III.05 - Shut up and dance

« Merci », lâcha le déchu d’un ton distrait à Stephen après que ce dernier lui ait remis une tablette.

Alors que le barman repartait à ses occupations, Asmodée se tenait debout au centre de la salle principale du Naughty Kitten. Entre ses mains, il tenait l’écran tactile qui contenait des statistiques sur la clientèle du club, ainsi que sur l’activité des derniers mois. Ces précieuses informations permettraient au démon d’évaluer l’impact des derniers évènements qui avaient eu lieu en ville depuis le printemps, sur son business. Cette fin de matinée risquait d’être riche en maux de tête, et la perspective d’étudier cette montagne de données n’inspirait que de la lassitude à l’Avatar de la Luxure.

Comme à son habitude, Asmodée était sur son trente et un : veste et pantalon gris foncé à la coupe parfaitement ajustée, chaussures de cuir verni noires assorties à sa ceinture, chemise blanche rehaussée d’une cravate bordeaux. Avec agilité le démon faisait glisser son index droit sur la surface lisse de la tablette, y faisant défiler tout un tas de chiffres et autres graphiques, alors que son regard aiguisé suivait chaque information et en analysait la signification. Les sourcils froncés sous l’effet de la concentration, le Profanateur du Jardin tira rapidement quelques conclusions et dressa dans son esprit un bilan succinct de la situation. Les affaires n’étaient pas catastrophiques, mais elles avaient également connu de meilleurs jours.

La guerre ouverte entre les agents de Lucifer et ses opposants avaient eu un net impact sur l’activité du club. Les habitants d’Huntfield étaient, de manière générale, moins enclins à se divertir, et c’était aussi valable dans le milieu du charme. Les clients du club étaient donc moins nombreux qu’auparavant. Même s’il était de notoriété publique que le Naughty Kitten était un territoire neutre dans ce conflit, où les règlements de compte n’étaient pas tolérés, l’établissement n’était pas en mesure d’assurer que le voyage de retour se fasse sans anicroche. Une fois en dehors de ses murs, les règles qui régissaient la ville reprenaient leurs droits.

Toutefois, un point positif ressortait de ces tableaux de comptes fastidieux, ce qui permettait de rééquilibrer la balance et de rendre la situation moins tragique qu’elle n’aurait pu l’être. Les clients qui continuaient de fréquenter le club, avaient un comportement nouveau en termes de consommation. D’une part, ils étaient d’avantage de fidèles que par le passé. Bien entendu, le Naughty Kitten avait toujours eu son lot d’habitués, toutefois, ils n’avaient jamais constitué une part importante de la fréquentation. A présent, ils s’avéraient plus nombreux qu’auparavant. D’autre part, la quantité d’alcool consommée sur place pour chaque client avait également augmenté de manière importante. Si six mois plus tôt, un type buvait au maximum trois verres dans la soirée, aujourd’hui, il n’était pas rare qu’il prenne directement une bouteille.

En résumé, le club était moins fréquenté, mais écoulait toujours autant de boissons, ce qui n’était pas sans déplaire au déchu dont les affaires avaient, malgré la situation instable en ville, conservaient une certaine stabilité.

Sans lever les yeux de la tablette, Asmodée s’adressa au barman.

« Stephen, qui est sensé venir s’entrainer ce matin ?

- Il me semble que c’est Xiél.

- Ah … »

Depuis cette étrange succession d’accidents qui avait failli leur couter la vie, Asmodée n’avait jamais pris le temps de discuter de ce qu’il s’était passé avec la jeune femme, ni de ce à quoi elle avait assisté. Non pas qu’il fuyait la danseuse, mais plutôt que la situation ne s’y était jamais vraiment prêtée, sans parler du fait que Xiél s’était également volatilisée durant plusieurs semaines, sans doute à la recherche d’information sur sa quête de réponses.

Xiel avait le trac. Ses mains étaient moites, sa gorge sèche et elle était totalement incapable de tourner la poignée de la porte pour enfin entrer dans sa loge. Elle n’avait pas vu l’intérieur du Naughty Kitten depuis prêt de deux mois et il lui était totalement impossible de repasser la porte comme si de rien n’était. Elle espérait au fond d’elle que personne n’aurait remarqué son absence, mais étant une ancienne employée presque modèle concernant l’assiduité et la présence, elle savait pertinemment que cet espoir n’avait pas lieu d’être. Ce qui la rendait encore plus mal à l’aise était de savoir que Ben était présent. La dernière fois qu’elle avait aperçu son patron, ils avaient failli mourir un par un, mais ce n’était pas le plus dérangeant, non, c’était le fait que Xiél était persuadé que son patron n’était pas celui qu’il disait être. Il n’avait jamais assuré qu’il était humain, mais il n’avait pas non plus précisé s’il avait des ailes, une queue fourchue ou des dents. Elle n’était pas véritablement apeurée par lui, loin de là, mais elle ne savait pas s’il était du bon ou du mauvais côté et si elle servait donc ceux qui pendant deux mois l’avaient torturé sans le savoir.

Après de longues minutes d’attentes à respirer lentement pour calmer son rythme cardiaque, la rousse prit finalement son courage à deux mains pour pousser la porte de l’entrée des artistes. Un long soupire passas ses lèvres avant qu’elle n’avance à travers les divers déguisements et tenues laissées là par ses collègues très peu inquiété par le rangement. Elle fila tout d’abord dans un des vestiaires pour enfiler une tenue comportement un mini short en coton noir, un mini tee-shirt de la même couleur et de s’attacher les cheveux en une queue haute pour que ses cheveux ne la gênent pas durant son entraînement. Avec tout cela, elle enfila deux escarpins pour être sûre de ne pas avoir perdu la main sur ses deux talons aiguilles. Après avoir enfin enfilé la tenue adéquate, elle prit la direction de la salle principale en espérant que Ben soit enfermé dans son bureau à revérifier les comptes ou n’importe quoi, mais lorsqu’elle aperçut une silhouette masculine dans un costume deux pièces, elle comprit qu’elle ne pourrait tout simplement pas l’éviter. Il se tenait droit, les yeux perdus dans une tablette numérique. Elle pensa à fuir pendant un instant, mais elle devrait d’une manière ou d’une autre lui donner des explications sur son absence et repousser le jour de la rencontre ne ferait qu’augmenter le malaise qui la prenait à chaque fois qu’elle s’imaginait en train de lui parler.

Elle finit par rejoindre le bar d’un pas bruyant dû à ses talons qui claquaient à chacun de ses pas sur le sol.

« Barman, un grand verre d’eau pour la rousse qui fait son grand retour. »

Un large sourire avait pris ses lèvres alors qu’elle posait ses yeux sur le jeune homme qui le lui rendit. Rien n’avait changé depuis son absence et cela la réconfortait, elle avait besoin de retrouver sa petite vie, presque tranquille qu’elle avait possédée auparavant. Lorsque son verre tinta contre le bar, elle l’attrapa avant d’en avaler une grande gorgée pour se donner du courage et elle le reposa avant de se diriger vers le grand patron.

« Bonjour Ben… Hum… Je crois que je vous dois quelques explications. »

Elle ne savait pas vraiment par quoi commencé, mais elle savait qu’il n’y aurait jamais de bons moments pour lui parler. Elle devait simplement se lancer et arracher le pansement d’un bon coup sec. Elle releva les yeux vers lui et son cœur s’emballa en un instant, la peur et le malaise se mêlèrent à un désir qu’elle ne pouvait tout simplement pas contrôler face à lui. Après avoir vu ce dont était capable Ben, elle se doutait que cela n’était du qu’au fait qu’il ne soit pas humain, mais elle n’avait su trouver ce qu’il pouvait être et pourquoi il lui faisait cet effet. Elle se contenta alors de rester assez loin de lui pour ne pas assouvir ce désir qui lui picotait le bas-ventre.

Alors qu’il était de nouveau plongé dans l’étude des comptes du club, les réflexions du déchu furent interrompues par le son caractéristique de talons aiguilles martelant le sol dans l’effet d’une démarche dynamique et déterminée. Bientôt le son de la voix de la propriétaire de cette paire d’escarpins se fit entendre, emplissant la salle principale sous sa requête. Xiél venait d’arriver pour sa séance d’entrainement. Après sa longue absence, elle aurait au moins besoin de cela pour se remettre en selle. Une fois désaltérée, la jeune femme s’approcha de son patron. Cette fois-ci, son pas était plus léger, ayant perdu de sa fougue précédente. Sa démarche était comparable au timbre de sa voix : un subtil mélange de malaise et de crainte.

Quittant sa tablette des yeux, Asmodée reporta alors son regard sur l’artiste après avoir légèrement pivoté sur lui-même afin de lui faire face. Ce fut à ce moment qu’il réalisa la distance non négligeable que Xiél avait pris soin d’établir entre eux. Le regard dans un premier temps presque fuyant, la rouquine daigna finalement relever les yeux vers son interlocuteur. Pour toute réponse, l’Infortune d’Eve commença par simplement lui adresser un visage de marbre, conservant le silence quelques secondes, pour finalement prendre la parole.

« Effectivement très chère … On ne disparait pas comme ça sans prévenir durant deux mois … à moins d’avoir d’excellentes raisons. »

Asmodée avait ponctué cette phrase avec un sourire en coin dont lui seul avait le secret. Puis, tournant l’écran tactile en direction de la jeune femme afin qu’elle puisse le voir, le déchu pointa sur ce dernier son index, sans pour autant quitter du regard la jeune femme.

« Peut-être que tous ces tableaux et graphiques ne vous parlent pas beaucoup, alors laissez-moi éclairer votre lanterne : les chiffres d’affaires du club se maintiennent péniblement à cause de la situation en ville. Ce qui signifie que chacun doit faire un effort pour que le navire reste à flot. »

Asmodée prit alors la direction du bar. Une fois arrivé devant ce dernier, il déposa son instrument de travail sur le comptoir, posant son regard sur Stephen, et tournant ainsi le dos à Xiél.

« Bien entendu, si ce club devait fermer, vous, ainsi que toutes les personnes travaillant ici, vous retrouveriez sans emploi … ce qui serait fâcheux, reprit le déchu d’un ton presque pédagogique. Je veux bien faire tout mon possible pour éviter la catastrophe, mais seul … j’ai bien peur de ne pouvoir y parvenir. »

Le Mille et Une Fois Maudit se retourna alors, faisant de nouveau face à la jeune femme. D’un mouvement calculé et précis de la main, il réajusta sa veste, avant de reprendre la parole.

« Alors je vous le demande Mademoiselle Marshall : puis-je compter sur votre soutien et votre investissement professionnel dans cette affaire ? »

Le sourire charmeur s’était à présent évaporé, laissant place à une mine sérieuse et presque sévère. Quant à son regard, le déchu plissait légèrement les yeux, donnant l’impression que ses pupilles s’étaient aiguisées afin de mieux percer les pensées de la jeune femme. Dans un silence pesant, le démon s’était rapproché d’elle de quelques pas, après avoir placé les mains dans ses poches. Pas un seul instant depuis qu’il s’était retourné, Asmodée n’avait quitté du regard les yeux de Xiél, la différence de taille entre eux donnant presque l’impression qu’à présent, il toisait cette dernière.

Lorsque la voix de Ben résonna dans la salle vide, Xiel se crispa, si bien par peur que par envie. Elle avait oublié l’effet qu’il avait sur elle. Elle en était persuadée maintenant, cela n’était pas réel, même en le sachant son corps était irrésistiblement attiré par son patron. Elle tenta d’oublier ce sentiment pour se concentrer sur la conversation et ainsi apporter quelques explications à son patron. Elle ne savait pas si elle arrivait à contenir ses émotions lorsqu’elle devrait lui expliquer qu’elle n’avait pas été absente par envie, mais parce qu’elle avait été retenue prisonnière par une bande de démons. Il lui avait pourtant dit de se méfier de ce qu’elle découvrirait dans cette ville, mais elle n’avait pas écouté, elle s’était peut-être sentie plus intelligente que le danger, malheureusement le vice des démons a été plus fort.

« On croirait presque que vous vous êtes inquiété pour moi, Monsieur Ben. »

Elle avait fait un sourire, geste qu’elle aurait été incapable de faire quelque temps plus tôt, mais reprendre petit à petit ses habitudes avaient un bon effet sur son moral. L’homme tourna la tablette pour que la rousse puisse y lire des informations qu’elle ne comprit qu’après quelques minutes de visualisation. Une légère moue boudeuse prit ses lèvres à la phrase de son patron, elle savait très bien lire ces graphiques, mais elle comprenait qu’ils puissent croire que non, après tout, elle ne lui avait jamais parlé de sa vie à New-York et du fait qu’elle avait travaillé dans un laboratoire de recherche, après tout qui se douterait qu’une strip-teaseuse ait un master ?

« Je n’ai pas toujours été danseuse, vous savez. »

Elle avait tout de même prononcé cette phrase avec un léger ton vexé, mais un léger sourire été placé sur ses lèvres pour montrer qu’elle ne l’était pas réellement. Elle l’écouta tout de même dans ses explications, après tout, elle ne connaissait pas grand-chose au monde des affaires de la luxure, mais elle avait tout de même compris que les affaires n’étaient pas au plus fort sans pour autant être dans le rouge. Elle le regarda jouer son numéro tout en l’informant des informations sur le club. Elle ne s’était jamais intéressée aux fonctionnements de celui-ci depuis que Ben l’avait repris étant certaine qu’il serait à même de prendre en main l’ancien travail bâclé de Carter.

« Pour mon investissement professionnel, je suis venu ce matin cela n’en est-il pas une preuve ? Quant à mon soutien, soyez assuré que je ferais tout pour vous rendre la vie plus facile, absolument tout. »

Elle avait bien insisté sur les deux derniers mots avec une lueur de plaisir dans les yeux, elle ne pouvait tout simplement pas s’empêcher de jouer lorsqu’elle se trouvait face à Ben. Cette façade disparue pourtant assez rapidement, lorsqu’enfin le moment des explications fut annoncé. Stephen venait de disparaitre dans la réserve pour chercher une bouteille ou seulement parce qu’il avait compris qu’il était temps de les laisser seul tous les deux. Xiel perdit quelque peu de son assurance, sans pour autant baisser les yeux.

« Concernant mon absence, je dois vous avouer que j’aurais nettement préféré danser pendant ces deux mois. »

Une lueur de peur et de tristesse passa dans les yeux verts de la rousse, mais elle ne se laissa pas sombrer.

« J’ai été retenu pendant 2 mois par des démons. »

Elle n’avait pas choisi ses mots sans réfléchir, elle voulait savoir s’il était vraiment au courant pour le surnaturel, elle en était persuadée, mais sa réaction au mot « démon » serait une preuve. Elle resta alors de marbre, observant le moindre changement dans son attitude alors qu’elle serrait le poing pour tenir loin de son esprit ses tortures aujourd’hui du passé.

Comme toujours, Xiél parvenait à masquer son inconfort derrière un sourire de façade et des attitudes charmeuses, doublés d’une pointe d’humour provocateur. Le déchu ne pouvait pas lui en vouloir, puisque c’était en partie cette facette de la jeune femme qu’il avait apprécié lors de leur premier entretien. Pourtant, comprenant certainement que son patron n’avait pas vraiment envie de se perdre un peu plus dans ce genre de stratégie, elle sut ne pas en abuser pour écouter ce qu’il avait à lui dire. Quand bien même elle s’était sentie offusquée lorsque Ben avait remis en question ses facultés de compréhension dans le domaine de l’économie et de gestion, elle n’en avait pas fait tout un esclandre, se contenant simplement d’un bref commentaire adouci d’un sourire Xiélien.

Le petit laïus du patron terminé, la jeune femme lui assura qu’elle mettrait tout en œuvre pour aider le club à passer cette sombre période, prenant pour preuve le fait qu’elle était revenue pour s’entrainer en cette matinée d’automne. Puis, vint le temps des explications, ainsi que celui de la perte de cette assurance nonchalante propre à la danseuse. La mine habituellement radieuse de Xiél s’assombrit, faisant comprendre au déchu que la raison de l’absence de la jeune femme n’était certainement pas due à son bon vouloir. D’ailleurs, cette hypothèse fut rapidement confirmée lorsque la rouquine l’informa qu’elle aurait largement préféré danser  durant ces deux derniers mois  plutôt qu’être là où elle avait été.

A ce moment précis, même si son attitude n’avait pas l’engouement habituel que l’on connaissait à Xiél, la jeune femme resta malgré tout très digne. Seul son regard trahissait la profonde terreur que lui évoquait le souvenir de ces deux derniers mois. Ses yeux habituellement si lumineux et pétillant d’espièglerie féminine, semblait à présent éteints, comme si quelque chose en avait étouffé la flamme. Stephen ayant quitté son poste, la danseuse et son patron étaient à présent en tête à tête. La stripteaseuse en profita alors pour annoncer que ces deux derniers mois, elle avait été retenue par des démons, sans autre forme de ménagement. En temps normal, proférer de telles paroles aurait pu la faire passer pour une cinglée. Pourtant, Xiél avait pris le risque de ne prendre aucune pincette pour tenter de maquiller son histoire. Immobile et inexpressive, elle se tenait devant son patron, attendant visiblement de voir la réaction de ce dernier face à une telle révélation. Seuls ses poings serrés et légèrement tremblotants trahissaient son état de stress.

Plusieurs secondes, Asmodée regarda la jeune femme sans dire un mot, se contentant de réfléchir à ce qu’elle venait de lui dire, pour ainsi déterminer la meilleure démarche à suivre. Ce n’était pas faute de l’avoir prévenue qu’elle s’aventurait sur un terrain dangereux lorsqu’elle avait évoqué un rituel dont lui avait parlé Carter. La première question qui traversa l’esprit du démon fut de savoir qui avait pu fomenter cet enlèvement. Quel bâtard avait osé s’en prendre à l’une de ses propriétés ?! Car oui, Asmodée considérait ses employés, au même titre que ses entreprises, comme faisant partis de ses biens personnels, et il voyait comme un véritable affront à sa personne le fait que quelqu’un ou quelque chose cherche à s’en emparer, ou encore ose les abimer ou les détruire. Nul ne s’en prenait aussi impunément aux propriétés du Gardien des Secrets sans en subir les conséquences !

Pourtant, le démon se devait de garder son sang froid et de faire bonne figure. Aussi, il préféra taire la sombre colère qui bouillonnait en lui à cet instant précis. Se laisser aller à un excès de rage n’apporterait rien de bon, quand bien même cela soulageait. Pour l’heure, il s’agissait d’agir avec intelligence afin de faire la lumière sur toute cette histoire. Le temps de la vengeance viendrait ensuite.

Pendant ce temps, Xiél semblait dans l’attente d’une réponse, ou tout du moins d’une réaction de la part de son patron à ce sujet. Asmodée se racla alors la gorge comme pour s’éclaircir la voix et chasser toute trace de contrariété dans cette dernière.

« Bien-bien … c’est un incident fâcheux, et j’en suis navré pour vous », se prononça-t-il d’un ton neutre.

Faisant demi tour en direction du bar d’un pas serein, le déchu se pencha ensuite par-dessus le comptoir pour se saisir de deux verres ainsi que d’une bouteille de whisky.

« Et avez-vous la moindre idée de l’identité de vos ravisseurs, en dehors du fait qu’ils étaient des démons ? Ou encore de la raison pour laquelle ils s’en sont pris à vous ? », demanda-t-il d’un ton calme alors qu’il versait une dose du liquide ambré dans chaque verre.

Asmodée n’avait nulle envie de sermonner la jeune femme en lui rappelant qu’il l’avait mise en garde contre de tels dangers. La leçon avait très certainement été retenue à présent, même s’il était regrettable pour Xiél qu’il eut été nécessaire qu’elle endure une telle épreuve pour comprendre. En rajouter une couche n’aurait rien apporté, la danseuse s’en mordant certainement suffisamment les doigts.

Quant à manifester une compassion excessive ou une empathie mensongère, ce n’était pas le genre d’attitude qu’affectionnait le déchu envers ses employés. Il réservait ce genre de mascarades à ses ennemis, pour ainsi tromper leur vigilance.

Aussi, le Gardien des Plaisirs Impies opta pour une attitude plus flegmatique, se posant dans un rôle de confident et de protecteur éventuel. Bien entendu, son manque d’étonnement, ou même d’inquiétude face à l’idée que des démons étaient responsables de la disparition de la jeune femme, ne manquerait pas d’informer cette dernière que Ben était conscient de l’existence de telles créatures, et que vraisemblablement, il ne les craignait pas. Mais après tout, après cette étrange nuit prés de la voie ferrée, Xiél devait bien avoir des doutes au sujet de son patron.

D’un geste raffiné de la main désignant la boisson sur le comptoir, ainsi que d’un hochement de tête sur le côté, Asmodée invita la jeune femme à le rejoindre pour poursuivre son récit autour d’un verre.

Xiél ne savait pas vraiment s’il était bon de mêler son absence à cette fameuse soirée prête du chemin de fer, mais elle était au moins fixé. Ben n’était ni ignorant, ni humain. Pourtant, cela ne changea rien dans l’attitude de la jeune femme. Elle n’avait pas plus peur de lui en sachant cela qu’auparavant. S’il avait souhaité faire quoi que se soit il l’aurait déjà fait. Elle se contenta alors de maintenir un visage stoïque face à ses émotions encore trop fortes. Elle savait qu’elle allait mieux, elle pouvait enfin quitter son appartement sans avoir peur d’être suivie par un de ces monstres, elle arrivait à poser les yeux sur son reflet dans le miroir sans y voir les nombreuses plaies dont elle était couverte lorsqu’ils s’étaient amusés avec elle. La rousse avait peur de ce monde qu’elle ne connaissait pas, mais puisqu’elle était encore vivante, il aurait été idiot de s’enfermer et de ne plus réussir à vivre. En se levant, elle avait longuement stressé jusqu’à ce que l’envie de danser soit plus forte que tout le reste.

Elle cligna des yeux en entendant la réponse de Ben, elle ne s’attendait à rien d’autre de sa part et son manque de pitié et de compassion ne vexèrent pas la rousse, non, elle était même contente de ne pas avoir à subir de nouveaux cette impression d’impuissance que lui faisait ressentir la peine des autres pour ce qu’il lui était arrivé. Elle n’avait pas l’impression d’être cette pauvre petite fille fragile incapable de faire quoi que se soit de bien pour elle-même. Elle préférait presque le ton impassible de son patron à la tristesse dans les yeux de ceux à qui elle avait déjà raconté tout ça. Son corps se décrispa légèrement, elle avait l’impression que la gravité des évènements avait tout simplement disparu et qu’elle n’avait vécue que des mauvaises vacances. Elle se demanda même durant un instant pourquoi tout ça avait été si dur pour elle.

Les questions qui arrivèrent par la suite la prirent de cours, elle ne savait pas vraiment ce qu’ils s’étaient passé dans ce hangar, ce n’était évidemment pas elle qui était visée au départ, même si sa curiosité avait poussé les démons à la prendre pour cible. Elle s’était trouvée au mauvais endroit au mauvais moment et elle avait posé une question à la mauvaise personne. Elle n’avait pas eu le temps de demander l’identité des démons qui l’avait torturé avant qu’Ariel ne les tue et que le dernier ne prenne la fuite, mais elle savait une chose, il cherchait à faire quelque chose en torturant des humains, peut-être seulement du plaisir, mais quelque chose. Xiel finit par rejoindre son patron après un moment de réflexion, elle ne savait pas vraiment si elle pouvait donner le moindre détail sur tout ça, mais elle essayera au moins.

« La raison est malheureusement ma curiosité, j’étais à la recherche d’un nom et il s’est avéré que certains démons n’apprécient pas qu’une humaine se mêlent de leurs affaires. Je ne savais pas à ce moment-là que ce jeune homme était un démon, mais quand je me suis réveillé entouré par des dizaines d’autre humain enfermé dans un hangar, j’ai fini par comprendre. »

Elle attrapa le verre entre ses doigts pour le pencher en approchant le liquide le plus prêt possible du bord sans renverser la moindre goutte.

« Je ne sais pas comment s’appelaient les démons ni pour qui ils travaillaient, mais ils n’étaient pas les plus hauts placés, je ne sais pas ce que souhaitait obtenir celui qui a commandité la torture de dizaines d’humains ou si le but final était seulement la torture, mais je suis bien contente qu’un ange soit passé par là pour les tuer. »

Elle avait prononcé cette phrase sans faire attention au mot qu’elle avait employé. Après tout, Ben avait conscience de l’existence des démons, comment ne pourrait-il pas savoir que des anges sont aussi présents autour d’eux ? Elle finit par boire une gorgée de la boisson ambrée, puis une deuxième plus importante celle-ci.

« Je sais que vous n’êtes pas humain, je ne sais pas ce que vous êtes exactement, mais j’ai déjà rencontré des démons, un loup-garou, un shape, des anges et des vampires et je ne saurais même pas dire qui sont les gentils et les méchants alors ça ne changera rien pour moi, du moins tant que vous n’essayerez pas de m’arracher le cœur pour le grignoter comme un gâteau apéro. »

Elle avait changé de sujet, comme si elle voulait durant un court instant oublié de nouveau ces évènements. Elle supportait à présent de les avoir subis et elle était consciente que tout était de sa faute, mais elle avait toujours du mal à en parler, même si les mots sortaient si facilement de ses lèvres. Elle posa alors son regard dans celui de Ben, comme si cela pouvait donner plus d’impact à ses mots.

« Je ne sais pas si je fais bien, mais je vous fais confiance Ben. »

A mesure que le déchu réagissait avec une certaine distance à l’annonce de Xiél, le corps de la jeune femme se décrispa, comme pouvaient en attester ses poings à présent moins serrés, ou encore ses épaules plus détendues. Visiblement, la réaction impassible de son patron face à l’annonce de cet enlèvement démoniaque, convenait à la danseuse. Oui, cette expérience était cruelle et difficile, mais c’était le propre de l’existence, et malgré cette épreuve, la vie continuait. C’était ainsi que le percevait Asmodée tout du moins.

Suite à l’invitation de Ben, la jeune Marshall le rejoignit au bar, saisissant son verre, non pas pour le boire, mais plutôt pour jouer avec dans un premier temps. C’était sans doute une manière pour son esprit de canaliser le flot de ses pensées sans flancher, et ceci malgré les souffrances que faisaient remonter à la surface les souvenirs de sa séquestration. Ainsi, Xiél fit part de sa mésaventure. C’était la curiosité qui l’avait conduite dans ce mauvais pas. Ainsi, sa quête personnelle de réponses avait dérangé les mauvaises personnes, ou dans le cas ici présent, les mauvais démons. Prisonnière avec d’autres humains dans un hangar, son calvaire avait alors commencé. Malheureusement, elle n’était pas en mesure de déterminer l’identité de ses ravisseurs.

Silencieux, mais non moins attentif au récit de la rouquine, le Serpent du Jardin nota chaque détail que partageait avec lui son employée. Malheureusement pour cette dernière, la torture fut ce qu’elle reçut pour avoir été trop avide de savoir, et Asmodée savait pertinemment par quels genres de tourments Xiél était passée, ne sachant que trop ce dont les démons étaient capables. Durant toute l’explication de la jeune femme, le démon ne quitta pas cette dernière du regard, une expression impassible sur le visage, tout en faisant glisser avec agilité l’extrémité de son index sur le rebord de son verre dans un rythme à la régularité parfaite. Toutefois, lorsque la stripteaseuse mentionna l’intervention d’un ange, le déchu serra les mâchoires, crispant ses tempes par la même occasion, alors qu’il stoppait au même instant la course méthodique de son doigt sur le verre.

Son explication terminée, la jeune femme but une gorgée de sa boisson, puis une seconde. Cette épreuve surmontée, c’était comme si Xiél s’accordait une certaine forme de réconfort sous la forme d’alcool. Puis, elle reporta son attention sur son patron, annonçant de but en blanc qu’elle savait qu’il n’était pas un humain. Qu’importait sa véritable nature, elle semblait prête à l’apprendre, ses dernières épreuves l’ayant visiblement préparer à affronter le pire. Puis, fixant son regard émeraude dans celui du déchu, elle lui annonça qu’elle lui faisait confiance malgré tout, sans vraiment savoir si elle faisait bien.

Ecartant son verre sans même en avoir bu une gorgée, Asmodée sourit tout en lâchant un rire sec devant une telle annonce, alors qu’en même temps, il jetait un regard en direction de la porte par laquelle avait disparu le barman. Pianotant du bout des doigts la surface du comptoir, il reporta alors son regard sur la jeune femme, arquant un sourcil face à cette situation, un sourire hésitant aux lèvres.

« Le bien … le mal … tout est une question de point de vue, vous ne croyez pas ?, commença le démon. Quant à savoir si vous faites bien de me faire confiance … si vous voulez un conseil : dans ce monde, ne faites confiance à personne, et je dis bien personne. Malheureusement, j’ai bien peur que pour l’instant vous n’ayez d’autres alternatives que de vous en remettre à moi pour vous assurer une certaine forme de sécurité. »

Finalement, Asmodée saisit son verre à pleine main, puis le porta à ses lèvres pour le boire d’une traite. Après l’avoir reposé sur le bar, il lâcha de nouveau un rire nerveux, tandis que le feu de l’alcool lui échauffait l’œsophage. Regardant face à lui, Ben vit alors leur reflet dans le miroir mural devant lequel reposaient un ensemble de verres de toutes formes, ainsi qu’une panoplie de bouteilles d’alcool de tous types. A aucun moment il n'avait nié l'hypothèse avancer par la jeune femme quant à sa nature non-humaine.

« Quant aux anges, croyez-moi … ils ne valent pas mieux que les démons. Ne vous fiez pas plus à eux qu’aux rejetons de Lucifer », lança-t-il avec une pointe d’amertume tout juste dissimulée dans la voix.

L’Avatar de la Luxure reporta alors soudainement son regard sur la jeune femme, la dévisageant l’espace d’un instant. Il avait regagné ce visage flegmatique qu’il arborait lorsqu’il s’agissait de dissimuler ses véritables pensées. Ici, il cherchait avant tout à ne pas montrer la colère qui l’avait précédemment envahi, ou encore la rancœur que l’évocation des anges avait réveillé en lui. Puis, il fit glisser son regard sur le bras de la danseuse, à l’endroit exacte où, presqu’un an plus tôt, elle avait été entaillée par une pelle. Cette même blessure que le déchu avait alors pressé sans ménagement afin d’en recueillir le sang dans le but de bannir un assassin angélique envoyé pour lui par son propre frère. Avec délicatesse, il caressa la peau de Xiél d’un revers de la main, là où elle avait été meurtrie cette nuit d’hiver.

« Etes-vous réellement certaine de vouloir savoir qui je suis ? Après cela, vous ne pourrez plus faire marche arrière, annonça-t-il. La Connaissance est parfois bien plus dévastatrice que l’ignorance, et son poids bien plus lourd qu’il ne le laisserait penser au premier abord. »

Xiel était plus à l’aise à présent, les passages difficiles avaient déjà été prononcé, et même si elle n’était pas totalement décontractée face à son patron, elle ne se sentait plus aussi faible qu’auparavant. Peut-être était-ce tout ce qu’il lui fallait pour avoir l’impression de pouvoir se reconstruire ? Peut-être aussi n’avait-elle pas conscience que se confier de la sorte même à son patron lui faisait beaucoup de bien et cela était surement dû à sa réaction. Elle avait tenté de se dire que son séjour n’était rien, mais la pitié dans le regard des gens ne l’avait pas aidé et sa propre peur l’avait conduit à se dire que jamais elle ne pourrait oublier. Dédramatisés, ces événements étaient la seule chose qui avait fonctionné pour le moment. Elle ne baissa pas les yeux comme elle aurait pu le faire auparavant lorsque Ben soutint son regard. Sa réponse crispa durant un court instant, la jeune femme, quelque peu déranger par ce système de fonctionnement, mais elle ne pouvait pas le contredire et alors qu’elle s’apprêtait à lui répondre une phrase pleine de positivisme sur la race humaine, elle abandonna avant même d’entrouvrir les lèvres, se contentant de s’affaisser sur sa chaise en comprenant qu’elle était vraiment seule dans ce nouveau monde qu’elle avait tant désiré comprendre.

Elle prit en compte chacune de ses remarques en les laissant dans un coin de sa tête, après tout la première fois qu’ils s’étaient rencontré, il lui avait bien dit de ne pas faire confiance à la personne qu’elle rencontrerait en pratiquant le sort de Carter, et même si elle n’avait pas pris en compte ce conseil, elle n’avait pas accepté de pacte trop rapidement et elle avait bien fait, elle le savait à présent. Même si Ben venait de lui affirmer qu’elle ne pouvait pas lui faire confiance, elle prendrait en compte ses remarques, cela ne pourrait que la protéger, il en savait bien plus qu’elle sur ce monde après tout.

Xiél leva tout de même un sourcil interrogatif vers son patron lorsqu’il assura que les anges étaient tout aussi pourri que les démons. Elle avait du mal à le croire après avoir été sauvée par l’un d’eux et avoir apprécié l’aide d’Anaëlle dans sa quête de réponse. Elle avait du mal à imaginer Ariel s’en prendre à des humains comme les démons l’avaient fait, mais puisqu’il le disait, autant le croire. Xiél avait encore de nombreuses incompréhensions concernant ce monde, mais elle ne souhaitait pas arrêter sa quête de vérité, elle ne pouvait tout simplement pas s’arrêter maintenant, mais elle ne se doutait pas qu’il y eût encore bien pire qu’être torturé par des démons. Et même si Ben lui avait soutenu qu’elle ne devait faire confiance à personne, en sa compagnie à cet instant, elle se sentait étrangement protégée, peut-être que tout cela n’était dû qu’au fait de savoir qu’il n’était pas un humain aussi faible qu’elle l’était. Ce sentiment était infondé après tout, il aurait très bien pu la sacrifier contre sa propre vie si jamais la situation le demandait, elle le savait pertinemment, Carter l’aurait fait lui.

Soudain, la rousse sursauta en sentant le contact de la main de son boss contre son bras. Un mélange de peur et de désir s’était insinué en elle durant un moment et elle eut un rapide mouvement de recul avant que la peur ne disparaisse et qu’elle reprenne place, un léger sourire sur les lèvres qu’elle affichait plus pour se rassurer elle-même que par envie. Elle hésita un instant, un long moment avant de répondre à Ben.

« Vous savez, j’ai abandonné ma famille, un travail parfait et un fiancé pour venir ici il y a un an et sans aucun regret, car ne pas savoir ce qu’il était arrivé à ma sœur m’empoisonner la vie si bien que je me suis senti libéré en quittant New-York pour venir dans cette ville dont je ne connaissais rien. Aujourd’hui, je suis strip-teaseuse et j’ai plus souffert en deux mois que dans toute ma petite vie… »

Elle attrapa alors son verre pour avaler les dernières gorgées du breuvage qui lui brûla avec douceur la gorge. Le regard en direction de son propre reflet, elle ne semblait pourtant même plus se voir.

« J’ai tout abandonné pour cette soif de vérité, je ne peux pas m’arrêter maintenant. C’est un choix idiot, je le sais, mais on va dire que dans tout ce foutoir, j’ai encore besoin de contrôler quelque chose dans ma vie pour ne plus être dans un doute constant. Dans cette ville tout n’est que mensonge et j’aurais bien besoin d’un point de lumière… Je ne sais pas si vous comprendrez, mais je préfère savoir quite à subir de nouveau plutôt que de rester dans le flou en ne sachant pas à quoi m’attendre. »

Elle ne savait pas vraiment si elle avait réussi à s’exprimer avec clarté, les émotions ayant pris le dessus durant son discours, mais elle était certaine à présent de ce qu’elle devait faire.

« J’en suis certaine, Ben, sauf si vous me dites que c’est un de ses secrets qui vous oblige à me tuer si vous me le racontez. »

Elle termina sa phrase avec un sourire dont elle avait le secret, l’humour lui permettant de se rappeler la femme qu’elle était auparavant.

Observant méticuleusement la rousse assise à ses côtés, Asmodée ne manqua pas de relever chacune de ses réactions, le moindre geste de la jeune femme, volontaire ou non, traduisant une pensée ou un trouble chez celle-ci. C’était le fondement même de l’expression corporelle, cette forme de langage inné que chaque être vivant détenait spontanément, en usant à chaque instant de sa vie, parfois même sans s’en rendre compte. De cette observation résultait souvent d’avantages d’informations que ce que la parole pouvait fournir, avec une objectivité et une honnêteté souvent bien plus poussées.

Xiél semblait plus stable qu’en ce début de conversation. Certes, elle n’était pas redevenue la jeune femme pleine de fougue et d’assurance que le démon avait connue lors de leur première rencontre, mais elle paraissait beaucoup moins hantée par sa malheureuse expérience. Son regard fuyant au départ, parvenait à présent à soutenir celui du déchu. Sa voix regagnait en clarté, le voile d’angoisse qui jusqu’à maintenant la recouvrait s’étant levé. Sa manière de s’exprimer, ses tournures de phrases elles-mêmes avaient recouvré d’avantage d’assurance et d’aplomb.

Même s’il sembla que pour la jeune femme, l’idée que les anges puissent être aussi dangereux que les démons, sapa quelque peu ses acquis dans le domaine du surnaturel, elle parvint à rebondir avec assez d’aisance pour ne pas se laisser abattre par une telle nouvelle.

Ce regain de confiance approprié, Xiél fut alors en mesure de répondre à son patron, argumentant son choix avec la conviction qu’il lui avait connu un an plus tôt. La jeune femme avait tout abandonné dans l’espoir de trouver des réponses à ses questions, si bien qu’elle estimait que renoncer aujourd’hui reviendrait à tout avoir sacrifié pour rien. Forte des souffrances qu’elle avait dû endurer, elle se savait à présent capable de soutenir l’effroyable cruauté que pouvait revêtir le Savoir. Xiél exprima très clairement qu’elle ne désirait plus se tenir dans le camp des ignorants, mais qu’au contraire, elle était à présent prête à tout par soif de Connaissance.

Cette obstination, ainsi que les motivations que poussaient la jeune femme à aller de l’avant dans son désir de savoir, forcèrent le respect du déchu. Les paroles de Xiél étaient étonnamment pertinentes pour une créature de son âge, signe d’une certaine forme de sagesse. Toutefois, ce chemin dangereux sur lequel elle s’engageait était semblable au fil d’une lame avec de part et d’autre un gouffre sans fond. La récompense de la course à la Connaissance n’avait pas de prix, toutefois, le moindre faux pas était l’assurance d’une damnation éternelle.

Plusieurs secondes, le démon des Plaisirs étudia la situation, le regard à la fois intrigué et amusé par la jeune femme et son obstination. Elle semblait prête, et l’entêtement dont elle savait faire preuve la pousserait à ne pas lâcher le morceau avant d’avoir obtenu ce qu’elle voulait.

« Très bien … », lança alors Asmodée d’un ton résigné, tout en s’assurant qu’ils étaient toujours seuls dans la salle.

Avant de se lancer, le déchu ajusta une nouvelle fois les manches de sa veste, geste futile plus qu’utile puisqu’aucun pli n’y était présent.

« Comme vous l’avez deviné, je ne suis pas humain … je ne l’ai d’ailleurs jamais été, annonça-t-il en souriant. De manière générale, on me classe dans la catégorie des démons … même si à mon goût, ce terme est bien trop réducteur pour me décrire avec précision. On me connait entre autre sous le nom d’Asmodée … mais il va de soit qu’en ce lieu, vous devrez continuer de m’appeler Ben. »

Le déchu adressa alors à son employée un clin d’œil complice, tout en lui souriant avec d’avantage d’éclat.

« Très bien… »

Les mots retentirent dans l’esprit de la rousse comme le début de sa libération, elle allait enfin avoir des réponses pour au moins une de ses questions. Elle était torturée par le manque de savoir dont elle faisait preuve, et même si elle était faible, elle avait besoin d’obtenir des informations, peut-être que cela pourrait la protéger dans une mauvaise passe. Elle n’arrivait pas vraiment à imaginer ce que pouvait être son patron, elle avait quelques idées de ce qu’il n’était pas par exemple : un ange. Cela lui paraissait véritablement étrange qu’un ange soit le patron d’un club de strip-tease et d’après ce qu’elle avait aperçu des anges, il ne semblait pas être dans leur norme. Elle l’étudia alors un moment pour tenter de trouver un indice, mais il n’y en avait aucun. S’ils ne s’étaient pas retrouvés en mauvaise posture l’hiver dernier, elle n’aurait très certainement jamais su qu’il n’était pas humain. Après tout, il semblait s’inquiéter de son apparence comme tout être éphémère sur cette planète, elle n’avait pas l’impression qu’un destin plus grand lui pesait sur les épaules et il semblait presque trop « normal » pour être surnaturel. Même si son aura était tout de même assez étrange.

Les explications commencèrent alors et Xiél retint chaque mot comme s’il décrivait une histoire qu’elle se devait absolument de connaitre. Elle ne voulait rien louper de son aveu. Elle resta donc attentive à chaque tournure de phrase et précision qui semblait être inutile aux premiers abords, mais qui en réalité apportait bien plus que les informations données consciemment par le démon. À l’entente du mot démon, Xiél eut une crispation incontrôlée, elle se cambra sur sa chaise resserrant ses mains l’une dans l’autre. Elle n’avait pas voulu sembler apeurée ou fuyante, mais elle était encore touchée et ne pouvait pas calmer ces réflexes d’angoisse. Elle ne prit pourtant pas la fuite, son regard vert toujours ancré sur son patron qui parlait avec calme. Elle l’écouta jusqu’à son dernier mot, jusqu’à son dernier sourire qui lui faisait croire que ce qu’il venait de prononcer ne pouvait être vrai. Il ne connaissait rien et elle savait que ses anciennes perceptions du bien et du mal allaient devoir se modifier. Dans ce monde, elle ne pourrait pas deviner seulement par le sourire d’une personne s’il mérite sa confiance ou non. Elle avait encore du mal à s’y faire, mais elle réussirait à ne plus croire en toutes les paroles d’un homme seulement parce qu’il a l’air plus aimable que le reste des habitants de cette ville.

Un moment de flottement eu lieu et finalement, elle offrit un large sourire.

« Je ne souhaite en aucun cas, vous apportez de problèmes, je ferais exactement ce que vous me demanderez concernant toutes les informations que vous me confierez. »

Il avait beau lui avoir dit de ne pas lui faire confiance, elle ne pouvait tout simplement pas briser son secret, il s’était confié sans aucune obligation après tout.

« Mais quand vous dites que vous n’avez jamais été humain… Cela veut-il dire que vous êtes comme les anges ? »

Elle avait beau être ignorante sur beaucoup de sujets, elle avait fini par comprendre que les démons n’étaient rien d’autre que des âmes humaines torturées, mais qu’ils avaient bien été humains à une époque. Contrairement aux anges qui eux étaient nés ange tout simplement. Elle avait du mal à imaginer qu’Asmodée puisse être un ange, mais à sa connaissance, seules ces créatures avaient cette spécificité, mais elle ne connaît pas tout évidemment.

« Et vous savez, sans vouloir vous vexer, j’avais beaucoup de mal à vous imaginer en gardien du ciel… Votre métier doit être un peu trop dépravant et amusant pour les créatures ailées, non ? »

Elle eut un léger rire, rendant son sourire à Ben pour lui montrer ne serait-ce qu’un peu que ces révélations ne lui faisaient pas peur, du moins pour le moment.

Aussi attentive que silencieuse, Xiél ne perdit pas un mot des explications que lui fournit son patron. Toutefois, lorsqu'il mentionna être un démon, il sentit chez cette dernière une certaine crispation. Ses mains s'étaient resserrées l'une sur l'autre, tandis qu'elle s'était raidie sur son tabouret. Evidemment, au regard de sa dernière expérience avec des démons, il n'était pas étonnant de voir chez elle se manifester une telle réaction. Toutefois, et ceci malgré l'horreur qu'elle avait très certainement traversée, la danseuse continua d'écouter les propos du déchu, maîtrisant la peur qui s'était soudainement réveillée en elle à la mention de telles créatures.

Une fois qu'il eut terminé, la jeune femme conserva le silence plusieurs secondes, se donnant sans doute le temps de la réflexion. Ce qu'elle venait d'apprendre n'avait rien d'anodin, c'était un pas de plus dans ce monde dangereux qu'était le surnaturel. Puis, elle afficha un large sourire, preuve qu'elle était parvenue à surmonter son effroi. Comprenant parfaitement ce qu'avait insinué son chef, elle lui assura alors de faire en sorte de préserver sa couverture au sein du club. Puis, ce détail réglé, elle demanda d'avantage de précision sur un point qui avait visiblement retenu son attention : le fait qu'Asmodée avait précisé n'avoir jamais été humain par le passé, contrairement aux démons les plus communs. S'appuyant sur les quelques connaissances qu'elle avait glanait ici et là, la jeune femme demanda si cela impliquait que le Gardien des Plaisirs était comme les anges, rajoutant qu'au regard du milieu dans lequel il œuvrait, elle avait du mal à le voir comme l'une de ces créatures célestes.

Asmodée ne put alors se retenir de lâcher brièvement un rire franc. La stripteaseuse n'avait pas entièrement tort : les anges étaient des créatures bien trop coincées du cul pour pouvoir apprécier la vie sous tous ses aspects, notamment les plus amusants.

" Je dois admettre que la question est pertinente, commença alors le démon. Mais, au risque de bousculer vos préjugés, et bien ... à l'origine, sachez que j'étais bel et bien un ange. Toutefois, cela fait fort longtemps que l'on ne me considère plus ainsi. "

S'emparant de la bouteille de whisky, le déchu en versa dans chacun des deux verres placés devant lui. Rebouchant le goulot, il observa alors son reflet dans le miroir. Il était évident qu'à présent la jeune femme était en train de se demander comment un ange pouvait devenir une telle créature, alors qu'au départ, ces êtres n'étaient que pureté et perfection. Le souvenir de cette histoire de la vie du démon effaça définitivement toute dernière trace du moindre sourire, cette période ne prêtant vraiment pas à rire. Buvant une gorgée pour faire passer l'amertume du passé, Asmodée préféra prendre les devants et répondre à cette question avant que la danseuse ne la pose.

" Et oui ... l'Enfer n'épargne personne ... pas même les anges qui ont le malheur d'y être envoyés. Père a toujours été quelqu'un ... d'excessif ... surtout dans Ses châtiments. "

D'un geste vif, le démon termina son second whisky d'une traite pour chasser la rancœur qui commençait à lui embrasser les entrailles. En le reposant, il fit claquer le cul de son verre sur le zinc du comptoir, comme pour l'aider à passer à autre chose. Ainsi, lorsqu'il reporta son attention sur Xiél, son sourire provocateur était de retour, ainsi que la malice dans son regard.

" Mais c'est du passé ! A présent, j'ai troqué ma place de vigile du pommier au LSD, pour celle d'expert en sexologie, et croyez-moi, c'est carrément plus l'éclate. Alors oui, avec le temps, je me suis fait quelques ennemis, j'avoue ... le coup de la pomme n'est pas trop passé, allez savoir pourquoi ? Quant à mon projet immobilier à Sodome, on m'a refusé le dossier ... Pourtant, c'était un véritable tabac, les gens en étaient raides-dingues ! "

Un air satisfait et comblé sur le visage, le déchu poussa alors un soupir épanoui.

" Mais bon, à faire dans l’événementiel de masse, on se fait trop rapidement repérer. C'est la raison pour laquelle, malgré ma carte de membre du club des "Sept Magnifiques", j'ai décidé de me montrer moins ... exubérant cette fois-ci, d'où les clubs du milieu de la nuit comme le Naughty Kitten. "

La réponse d’Asmodée laissa Xiél perplexe durant un instant. Les anges pouvaient donc déchoir. Elle avait beau ne pas être croyante certains évènements bibliques restait de véritable mythe, comme la chute de Lucifer et elle comprit qu’il avait certainement vécu la même chose. Son patron avait beau être un démon, elle ressentit de la compassion pour lui. Elle ne savait pas vraiment quoi dire, mais elle se doutait qu’il n’avait pas pu vivre cet évènement comme un simple passage à la majorité comme le faisaient les humains. Le nom de Père fit tilt chez la danseuse qui leva un sourcil. Parlait-il de Dieu ? Xiél aurait ignoré ces paroles si elle avait été devant quelqu’un d’autre. Elle n’y avait jamais pensé, mais puisque les anges et les démons existent, pourquoi Dieu ne régnerait-il pas sur les cieux ? Elle resta muette, incapable de trouver les mots pour le réconforter, en avait-il seulement besoin ? Un démon peut-il seulement ressentir la moindre émotion ? Durant un instant, la douleur qu’elle avait endurée à la présence de certains de ses compères disparus, le fait que lui-même soit un serviteur des ténèbres fut oublier et elle déposa délicatement sa main sur la sienne qui enserrait toujours son verre. Elle était réellement attristée par son histoire, qu’importe si lui l’était encore ou s'il l’avait jamais été. Il n’avait beau pas être humain, Xiél était faible et ne supportait pas de voir qui que ce soit souffrir.

Lorsque son sourire refit surface, elle retira sa main et le lui rendit, elle n’était pas là pour lui rappeler de mauvais souvenirs, elle ne le voulait pas. Elle l’écouta, riant légèrement à ses explications plus qu’humoristiques et elle mit sa souffrance de côté puisqu’il tenait à la cacher pour seulement l’écouter.

« Je comprends mieux maintenant pourquoi vous sembliez si à l’aise avec cet endroit. J’imagine qu’un être humain a bien trop de limites pour vendre réellement du rêve dans un endroit comme celui-ci. La première fois que je vous ai rencontré, j’ai pensé que vous étiez seulement un homme parfait. Séduisant, intelligent, intéressant et doué en affaire, mais en réalité, vous trichez, je savais bien que le prince charmant n’existait pas. »

Xiél leva les yeux au ciel pour théâtraliser ses propos, puis elle avala la moitié de son verre, ne souhaitant pas flancher trop rapidement à l’ivresse. Elle avait du travail et elle ne pourrait certainement pas le faire, si elle n’arrivait même plus à tenir sur ses talons. Son regard se perdit à travers le liquide ambré et durant un instant, elle reprit son sérieux, une question la taraudant.

« Vous m’avez dit que les anges ne valent pas mieux que les démons et je vous crois évidemment, vous les connaissez bien mieux que moi, mais j’ai déjà rencontré ces deux espèces et pour tout vous dire, l’ange m’a sauvé la vie face aux démons. J’aurais donc tendance à me tourner vers eux si jamais un problème venait à m’arriver. »

Elle ne voulait pas vraiment avoir à appeler de nouveau un ange, ils avaient surement mieux à faire que s’occuper d’une humaine comme elle, mais elle ne pouvait pas non plus espérer qu’un démon vienne la sauver. Elle avait fini par comprendre qu’il ne marchait en aucun cas par la bonté, mais plutôt par l’intérêt. Ce n’est pas pour rien qu’ils font des pactes après tout.

« Après je sais que les anges en savent moins sur les humains qu’ils pensent le croire et s'il y avait un moyen de se mettre un démon dans la poche sans craindre de mourir à tout instant d’un claquement de doigts, je le prendrais. Les « mauvais » en savent toujours plus. »

Elle était sérieuse dans ses paroles, il y avait un démon qui savait qui avait tué sa sœur et elle avait besoin de cette réponse, même si cela voulait dire pactiser –sans avoir à vendre son âme- avec les ténèbres. Il suffirait de savoir ce que désirait un démon en dehors d’une âme humaine pour avoir la possibilité d’obtenir quelque chose de lui, mais encore une fois, cela n’assurait en rien sa survie, il pourrait très bien la tuer après avoir obtenu ce qu’il désirait sans avoir à régler sa partie de contrat et Xiél le savait. Elle attrapa son verre et avala la fin de celui-ci, commençant doucement à sentir le monde tourner autour d’elle. Le premier verre venait de commencer à faire effet.

« N’y a-t-il vraiment aucun humain qui souhaite venir en aide aux démons ? »

Elle avait posé cette question sans vraiment réfléchir, c’était étrange, mais elle avait senti le besoin de la poser.

Xiél resta silencieuse alors que le déchu lui révélait une part de la vérité. Soudain, Asmodée sentit la main de la danseuse se poser dans un geste de compassion sur la sienne. Ce geste affectif prit par surprise le démon, qui ne put s'empêcher de serrer légèrement les mâchoires. Non pas qu'il n'avait pas l'habitude de faire naître ce genre de sentiment chez les mortels, bien au contraire, mais plutôt que généralement, c'était une réaction qu'il provoquait volontairement chez eux. Or, à cet instant présent, Miss Marshall avait agi de son propre chef, nullement forcée par les atours si particuliers du Gardien des Plaisirs.

La jeune femme ne retira sa main que lorsqu'elle sentit son patron se détendre, et passer à autre chose. A son tour, elle lui sourit. Finalement, lorsqu'Asmodée termina son récit, Xiél lui fit part de son point de vue. A la lumière de ces nouvelles explications, elle comprenait mieux ce qu'elle avait ressenti lors de leur première rencontre, ainsi que durant ces quelques mois au service de ce patron énigmatique. Le sourire du démon s'étira en coin face à ces confidences. Au moins, Asmodée était fixé : sa couverture était plutôt efficace. Même s'il faisait naître la suspicion, personne n'allait jusqu'à soupçonner sa véritable nature. L'Infortune d'Eve laissa échapper un rire sec lorsque son employée précisa qu'il trichait. Elle n'était pas la première personne à voir les choses ainsi. L'autre individu qui lui avait tenu de tels propos, n'était autre que Melchom.

« Moi, tricher ? Allons donc Mademoiselle Marshall, lui dit-il d'un ton amusé, je vous rappelle que je suis un démon. Tricher est dans ma nature. »

Le déchu ponctua alors sa phrase d'un clin d’œil aguicheur. Xiél revint alors sur un point qui semblait avoir troublé ses certitudes : l'intégrité des anges. Évidemment, elle ne parvenait pas voir en quoi ces derniers pouvaient être aussi délétères que les démons, s'appuyant sur ses récentes rencontres avec des célestes. Toutefois, ces rares contacts avec eux, lui avaient permis de comprendre certaines choses à leur sujet, notamment qu'ils pouvaient parfois se montrer inadaptés dans leurs rapports avec les mortels.

« Vous seriez surprise par la mentalité de certains anges, très chère, annonça le démon avec sérieux, mais non sans perdre son sourire. Si certains, comme ceux que vous avez croisé, savent manifester une certaine attention pour les membres de votre espèce, il en est d'autres qui ne vous perçoivent que comme des nuisibles. »

Les paroles que prononça ensuite Xiél ne manquèrent pas d’attiser la curiosité du déchu. Cette petite avait de la suite dans les idées, c'était indéniable, et en plus, elle était aussi entêtée qu'une mule enfantée par un Winchester. C'était comme si elle était tentée de s'allier avec un démon afin d'avancer dans sa quête personnelle. Toutefois, le risque d'une mort violente semblait encore la retenir de basculer. A cette idée, le regard du démon s'aiguisa légèrement, donnant à ses iris l'impression qu'il avait le pouvoir de percer son âme.

Sa dernière question fut des plus étranges. Etait-ce l'effet de l'alcool qui lui faisait tenir de tels propos ? Ou bien, se demandait-elle réellement si des humains étaient prêts à aider des démons ? Par prudence, Asmodée écarta le verre de la jeune femme.

« Je pense que vous avez assez bu ... »

Circonspect, le Gardien des Plaisirs observa la danseuse de longues secondes. Finalement, il se décida à répondre à la question de cette dernière, aussi étrange qu'elle ait pu être.

« Aucun humain ne sert les démons aussi simplement. Votre espèce possède … une sorte de crainte atavique du Malin. Vous savez naturellement que nous vous sommes nuisibles. Malgré tout, votre Libre Arbitre, cadeau offert par le Créateur à chacun d'entre vous, s'avère être votre force autant que votre faiblesse. Car c'est en lui que réside la tentation. »

Délicatement, Asmodée caressa la joue de la strip-teaseuse du revers de la main. Par ce contact, il distilla une part de son pouvoir, mettant ainsi en alerte l'attention de Xiél, afin de l'aider à passer outre les effets de l'alcool. Ce que le déchu s'apprêtait à dire, il ne souhaitait pas que le whisky le fasse oublier. La vigilance de la jeune femme de nouveau visible dans le regard de cette dernière, le démon reprit.

« Lorsque votre tentation surpasse votre prudence … alors, vous faites le choix de surmonter cette crainte et décidez de vous mettre à notre service. Bien entendu, il s'agit toujours d'un échange de bons procédés … dans lequel l'humain est presque toujours perdant au final. Mais c'est toujours un prix que vous êtes prêts à payer tant votre avidité et votre désir sont puissants. Celui qui se met délibérément aux services d'un démon est un fou … un adorateur … un idiot … donnez-lui le nom que vous voulez. »

Asmodée adressa alors à la jeune femme un sourire à la fois séducteur et protecteur. Posant son regard dans celui de Xiél, il la fixa avec intensité.

« Mais pourquoi de telles questions ?, lui demanda-t-il. C'est à croire que vous êtes vous-même à la recherche d'un deal … Est-ce le cas ? Car si ça l'est … sachez que je suis prêt à vous faire un … prix d'ami. »

Xiél était quelque peu secouée par ses propres pensées. Si bien que lorsque son patron lui retira son verre, elle ne chercha pas à le rattraper. Ce monde était dangereux et il est vrai que pouvoir être du côté des démons semblait être favorable, mais les ténèbres n'étaient pas plus accueillantes que la mort. La rousse ne pensait pas vraiment à ce qu'elle disait, si le monde était si simple, ça se saurait non ? Elle sentit alors la main de Ben contre sa joue, en temps normal elle aurait peut-être pu interprété ça autrement, mais elle comprit assez rapidement que le démon venait de lui faire quelque chose. Les effets de l'alcool qui l'avait poussé à parler sans réfléchir s'estompèrent et elle plongea alors son regard dans celui-ci. Il voulait qu'elle écoute attentivement ses paroles et c'est ce qu'elle ferait.

« Lorsque votre tentation surpasse votre prudence … alors, vous faites le choix de surmonter cette crainte et décidez de vous mettre à notre service. Bien entendu, il s'agit toujours d'un échange de bons procédés … dans lequel l'humain est presque toujours perdant au final. Mais c'est toujours un prix que vous êtes prêts à payer tant votre avidité et votre désir sont puissants. Celui qui se met délibérément aux services d'un démon est un fou … un adorateur … un idiot … donnez-lui le nom que vous voulez. »

La jeune femme resta un instant silencieuse, le regard perdu dans celui d'Asmodée. Ces paroles résonnaient en elle comme un avertissement. Elle se connaissait et savait très bien qu'elle n'aurait jamais pu aidé un démon, même si elle n'avait jamais cru en Dieu, au Bien et au Mal, elle n'avait jamais été femme a aimé voir souffrir quelqu'un et c'était ce qu'était les démons. Elle aurait voulu retirer sa phrase, mais c'était trop tard. Elle se contenta alors de baisser les yeux, honteuse d'avoir pu y songer ne serait-ce qu'une seconde. Elle releva pourtant les yeux et remarqua alors que l'expression de Ben avait changé. Elle connaissait bien ce sourire sur son visage. Un sourire apparu alors sur ses lèvres comme simple réflexe.

Elle écouta alors son offre, comme si tout était si simple ? Un large sourire prit alors ses lèvres.

« Si le prix d'un deal habituel est une âme, je me demande bien ce que peut être pour vous un prix d'ami ... »

Elle avait bien compris après toutes ses rencontres que faire un pacte avec un démon serait une bêtise et que même si cela signifiait facilité, les conséquences étaient trop grandes pour prendre le moindre risque. Se serait comme prendre un raccourci qui finirait sa route en bas d'une falaise. Il valait mieux dans ce cas prendre le chemin le plus long. Elle rit légèrement avant de continuer.

« Vous m'avez dit plus tôt de me méfier de tous les démons et des anges ... Vous qui êtes un peu comme les deux réunis, n'êtes vous pas pire que les autres ? »

En réalité, même s'il lui avait dit de faire attention, elle n'arrivait pas à prendre peur face à lui. Peut-être n'était-ce dû qu'à l'attraction qu'il provoquait en elle ou le temps qu'il passait aujourd'hui à la mettre en garde. Elle lui fit un sourire avant de reprendre son sérieux.

« Vous avez dit plus tôt que les humains savaient inconsciemment que les démons représentent le mal, je pense aussi que nous savons que la facilité n'offre à la fin que des problèmes. »

Elle pensait ce qu'elle disait, du moins pour le moment. Quelques semaines plus tôt, elle aurait abandonné bien plus que son âme pour être sauver des mains de ces démons. À cet instant, elle se sentait assez en confiance pour réussir à refuser cette offre. On l'avait mise en garde face à tout ça, mais dans les moments les plus difficiles, refuser de prendre la solution de facilité devient une véritable épreuve. Elle devait aussi penser à elle et plus seulement à sa quête de vérité qui ne la mènerait qu'à sa perte si elle continuait ainsi.

Les idées visiblement plus claires, le regard de Xiél semblait plus vif. C'était une bonne chose, car à présent, elle était en mesure d'avoir un raisonnement plus prudent que quelques instants plus tôt. A son tour, elle adressa un sourire à son patron. Dans un premier temps, ce sourire semblait plus tenir du réflexe, mais finalement, se consolidant, il gagna en conviction. La jeune femme commençait à comprendre les règles qui régissaient ce monde tout nouveau pour elle, et qui pourtant, datait de la nuit des temps. Bien qu'elle eut entendu la proposition du déchu, elle avait également compris que ce genre d'avance était rarement sans compromis. Si bien qu'elle refusa poliment l'offre. Connaissant le prix d'un marché classique, elle avait du mal à voir en quoi l'offre du démon serait moins compromettante. Qui plus est, étant un ange déchu, elle le taquina en lui faisant remarquer qu'en suivant les indications de ce dernier, elle devait alors s'en méfier doublement. Asmodée lui adressa alors un sourire sincèrement amusé.

« Je vois que vous apprenez vite, Miss Marshall. C'est une excellente nouvelle pour votre espérance de vie. »

Enfin, Xiél fit part de l'un de ses points de vue. Selon elle, la facilité menait bien souvent aux problèmes. D'un signe de tête mitigé, le déchu accepta … même s'il voyait en cette phrase, une certaine forme de raccourci … raccourci dont justement, la jeune danseuse venait de parler de manière peu élogieuse.

« Les problèmes n'ont pas besoin d'attendre la facilité pour pointer le bout de leur nez … et ceci est valable pour tout le monde … que vous soyez ange, démon, humain … ou même Dieu en personne. »

Le déchu ponctua sa phrase avec un sourire presque moqueur, ce sarcasme s'adressant d'avantage à son paternel qu'à n'importe qui d'autre ici présent. Le visage du Gardien des Plaisirs s'adoucit alors, son sourire redevenant plus avenant et son regard plus doux. Quelques secondes, en silence, il observa son employée. Il pouvait voir en elle une certaine force de caractère, une volonté rare chez les mortels, capable de résister à la corruption et à la tentation dont les démons usaient pour compromettre les humains. C'était autant un atout qu'un facteur de risque. Cela lui assurait de pouvoir lutter contre la tentation de se damner, mais dans un même temps, lorsque les démons ne parvenaient pas à manipuler leur proie, ils se montraient rarement cléments, et préféraient alors des options beaucoup plus radicales pour résoudre le problème.

Cette particularité, c'était cela qui faisait de la strip-teaseuse la candidate idéale. Oui, c'était certain ! Avec des ressources comme les siennes, elle était en mesure d'y parvenir ...

« Un peu plus tôt, vous disiez être à la recherche d'un nom … que c'était ce qui vous avez conduit dans un mauvais pas, reprit alors le déchu d'un air presque détaché. Pourquoi rester sur un échec ? Après tout, à présent, vous êtes d'avantage préparer. »

Asmodée se pencha vers la jeune femme, posant une main sur l'avant bras de cette dernière. Son sourire s'était à présent fait beaucoup plus discret, tout juste visible aux coins de ses lèvres. Quant à son regard, il avait gagné en intensité, fixant les yeux de Xiél.

« Peut-être suis-je en mesure de vous aider ? Si cela vous intéresse, dites m'en plus et je verrai ce que je peux faire. »

Se reculant, le déchu ôta dans un même temps sa main, tout en déviant son regard en direction de la salle principale. Finalement, il reporta son attention sur son employée, lui adressant cette fois-ci un sourire beaucoup plus franc.

« Oh … et ne craignez rien pour votre âme. Elle est très bien là où elle est. »

Effectivement, elle ne pouvait pas être à une meilleur place.