'une seule chose que je peux vous assurer, si jamais j'en ai réellement besoin, je viendrais vous voir. Je n'avais que Carter auparavant dans cette ville et on dirait bien que je ne pourrais pas compter sur lui avant un bon moment. »

Avec un léger sourire elle lui fit comprendre qu'elle était sincère, après tout, c'est lui qui l'avait demandé.

Xiél sembla tenir compte de la mise en garde du déchu, même si, comme il s’y attendait, sa détermination la poussa à prévenir son nouveau patron qu’elle ne renoncerait pas à son désir de réponses. Cependant, à présent avertie, elle tenterait d’être prudente. Etait-elle sincère ou bien cherchait-elle simplement à se débarrasser de l’ingérence de son patron ? L’attitude de la jeune femme, notamment lorsqu’elle saisit la main du déchu, tendait à prouver que Xiél tiendrait compte de l’avertissement de son employeur.

En ville depuis peu, cette jeune femme ne devait pas connaitre grand monde. D’un tempérament renfermée et distante, bien qu’elle sache parfaitement faire croire le contraire, Xiél ne devait pas compter grand nombre de personnes proches sur lesquelles se reposer. De plus, son métier, ainsi que ses horaires n’étaient des plus aidant lorsqu’il s’agissait de s’organiser une vie sociale. Carter à présent hors jeu, elle se retrouvait sans soutien comme elle ne manqua pas de le faire remarquer. Aussi, la proposition du démon de lui venir en aide en cas de besoin, fut-elle acceptée par la danseuse. Face à ce choix judicieux, ainsi qu’aux manières rassurantes de la jeune femme, Asmodée se détendit et regagna son ineffable sourire, ainsi que son regard malicieux et complice. Xiél ne semblait pas voir froid aux yeux, et était habitée par une froide détermination. Le démon pouvait le voir au travers des iris de la demoiselle. Finalement, peut-être qu’elle était du genre de personnes apte à supporter la découverte du surnaturel, ainsi que des horreurs tapies dans le noir.

« Puisque Carter semblait contribuer à vous fournir des informations, le plus simple serait sans doute de voir s’il y a des choses intéressantes parmi ses effets personnels. »

Asmodée lança un regard en direction du bureau qu’occupait le précédent propriétaire du club. Le déchu n’avait pas encore pris la peine d’y jeter un œil, ni même de s’en débarrasser. A dire vrai, il n’avait pas encore mis les pieds dans cette pièce.

« Je n’ai encore rien touché dans son bureau. Si vous voulez nous pouvons aller y jeter un œil. »

D’un mouvement de la main, le déchu invita la jeune femme à le précéder en direction de la fameuse pièce. A l’intérieur, une odeur de tabac froid épouvantable empestait. Sur le bureau, des monticules de paperasse s’étaient accumulés. L’organisation ne semblait pas être le fort de Carter, ce qui expliquait sans doute en partie le naufrage financier qui en avait suivi. Dans un cendrier, des mégots s’accumulaient, attendant très certainement d’être mis à la poubelle miraculeusement. L’attention du déchu se porta alors sur l’armoire de la pièce. La serrure sur l’une de ses portes devait très certainement être verrouillée. S’il y avait quelque chose d’intéressant, c’était très certainement à l’intérieur de ce meuble.

S’immiscer dans les secrets des gens était l’un des meilleurs moyens d’en apprendre le plus sur eux. Chacun avait sa part d’ombre, et celle de Carter était très certainement dissimulée ici. Outre les magouilles financières dans lesquelles ce type devait trainer, le déchu était certain que Carter avait d’autres cachotteries. A Huntfield, les individus fricotant avec l’occulte n’étaient pas rares, surtout lorsqu’ils étaient à la tête d’entreprise. L’argent et le pouvoir attiraient de manière irrémédiable ce genre de forces … et Carter avait le profil type.

« Est-ce que vous avez une idée de la nature des informations que vous recherchons ? Ce serait plus simple pour savoir où chercher. C’est sans doute en lien avec les tuyaux qu’il vous a déjà fournis. »

Asmodée avait lancé cette phrase avec un détachement le plus total. Même s’il était intrigué par les affaires dans lesquelles son prédécesseur trainé, il ne souhaitait pas l’exprimer ouvertement, ni même le laisser soupçonner.

Xiél avait le sentiment que son patron prendrait en quelque sorte soin d'elle du moins tant qu'elle ne deviendrait pas insupportable comme presque toutes ses collègues. Elle appréciait cela, car même si Carter l'avait aidé, elle avait toujours eu le sentiment qu'il l'aurait vendu si cela avait pu lui permettre d'obtenir quelques privilèges. Même si elle ne comptait pas complètement se reposer sur son nouveau patron, elle était rassurée d'avoir quelqu'un sur qui compter en cas de problèmes. Elle posa les yeux sur le visage de son patron, elle allait peut-être finir par réellement apprécié cet homme, en dehors de son physique qui avait plu en un regard à la rousse, il semblait plutôt gentils, même si elle se doutait qu'il ne l'était pas par simple altruisme. La jeune femme entrouvrit la bouche alors que Ben prononçait son idée. Comment n'y avait-elle pas pensé plus tôt ? Fouillé dans les affaires de Carter semblait être un bon moyen de savoir ce qu'il lui avait caché depuis son arrivée, car elle le savait, il ne lui avait jamais tout dit.

« Si cela ne vous pose aucun problème de fouiller dans les affaires d'un homme à qui vous venez de prendre son ''bébé''. »

À dire vrai l'idée de fouiller dans les tiroirs de Carter lui était déjà venu à l'esprit, mais on peut dire que son ancien patron avait le chic pour s'enfermer continuellement dans son bureau. Elle n'avait jamais posé de questions sur ce qu'il y faisait, par peur d'une réponse un peu trop déconcertante, mais aujourd'hui elle était pratiquement sûre qu'il y cachait quelque chose de plus important que de simples factures impayées.

« Je suis partante, le connaissant un peu je suis pratiquement sûr qu'il cache un tas de choses pas nettes dans ses tiroirs et quand je dis pas net, je ne parle pas de films pornos ... Même si ... Je ne préfère pas savoir. »

Xiél attendit un signe de Ben avait de se mettre en route vers le bureau en question. Le rangement peu organisé de la pièce ne perturba pas la danseuse qui avait l'habitude de voir le lieu dans cet état voir pire. L'odeur par contre la dérangea un peu plus, la nicotine n'avait jamais été son truc, même si dans son adolescence elle était passée par cette case elle aussi, abandonnant tout ça pour des lunettes, une queue de cheval haute et une blouse blanche lui rappelant chaque jour les conseils des médecins contre la cigarette. Elle l'avait répété plus d'une fois à Carter, mais il lui répondait toujours la même chose : « J'ai assez d'ennemis pour savoir que je mourrais de leur main avant que le cancer ne fasse attention à moi. » Elle n'avait jamais pris au sérieux cette réplique, mais à présent, elle comprenait qu'il n'avait très certainement pas tort. Elle se tourna vers Ben lorsqu'il lui demanda quel genre d'information devait-il rechercher. Elle hésita un instant entre cacher la vérité ou bien tout dévoiler. Son choix fut rapide.

« En réalité Carter ne m'a donné que peu d'informations et je sais qu'il en avait bien plus qu'il ne souhaitait m'en donner, du moins pour le moment. »

Son nouveau patron était une personne influente et il souhaitait l'aider, du moins c'est ce que pensait Xiél d'après ses dires, alors pourquoi continuer à cacher quelque chose qu'il découvrirait assez facilement de lui-même.

« Carter m'aidait à découvrir ce qui est arrivé à ma soeur. Ce qui peut rendre les yeux d'une personne noirs. Il m'a informé que si je continuais dans cette voie je me mettrais en danger puis il m'a donné des instructions pour une sorte de rituel dans le but d'appeler quelqu'un qui pourrait me donner quelques informations. »

Maintenant il était trop tard pour revenir en arrière. Elle avait tout dit, du moins en gros. Elle n'avait pas envie de s'attarder sur ce qui était arrivé à sa soeur ni même sur le fait qu'elle avait tenté de la tuer avant que quelqu'un ne la sauve. Elle aurait pu une fois de plus montrer à Ben qu'elle était sûre d'elle et qu'elle n'abandonnerait pas sa quête de vérité, mais elle préféra s'approcher du bureau pour ouvrir le premier tiroir remplit de dossiers personnels sur les employés du club. Dans une autre situation elle aurait très certainement fouillé dans ces pochettes colorées, mais elle se retint. Elle avait autre chose à faire à cet instant, une chose qui avait un sens bien plus important.

La surprise put se lire sur le visage de la jeune rousse lorsque son patron lui soumit l’idée de fouiller dans le bureau de Carter à la recherche d’indice. Sa bouche pulpeuse légèrement entrouverte et son regard stupéfié prouvaient à eux seuls qu’elle ne se serait jamais attendue à une telle proposition de la part du démon. Tout comme Asmodée, la jeune femme se doutait que son précédent boss planquait des choses louches dans ses tiroirs. Carter avait tout du magouilleur qui a toujours quelque chose à cacher.

Lorsque le déchu demanda d’avantage de détails à Xiél sur ce qu’ils devaient rechercher parmi ce foutoir, la jeune femme hésita quelques instants avant de répondre. Visiblement, aborder ce sujet n’était pas évident pour elle … voire, c’était inconfortable. Plus tôt, elle était restée assez évasive sur les motivations qui l’avaient conduite à Huntfield, se contentant simplement d’avouer qu’elle était à la recherche d’une personne. Mais à présent, l’étau de la vérité semblait se refermer sur elle, la plaçant dans une position délicate où les options commençaient à manquer. Si elle désirait obtenir de l’aide, elle devrait y mettre un peu du sien. Comme l’avait dit plus tôt Asmodée, rien n’était gratuit dans la vie. Lorsqu’elle se décida enfin à partager ses informations, le démon resta silencieux face à de telles révélations. Xiél semblait totalement ignorer la signification de tout ce récit. Pourtant, pour l’Exilé de l’Eden, tout était limpide. La sœur de son employée avait été possédée par un démon. C’était la seule explication à cette histoire d’yeux noirs. Et Carter, même s’il avait mis la jeune femme en garde, lui avait donné les moyens d’obtenir des réponses … mais à quel prix ? D’après la jeune stripteaseuse, il lui avait fourni un rituel pour contacter quelqu’un. Ce gros débile avait donné un sort d’invocation à l’une de ses employées. Il lui aurait tiré une balle en pleine tête que le résultat n’aurait très certainement pas été pire.

Son explication donnée, Xiél reprit ses recherches comme pour échapper à son embarras, ouvrant un tiroir du bureau dans lequel elle trouva divers dossiers. Pourtant, elle n’y toucha pas, se contentant de rester immobile, perdue dans ses pensées. Calmement, le déchu se rapprocha d’elle, jusqu’à ne laisser que quelques centimètres entre eux. Toujours avec ce même flegme, il referma le tiroir en silence, attendant que la jeune femme relève la tête et le regarde. Si jamais elle prenait la décision d’exécuter ce rituel, alors elle allait au devant d’un grand danger, Dieu seul sachant ce qui se présenterait devant elle. C’était un coup à ce que son âme lui soit ravie au travers d’un pacte illusoirement profitable, soit typiquement le genre de chose que le déchu n’appréciait pas : que l’on s’en prenne aux mortels qu’il considérait comme étant sous sa protection. Oui, Asmodée pouvait se montrer particulièrement possessif, or il considérait la dépravation et tous ses adeptes comme étant ses biens.

« Un rituel ? », se contenta simplement de demander le déchu comme s’il ne comprenait pas vraiment la signification de tels propos.

Asmodée aurait aimé pouvoir faire en sorte que la jeune femme renonce à l’utilisation de ce rituel. Mais vu son caractère et sa détermination, le déchu dut se rendre bien rapidement à l’évidence : c’était peine perdue. Même si pour un mortel ordinaire, l’idée d’un rituel d’invocation semblait complètement farfelue … le désespoir poussait souvent les gens à commettre les actes les plus vides de sens, afin qu’ils puissent se dire qu’ils ont tout tenté. Or le déchu ne pouvait veiller en continue sur la rouquine, d’autres sujets réclamant également son attention. Pourtant, il restait bien une autre possibilité ...

Le déchu écarta une mèche écarlate du visage de son employée, tout en posant son regard dans le sien. Avec tendresse, il lui caressa la joue de la jeune femme du bout des doigts, laissant son toucher caractéristique agir. Avec une intensité bienveillante, il continua de la fixer droit dans les yeux de son regard vert-noisette. Ce regard à lui seul donnait l’impression d’être une invitation, un point d’encrage donnant l’illusion que plus rien autour n’existait l’espace d’un instant.

« Comptez-vous sérieusement tout faire reposer sur un remède de grand-mère ? », demanda-t-il d’une voix voluptueuse et douce.

Carter avait bien tenté de la mettre en garde, mais les conseils d’un type dans son genre étaient-ils vraiment efficaces ? Et surtout, quelle crédibilité avaient-ils ? Aux yeux du démon, aucune. En revanche, Asmodée espérait pouvoir être bien plus persuasif que son prédécesseur. Il déposa alors sa main sur l’épaule de la jeune femme, cherchant par la même à raviver son attention.

« Qu’importe la personne que les conseils de Carter vous feront rencontrer … restez méfiante, commença-t-il en cherchant à se montrer le plus convaincant. Mais surtout … n’acceptez rien de cette personne et ne lui promettez rien en échange. »

Xiél fut surprise de la réaction de son nouveau patron lorsqu'il se rapprocha d'elle. Un tas de questions envahirent son esprit : voulait-il simplement lui faire du rentre-dedans ? Ou alors était-ce une manière de la mettre en garde, car il en sait lui-aussi bien plus qu'elle sur cette ville et ses mystères ? Ne connaissant Ben que depuis quelques instants, elle ne pouvait pas réellement répondre à cette question. Elle sentie son corps se réchauffer à cette proximité du bel homme d'affaire, elle n'avait jamais su résister à un physique si parfait, bien que cela ne fasse pas tout pour elle. Elle se sentie soudain obligé de lever les yeux vers les siens, humidifiant ses lèvres d'une caresse avec le bout de sa langue. Un frisson parcouru son corps, faisant hérisser les poils de ses bras recouvert de son blouson de cuir qui lui semblait à présent de trop. Elle tentait de comprendre les paroles de son boss alors que ses lèvres ne pouvaient s'empêcher de fixer les lèvres de celui-ci. Il lui fallut alors quelques instants pour que les paroles prononçaient soient totalement traduite.

« Je ne sais pas vraiment comment s'appelle cette chose, mais le nom rituel semblait de rigueur pour une soirée à allumer des bougies et mélanger mon sang avec des herbes qui me sont totalement inconnues. »

À dire vrai, Xiél ne comptait pas énormément sur cette incantation et ces ingrédients soient disant magique, elle allait tout de même essayer rien que pour affirmer que Carter n'était qu'un bon à rien et pouvoir l'oublier plus facilement sans être obligé de lui pardonner ses cachotteries et surtout parce qu'elle ne pouvait pas ignorer la moindre piste sur cette histoire. Un sourire aguicheur pris place sur le visage de Xiél comme par habitude alors que Ben replaçait une mèche de ses cheveux. N'allait-il pas un peu trop loin ? Elle ne pouvait pas dire elle-même si elle aimait ou non cette proximité, alors elle le laissa faire plus souriante qu'outrée par ce comportement de séducteur.

Une sensation de chaleur pris entièrement le corps de la rousse alors que le monde disparaissait autour d'eux. Etait-ce de la drague ? Ou essayait-il de lui faire comprendre quelque chose de plus important ? Xiél avait du mal à comprendre le comportement de son patron, même si cela ne lui déplaisait pas. À présent elle n'entendait plus les mots, mais les ressentait entièrement, comme des souffles chauds dans son cou auparavant chatouillé et humidifié par une langue joueuse. Elle se serait laissé tomber dans les bras de cet homme si la situation ne l'impliquait pas elle et son nouveau patron fraichement rencontré. Ce sentiment intime et profond refroidit sans pour autant disparaitre avec la mise en garde de Ben. Etait-il en réalité seulement inquiet pour elle ? Elle était impressionnée par tant d'attention venant d'un homme qu'elle venait juste de rencontrer et face auquel elle ne s'était pas encore déshabillée.

« Me pensez vous assez naïve pour offrir ne serait-ce qu'un verre d'eau à un inconnu ? »

À dire vrai, ce n'était pas la naïveté de la jeune femme dont devait s'inquiéter Ben, mais plutôt du peu de choses qu'elle avait à perdre à ce moment. Son humanité, ses proches, son travail, son corps, elle aurait très certainement tout vendu si cela avait pu la mener sur le chemin de sa vengeance. Elle avait beau affirmer qu'elle ne se laisserait pas berner, il était sûr que si on lui promettait la vérité, elle ne pourrait pas refuser sans hésitation ces réponses qu'elle attendait.

« Et puis vous savez, me draguer de la sorte ne fera qu'augmenter mon envie de vous plaquer sur ce bureau pour vous embrasser et non pas diminuer mon envie de réponses. »

Une pointe d'humour était toujours sa porte de sortie. Elle ne pouvait pas décevoir Ben en lui disant aujourd'hui qu'elle ferait attention et qu'en rencontrant cette personne elle finisse par tout lui donner, elle préférait ne rien dire et prendre les conseils de son nouveau patron comme référence quand elle rencontrerait cette personne. Elle avait l'impression qu'elle pouvait croire les paroles de l'homme d'affaire, comme s'il savait de quoi il parlait. Peut-être était-ce le cas, mais elle ne pouvait pas lui demander ni même le forcer à parler, alors elle se contentait de se rapprocher à son tour, pour que leur corps se touche à peine, la poitrine de Xiél légèrement appuyer sur le torse de son patron et leurs regards toujours l'un dans l'autre.

« M. Ben, je pense que vous savez des choses vous aussi, mais je ne chercherais pas à vous harceler pour les connaitre puisque j'imagine aisément que vous ne me direz rien, mais sachez une chose, je vous fais confiance alors je retiendrais vos conseils pour les utiliser lorsque le moment sera venu. »

Xiél sourit alors qu'elle avait prononcé cette phrase dans un murmure, comme pour rendre cette scène plus sensuelle. Elle qui auparavant cherchait à garder en tête sa soif de vérités et non pas sa libido, elle n'avait pas su se retenir à l'appel que lui avait fait son patron, que cela soit voulu ou non.

Avec la soudaine promiscuité qui s’était installée entre la jeune femme et son patron, Xiél sembla prise au dépourvu, même si elle tenta de n’en rien laisser paraitre. Pourtant, certains signes ne trompaient pas, et le langage du corps faisait parti des nombreuses langues que maîtrisait le démon. Les joues de la danseuse virèrent légèrement au rouge, alors qu’en même temps les veines de son cou se firent plus saillantes sous l’effet de sa pression artérielle montante. Lorsqu’elle releva son regard sur celui de son interlocuteur, ses pupilles s’étaient légèrement délattées sous l’effet de certaines hormones émotionnelles. Le déchu ne la laissait pas totalement indifférente, son étrange aura ne l’ayant pas épargnée. Remise de la perturbation qu’avait généré ce rapprochement physique entre eux deux, Ginger détailla un peu plus le rituel dont lui avait parlé Carter. Le démon y retrouva les grands classiques en la matière, notamment avec les bougies et l’utilisation du sang comme catalyseur. Ce crétin lui avait donc expliqué comment convoquer un démon, accompagnant simplement son mode d’emploi succin d’une mise en garde des plus dérisoires. D’ici à ce qu’il se soit arrangé pour livrer la malheureuse à une entité avec laquelle il avait également des dettes, il n’y avait qu’un pas à faire.

La manière dont la jeune femme présenta les choses démontrait clairement le peu de conviction qu’elle mettait dans cette technique. Ainsi donc la surprise serait totale lorsque l’invité serait conjuré, et laisserait Xiél non préparée, et donc impuissante. Mais comme pour tenter de rassurer son patron, la jeune femme l’informa qu’elle n’était pas naïve au point de tout accepter d’un inconnu. Devant une telle défense, le déchu laissa échapper un rire sec entre ses dents tout juste dévoilées par son sourire.

« Assez naïve, non … mais prête à tout, indubitablement. »

Finalement, Xiél tenta de trouver une échappatoire à cette conversation en usant de la carte de l’humour. Cherchait-elle à déstabiliser son interlocuteur en le soupçonnant de tenter de la séduire ? Avec son sourire de façade comme elle savait si bien le faire, la jeune femme prétendit avec amusement qu’elle n’était pas prête à renoncer à son désir de réponses, et qu’une partie de galipette avec son patron ne la détournerait pas de son objectif. Le regard du déchu se plissa légèrement d’amusement devant la tentative de la jeune femme. Céder et finir par se jeter sur lui n’était-il pas simplement ce qu’elle craignait ? Le démon le soupçonnait fortement, sachant combien sa présence pouvait s’avérer déroutante.

Mais finalement, la jeune femme se montra plus entreprenante, se rapprochant d’avantage de son patron, jusqu’à se coller à lui de manière équivoque. Sa poitrine contre le torse du démon, elle lui chuchota qu’elle avait bien compris que ce dernier en savait d’avantage qu’il ne voulait bien le dire, mais qu’elle ne chercherait pas à lui tirer les verres du nez. Cependant, elle n’omit pas de préciser qu’elle tiendrait compte des conseils qu’il venait de lui donner. Xiél venait de créer une atmosphère particulièrement intimiste dans le bureau de Carter en agissant comme elle venait de le faire, ce qui ne manqua pas d’amuser le déchu. Vraisemblablement, la jeune femme n’était pas parvenue à contenir la soif qu’avait fait naitre en elle son nouveau boss.

Intérieurement, Asmodée se félicita. A l’aide de ses talents de séduction, il était parvenu à ses fins : mettre en garde Xiél contre les dangers d’Huntfield et la pousser à la plus grande des prudences le jour où elle utiliserait ce rituel. Il en était certain, la jeune femme ne manquerait pas de se rappeler de l’avertissement qu’il lui avait donné le moment venu. Xiél avait beau être têtue, elle restait une personne intelligente. Le danger venait plus de son ignorance que d’autre chose en ce qui la concernait.

Progressivement, le démon réduisit l’intensité de son regard, jusqu’à le rendre totalement naturel. Même si Asmodée n’avait pas quitté une seule seconde son employée de son regard vert-noisette, à présent, elle s’en trouvait libérée de l’emprise quasi-obsessionnelle qu’il pouvait faire naitre. Dans le même temps, le déchu mit la bride à son aura déstabilisante, atténuant autant qu’il le put l’attraction qu’elle générait. A présent, Asmodée semblait simplement être un homme séduisant, sans pour autant faire naitre l’irrationnelle attirance qu’il était capable de produire.

« Bien … je pense que nous ne trouverons rien d’intéressant ici, très chère », se contenta-t-il alors de dire à Xiél sur un ton amusé et avec le sourire, alors que cette dernière était toujours plaquée contre lui dans une attitude des plus aguicheuses.