III.02 - Room from Hell

Le temps se refroidissait. Décembre était bel et bien là avec son bagage hivernal. Huntfield était couvert de neige, les enfants jouaient dehors, les familles commençaient à installer leurs décorations de Noël. Tout ce petit monde semblait ignorer ce qu’il se passait, semblait ignorer que le monde était au bord du gouffre. Noël semblait bien futile lorsque l’on connaissait toutes les facettes de ce monde et que le Diable était sorti de sa cage. Les démons, les anges et toutes les personnes qui connaissaient les récents évènements étaient sur le qui-vive, prêts à agir. Gabriel, lui, vivait sa petite vie tranquille, bien loin des récents évènements. Il ne prenait aucunement part à la guerre, il préférait être un spectateur qui émettait des commentaires par le biais des illusions qu’il pouvait créer. Il aimait bien attraper un humain, une créature, ou encore un ange, pour lui en faire voir de toutes les couleurs. Mais souvent (pas toujours), il y avait une bonne raison derrière cela. Une raison qui méritait réflexion.

Mais un démon était une cible que Gabriel n’avait pas encore exploitée. Il fallait dire que ces créatures étaient le mal incarné. Ils avaient toujours incarné ce que les anges combattaient, mais depuis les récents évènements, la frontière entre le bien et le mal semblait très proche et semblait se confondre à certains moments. L’Embrouilleur avait déjà repéré sa cible, une démone qui s’appelait Eris. Oui, Gabriel aimait bien se renseigner avant de s’attaquer à quelqu’un, histoire d’être le plus crédible possible, de pouvoir jouer sur les peurs, les craintes de ces personnes. Il savait très bien ce qu’il allait faire d’elle, s’amuser un peu et la faire douter. C’était son petit jeu et elle allait devoir y jouer, qu’elle le veuille ou non. C’était ça, le truc avec l’Embrouilleur : il instaurait les règles et il était le seul maître à bord.

Il se trouvait en ville, il attendait de croiser Eris car il savait où elle passait de temps en temps. Lorsque cette dernière fit son apparition, Gabriel s’approcha d’elle, l’air de rien. Il la bouscula volontairement, mais ceci ne ressemblait en rien à quelque chose de volontaire.

- Oh, excusez-moi madame !

Eris pouvait énoncer toutes les insultes qu’elle voulait envers cette personne, vouloir lui faire du mal ou quoi que ce soit, mais elle allait certainement être surprise de voir le visage de son créateur, Caym. Oui, l’Embrouilleur aimait beaucoup faire dans le sentimental pour perturber davantage. Mais ce dernier claqua dans les doigts et Eris s’évanouit. Le réveil allait être douloureux. Ici, on était loin de la froideur hivernale et de la neige qui craquelait sous les pas, ou encore des décorations de Noël. Non, ici, il faisait étonnement chaud pour un mois de décembre. Tout ceci ressemblait étrangement à l’Enfer. D’ailleurs, Eris se trouvait dans une pièce, seule. Il y avait quelques équipements de torture, une grosse porte en bois qui semblait infranchissable. Le doute, la confusion, tout ceci était réuni, pour le plus grand bonheur de l’Embrouilleur. L’Enfer avait été un décor qu’il n’avait jamais utilisé. Mais ça avait son charme… Enfin, pour un démon, certainement.

Tandis que la majorité des piétons étaient à effectuer leur magasinage des Fêtes, Eris elle, circulait sur les trottoirs du centre-ville à la recherche de commerces qui n'offraient pas de jouets, de vêtements, d'outils ou autres machins traditionnellement offerts comme présents à Noël. Si elle se trouvait en ville en ce jour de décembre, c'était uniquement pour dénicher quelques accessoires afin de mieux meubler son... nouveau chez soi. Eh oui, la démone avait finalement sauté le pas et acheté une jolie "cabane" dans la forêt; une maison dont elle était tout de même assez fière. Il s'agissait d'un bâtiment plus ou moins imposant, entièrement construit de billots de bois. La base était en pierres, le toit était de bardeaux alors qu'habituellement on retrouvait des toits de tôle pour ce type de modèle. Elle l'aimait beaucoup, sa planque. Cette dernière était nichée bien au creux des montagnes de Huntfield, loin des regards indiscrets et du brouhaha de la ville mais sans toutefois être trop reculée de la civilisation. Maintenant qu'elle avait son pied à terre, Eris devait le meubler, trouver tout ce dont elle avait besoin pour en faire une maison d'apparence "normale". Pour ce faire, il fallait donc l'équiper de canapés, tables, lits et autres babioles que l'on retrouvait généralement dans une habitation. Les commerces du centre-ville étant nombreux, la démone était certaine de pouvoir mettre la main sur tout ce qui l'intéressait. Et au diable les dépenses! Hem... façon de parler, bien-sûr...

Elle cheminait donc paisiblement en lorgnant à l'occasion dans les vitrines, passait son chemin, serpentait entre les dizaines et les dizaines de piétons aux joues rouges quand tout à coup une étrange sensation l'envahit, un peu comme si une créature indésirable se trouvait dans les parages. L'instant d'après elle se faisait heurter par un homme qui s'excusait poliment de l'avoir bousculée. Elle allait maugréer quand elle s'aperçut que celui qui l'avait accidentellement bousculée n'était nul autre que Caym, son créateur. Comment se pouvait-il qu'elle ne l'ait pas vu arriver?

- Ca...

Le "ym" ne vint pas. Au lieu de cela, un voile noir, lourd et épais s'abattit sur elle, l'emportant temporairement dans le néant.

**

Il régnait une chaleur affreuse, étouffante, une chaleur qu'elle n'avait pas souvenir d'avoir connue... sauf peut-être une fois... ou deux. Cette chaleur s'apparentait à celle vécue lors de ses hallucinations alors qu'elle s'était fait empoisonner à Halloween, avec Caym. Elle s'apparentait également à celle... de l'enfer...? Oui, définitivement, il faisait chaud comme en enfer, ici.

Eris remua doucement, perdue. Quand ses yeux daignèrent enfin s'ouvrir -quoi? elle avait dormi?- elle put apercevoir des instruments qui lui évoquèrent tout sauf un bon massage suédois. Mais qu'est-ce qui se passait? Où était-elle? En un bond elle fut sur ses pieds, un brin inquiète. De quoi se rappelait-elle exactement? De la neige, du centre-ville, des passants... d'un homme la bousculant. Un homme dont le visage était identique à celui de Caym. Bon sang,était-elle en train de perdre la tête?

- Caym...?

Tous ses sens aux aguets, Eris se dirigea vers la grande porte de bois. Elle eu beau faire tout ce qui était en son pouvoir pour l'ouvrir, rien n'y fit. Comment était-il possible qu'une bête porte lui résiste?

- Qu'est-ce qui se passe...?

Était-ce une épreuve? Elle savait Caym capable de magie. Est-ce qu'il était en train de la tester? Si c'était le cas, ce n'était pas drôle du tout. Eris ne se le cachait pas, elle adorait leurs petits jeux de torture mais ne pas savoir ce qui se passait en ces instants était extrêmement perturbant... et désagréable.

Eris était enfermée dans une pièce où une chaleur étouffante était présente. Il n’y avait aucune lumière apparente dans cette pièce. La lumière venait du feu qui se trouvait au coin de cette fameuse pièce. Mais ce feu seul ne pouvait pas provoquer cette chaleur, loin de là. Eris semblait comprendre où elle se trouvait à cet instant, où elle avait atterri, à son grand désarroi, certainement. Eh oui, l’Enfer ! Ce n’était pas très joli, un brin théâtral, mais surtout trop chaud. Mais la demoiselle n’était pas là pour admirer le décor qu’elle devait reconnaitre de toute façon. Non, elle était là pour s’en sortir et essayer de comprendre ce qu’il se passait dans le coin. Elle essayait d’ouvrir cette grande porte en bois, mais ses pouvoirs de télékinésie semblaient inefficaces. C’était le principe, l’Embrouilleur ne voulait pas qu’elle sorte d’ici. Il voulait la perturber, la mettre en position de faiblesse. Les démons l’étaient très rarement, ils s’arrangeaient toujours pour être en position de force, mais là, elle n’était pas maîtresse de son destin.

C’est alors que la porte s’ouvrit dans un grincement et sans qu’aucune personne ne soit présente, Eris put sentir une force la faire reculer pour la plaquer contre le mur. De la télékinésie, sans doute… Quoi qu’il en soit, deux personnes entrèrent à l’intérieur et la porte se referma derrière eux. Ils firent un petit sourire. Il s’agissait d’un homme et d’une femme, tous deux des démons, certainement. La démone fit un pas en avant, le sourire aux lèvres.

- Regarde-toi, chérie… Tu es seule ici, tu n’as pas ton créateur pour veiller sur toi.

Elle était seule, à la merci de ces deux démons et si elle tentait d’utiliser ses pouvoirs pour se débarrasser de ses deux agresseurs, elle allait être bien vite déçue puisqu’ils allaient être inefficaces. Non, elle allait devoir se débrouiller comme le ferait une personne sans l’ombre d’un pouvoir. Mais Eris était forte, mais le serait-elle assez ? Car… Disons que les deux démons avaient une petite surprise à lui montrer un peu plus tard, une petite surprise qui pouvait la briser, briser sa volonté. Quoi qu’il en soit, il fallait vivre le moment présent, car il était plaisant. Enfin, ça dépendait de quel point de vue on se trouvait. Il l’était pour Gabriel, en tout cas.

- Alors, qu’allons-nous faire de toi ? … une idée, Eris ?

S’exprima l’autre démon, bras croisés. Il attendait la réaction de la démone, voire ce qu’elle allait penser de tout ça, de la situation dans laquelle elle se trouvait. Perdue ? Peut-être. Énervée ? Peut-être. Impuissante ? Sûrement. Gabriel s’était arrangé de tout pour qu’elle ne puisse pas prendre le dessus, qu’elle garde toujours un cran de retard.

Si notre démone avait été dotée d'un muscle cardiaque fonctionnel, il aurait assurément battu à tout rompre, sans doute au point de lui défoncer la cage thoracique. Pas qu'elle était une froussarde, non! Mais se retrouver dans pareille situation alors qu'elle n'avait rien vu venir la perturbait un tout petit peu quand même... D'abord, il y avait eu cet étrange sommeil, cette sensation d'être emportée dans un tourbillon sombre puis il y avait eu ce réveil bizarre dans cette pièce inquiétante où il faisait chaud comme dans un four. Comme en enfer, quoi! Qui plus est, la panoplie d'instruments de torture qui étaient accrochés au mur étaient tout sauf rassurants. Il y avait des scies, des pinces, des chaînes, des poignards de toutes sortes, des scalpels, des barres de fer, des cordes, une hache bref, l'attirail parfait du petit bûcheron jumelé avec l'amateur de travaux de construction... et pourquoi pas un peu de celui du chirurgien? Un cauchemar, oui. Si Eris avait aperçu Caym, elle aurait été passablement rassurée mais là, tout de suite, il n'y était pas. Tout ce qu'il y avait était ce feu cuisant qui brûlait avec toute l'ardeur dont il était capable et qui ne cessait de faire augmenter la température de la petite pièce. Un feu bien trop minable pour être à lui seul capable de produire autant de chaleur. Quelque chose clochait et ne pas pouvoir mettre le doigt dessus était insupportable!

- C'est impossible...

Elle avait murmuré ces mots d'une voix basse, pour elle-même. Plus les secondes s'écoulaient, plus la démone réalisait où elle se trouvait. Elle était en enfer. Elle était vraiment, vraiment en enfer!

- Non! Non, non, non!

À ce moment précis, la lourde porte de bois s'ouvrit toute seule, laissa s'échapper un long, très long et interminable grincement. Par la suite, Eris fut violemment projetée contre le mur du fond. La tête de son véhicule cogna dur ce qui la força à pousser un "ah!!" de surprise. La démone retomba ensuite sur ses pieds, porta son regard sur l'ouverture qui laissait à présent entrer deux personnages qui lui étaient totalement inconnus, à savoir un homme et une femme dont l'attitude n'augurait absolument rien de bon. D'ailleurs, la femme ne perdit pas une seconde pour provoquer Eris en lui disant qu'elle était seule, sans Caym pour lui venir en aide. Ça, Eris le savait déjà.

En colère, la démon fit tourner ses yeux au noir, leva les mains et tenta tant bien que mal de repousser la femme pour lui faire subir exactement la même chose qu'elle-même avait subit l'instant d'avant. Force fut de constater que, malheureusement, sa télékinésie était tout à fait inefficace! Secouée, Eris tenta le coup une deuxième fois avec le résultat qu'on connaît; rien ne se produisit.

- Allez vous faire foutre!

Si elle ne pouvait pas se servir de ses pouvoirs, qu'est-ce qui l'empêchait de répliquer avec ses poings? Rien du tout! L'homme se demandait qu'est-ce qu'ils allaient faire d'elle? Elle allait le leur montrer. Maintenant!

Avec toute la colère, la frustration, l'inquiétude et la peur qui la tétanisaient, la démone s'élança vers ses geôliers avec l'espoir de les aplatir et de fuir par la porte. Allait-elle seulement réussir à les frapper avant qu'ils ne se servent de leur télékinésie? Elle n'en avait aucune idée et franchement, peu lui importait. Ce qui comptait était qu'elle n'allait jamais se laisser marcher dessus sans réagir. Elle était féroce et déterminée ça, personne ne pouvait le lui enlever. S'il le fallait, elle allait se battre jusqu'à la fin. Ainsi, même s'il n'y était pas pour le constater, Caym serait fier d'elle...

Eris était à la merci des deux démons. Elle s’était retrouvée dans cette situation sans comprendre comment. Mais c’était le but, Gabriel voulait que tout ceci ne soit qu’un brouillard épais dont elle pourrait sortir que si l’Embrouilleur se décidait. D’ailleurs, il n’était pas encore décidé de le faire, il voulait s’amuser un peu avec cette créature de l’Enfer. Il n’avait pas l’habitude d’utiliser ses pouvoirs sur des démons et c’est pour cela qu’il voulait jauger toutes les réactions de cette dernière. Eris se retrouvait bien vite collée au mur avec deux démons devant elle qui ne semblaient pas vraiment commodes. D’ailleurs, l’un des démons avait pris la parole comme pour provoquer Eris et ceci avait porté ses fruits. Elle n’était pas du genre à se laisser marcher sur les pieds et c’était d’autant plus plaisant.

D’ailleurs, elle décida de ne pas se laisser faire verbalement et physiquement, car elle décida de bondir sur les deux personnes qui la tenaient prisonnière de ces lieux. Elle avait bien vu que ses pouvoirs étaient inefficaces, mais pensait-elle vraiment que ce qu’elle allait faire le serait ? Hum, pas vraiment ! La colère lui faisait faire des choses stupides. Elle réussit à s’approche suffisamment de la femme démon, mais elle fut stoppée par l’autre qui la retenait.

- Désolée chérie, mais ce n’est pas aujourd’hui que tu vas dicter ta loi.

Rappliqua la démone. Elle avait un poignard en main. Mais pas n’importe quel poignard, car il ressemblait étrangement à un poignard céleste. Elle s’approcha d’Eris. Elle le fit glisser sans hésiter sur le ventre d’Eris avant de la poignarder. Une fois. Deux fois. Trois fois. La douleur était présente, le sang semblait bien présent et pourtant… Eris se réveilla dans cette pièce, mais cette fois, elle était attachée par un poignet au mur et les deux démons étaient présents, attendant qu’elle se réveille.

- Je pensais qu’elle avait plus de courage. Dit le démon.

- Non, elle est perdue sans son créateur. Répondit la démone.

Les deux démons souriaient en regardant Eris. Elle était là, elle n’avait aucune égratignure même si les marques des coups de couteau étaient présentes sur son vêtement. Ceci ne pouvait pas être un rêve, car la douleur avait été bien présente et pourtant… Elle était encore vivante et elle ne semblait avoir aucune blessure.

- On se réveille trésor ? Tu n’es pas là pour te reposer.

Le démon fit un petit sourire en regardant Eris. Avant de continuer, elle devait comprendre ce qu’il se passait, car cette situation compliquée s’avérait l’être bien plus que prévu.

La démone avait beau remuer tous ses méninges, rien n'était capable de lui expliquer pourquoi et comment elle s'était retrouvé dans cet endroit. La dernière chose dont elle se rappelait était d'avoir marché dans le centre-ville de Huntfield puis d'avoir été bousculée par Caym. Où diable était-il et comment faire pour le rejoindre? Eris était coincée avec un homme et une femme, sans pouvoirs, sans recours, sans ressources. Elle était livrée à elle-même, perdue et déboussolée. Pour la toute première fois de son existence sur cette Terre -si on excluait les fois où elle s'était laissée dominer par Caym- elle n'avait aucun contrôle sur la situation.  Cela était extrêmement désagréable! Par conséquent, il lui fallait absolument réagir.

La solution qu'elle trouva fut de bêtement foncer sur les deux individus pour tenter de s'échapper par la porte. Malheureusement cela ne porta aucun fruit; l'homme la stoppa efficacement tandis que la femme affirmait qu'Eris n'allait pas faire sa loi en cet endroit.

- N'importe quoi!

Elle voulu à nouveau se jeter sur la femme mais cette dernière brandit un poignard étrange qu'Eris n'avait jamais vu et pourtant, quelque chose lui disait que cette lame était spéciale et surtout très, très mauvaise pour sa santé. Presque en douceur, l'arme glissa désagréablement sur le ventre d'Eris qui contracta tous les muscles de son véhicule, espérant sans doute se rentrer suffisamment le ventre et le durcir pour parer au coup mais ce fut complètement inutile. La lame s'y enfonça cruellement à trois reprises, propageant à chaque insertion une douleur fulgurante qui fit hurler la démone à pleins poumons. Le sang se mis à sourdre, s'écoula avec abondance sur son bas-ventre, sur ses cuisses, sur ses jambes. La douleur ressentie, jumelée à la chaleur étouffante qui régnait dans la pièce eurent raison d'Eris qui ferma péniblement les yeux avant d'être violemment happée par un mur noir.

Lorsqu'elle émergea de son étrange sommeil, patraque et toujours désorientée, Eris s'aperçut qu'elle était incapable de remuer l'un de ses bras comme elle le souhaitait. Un coup d'oeil amoché lui apprit qu'elle était entravée au poignet, encore et toujours aux prises avec les deux démons qui se payaient méchamment sa tête. Elle les écouta discuter d'elle sans gêne aucune, baissa ensuite les yeux pour examiner son ventre. Une brève palpation de sa main libre lui révéla qu'elle ne portait plus de blessures. Ne subsistaient que les traces de coup qui avaient transpercé ses vêtements.  

- Laissez-moi partir!

Elle avait crié, avait tiré sur ses liens, ses yeux noirs de colère. Ils ne la trouvaient pas courageuse? Mais que disaient-ils! Elle avaient essayé à maintes reprises de se battre mais n'avait eu aucune chance. Ils étaient bien plus forts qu'elle! Toutefois, cela n'allait pas l'empêcher de réagir, loin de là!

- Tu sais ce qu'elle te dit ton petit trésor...? Va te faire foutre pétasse!

Elle tira une fois de plus puis se releva, hargneuse et furieuse. Une fois de plus elle tenta d'utiliser sa télékinésie sur les démons mais ne parvint à rien du tout.

- Qu'est-ce que vous me voulez?

Forcément, il y avait une raison à tout ceci.

- Qui êtes-vous?

Pour la énième fois elle tira sur ce qui la retenait au mur, pesta contre cette maudite situation qui échappait totalement à son contrôle. Une chose était sûre; elle n'allait jamais avouer que oui, dans ce cas-ci, elle était totalement perdue sans Caym.

Voir la démone furieuse de ne pouvoir rien faire, d’être totalement perdue et désemparée face à une situation où elle ne contrôlait rien du tout était vraiment plaisant ! L’Embrouilleur, bien qu’il ne s’était pas vraiment montré, prenait plaisir à voir cela. Il appréciait voir la démone se débattre sans pouvoir faire quoi que ce soit et comprendre, petit à petit où il voulait en venir. Eris ne savait pas qu’elle était la victime d’une machination, d’un petit jeu, mais elle allait le découvrir à ses dépens. D’ailleurs, elle l’avait déjà découvert ! En effet, elle se réveillait péniblement après avoir été poignardée violement. Et pourtant… Elle n’avait rien du tout ! Pas une seule blessure se trouvait à l’endroit où la lame avait fendue la chair. Il ne restait qu’une seule marque sur son vêtement comme pour lui rappeler qu’elle avait bel et bien vécu cet instant déplaisant. Eris était attachée, elle voulait partir et ne semblait pas vraiment apprécier qu’on lui donne des petits surnoms. Mais tout ceci était là pour la faire craquer, pour qu’elle perde pied. C’était le but premier de tout cet endroit. Tout ce qui était ici lui était désagréable, à commencer par l’Enfer lui-même et l’absence de son cher créateur qui ne pouvait rien faire à cet instant.

C’est alors, bien qu’elle se débattait encore pour se défaire de cet anneau en métal qui se trouvait autour de son poignet, elle désirait savoir ce que lui voulaient ces démons et surtout, qui ils étaient. Les deux démons ne purent s’empêcher de lâcher un rire qui se fit entendre dans toute la pièce.

- Mais enfin, ça se voit, non ? Nous sommes des démons qui n’apprécient pas vraiment Caym et sa petite protégée.

Les démons eurent les yeux noirs un petit instant afin de rappeler à la prisonnière ce qu’ils étaient vraiment. Le prétexte de ne pas aimer Caym et Eris était un simple prétexte, sans véritable fond. Mais tout ceci pouvait être logique. La démone s’approcha doucement d’Eris, le poignard céleste à la main.

- Et… Surveille ton langage, petite arrogante où tu risques de le regretter ! Ici, tu es seule, sans aucune aide possible. Qu’est-ce que ça te fait ? D’être à la merci de quelqu’un ? Hum… Ça ne t’arrive pas si souvent que cela ! En général, c’est toi qui tient le couteau, hein ma jolie ?

Tout n’était que provocation, tout était là pour qu’Eris se sente mal ! La démone souriait à son interlocutrice et elle n’attendait qu’un seul faux pas d’Eris pour pouvoir s’amuser un peu. Gabriel, toujours en retrait, savait très bien ce qu’il devait faire pour sa part, tirant les ficelles des marionnettes qu’étaient ces démons. Il continuait d’inhiber les pouvoirs d’Eris pour qu’elle se sente impuissante.

Les occasions qui avaient vu Eris être d'aussi méchante humeur étaient très rares. Pourquoi? Parce que la démone avait à peu près toujours le contrôle sur ce qui se passait. Là, ce n'était pas du tout le cas. Il n'était pas difficile de comprendre pourquoi la création de Caym était dans cet état. Rien n'allait. Elle ne comprenait rien. Toute cette mascarade était non seulement incroyable mais surtout extrêmement frustrante. Qui plus est, la démone n'avait pas accès à ses pouvoirs. Elle n'était donc pas capable de se défendre comme il le faut. Elle était aussi vulnérable qu'un simple humain, aussi pitoyable  et lamentable qu'eux. Ce qu'elle aurait donné pour que son cher Caym soit auprès d'elle! Bien-sûr elle avait déjà eu affaire avec d'autres démons, des démons plus puissants qu'elle, comme cette petite peste d'Isatys. Souvent la chance avait été de son côté et elle avait pu s'en tirer. Idem lorsqu'elle s'était retrouvée nez à nez avec cet idiot de Castiel, un ange, de surcroît. Mais là, tout de suite, ces deux démons étaient tout simplement imbattables. Eris ne pouvait absolument rien contre eux et ce qui ne la rassurait guère était qu'ils en avaient apparemment contre elle... et contre Caym! D'ailleurs, lorsque leurs yeux virèrent au noir la démone ne put faire autrement que de froncer les sourcils en signe de grande inquiétude.

- Mais qu'est-ce qu'on vous a fait? Je ne comprends pas!!!

Elle criait toujours, colérique, sans jamais cesser de tirer sur son entrave. Sagement elle écouta la femme lui parler, bouillant intérieurement, des idées de meurtre sanglant hantant son esprit. Et bizarrement -ou pas- malgré l'arme céleste pointée vers elle, Eris osa lui cracher au visage.

- Va chier sale pute!

Jamais elle n'allait se laisser faire. Ce n'était pas son genre et puis elle avait sa fierté. Qui plus est, si jamais Caym venait à entendre parler de cet incident, il saurait qu'elle se serait battue jusqu'à la fin et ça, il allait en être fier parce qu'il l'adorait sa petite protégée et qu'il ne tolérait pas que quelqu'un s'en prenne à elle.

- Pour l'instant tu mènes mais ça finira bien par changer alors prépare-toi à souffrir! Je te garantis que ce poignard c'est toi qui va se le prendre en pleine tronche dans très peu de temps et tu me supplieras alors d'épargner ta sale gueule mais je ne le ferai pas!

En signe de rébellion, elle tira une fois de plus sur son poignet, serra les mâchoires en constatant que le résultat était encore et toujours le même. Sans ses pouvoirs, elle ne pouvait rien faire contre les deux démons.

- Et ça vaut pour toi aussi du con!  Quoi... t'as pas de couilles? Tu laisse ta copine mener le jeu? Qu'est-ce qu'il y a? Tu n'as rien dans le ventre, mauviette?

Eris et l'art d'envenimer les choses... bravo!

- J'ignore pourquoi tout ceci se produit et je ne comprends pas ce qui arrive mais je vous jure que vous allez le regretter tous les deux ainsi que tous les autres qui sont impliqués dans votre sale plan merdique.

Si seulement elle avait su qui était à l'origine de tout ceci elle se serait sans doute calmée. Un peu. Juste un peu.

La situation semblait s’envenimer quelque peu. Eris était là, attachée et elle n’aimait pas cela. Ça se voyait. La protégée de Caym avait l’habitude d’avoir la situation bien en main, mais là, ce n’était pas le cas. Elle était dans une configuration où elle était la victime et ça ne devait certainement pas arriver très souvent. Mais ici, elle ne pouvait malheureusement rien faire, elle ne pouvait que subir. Enfin… Elle semblait vouloir se rebeller, signe d’un grand courage ou d’une grande folie, la frontière était très mince entre les deux termes. Elle était à la merci des deux démons et elle semblait les provoquer. N’avait-elle donc pas peur de mourir ? C’était une bonne question. Elle s’attaqua verbalement à la démone et puis au démon. Elle leur en voulait, c’était certain. Mais malgré tout ceci, elle était dans le flou. Elle n’avait aucun moyen de comprendre ce qu’il se passait, d’ailleurs. Elle n’avait pas tous les paramètres pour comprendre l’entièreté du tableau.

- Tais-toi, pétasse. C’est bien dommage, on aurait pu te garder en vie, on va devoir te tuer maintenant.

Le démon fit quelques pas en avant en prenant la lame que tenait la démone auparavant. Il s’approcha de la démone avec un sourire malicieux, faisant coulisser la lame sur sa joue. Oui, il aimait bien faire durer le plaisir, attendre avant de l’éliminer pour de bon, qu’Eris se rende bien compte de l’erreur qu’elle venait de commettre pour son créateur qui n’était pas présent. D’ailleurs, il devait certainement ignorer ce que sa protégée était en train d’endurer et c’était bien dommage, car s’il tenait vraiment à elle, il aurait remué ciel et Terre pour la retrouver. Mais là, ce n’était pas le cas.

- C’est dommage d’abîmer un joli minois comme le tien.

Il fit un nouveau sourire alors que la luminosité de la pièce s’estompait légèrement. Des applaudissements pouvaient se faire entendre derrière le démon, mais il ne s’agissait pas de la démone et l’origine de ces applaudissements était inconnue. Le démon recula son bras, prêt à planter l’arme dans le corps d’Eris. C’est alors que, lorsqu’il fut à une distance respectable, un petit flash lumineux comme un éclair apparut dans la pièce. Le visage du démon venait de changer complètement, il s’agissait de celui du créateur d’Eris, Caym. Il posa don index sur la bouche d’Eris, comme pour lui dire de se taire et lui planta l’arme en plein ventre. Un grand trou noir et… Eris se retrouva allongée, dans une jolie clairière, au bord de l’eau dans un décor printanier en plein hiver. Eris n’avait plus ses vêtements tachés de sang et imbibés de la sueur de son véhicule à cause de la chaleur, mais d’une robe de printemps, agréable à porter. Elle pouvait entendre les applaudissements, à quelques pas d’elle.

- J’ai adoré, trésor ! Surtout la fin, pas toi ? Enfin, il s’agit peut-être de l’entracte ? Je n’en sais rien encore ! Oh… J’espère que tu ne vas pas faire la tête hein ! Si toi tu as passé un mauvais moment, moi je me suis amusé comme un fou!

Il s’agissait de Gabriel, adossé à un arbre, dégustant une barre chocolatée.

La frustration qui étouffait Eris gagnait en ampleur à chaque micro seconde qui s'écoulait. Plus elle se sentait prise, plus elle rageait, plus elle devenait violente. Violente verbalement, évidemment, puisqu'elle était encore et toujours ligotée à un poignet, incapable de se libérer malgré ses efforts. Sans ses pouvoirs, elle n'était rien d'autre qu'une faible humaine. Se défaire de ses menottes était par conséquent inenvisageable à moins d'accepter d'endommager son véhicule et pour l'heure, Eris ne le souhaitait pas. Si la situation se mettait à dégénérer alors la, elle verrait.

Le démon qui n'avait pas été très actif depuis le tout début s'agita finalement, enlevant la lame angélique des mains de sa comparse avant de s'approcher d'Eris pour venir l'agacer en laissant malicieusement glisser l'arme sur l'une de ses joues. Cette dernière tourna violemment la tête pour chercher à éviter la lame, s'obligeant à ne pas répliquer à la remarque de la démone. Elle voulait la tuer? Ça non, elle n'allait jamais réussir! Quand à ce que lui disait le démon :

- Alors ne l'endommage pas, du con, si tu trouves ça dommage!

Survint alors quelque chose de très bizarre. Comme ça, tout à coup, Eris entendit applaudir. Cela la surprit tant qu'elle cessa tout mouvement, ouvrit la bouche de stupeur et ne fit que zyeuter la pièce où elle se trouvait pour tenter de déterminer ce qui se passait.  Est-ce que c'était une blague? Qui osait se foutre ainsi de sa gueule? Qui était capable d'autant de mystère et de puissance? Jamais, jamais auparavant elle n'avait vécu pareille horreur. Tout ceci la perturbait énormément et bien qu'elle tentait de ne pas le laisser paraitre, la démone était profondément affectée par ce qui lui arrivait.

Tandis que des entités invisibles continuaient d'applaudir, le démon leva le bras en l'air, sans aucun doute pour poignarder à mort sa victime. Eris plissa les yeux, tira férocement sur ce qui l'entravait puis fut tout à coup aveuglée par un éclair dont la puissance était si élevée qu'elle n'eut d'autre choix que de fermer les yeux. Lorsqu'elle les rouvrit, elle découvrit avec horreur que Caym se trouvait devant elle, son visage marqué par un air qui n'augurait rien de bon. Un air qu'elle connaissait déjà et qui signifiait qu'il était en colère. Un air qui annonçait l'imminence d'une terrible punition. Rapidement elle se mit à bégayer, épouvantée.

- Qu'est... qu'est-ce que j'ai fait...? Caym... parle...!

Mais il ne dit rien, s'abaissa plutôt à sa hauteur pour déposer son index sur les lèvres de sa création. Eris frémit puis, sous l'impact de la lame dans son ventre se raidit, ferma les yeux et échappa une faible plainte, étouffée par le doigt qui pesait lourd sur sa bouche. Ensuite tout tournoya et ce fut le noir. Lorsqu'elle rouvrit les yeux, la démone était étendue dans l'herbe. Pendant un moment elle se demanda si elle avait rêvé -chose pourtant impossible- puis réalisa que son cauchemar se poursuivait toujours puisqu'elle entendait encore ces satanés applaudissements qui étaient présents au moment où Caym l'avait poignardée. Au-dessus d'elle le soleil brillait, chaud, mais pas autant que ces flammes de l'enfer qui l'avaient détrempée de bord en bord. Une douce brise soufflait, faisait danser les fleurs, valser les jeunes pousses et remuer les longues branches d'un arbre situé non loin d'elle. Lorsqu'une voix s'adressa à elle Eris bondit sur ses pieds, quelque peu égarée. Confortablement adossé à l'arbre un homme la fixait, un large sourire accroché à sa figure. Il dégustait une barre de chocolat, heureux comme un roi. C'est à ce moment que la démone remarqua qu'elle ne portait plus ses vêtements tachés de sang et troués par tous les coups qu'elle avait encaissé. Au lieu de cela elle était affublée d'une légère robe de printemps toute propre qui lui allait comme un gant. Sur l'instant, l'élève de Caym fut dépaysée puis, la rage qui l'avait habité le moment d'avant refit rapidement surface, modifiant les traits de son visage pour lui donner un air de furie.

- Si j'ai adoré...? Bien-sûr que NON!

Elle se dirigea vers l'homme, bouillante de colère.

- L'entracte? Quelle entracte? Qui êtes-vous? Que me voulez-vous? Caym c'est toi? Si c'est toi, sache que j'en ai marre de ton petit jeu!

Elle s'arrêta face à lui, son visage positionné à environ cinq centimètre de celui de l'inconnu.

- C'était horrible!

Avec attention elle scruta les yeux de l'individu, fora intensément son regard comme pour chercher à déterminer si cette personne pouvait être Caym.

- Des explications seraient les bienvenues... et je te suggère de faire vite parce que je ne suis pas très patiente dans ce genre de situation. Disons que je n'aime pas qu'on se paie ma gueule.

Évidemment elle eut envie de frapper l'homme et de lui faire avaler sa barre chocolatée bien au fond de la gorge mais elle ne le fit pas. Avant, elle souhaitait avoir des réponses à ses questions. Ensuite, si le résultat ne la satisfaisait point, elle répliquerait. Physiquement. Pas verbalement. Ou peut-être les deux. Elle verrait.

Gabriel avait mis fin au supplice de la jolie démone. Elle avait quitté la pièce de l’Enfer pour se retrouver dans une petite clairière, au bord d’un ruisseau dans une ambiance printanière. Il faisait beau, on pouvait entendre les oiseaux chanter, on pouvait voir les fleurs bouger au rythme du vent. Gabriel était adossé au pied d’un arbre et Eris venait de se lever, visiblement furax de tout ce qu’il venait de se passer. Après tout, elle était en face de la personne responsable de tout ceci. Elle s’était approchée de lui et voulait savoir qui il était. Caym ? Oh non, ce n’était pas son cher créateur ! C’était bien quelqu’un d’indépendant à tout ceci et Gabriel fit un léger sourire en mangeant calmement sa barre chocolatée. La demoiselle s’était pourtant approchée vigoureusement vers lui mais il n’avait pas bronché. Elle voulait des explications et très vite, car mademoiselle n’était pas patiente. Il fit un petit sourire en claquant des doigts pour réapparaître à quelques mètres derrière elle.

- Hum… Premièrement, ton cher créateur n’y est pour rien. Deuxièmement, j’adore que l’on me menace ! Que penses-tu pouvoir me faire, ma petite démone ? Veux-tu que je te renvoie dans cette jolie pièce avec tes deux copains ? J’en doute !

Il sourit en mâchant sa barre chocolatée, s’adossant au pied d’un nouvel arbre. Il claqua des doigts et tout le décor changea. L’endroit était identique sauf qu’il s’agissait d’une nouvelle période, l’hiver. Il y avait quelques centimètres de neige au sol, les bords de la rivière étaient gelés. Il n’y avait plus aucune fleur et pourtant, le léger vent était toujours présent.

- Ooooh ! Allez ! Sans rancune ! Tu n’es pas morte ! C’est déjà ça, pas vrai ?

Maigre consolation après ce qu’elle venait de vivre, la pauvre. Mais après tout, c’était une démone, elle était habituée à ce genre de cruauté ? Non ? Enfin, elle était souvent de l’autre côté du couteau, en général. Ça allait peut-être la faire réfléchir de se retrouver du mauvais côté, pour une fois.

- Allez, ça fait quoi de se retrouver du mauvais côté ? Hum ? Personnellement, j’aurais pu continuer pendant des heures ! J’aime bien te voir t’énerver !

Il fit un petit sourire en terminant sa barre chocolatée, glissant le papier vide dans la poche de son jeans tout en regardant Éris qui devait toujours être perdue, car elle n’avait toujours pas l’identité de son tortionnaire. D’ailleurs, elle n’était pas prête de l’avoir.

- Ah oui… Et ne compte pas sur ton petit chéri pour te retrouver d’ailleurs. Disons qu’ici… On est dans mon monde.

Ce sourire qu'il lui servait... lui tombait réellement sur les nerfs. Eris bouillait mais s'appliquait à ne pas le montrer, du moins pas autant que ce qui se passait en elle. Oh Gabriel pouvait bien voir qu'elle était en colère mais ce n'était rien à comparé au feu qui lui brulait rageusement l'intérieur. La démone détestait qu'on se moque d'elle, qu'on se joue d'elle. C'était elle qui menait le bal, pas les autres et le fait de ne pas pouvoir comprendre ce qui se passait était encore plus frustrant, comme ça l'était de voir cet homme continuer de sourire de cette manière en se fichant totalement des états d'esprit de sa victime. N'y avait-il pas moyen de comprendre ce qui se passait...?

Alors qu'elle s'attendait à ce qu'il parle, il ne fit que claquer des doigts, disparaissant soudainement de sa vue. Eris se retourna rapidement, quelque peu stressée. L'homme se trouvait là, derrière elle, mastiquant toujours sa barre chocolatée tout en lui expliquant calmement que l'horreur vécue n'était pas en lien avec Caym. Si cette nouvelle choqua Eris, ce ne fut rien à comparé à la suite. Retourner dans la pièce brûlante avec les deux démons fous? Jamais! Les poings serrés, la démone ne perdit pas de temps à répliquer :

- Jamais je ne vais retourner voir tes deux clowns. Si ça se trouve, c'est toi qui ira!

Il adorait qu'on le menace? Eh ben voilà!

- Quant à ce que je pourrais te faire ohh mon cher... tu n'as pas idée!

Elle savait être très cruelle, bien plus que ce qu'il lui avait fait endurer.

- En fait je pourrais même te traiter d'amateur.

Ouille, il allait falloir qu'elle apprenne à se taire à un moment donné la petite!

- Vas-y, souris, espèce d'idiot!

Et tout à coup, tout le décor changea drastiquement. Le paysage confortable dans lequel ils se trouvaient venait de se couvrir de neige. Les fleurs avaient disparues, les arbres étaient chargés de blanc, la rivière avait gelé. Seul un détail demeurait inchangé; la douce brise n'avait cessé.

- Sans rancune...? Ce n'est jamais sans rancune avec moi.

Bien-sûr, elle n'était pas morte. Elle était tout ce qu'il y a de plus vivant. Et de plus frustré! Ce que ça faisait, de se retrouver de l'autre côté du couteau... était horrible. Surtout lorsqu'on ignorait totalement ce qui se passait. Pour cette raison, la démone se calma un tout petit peu. De toute évidence, il crevait les yeux que celui qui manipulait le temps, qui manipulait les démons, qui la manipulait elle... était bien trop puissant pour être affronté. Définitivement, elle risquait de perdre si elle continuait de lui tenir tête ainsi. Valait peut-être mieux ravaler sa colère et accepter la défaite. Surtout que lui, il appréciait réellement de la voir s'énerver...

- Non, je ne suis pas morte. Pour je ne sais quelle raison, tu as décidé de me laisser la vie sauve. Pour je ne sais quelle raison, tu t'es joué de moi.

Bon, disons qu'elle se doutait un peu que c'était pour lui donner une bonne leçon de morale mais ça, elle n'allait jamais l'avouer.  Que faire alors? Mentir, évidemment!

- J'ai compris ton petit jeu. C'est comme une leçon de morale, c'est ça? Du genre ne fais pas à autrui ce que tu n'aimerais pas qu'on te fasse...

Elle lui balança un sourire mauvais, toujours en colère tandis qu'il terminait sa barre chocolatée, pépère, avant d'enfoncer l'emballage vide dans sa poche. Nous étions dans son monde, disait-il. Mais quel monde?

- Il est où, ton monde? Tu es qui? Tu es quoi? Ça y est, t'as fini? Je peux partir maintenant que j'ai pris conscience de mes actes? Merci, grâce à toi je suis pure! Je vais me faire pousser des ailes et aller protéger ces larves d'humains qui s’entre-tuent.

Bravo Eris, pour ton calme!!! Oh elle ne s'attendait pas à avoir de réponses, évidemment. Mais qui ne demande rien n'a rien, non?

Oh, Eris… Douce Eris… Qu’elle était merveilleuse lorsqu’elle se mettait en colère ! Elle entrait parfaitement dans le jeu de Gabriel et il ne pouvait que sourire face à cette réaction légitime de la démone. Elle osait même provoquer l’Embrouilleur en lui disant qu’elle pourrait le torturer en dehors de son imagination. Ce qu’elle ne savait pas, c’était que Gabriel en avait également, de l’imagination et qu’il n’avait pas blessé Eris volontairement. Car lui aussi, il pouvait la faire souffrir et il n’hésiterait pas si elle avait envie d’une petite démonstration. Mais tout ceci semblait bien futile par rapport au reste. Eris était énervée à cause de l’Embrouilleur, elle venait de vivre un moment qu’elle ne voulait certainement pas revivre. Eris avait certainement plus l’habitude d’être dans l’autre position, à torturer des humains ou d’autres démons. Maintenant, elle savait ce que cela se faisait de se trouver du mauvais côté du couteau.

Le décor venait de changer et Eris venait de dire qu’elle avait compris la leçon. Pensait-elle faire avaler à Gabriel une telle chose ? Non, il n’était pas dupe ! Il avait déjà vu toutes sortes de victimes et Eris n’allait certainement pas s’en sortir comme cela, c’était trop… Facile ! Il savait très bien qu’elle continuerait à agir comme elle le faisait avant de faire la rencontre de Gabriel. Après tout, ceci était dans sa nature. Ce qu’il voulait, c’était lui faire un peu la morale, tout en s’amusant. Par contre, ce n’était pas tout à fait la morale qu’elle venait de lui expliquer. Gabriel n’était pas un optimiste à croire qu’un démon pouvait changer de nature. Oh que non… Disons que sa morale était légèrement différente.

Gabriel ne répondait pas, il préférait continuer à entendre Eris parler, essayer de comprendre ce qu’il se passait. Elle ne savait pas où elle était, elle ne savait pas qui elle avait en face d’elle. Gabriel souriait face à cette nouvelle réflexion de la démone sur sa pureté. Elle ne pouvait pas s’empêcher de faire ce genre de remarque dangereuse. Elle ne savait pas qui elle avait en face d’elle et c’était très dangereux de provoquer quelque chose que l’on ne comprenait pas.

- Oh non, je sais que tu n’es pas pure et je ne cherche pas à ce que tu le sois. Moi-même, je ne le suis pas chérie. Ma morale ? Disons que je voulais voir comment tu t’en sors sans ton créateur... Malheureusement, tu n’es pas grand-chose. C’est même triste… Tu aurais dû voir ta tête lorsque tu pensais qu’il était à l’origine de tout cela !

Gabriel savait également provoquer, mais contrairement à Eris, il avait les cartes en main. Il pouvait le faire, car il savait très bien de quoi était capable Eris.

- Si tu veux, je peux te montrer d’autres endroits peu sympathiques aussi. Tu n’as qu’à me demander ! J’ai également beaucoup d’imagination ! Mais… Je n’ai aucune satisfaction à te tuer, tu es bien plus amusante en vie, ma belle !

Les petits surnoms, il aimait en donner, c’était pour la provoquer. C’était un petit jeu, rien de plus.

Eris haussa un sourcil quand son ravisseur affirma qu'il n'était pas pur lui non plus. S'agissait-il d'un démon? Un démon très puissant? Elle ne ressentait rien du tout, un peu comme si tous ses sens avaient été annihilés par ce malotrus qui ne cessait de sourire tout en se payant joyeusement sa tête. Depuis qu'elle se trouvait en sa présence plus rien n'allait. Elle avait perdu ses pouvoirs de télékinésie, elle avait même perdu sa puissance physique. En temps normal, une simple menotte, corde ou chaine aurait volé en éclats lorsque placée à son poignet mais ça n'avait pas été le cas lorsqu'elle s'était retrouvée coincée avec les deux démons dans cette chambre infernale où brûlait les feux de l'enfer. Telle une humaine, elle était restée vulnérable et démunie, faible et soumise à des forces bien plus grandes qu'elle. Des moments qu'elle avait détesté, d'ailleurs, puisqu'en temps normal c'était elle qui détenait le pouvoir absolu.

Lorsqu'elle y réfléchissait bien, c'était la combinaison de tous ces éléments qui perturbait le plus la démone. Hormis les anges, qui avait le pouvoir de la manipuler de la sorte? Qui avait la capacité de créer de telles illusions? Des illusions si réelles qu'on s'y croyait pour de vrai? Personne. Des démons étaient-ils en mesure de jouer de cette manière? Peut-être les plus puissants, ceux aux yeux jaunes ou aux yeux blancs mais Eris n'avait jamais entendu parler qu'ils pouvaient manipuler d'autres démons de la sorte. Il y avait bien les Djiins qui pouvaient faire rêver mais était-ce possible sur des démons? Sans doute pas, vu que son véhicule à elle était mort depuis un certain temps.

- Tu es un ange, forcément.

Des mots qui avaient été prononcés sur un ton mauvais, presque crachés tant ils étaient emplis de haine. Quant à ce qui concernait Caym :

- Caym m'a déjà joué plusieurs tours, c'était normal que je puisse croire qu'il était à l'origine de cette très mauvaise blague.

Elle le vrilla du regard avant d'ajouter :

- Toi qui semble tout connaitre de moi, tu devrais savoir que je suis jeune et que je ne suis pas pourvue de grands pouvoirs. Tu sais, tu n'es pas mieux que moi. Toi aussi tu profites de la faiblesse des autres pour t'amuser, ne vient pas me dire le contraire!

Eh oui, c'était en plein ce qu'il avait fait! Voilà sans doute pourquoi il affirmait ne pas être pur lui non plus.

- Tu n'es qu'un sale clown! Il ne te manque qu'un nez rouge, des cheveux colorés et du maquillage plein le visage pour compléter le tableau. Certes tu as de l'imagination et des pouvoirs que je n'ai pas mais tu restes un putain de clown!

Est-ce qu'elle le provoquait? Peut-être un tout petit peu. C'était dans sa nature, après-tout!

- Pas besoin de me montrer le reste, je suis capable d'imaginer toutes les bassesses que tu peux faire, Bozzo! Ça sera sans moi. Peut-être une prochaine fois... Ou pas!

Sur ce elle cracha au sol, méprisante, puis lui fit une belle petite courbette de fillette toute polie. Bah elle pouvait se le permettre, il venait de dire qu'elle était plus amusante en vie! C'est qu'il ne comptait pas la tuer, alors! Autant en profiter!

- Un ange ?

Il se mit à rire quelques instants. Avait-il vraiment l’air d’un ange ? Avait-elle rencontré des anges ? Ces derniers étaient tous coincés par leurs principes de bienfaisance. Mais bon, il fallait bien avouer qu’en quelque sorte, elle n’avait pas tout à fait tort. Gabriel venait bien du Paradis et il était bien une création de Dieu, mais il n’était pas un ange. Il était l’un des premiers à être créé et il était doté de pouvoirs bien supérieurs à ceux des anges normaux. Mais tout ceci était bien loin derrière lui, car il avait décidé de quitter le paradis pour devenir l’Embrouilleur. À vrai dire, il avait pris goût aux plaisirs qu’offraient les humains. Eris lui disait que Caym lui avait déjà joué plusieurs tours et donc qu’elle était en droit de croire qu’il était le responsable de ceci, mais ce n’était pas le cas. Le créateur d’Eris n’avait rien à voir avec tout ce petit jeu.

Oui, tout ceci avait été un petit jeu. Gabriel s’était joué d’Eris dans le but de la mettre face à ses responsabilités et face à l’adversité dans une situation où elle n’avait pas l’avantage, une situation dont elle n’avait pas l’habitude de s’y trouver. Du coup, il était normal qu’elle s’en prenne à Gabriel en le traitant de clown. Oh, elle le provoquait encore et ceci lui donnait une bonne petite idée, d’ailleurs.

- Tu as raison, je suis un clown.

Il fit quelques pas dans sa direction avant de claquer des doigts et le décor fondit pour changer totalement. Eris se trouvait éclairée par des projecteurs puissants et attachés sur une roue. Gabriel était en face, à quelques mètres d’elle. Il tenait deux couteaux, les mêmes qui avaient faits souffrir Eris dans cette chambre de l’Enfer.

- Malheureusement, je ne suis vraiment pas bon en lancer de couteau ! Tu acceptes que je m’entraîne ?

Il fit un petit sourire en faisant semblant de se concentrer. Tout autour, il y avait un public, comme dans un cirque où la star se concentrait pour lancer les couteaux et ne pas toucher la cible. Gabriel lança le premier couteau qui se planta juste à droite de la tête d’Eris, à quelques centimètres de son visage. Le deuxième couteau effleura légèrement sa joue gauche avant de se planter.

- Oups… Tu ne t’en sors pas si mal je trouve !

Bien entendu, il mentait. Il se débrouillait bien en lancer de couteau et tout ceci avait été prévu par Gabriel. Il s’avança vers elle, le sourire aux lèvres.

- Je ne suis ni un ange, parce que je t’aurais déjà éradiqué de la surface de cette Terre. Je ne suis ni un clown, car je n’aurais pas abîmé ce joli minois. Alors… Je te conseille de te renseigner sur moi, ma belle… Mais un conseil fais très attention lorsque tu t’adresses à des créatures dont tu ne connais rien du tout, car peu sont aussi cléments que moi.

Il recula un petit peu en souriant.

- Oh… Et n’essaye pas de me retrouver ! La vengeance ne t’apportera rien. C’est moi qui te retrouverai.

Il lui fit un petit clin d’œil avant de claquer des doigts et Eris se retrouva en extérieur, à l’exact endroit même où elle avait pensé bousculer Caym avant que tout ceci se produise.

Hrp: Fin pour moi! Merci pour ce Rp!